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Maroc : Les violences policières sont un test pour la nouvelle constitution

Les dispositions relatives aux droits humains protègent en principe le droit de manifester

(Rabat, le 11 juillet 2011) - La révision constitutionnelle approuvée par référendum le 1er juillet peut faire avancer considérablement les droits des Marocains, mais seulement si les autorités se servent de ces nouveaux principes constitutionnels pour réformer les lois et les pratiques répressives, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

Parmi les pratiques qui doivent être rendues conformes à la constitution se trouve la façon dont la police répond aux manifestations pacifiques, a déclaré Human Rights Watch. Depuis que les Marocains, inspirés par les mouvements de protestation balayant le monde arabe, sont descendus dans la rue pour manifester, le 20 février, exigeant d'importantes réformes politiques, les policiers ont réagi en plusieurs occasions avec une brutalité extrême. Ils ont tabassé des manifestants pacifiques au point que beaucoup ont dû recevoir des soins médicaux, comme des points de suture ou la réduction de fractures osseuses. Au moins l'un d'entre eux est mort à l'hôpital après avoir été passé à tabac, même si la cause de son décès reste peu claire.

« Le vrai test de l'engagement du gouvernement marocain en faveur des droits humains réside dans sa faculté à respecter, ou non, les droits de ses citoyens dans la pratique », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Il ne suffit pas d'adopter une constitution qui affirme : ‘Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité physique ou morale de quiconque, en quelque circonstance que ce soit', et ensuite de laisser la police matraquer des manifestants pacifiques ».

Les réformes constitutionnelles comprennent plusieurs dispositions renforçant les droits des citoyens, dont l'égalité des sexes, la liberté d'expression « sous toutes ses formes », la liberté d'association, de rassemblement et de manifestation pacifique, le droit à un procès équitable, ainsi que la pénalisation de la torture, de la détention arbitraire et de la disparition forcée. La constitution exclut la censure de la presse. Elle exige que les autorités informent « immédiatement » toute personne qu'elles placent en détention de la raison de cette décision et de ses droits. Les amendements octroient aussi au Premier ministre des pouvoirs qui auparavant étaient des prérogatives exclusives du roi.


Parmi les nombreuses lois marocaines qui doivent être harmonisées avec l'affirmation ambitieuse de ces principes dans la nouvelle constitution, se trouvent certaines dispositions du code de la presse et du code pénal, qui prévoient des peines de prison pour des actes d'expression, a déclaré Human Rights Watch. Sont ainsi punis les discours ou les écrits qui « diffament » les fonctionnaires ou les institutions de l'Etat, d'après les articles 45 et 46 du code de la presse, ou bien qui « portent atteinte » à l'Islam, à la monarchie ou à la souveraineté revendiquée par le Maroc sur le Sahara occidental, d'après l'article 41.

Les organisateurs de la plupart des manifestations de ces derniers mois sont issus du Mouvement du 20 Février pour le Changement, un groupe structuré de manière relativement informelle, largement basé sur la jeunesse et inspiré par les soulèvements en Égypte et en Tunisie. Les slogans du groupe se focalisent sur la liberté, la démocratie et la fin de la corruption et de la répression. Parfois ils ont pu formuler des revendications plus spécifiques, comme celles de réduire drastiquement les pouvoirs et les prérogatives du roi ou de libérer les prisonniers politiques. Le puissant mouvement islamiste Justice et Spiritualité, le petit parti d'extrême-gauche La Voie démocratique, ainsi que l'Association marocaine des droits humains, entre autres, ont soutenu les objectifs du Mouvement du 20 Février.

En plusieurs occasions, notamment pendant une grande partie du mois de juin, les autorités n'ont pas interféré avec les manifestations organisées par le mouvement dans les grandes villes. Mais à plusieurs reprises depuis février, les forces de sécurité, à Rabat, Casablanca et ailleurs, ont attaqué des manifestants.

