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Maroc : Le gouvernement devrait rétablir l'accréditation d'Al Jazeera

La façon de couvrir le conflit au Sahara est un facteur déterminant dans la décision de bâillonner certains médias

(New York, 5 avril 2011) - Le Maroc devrait cesser d'annuler l'accréditation de certains journalistes travaillant pour des médias étrangers et dont les articles déplaisent au gouvernement, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Au cours de l'année écoulée, le gouvernement a mis fin aux opérations de la chaîne Al Jazeera au Maroc après avoir retiré leur accréditation à sept de leurs journalistes, et a interdit à un correspondant d'un journal espagnol basé à Rabat de travailler sur le territoire marocain. Le gouvernement  a en outre retardé pendant trois mois la réaccréditation du correspondant marocain du quotidien Al-Quds al-Arabi, basé à Londres.

Dans chacun de ces cas, la décision de révoquer les accréditations semble avoir été motivée par le mécontentement du gouvernement à l'égard de la couverture du conflit au Sahara occidental. Le Maroc revendique sa souveraineté sur le territoire contesté en dépit du refus de la communauté internationale d'accepter de plein droit les revendications du Maroc. Le Front Polisario, un mouvement dont la plupart des membres sont contraints à l'exil, réclame l'indépendance du Sahara occidental.

« Alors que le roi Mohammed VI promet des réformes de grande envergure et notamment une protection renforcée des droits humains, le Maroc ne devrait pas suivre le mauvais exemple des gouvernements arabes qui interdisent la chaîne Al Jazeera », a commenté Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

Le retrait des accréditations s'effectue alors que l'espace accordé aux médias indépendants au Maroc se rétrécit déjà. Depuis janvier 2010, trois publications marocaines au ton trop libre au goût du gouvernement, ont dû cesser de paraître, victimes de difficultés économiques attribuables, du moins en partie, aux pressions politiques. Ces publications sont l'hebdomadaire francophone Le Journal Hebdomadaire, l'hebdomadaire arabe Nichan et le quotidien arabe al-Jarida al-Oula.

Des centaines de journalistes qui travaillent pour des médias contrôlés par l'État, notamment pour les chaînes de télévision et les agences de presse de l'État, ont manifesté à Rabat et à Casablanca, le 25 mars 2011, pour exiger, entre autres revendications, une plus grande indépendance éditoriale. En effet, les organisations médiatiques auxquelles ces journalistes appartiennent privilégient fortement le point de vue de l'État sur les questions politiques sensibles.

Un journaliste qui n'est pas accrédité ne peut pas assister aux évènements organisés par le gouvernement, comme par exemple les conférences de presse, et peut être interpellé par les autorités s'il couvre des évènements publics. Un journaliste qui ne jouirait pas du statut de résident au Maroc peut se voir refuser de séjourner et de travailler dans ce pays.

En 2006, Al Jazeera a commencé de diffuser chaque soir au Maroc un programme d'informations sur l'Afrique du Nord intitulé Al-Hasad al-Magharibi (« le bulletin du Maghreb »). Le choix de baser ce programme au Maroc était le signe d'une plus grande liberté des médias dans ce pays par rapport aux pays voisins. Mais, début 2008, les autorités marocaines ont suspendu la diffusion de l'émission sur leur territoire en invoquant des raisons techniques. Puis, en juin, Hassan Rachidi, le directeur du bureau d'Al Jazeera à Rabat, après avoir évoqué sur l'antenne l'affirmation d'une organisation marocaine des droits de l'homme que la police avait tué des manifestants lors de troubles à Sidi Ifni ce même mois, s'est vu retirer son accréditation. Des poursuites ont été engagées contre lui. En juillet, un tribunal marocain a condamné M. Rachidi à une amende pour « propagation de nouvelles sciemment erronées susceptibles de troubler l'ordre public ». Sans accréditation, M. Rachidi, réduit à accomplir des taches administratives, a quitté le Maroc en janvier 2009 pour occuper un autre poste dans la chaîne.

