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Syrie : Le Tribunal antiterroriste utilisé pour étouffer la dissidence

Il faut relâcher cinq éminents militants de droits humains lors de la reprise de leur procès le 26 juin

(New York, le 25 juin 2013) – Le gouvernement syrien utilise sa Loi antiterroriste , d’une grande portée, ainsi que son tribunal spécial créé récemment, contre les défenseurs de droits humains et autres militants pacifiques, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Le 26 juin 2013, le tribunal va reprendre le procès de Mazen Darwish et de quatre de ses collègues du Centre syrien pour les médias et la liberté d'expression sur des accusations de « diffusion d’actes terroristes ».

Le tribunal spécial utilise les dispositions trop larges de la Loi antiterroriste, promulguée en juillet 2012, pour condamner les militants pacifiques au motif d’avoir aidé des terroristes lors de procès qui violent les droits fondamentaux des accusés, selon Human Rights Watch. Les accusations sont portées sous le couvert de la lutte contre le militantisme violent, mais les allégations contre les militants portent en fait sur des actes tels que la distribution d'aide humanitaire, la participation à des manifestations et la documentation de violations de droits humains.

« Le nouveau Tribunal antiterroriste fournit une couverture judiciaire à la persécution des militants pacifiques par les agences de sécurité de la Syrie », a déclaré Nadim Houry, directeur adjoint de la division Moyen-Orient à Human Rights Watch. « Le gouvernement a peut-être une nouvelle loi antiterroriste, mais il n'y a rien de légal à juger des militants pacifiques, sans garanties d'un procès équitable, pour des actes qui ne devraient jamais être considérés comme des délits en premier lieu. »

Darwish est en procès avec Hussein Gharir, Hani Zaitani, Mansour Omari et Abdel Rahman Hamada. L'acte d'accusation, que Human Rights Watch a examiné, indique leurs activités visant à faire progresser la liberté d'expression et les droits humains, comme la surveillance de nouvelles en ligne et la publication du nom des morts et des disparus, comme raison de ces accusations. Omari et Hamada ont été mis en liberté conditionnelle, le 6 février, en attendant leur procès, mais les trois autres hommes sont toujours en détention. Human Rights Watch a exhorté les autorités syriennes à libérer et à abandonner toutes les accusations portées contre Darwish et ses collègues ainsi que d'autres militants pacifiques accusés devant le tribunal uniquement pour avoir exercé leur droit fondamental à la liberté d'expression et de réunion.

Le 2 juillet 2012, le président Bachar el-Assad a adopté la loi n ° 19, la Loi antiterroriste, suite à sa décision de lever l'état d'urgence en avril. Le 25 juillet, le président a promulgué la loi n ° 22, instituant le Tribunal antiterroriste pour appliquer la nouvelle loi. Le tribunal, basé au ministère de la Justice, est chargé de juger des civils et des militaires sur des accusations liées au                « terrorisme ».

Un avocat syrien qui a représenté des accusés devant le tribunal a indiqué à Human Rights Watch que ses clients ont, par exemple, été accusés d'avoir aidé des terroristes ou mené des actes terroristes pour avoir distribué de l’aide humanitaire ou avoir participé à des manifestations. Il a estimé sur la base de ses recherches et des informations qu'il a reçues de la part d'autres avocats qu’à mi-juin, au moins 50 000 personnes avaient été déférées au Tribunal antiterroriste. Un deuxième avocat travaillant pour le compte des détenus politiques à Damas a déclaré à Human Rights Watch qu'à sa connaissance, au moins 35 000 prisonniers politiques non-violents ont été jugés devant le tribunal. Il estime que le tribunal a été mis en place spécifiquement pour cibler l'opposition. Certains des détenus sont incarcérés dans la prison centrale d'Adra à Damas en attente de procès.

La nouvelle loi définit le terrorisme comme : « tout acte visant à créer un état de panique parmi la population, déstabiliser la sécurité publique et endommager l'infrastructure de base du pays en utilisant des armes, des munitions, des explosifs, des matières inflammables, des produits toxiques, des agents épidémiologiques ou bactériologiques ou toute méthode répondant aux mêmes fins ». La référence à « toute méthode » ouvre la porte à la qualification de pratiquement n'importe quel acte comme un acte terroriste, selon Human Rights Watch.

L'article 8 prévoit l'emprisonnement et les travaux forcés pour divers autres délits connexes au   « terrorisme », notamment la distribution de documents écrits ou d’informations sous d'autres formes. L’acte d'accusation du 27 février contre les cinq membres du personnel du Centre syrien pour les médias et la liberté d'expression les accuse de « diffusion d’actes terroristes » en vertu du présent article. S'ils sont reconnus coupables, ces hommes peuvent encourir jusqu’à 15 ans de prison.