Human Rights Watch a interviewé des manifestants qui ont été passés à tabac à Rabat, Casablanca et Kénitra. Ils ont déclaré que les forces de sécurité avaient agressé les manifestants alors qu'ils se rassemblaient, sans prévenir, en les chargeant avec des matraques et en les cognant sur le corps et, dans certains cas, sur la tête. Dans d'autres cas, alors que les manifestants se dispersaient, les forces de sécurité ont poursuivi des manifestants dans les rues pour continuer à les frapper.

Les passages à tabac décrits semblent destinés à infliger des punitions sommaires. Les comptes-rendus nombreux et cohérents qui en ont été faits contredisent les déclarations officielles selon lesquelles les forces de sécurités avaient seulement utilisé la force nécessaire pour disperser des rassemblements « non autorisés », des gens qui bloquaient la circulation ou bien désobéissaient aux ordres donnés.

Il n'est pas évident d'expliquer l'alternance des réactions du gouvernement entre l'autorisation de manifestations pacifiques certains jours et la répression violente, d'autres jours, de manifestations pacifiques organisées avec les mêmes slogans, a déclaré Human Rights Watch.

L'Association marocaine pour les droits humains, indépendante, affirme avoir décrit avec précision plus de 100 cas de blessures infligées par les forces de sécurité entre février et fin mai. A la connaissance de Human Rights Watch, aucun membre des forces de sécurité n'a été poursuivi pour avoir usé de la force contre des manifestants sans justification.

Certaines des violences policières les plus dures se sont déroulées lors des manifestations pacifiques des 15, 22, 28 et 29 mai. Human Rights Watch a interviewé de nombreuses personnes qui ont essayé de participer à ces manifestations et aux précédentes, où les policiers ont frappé les participants.


Le 15 mai à Témara, alors que des manifestants essayaient de prendre un pique-nique près d'installations dont on pense qu'elles sont celles d'une prison secrète, les policiers ont intercepté les manifestants qui arrivaient, les ont bloqués et ont battu beaucoup d'entre eux, les poursuivant dans leur fuite pour continuer à les frapper.

Le 22 mai à Rabat et Casablanca, de nombreux policiers attendaient les manifestants et ont commencé à les frapper dès leur arrivée, et dans certains cas, les ont arrêtés et passés a tabac.

Les 28 et 29 mai, des manifestants ont été sévèrement frappés à Rabat, Casablanca et Kénitra, et dans certains cas arrêtés.

La loi marocaine exige que les organisateurs d'une manifestation en plein air avertissent les autorités à l'avance, et les organisateurs peuvent l'interdire par écrit si elles estiment qu'elle est susceptible de « perturber l'ordre public », d'après l'article 13 de la loi sur les rassemblements publics.

Certains organisateurs de manifestations du Mouvement du 20 Février ont déclaré qu'ils n'avaient pas averti les autorités parce qu'ils pensaient que le gouvernement interdirait leurs manifestations quelles que soient les circonstances. Quelques-uns ont déclaré que bien qu'ils aient averti les autorités, celles-ci leur avaient notifié par écrit que les manifestations qu'ils préparaient ne seraient pas autorisées.

Par exemple, Karim Tazy, un homme d'affaires de 52 ans qui soutient les manifestations, a reçu un avis en ce sens le 26 mai, signé par le directeur des Affaires générales, Najib Grani, sous les ordres du wali (gouverneur) de Casablanca, et le prévenant qu'une manifestation prévue pour le 29 mai n'était pas autorisée.

Même lors de la dispersion de manifestations que les autorités jugent non autorisées ou menaçant l'ordre public, les principes internationaux n'autorisent les agents chargés de faire respecter la loi à utiliser la force qu'en dernier recours. D'après les « Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application de la loi » des Nations-Unies, , « les responsables de l'application des lois doivent s'efforcer de disperser les rassemblements illégaux mais non violents sans recourir à la force et, lorsque cela n'est pas possible, limiter l'emploi de la force au minimum nécessaire » pour disperser la manifestation.

L'article 19 de la loi marocaine sur les rassemblements publics exige que les agents de la loi émettent trois avertissements oraux pour les disperser, grâce à des porte-voix, avant d'éparpiller les manifestants par la force. Le fait de frapper des manifestants pacifiques avec des matraques, sans avertissement, et de continuer longtemps après la dispersion des manifestations, viole ces principes.

