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Vietnam : Forte persécution de la communauté des Montagnards

Les membres de cette minorité subissent des pressions pour renoncer à leur foi ainsi que des violences et des arrestations

(Bangkok, le 31 mars 2011) - Le gouvernement vietnamien a intensifié sa répression contre la minorité autochtone chrétienne qui réside dans la région centrale des Hauts-Plateaux et qui revendique la liberté religieuse ainsi que ses droits fonciers, a indiqué Human Rights Watch dans un rapport paru aujourd'hui.

Ce rapport de 46 pages, intitulé « Montagnard Christians in Vietnam: A Case Study in Religious Repression »  (« Les Montagnards chrétiens au Vietnam : Étude de cas de la répression religieuse »), décrit les récentes mesures de répression prises par le gouvernement à l'encontre de cette communauté indigène, connue collectivement sous le nom de Montagnards. Le rapport s'appuie sur de nombreux témoignages attestant de rafles policières dont le but était de trouver des Montagnards cachés. Le rapport décrit également la manière dont les autorités ont dissous des rassemblements organisés dans des « églises de maison », orchestré des renonciations forcées à la religion et bouclé la frontière pour empêcher des demandeurs d'asile de fuir vers le Cambodge.

Human Rights Watch a constaté que des unités spéciales de « sécurité politique » (PA43) menaient des opérations avec la police provinciale pour capturer, placer en détention et interroger des personnes identifiées comme activistes politiques ou chefs d'églises de maison non déclarées. Rien qu'en 2010, plus de 70 Montagnards ont été placés en détention ou arrêtés, et il est avéré que plus de 250 sont en prison après avoir été accusés de menacer la sécurité nationale.

« Les Montagnards sont confrontés à de graves persécutions au Vietnam, notamment ceux qui fréquentent des églises de maison indépendantes, car les autorités ne tolèrent pas l'activité religieuse qui échappe à leur contrôle », a expliqué Phil Robertson, directeur adjoint de la division Asie à Human Rights Watch. « Le gouvernement vietnamien a progressivement resserré l'étau autour des groupes religieux indépendants montagnards, prétendant que ces derniers utilisent la religion pour inciter au trouble de l'ordre public. »

Human Rights Watch a pu documenter des abus commis dans les Hauts-Plateaux dans le centre du pays, une zone interdite aux groupes internationaux indépendants de défense des droits humains, grâce à des entretiens avec des Montagnards exilés et à des rapports parus dans des médias vietnamiens contrôlés par le gouvernement.

Lors d'un entretien avec Human Rights Watch, un Montagnard a raconté son calvaire subi à T-20, la prison provinciale de Gia Lai, après qu'il ait été arrêté pour avoir participé à une manifestation en faveur de la liberté religieuse et du droit à la terre :

Ils m'interrogeaient à n'importe quelle heure, même au milieu de la nuit. Les policiers se saoulaient, puis venaient me réveiller pour m'interroger et me frapper. Quand ils m'emmenaient pour m'interroger, ils me mettaient des menottes. Elles étaient très serrées, comme des câbles métalliques. Ils m'envoyaient des décharges électriques à chaque fois qu'ils m'interrogeaient. Ils visaient mes genoux, en disant : « Ce sont ces jambes-là qui t'ont porté pendant la manifestation. »

Condamné à cinq ans de prison pour « atteinte à la solidarité nationale », il reste partiellement sourd à cause des coups répétés qu'il a reçus sur les oreilles :

Ils se tenaient debout devant moi et criaient : « Un, deux, trois ! », puis utilisaient leurs deux mains pour me frapper sur les deux oreilles en même temps. Ils faisaient ça trois fois de suite, en appuyant très fort sur mes oreilles la dernière fois. Du sang coulait de mes oreilles et de mon nez. C'était à devenir fou ! Ça faisait horriblement mal, et toute leur mise en scène me terrorisait et me rendait très nerveux.

D'après le gouvernement, les Montagnards appartenant à des églises de maison non déclarées, c'est-à-dire en dehors de la sphère contrôlée par l'Église évangélique vietnamienne officielle, seraient des protestants Dega, un groupe religieux considéré comme illégitime par les autorités et soupçonné de servir de couverture à un mouvement indépendantiste montagnard. La loi vietnamienne oblige en effet tous les groupes religieux à se déclarer auprès du gouvernement et à exercer leurs activités dans le cadre d'organisations approuvées par ce dernier.