L'acte d'accusation stipule que ces accusations ont été portées en raison des activités de ces hommes en tant que membres du personnel de l'organisation. Les activités en question comprenaient la surveillance des nouvelles en ligne par l'opposition syrienne, la publication d’études sur la situation des droits humains et des médias en Syrie, la documentation des noms des détenus, des disparus, des recherchés et des tués dans le contexte du conflit syrien, et le fait de recevoir un financement de la part d'organisations occidentales. L'acte d'accusation indique également qu’un juge d'instruction à Damas a estimé que ces actions constituaient une tentative de « perturber la situation interne en Syrie et inciter ainsi les organisations internationales à condamner la Syrie dans les forums internationaux. »

L'article 1 de la loi définit le « financement du terrorisme » comme la fourniture, directe ou indirecte, d'argent, d’armes, de munitions, d’explosifs, de moyens de communication, d'informations, ou « d'autres choses » avec l'intention de les utiliser pour commettre un acte terroriste. Il est également passible d'emprisonnement et de travaux forcés.

L'article 2 de la loi n ° 22, instituant le Tribunal antiterroriste, prévoit que trois juges, dont l'un est membre de l'armée, présideront le tribunal. L’article 3 confère au procureur de la cour la faculté de saisir le tribunal d'autres délits non liés au terrorisme.

La loi ne précise pas clairement les procédures régissant les activités du tribunal, mais le peu de références aux normes de procédure confirment plusieurs inquiétudes en matière de procès équitable, concernant notamment l’insuffisance de la surveillance et des procédures d'appel. Un avocat représentant des détenus devant le tribunal et un membre de la famille de deux des accusés ont également déclaré à Human Rights Watch que les aveux extorqués sous la torture sont utilisés comme éléments de preuve.

L'article 7 donne à l'accusé le « droit de se défendre », mais stipule que le tribunal ne respecte pas les procédures normalisées pour les procès. Par exemple, le tribunal n'est pas tenu d’avoir des procès ouverts – qui est la procédure standard pour les procès criminels, requise par le droit international comme la norme pour tous les procès. En outre, le fait que la loi omette de décrire les procédures de procès confère effectivement au tribunal un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer ses propres procédures.

L'article 5 stipule qu’au lieu de la procédure standard d'appel pénal, l'accusé ne peut demander la révision d'un jugement qu’auprès d'une branche spéciale de la Cour de cassation. Dans le cas des procès par contumace, l'article 6 stipule que l'accusé n'a pas droit à un nouveau procès sauf si la personne se rend aux autorités de son plein gré.

Un avocat qui représente des personnes devant le tribunal a déclaré à Human Rights Watch que deux personnes se trouvant actuellement en dehors du pays ont été condamnées à mort par contumace par le tribunal. Il a indiqué que deux de ses clients, membres de la même famille, ont été condamnés respectivement à 15 et 20 ans de prison pour contrebande d'armes et activité avec des terroristes sur la base, selon lui, d’aveux extorqués sous la torture.

Un proche des deux hommes a expliqué à Human Rights Watch que ces hommes avaient demandé l'aide d’une personne qui fait passer les gens hors du pays afin de rejoindre l'Europe via la Turquie. Quand ils ont été arrêtés à Lattaquié par l'armée, leur passeur a déclaré à l'armée que les hommes étaient des terroristes qui faisaient de la contrebande d'armes provenant du Liban et de la Turquie en Syrie. Ce qui n'était pas vrai, a affirmé le proche.

L'avocat a déclaré que, bien que les prévenus aient le droit de désigner un avocat de la défense, afin de constater les accusations portées contre eux, et d'avoir leur avocat présent dans la salle d'audience, les seules preuves contre eux dans un grand nombre de cas étaient des aveux forcés obtenus pendant des interrogatoires sous pression ou sous la torture. Les détenus affirment fréquemment que les services de sécurité syriens les ont torturés pour leur extorquer des aveux, mais le tribunal ne rejette pas ces aveux au motif qu'ils ont été contraints.

Les personnes jugées par la cour sont également soumises à la détention provisoire prolongée en violation apparente du droit syrien. Le 21 avril 2011, le gouvernement a promulgué le décret-loi 55 limitant à 60 jours le temps qu'une personne peut être légalement maintenue en détention sans contrôle judiciaire pour certains crimes, notamment les délits de terrorisme. Plusieurs anciens détenus ont déclaré à Human Rights Watch qu'ils ont été détenus bien au-delà de la période de 60 jours sans contrôle judiciaire.

« Alors que se poursuit la discussion sur les futures négociations entre l'opposition et le gouvernement, toutes les parties devraient se souvenir des militants pacifiques qui croupissent en détention, soumis à la torture, aux mauvais traitements et à des procédures judiciaires qui les privent de leurs droits fondamentaux », a conclu Nadim Houry. « Leur libération devrait figurer sur la liste de priorités de toutes les parties. »

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