Les avocats représentant des manifestants ont déclaré à Human Rights Watch qu'un certain nombre de manifestants ont déposé plainte en bonne et due forme devant les tribunaux au sujet des passages à tabac. Dans certains cas, des procureurs ont inculpé des manifestants pour avoir participé à des rassemblements « non autorisés » ou sous d'autres chefs d'inculpation, comme avoir désobéi aux ordres d'un agent public, constitué une « bande criminelle » ou détruit des propriétés privées. Mais les autorités n'ont, à la connaissance de Human Rights Watch, annoncé aucune enquête ou poursuite judiciaire contre les responsables de violences brutales contre les manifestants, sauf pour le cas de l'enquête sur le décès d'un manifestant, Kamal Ammari, à Safi (voir ci-dessous).

« Les Marocains ont voté pour une constitution qui emploie un langage audacieux en faveur des droits humains », a déclaré Sarah Leah Whitson. « Rien ne pourra démontrer plus efficacement que leur vote pour le ‘oui' se traduira par des changements concrets qu'un respect nouveau par les autorités du droit de manifester ainsi que des sanctions contre les agents qui frappent les manifestants sans raison. »

Le 15 mai, à Témara

Le Mouvement du 20 Février a tenté d'organiser un pique-nique à l'extérieur du siège de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), largement suspecté d'abriter un centre d'interrogatoires secret, malgré les dénégations du gouvernement. Le but, ont expliqué les organisateurs, était de soutenir les réformes et la libération de prisonniers politiques à travers un après-midi de théâtre, de poésie et de musique.

L'événement n'a jamais eu lieu puisque les forces de sécurité ont intercepté ceux qui voulaient y participer alors qu'ils se rassemblaient en face du supermarché Aswak Essalam tout proche. Dans certains cas, les forces de sécurité ont arrêté les manifestants dans leur trajet vers le supermarché, leur ont demandé leurs papiers, ont fouillé leurs sacs puis leur ont donné l'ordre de s'en aller.

D'autres manifestants qui avaient atteint le supermarché ont déclaré que les forces de sécurité les avaient détenus ou frappés pour les empêcher d'aller plus loin. Mohammed Allal El Fajeri, un journaliste de 34 ans de la ville de Salé, a raconté que lorsqu'il est arrivé au supermarché, les forces de sécurité lui ont demandé ses papiers, ainsi qu'à un ami, ont pris des photos d'eux, et les ont arrêtés :

« Les policiers matraquaient des gens partout, sans prévenir... Ils m'ont mis dans un gros fourgon de police et m'ont traité d'homo, de traître et de criminel. Puis ils m'ont emmené au poste de police de Témara. Là ils nous ont pris nos téléphones portables et nous ont forcé à leur donner nos codes PIN en nous prévenant qu'ils pourraient utiliser « d'autres moyens » pour nous amener à obéir. Ils sont entrés dans nos carnets d'adresses, ont copié des numéros de téléphone et ont effacé nos images... Ils nous ont posé des questions sur notre travail, notre famille et notre affiliation politique. Ils m'ont gardé au poste de police, en me posant des questions pendant quatre heures et demie, alors que j'étais resté à la manifestation pendant seulement 15 minutes... Après ça, ils m'ont laissé partir. »

Un meneur des protestations, Oussama El Khlifi, 23 ans, de Rabat, qui a un diplôme en sciences de l'information mais est au chômage, a déclaré à Human Rights Watch que lui et quelques amis avaient réussi à parvenir au site prévu pour la manifestation, où environ 100 personnes avaient pu se rassembler. Mais dès qu'ils avaient entonné leur premier slogan, a-t-il rapporté, les policiers se sont approchés pour les disperser.