En 2009, le Maroc a révoqué les accréditations de deux autres journalistes d'Al Jazeera, Anas Ben Salah et Mohamed Bakkali. Réduits aussi à un travail de bureau et dans l'impossibilité de paraître à l'écran, ils ont également fini par être affectés par Al Jazeera à d'autres postes à l'étranger.

En octobre 2010, les autorités marocaines ont retiré les accréditations de tous les correspondants d'Al Jazeera au Maroc et, le 29 octobre, elles ont annoncé la suspension des opérations de la chaîne sur le territoire marocain, au motif que la chaîne avait « porté un grave préjudice à l'image du Maroc et avait donc manifestement nui aux intérêts supérieur du pays, notamment à son intégrité territoriale », faisant allusion au Sahara occidental. Cinq correspondants d'Al Jazeera ont alors perdu leur accréditation : Mohamed Fadel, Iqbal al-Hami, Mohamed Faqih, Abdelhak Esshaseh et Abdelkader Kharoubi.

Rachid Khechana, le chef des informations d'Al Jazeera pour le Maghreb, a expliqué à Human Rights Watch que les autorités marocaines s'étaient plaintes à plusieurs reprises auprès de la chaîne au sujet de la couverture du Sahara occidental, l'accusant d'avoir adopté une conduite partisane en faveur du Front Polisario.

Depuis octobre 2010, les équipes et les journalistes d'Al Jazeera ne sont plus en mesure de réaliser des reportages à l'intérieur du Maroc, ou au Sahara occidental, contrôlé par le Maroc.

La fermeture de ses bureaux coïncide avec la montée des tensions au Sahara occidental après que, début octobre, plusieurs milliers de Sahraouis ont érigé des tentes en lisière de la capitale de la province, El-Ayoun, pour protester contre les conditions de vie. Les autorités marocaines et plusieurs dirigeants sahraouis se sont rencontrés pour négocier la fin de la manifestation. Cependant, le 8 novembre, les forces de sécurité ont pénétré dans le campement pour le démonter et disperser les protestataires. De violents affrontements s'en sont suivis d'abord à l'intérieur du campement puis dans les rues d'El-Ayoun.

Le Maroc a tout d'abord refusé l'accès des médias étrangers à El-Ayoun pour couvrir les affrontements. Le 11 novembre, le ministère de la Communication a annoncé que le Maroc révoquait l'accréditation de Luis De Vega, correspondant du quotidien espagnol ABC au Maroc depuis 2002, au motif de « violations continuelles des règles déontologiques de la profession ».

Ce même jour, le Maroc a expulsé trois journalistes de radio espagnols qui tentaient de contourner l'embargo médiatique imposé à la ville d'El-Ayoun. Le Maroc n'a autorisé qu'un seul journaliste étranger, du quotidien français Le Monde, et une organisation des droits de l'homme, Human Rights Watch, à se rendre dans la ville et dans le campement dans les jours qui ont suivi les affrontements.

Les autorités n'ont pas donné d'explications plus précises sur la révocation de l'accréditation de De Vega. Il est à noter toutefois, qu'un fonctionnaire ministériel avait contacté De Vega quelques mois auparavant pour se plaindre d'un article d'ABC sur le procès d'indépendantistes sahraouis intitulé « le Maroc traduit le Sahara occidental en justice (Marruecos juzga al Sahara) », le qualifiant d'« insultant » et l'avait averti que cet article aurait des conséquences, à indiqué ABC dans son édition du 13 novembre.

Dans l'incapacité de faire son travail, De Vega a quitté le Maroc.

Le 1er avril, le ministère marocain de la Communication a renouvelé l'accréditation du correspondant palestinien de longue date d'Al-Quds Al-Arabi, Mahmoud Maârouf, après un délai de trois mois suite à l'expiration de son accréditation fin 2010. Le 24 mars 2011, une semaine avant le renouvellement, le ministère de la Communication avait publié la déclaration suivante au sujet du  statut de Maârouf:

Le ministère qui entretient des relations de respect et de communication continu avec l'ensemble des correspondants accrédités s'est comporté avec l'intéressé de façon civilisée en dépit des dérapages professionnels avérés qui ont marqué ses couvertures des développements de la question du Sahara marocain et de son alignement évident à plusieurs reprises sur la propagande médiatique véhiculée par les ennemis du Maroc, ce qui a contraint le ministère à protester contre cette pratique journalistique offensant les sentiments des marocains à travers une correspondance officielle datée du 5 novembre 2010 adressée à M. Abdelbari Atouane, directeur d'Al Qods Al Arabi, l'appelant à rectifier cette situation anachronique, et exprimant son étonnement de voir ces articles hostiles à notre intégrité territoriale paraître sur les colonnes d'un journal arabe, qui prétend défendre les valeurs de l'unité et lutter contre toutes formes de séparatisme et de partition dans le monde arabe.

Le 25 mars 2011, le ministère de la Communicationa autorisé l'accréditation d'Omar Brousky, un journaliste de l'Agence France-Presse (AFP), après la lui avoir refusée pendant près d'un an. L'AFP avait engagé M. Brousky, un citoyen marocain, en mars 2010, pour travailler dans ses bureaux de Rabat. Après avoir signé un contrat avec l'AFP, M. Brousky a déposé une demande d'accréditation en mai. Le ministère de la Communication délivre généralement une accréditation en deux semaines. Mais, dans le cas de M. Brousky, elle n'a été délivrée que dix mois plus tard. Ce retard l'a empêché de faire des reportages et de signer des articles.

Le gouvernement n'a fourni aucune explication pour ce retard à remettre une accréditation à M. Brousky. Certains observateurs marocains, cependant, se sont demandés dans la presse si cette lenteur n'était pas due au mécontentement du ministère quand M. Brousky était rédacteur en chef et reporter du Journal Hebdomadaire, un organe d'information marocain dont le franc-parler irritait, juste avant sa fermeture. Il avait écrit des articles critiquant le leadership politique du Maroc, sans épargner le roi Mohammed VI et ses proches.

En avril 2005, Ali Mrabet, un autre journaliste marocain, après avoir été condamné pour diffamation d'une organisation non gouvernementale sahraouie pro-marocaine, s'est vu interdire la pratique de sa profession pendant dix ans. Lors d'une entrevue radiodiffusée, il avait qualifié les Sahraouis vivant dans des camps en Algérie de « réfugiés » plutôt que de « prisonniers » du Polisario, terme utilisé dans les déclarations officielles du Maroc. Cette prohibition, sur la base de l'article 87 du Code pénal, interdit à M. Mrabet toute demande d'accréditation. Il est toutefois autorisé à écrire des articles. Il a continué à présenter des commentaires et à publier des articles, essentiellement pour des journaux espagnols. Il a créé, il y a peu, un journal en ligne, http://www.demainonline.com/.

Le gouvernement marocain devrait permettre le retour d'Al Jazeera au Maroc, cesser de refuser de délivrer des accréditations aux journalistes en représailles à leurs articles, et mettre fin à l'interdiction absurde de dix ans imposée à M. Mrabet, a déclaré Human Rights Watch, tout en exprimant sa satisfaction concernant l'accréditation de Mahmoud Maârouf et d'Omar Brouksy.

« Le Maroc accueille de nombreux correspondants qui travaillent pour des médias d'information étrangers », a conclu Sarah Leah Whitson. « Cependant, la liberté de presse se mesure moins en fin de compte au nombre d'accréditations accordées qu'à la tolérance montrée envers les auteurs d'articles dont le contenu mécontente les autorités. »

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