« Nous nous sommes enfuis, mais les policiers nous ont suivi sur près de 800 mètres », a déclaré El Khlifi. « J'étais dans un groupe d'environ 11 manifestants, poursuivi par les policiers dans leurs voitures ». El Khlifi a raconté qu'il s'est retrouvé dans un cul-de-sac. « J'ai tenté de me cacher dans un magasin, mais la police m'a trouvé. Ils m'ont forcé à dire ‘Vive le roi' puis ils m'ont frappé à l'épaule. Comme je ne suis pas tombé, ils m'ont donné un coup de matraque sur la tête et j'ai perdu conscience. Quand je suis revenu à moi, je me trouvais à l'hôpital, avec un nez cassé et une blessure à l'épaule ».

Quand Human Rights Watch a interviewé El Khlifi le 8 juin, ses blessures au nez et sur le reste de son visage étaient encore visibles. Selma Maârouf, 22 ans, étudiante à l'université, a aussi témoigné que les forces de sécurité l'avaient poursuivie et frappée après avoir dispersé la manifestation.

« J'ai essayé de me cacher dans un garage, mais ils m'ont suivie, m'ont donné des coups de pied et tabassée », a déclaré Maârouf. « J'avais des contusions, je ne pouvais plus respirer ni marcher, et j'ai perdu connaissance. Un officier m'a traité de ‘salope' pendant qu'il me frappait ». Maârouf a déclaré que les forces de sécurité l'avaient frappée entre les jambes avec leurs matraques, ainsi qu'une autre femme présente aux manifestations.

Ashraf Taïb Gouijjan, un lycéen de 18 ans qui lui aussi avait essayé d'atteindre la manifestation, a déclaré que huit policiers en civil l'avaient encerclé devant le supermarché et frappé. Après un moment ils l'ont laissé tranquille, mais quand il a essayé de partir un autre agent l'a saisi et l'a tabassé à son tour. Gouijjan a déclaré à Human Rights Watch :

« Il m'a attrapé par les cheveux, m'a poussé pour que je tombe par terre et a commencé à me cogner avec une matraque. Alors que j'étais à terre, agrippé à mon sac, il m'a frappé jusqu'à ce que je lâche mon sac. Il m'a frappé à la mâchoire et aux jambes. Ma mâchoire n'était pas cassée mais pendant une semaine j'avais mal en mangeant ».

Nizar Bennamate, un étudiant en journalisme de 25 ans, a déclaré que lorsqu'il avait essayé de se joindre à la manifestation, les forces de sécurité l'avaient emmené à l'arrière d'un van de police sans fenêtres et l'avaient battu à l'intérieur, ainsi que huit ou neuf autres personnes, avec des matraques et un casque.

« Ils m'ont frappé partout sauf à la tête », a déclaré Bennamate. « Ils m'ont forcé à dire ‘Vive le roi' puis m'ont giflé... Ils nous ont emmenés au poste de police. Ils m'ont posé des questions et m'ont retenu pendant environ 30 minutes ».

Khalid Guemouri, un manifestant islamiste qui dit avoir déjà été détenu à Témara, a déclaré que quand il avait tenté d'atteindre le supermarché, des agents du renseignement l'en avaient empêché.

« Ils nous ont demandé nos noms et nos papiers, et ont pris des photos de nous », a déclaré Guemouri. « Ils nous ont dit de partir, que sinon cela deviendrait dangereux. Je voyais d'autres forces de sécurité en train de frapper des gens »

Guemouri a déclaré que ce jour-là, il avait reçu des appels de proches de détenus islamistes, qui avaient tenté d'atteindre Témara depuis d'autres villes mais avaient été interceptés aux gares routières par des agents de police qui leur avaient dit de rentrer chez eux. Guemouri s'est rendu à la gare routière de Rabat pour rencontrer des proches de prisonniers qui avaient pu atteindre Rabat, puis est parti avec eux pour se joindre à une autre manifestation qui était en train de se former en face du Parlement au centre-ville. Guemouri a déclaré :

« Il y avait un sit-in d'environ 150 personnes, mais quand les militants du 20 Février sont arrivés et ont commencé à scander leurs slogans, les forces de sécurité se sont approchées pour les frapper et disperser violemment le sit-in. Ça a duré seulement trois minutes... les forces de sécurité nous ont attaqués sans prévenir. Nous étions en train de scander des slogans contre la corruption et la tyrannie, et pour la démocratie et la liberté. Ils m'ont d'abord frappé dans le dos avec des matraques, puis à la tête. J'ai commencé à saigner de la tête. Alors que la police nous chargeait, nous continuions à scander des slogans, comme ‘Pacifiques!'. Les policiers se sont retirés un moment puis ont attaqué à nouveau ».

Human Rights Watch a observé la blessure à la tête de Guemouri le 9 juin, de même qu'une vidéo le montrant dans la manifestation, saignant de la tête.

Commentant à la presse les événements de ce jour-là à Témara, le ministre de la Communication Khalid Naciri a déclaré que les manifestants n'avaient pas demandé la permission à l'avance et que, lorsqu'on les avait avisés qu'ils agissaient contre la loi, ils avaient choisi la provocation.

Le 22 mai, à Casablanca et Rabat

Hamza Mahfoudh, un étudiant en philosophie et journalisme de 26 ans qui a élaboré beaucoup de slogans pour le Mouvement du 20 Février, a déclaré qu'il avait essayé de se joindre à une manifestation le 22 mai au quartier Sbata de Casablanca. Mais lorsqu'il est arrivé, il a trouvé les forces de sécurité en train de frapper des manifestants, qui étaient moins nombreux qu'elles, pour les disperser. Mahfoudh a déclaré à Human Rights Watch :

« Nous avons essayé de faire venir des gens des ruelles vers les rues plus grandes afin d'augmenter notre nombre... Nous avons réussi à réunir environ 500 personnes dans une rue latérale, mais quand nous avons voulu rejoindre les autres, les forces de sécurité nous ont attaqués... Je me suis caché dans une maison [mais quand j'en suis sorti, les forces de sécurité] m'ont frappé à la main et déboîté un doigt. Les gens ne faisaient que scander, ‘Pacifiques, pacifiques, jusqu'à que nous soyons enfin libres'. Des centaines de personnes ont été blessés ce jour-là ».

À Rabat, le même jour, Khalid Guemouri a déclaré avoir rejoint la manifestation du Mouvement du 20 Février au quartier Akkari à 16h. Mais les forces de sécurité étaient déjà arrivées.

« Tout ceux qui arrivaient étaient frappés, ce qui fait que nous ne nous sommes jamais rassemblés », a rapporté Guemouri. Il a ajouté qu'un groupe de manifestants avait décidé de se regrouper à Bab-el-Had, plus près du centre-ville, mais que quand il était arrivé là-bas, « les policiers sont devenus fous et ont commencé à frapper tout le monde sur les trottoirs. J'ai vu un policier à moto qui roulait au milieu de la foule... des gens ont essayé de l'arrêter mais il a menacé quelqu'un avec une arme à feu ».

Guemouri a déclaré que quatre agents des forces de sécurité l'avaient attrapé et emmené à l'intérieur d'un véhicule, où ils l'avaient frappé, ainsi que sept autres personnes. Puis ils l'ont emmené à un poste de police.

« Nous étions 17 au poste de police, tous du Mouvement du 20 Février ; J'étais le seul islamiste », a déclaré Guemouri. « Ils nous ont photographiés, ont relevé nos empreintes et nous ont interrogés ».

Guemouri a déclaré que les policiers avaient alors enfermé six personnes du groupe dans des cellules souterraines.

« Ils ne nous ont pas permis de contacter nos familles ou nos avocats... On ne m'a pas dit la raison de ma détention », a déclaré Guemouri. Il a rapporté qu'après 48h la police les avait présentés devant le procureur général sur des accusations de perturbation de la circulation et de participation à un rassemblement « non autorisé ». « Après une heure, le procureur a dit qu'il avait reçu l'ordre de nous relâcher ».

Dans un communiqué du 22 mai, l'agence officielle Maghreb Arabe Presse a écrit : « Ces marches, de plus en plus fréquentes, interfèrent avec la circulation des villes, sans parler des dommages qu'elles causent au commerce. Le résultat est que les forces de l'ordre sont obligées d'intervenir pour restaurer le respect de la loi, en dispersant ces marches ».

Le 28 mai, à Rabat; le 29 mai, à Casablanca; et les 28 et 29 mai à Kénitra                       

Le 28 mai, les forces de sécurité ont attaqué des manifestants à Rabat et Kénitra, et le 29 mai, à Casablanca et Kénitra.

Hamza Mahfoudh a déclaré que lorsqu'il a tenté de se joindre à la manifestation dans le quartier Sbata de Casablanca, les policiers l'ont immédiatement ciblé et frappé tellement fort, sur le visage et sur les jambes, que quand ils sont finalement partis, il a perdu connaissance en essayant de marcher. Mahfoudh a déclaré :

« Des jours après, je n'ai toujours pas de sensations sur un côté de mon visage, et quand j'essaie de manger, je sens comme un choc électrique... J'avais une fracture à l'arrière de l'épaule... Presque chaque jour maintenant, je dois aller à l'hôpital [pour passer des tests] car je continue à m'évanouir de temps en temps ».

Mohammed Allal El Fajeri, 34 ans, un des fondateurs du Mouvement du 20 Février, qui est journaliste à www.marayapress.net, a déclaré que le 28 mai, le mouvement avait aussi prévu une manifestation à 17h à Salé, la plus grande ville près de Rabat, où il vit. Un peu plus tôt ce jour-là, les autorités avaient amené chez lui un avis écrit disant que cette manifestation était interdite, alors que le mouvement n'avait pas demandé de permission. El Fajeri s'est rendu sur le site prévu pour la manifestation, mais il a rapporté qu'en deux minutes, des policiers en civil l'avaient détenu, ainsi qu'un autre manifestant, et les avaient mis dans une voiture de police :

« Ils nous ont demandé ce que nous faisions là alors que la marche avait été interdite. Nous avons répondu que nous n'avions jamais demandé de permission... Ils nous ont emmenés au poste... et nous ont interrogés. Ils ont pris nos papiers et nous ont posé des questions sur nos positions au sujet du roi... et sur ce que nous voulions dire dans nos slogans, comme ‘Makhzen [terme marocain désignant l'Etat et les administrations publiques], dégage !', ou bien sur notre revendication d'amendement de l'article 19 de la constitution [l'article de la constitution de 1996, amendé depuis, qui désigne le roi comme ‘Commandeur des croyants' et ‘représentant suprême de la nation']. Ils n'ont pas cessé de dire que si je ne répondais pas, ils ‘corrigeraient mon comportement' ».

Relâché plus tard ce jour-là, El Fajeri a déclaré à Human Rights Watch, le 8 juin, qu'il recevait encore des avertissements anonymes lui disant qu'il ne trouverait jamais de travail, à moins qu'il ne dise aux autres militants de cesser de manifester.

Le 29 mai, des forces de sécurité de la ville de Safi, à 208 kilomètres au sud-ouest de Casablanca, ont frappé Kamal Ammari, un manifestant de 30 ans qui appartenait à l'association islamiste Justice et Spiritualité, a déclaré Mohamed Aghnaj, un avocat basé à Casablanca qui appartient lui aussi à Justice et Spiritualité et qui représente la famille de Ammari. Ammari souffrait d'un genou fracturé et peut-être de côtes cassées, a déclaré Aghnaj. Ammari était rentré chez lui ce soir-là, mais était parti à l'hôpital deux jours après parce qu'il ne se sentait pas bien. Il est mort à l'hôpital le 2 juin.

Le bureau du procureur a annoncé que l'équipe de médecine légale avait conclu que Ammari avait succombé à une « pneumopathie étendue avec anoxie cérébrale » qui avait « aggravé les effets d'un simple coup sur le torse qui aurait dû normalement être bénin, mais a conduit au décès en l'absence de traitement rapide et adéquat ». Le bureau du procureur a déclaré qu'il avait « ordonné à la police de mener une enquête exhaustive et minutieuse pour déterminer les circonstances du décès ».

La famille de Ammari a déposé plainte devant le procureur général et demandé que le rapport complet de l'autopsie du corps de Ammari soit rendu public. Le rapport n'était toujours pas disponible à la date du 4 juillet, a déclaré Aghnaj.

Cinq manifestants islamistes - Saïd El Azhari, 39 ans ; El Moustafa El Amghari, 40 ans ; Boughaba Roudane, 42 ans ; Nabil El Amghari, 22 ans ; et Mohammed Moujane, 50 ans -, dans la ville de Kénitra, à 40 kilomètres au nord de Rabat, ont déclaré à Human Rights Watch que les forces de sécurité les avaient frappés lors des manifestations organisées par le Mouvement du 20 Février les 28 et 29 mai. Roudane a déclaré que le 28 mai, il participait à une manifestation à Kénitra lorsque les policiers ont commencé à tabasser les manifestants avec des gourdins en bois.

« J'ai essayé de protéger un homme âgé, ils m'ont frappé sur le bras et ils l'ont fracturé », a déclaré Roudane. Quand Human Rights Watch a interviewé Roudane le 8 juin, son bras était en écharpe.

El Amghari a déclaré que les policiers l'avaient arrêté, ainsi que quatre autres manifestants, lors d'une autre protestation à Kénitra le 29 mai, qu'ils les avaient emmenés dans les bois, menottés, placés le visage contre terre et tabassés sur le dos et les jambes avec des gourdins en bois. Plus tard ils leur ont enlevé les menottes et les ont laissés dans les bois pour rentrer à pied, sans aide.

Attaques de février et mars

Human Rights Watch a recueilli des comptes-rendus comparables de violences à Rabat les 21 et 23 février et à Casablanca le 13 mars, ainsi que dans d'autres villes aux mêmes dates.

Le 21 février, le lendemain du jour où les autorités avaient permis aux protestataires dans des villes de tout le pays d'organiser les premières manifestations d'échelle nationale réclamant des changements politiques, les policiers de Rabat ont matraqué des manifestants qui s'étaient rassemblés sur la place Bab-el-Had. Khadija Ryadi, la présidente de l'Association marocaine des droits humains (AMDH), se trouvait parmi ceux qui ont dû être traités à l'hôpital après avoir été tabassés.

Le 23 février à Rabat, les policiers ont dispersé de force une petite manifestation à l'appel du Réseau démocrate marocain pour le soutien des peuples, en face du Centre culturel libyen.

Les policiers ont frappé les participants avant même le début, y compris Abdelkhaleq Benzekri, Abdelillah Benabdeslam, Montassir Idrissi et Taoufik Moussa'if. Moussa'if, un avocat défenseur des droits humains qui est actif dans l'association Adala pour une réforme judiciaire, a déclaré à Human Rights Watch qu'au moment où les protestataires sont arrivés, un officier leur avait ordonné de se disperser. Devant leur refus, l'officier a ordonné l'usage de la force et les policiers l'ont frappé à la tête, sur les épaules et sur les pieds. Benabdeslam, de l'AMDH, a déclaré à Human Rights Watch que des agents brandissant des gourdins avaient durement matraqué les manifestants sur différents parties du corps.

Le 13 mars, Oussama El Khlifi, un meneur du Mouvement du 20 Février, a déclaré que lui et un ami avaient tenté de se rendre sur le site d'une manifestation à Casablanca, mais que la police les avait immédiatement détenus et frappés dans une voiture de police avec des matraques.

« Ils n'ont cessé de nous traiter de traîtres et d'athées... Ils nous ont emmenés au poste de police... où nous avons été frappés et interrogés... Finalement nous avons été relâchés car d'autres manifestants, y compris des figures politiques, ont tenu un sit-in [demandant notre libération] », a déclaré El Khlifi.

Hamza Mahfoudh était également présent à la manifestation du 13 mars et déclare que les policiers l'ont frappé lui aussi.

« J'ai trouvé quelqu'un à terre, dont la jambe avait l'air cassé... J'ai essayé de l'amener à une ambulance, mais les policiers m'ont encerclé et ont commencé à me frapper. Ils ont pris la caméra coûteuse que j'avais sur moi, et l'ont fracassée », a déclaré Mahfoudh.

El Khlifi et Mahfoudh ont déclaré tous deux que plus de 100 manifestants avaient été détenus à Casablanca ce jour-là.

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