Human Rights Watch a appelé les autorités vietnamiennes à cesser immédiatement toute répression systématique des Montagnards, à autoriser les organisations religieuses indépendantes à mener librement leurs activités et à libérer tous les Montagnards détenus après avoir mené des activités religieuses ou politiques pacifiques. Tant que le Vietnam n'aura pas amélioré son bilan en matière de liberté religieuse, Human Rights Watch exhorte le gouvernement des États-Unis à réintégrer le pays dans sa liste des « pays particulièrement préoccupants » pour violation de cette liberté.

Sur la base de sources d'information officielles vietnamiennes, Human Rights Watch a documenté des cas d'une pratique controversée, à savoir la renonciation forcée à la croyance. Des fonctionnaires gouvernementaux ont obligé des centaines de Montagnards catholiques et protestants à renier leur religion lors de séances de critiques publiques, violant par là-même les droits internationalement reconnus à la liberté de religion et de conscience. Ceux qui ont résisté et insisté pour faire valoir leur droit d'exercer indépendamment leur foi ont été roués de coups, arrêtés et placés en détention.

Souvent, pour les affaires de crimes contre la sécurité nationale, les tribunaux provinciaux organisent des « procès ambulants » devant des centaines de personnes, ce qui renforce le message appelant à ne pas adhérer à des groupes religieux illégitimes.

« La liberté religieuse ne devrait pas se limiter pas à la pratique de religions autorisées par l'État », a ajouté Phil Robertson. « Le Vietnam devrait immédiatement reconnaître les groupes religieux indépendants et leur permettre de pratiquer librement. »

Si les Montagnards protestants subissent la répression depuis de nombreuses années, les Montagnards catholiques, eux, sont une cible plus récente (notamment la secte catholique Ha Mon, qui a vu le jour à Kon Tum en 1999). En 2010, des fonctionnaires d'État ont accusé les Montagnards exilés aux États-Unis de manipuler cette secte populaire pour ébranler l'unité nationale. Ces derniers mois, des cérémonies de renonciation forcée et des séances de critiques publiques ont été imposées à des fidèles de la secte Ha Mon dans les provinces de Kon Tum, Gia Lai et Dak Lak. Ces derniers ont été contraints de confesser leurs fautes et de signer un engagement à renoncer à leur soi-disant « fausse religion. »

« Les personnes qui, dans les Hauts-Plateaux du centre, souhaitent pratiquer dans des églises de maison indépendantes s'exposent à une humiliation publique, de violentes représailles, des arrestations, voire même des incarcérations », a affirmé Phil Robertson.

Les plus de 250 Montagnards emprisonnés ou en attente de procès sont accusés de crimes à l'encontre de la sécurité nationale, par exemple pour avoir « porté atteinte à la solidarité nationale ». De nombreux anciens prisonniers politiques et détenus montagnards racontent avoir été roués de coups ou torturés alors qu'ils étaient en garde à vue ou en détention provisoire. Depuis 2001, au moins 25 Montagnards sont morts en prison ou dans une cellule de garde à vue après avoir été battus ou être tombés malades en détention, ou peu après avoir été libérés par anticipation par les autorités carcérales pour se rendre à l'hôpital ou chez eux.

Au cours des derniers mois, plusieurs cas de renonciation religieuse forcée et de harcèlement d'activistes pacifistes lors de séances de critiques publiques dans la province des Hauts-Plateaux du centre ont été rapportés par les médias d'État vietnamiens :

  • En novembre 2010, Bao Gia Lai, le journal du parti communiste de la province de Gia Lai, a publié un article sur la « lutte continue contre le protestantisme Dega » dans les circonscriptions de Ia Grai et Duc Co, où les gardes-frontières démantelaient les soi-disant « bandes réactionnaires » de protestants Dega proches de la frontière et leur faisaient subir des séances de critiques publiques.
  • En octobre 2010, Bao Gia Lai signalait que 567 familles adeptes du protestantisme Dega avaient « renoncé » à leur religion dans la circonscription de Krong Pa, province de Gia Lai, et que le chef de la communauté avait lui-même poussé 15 familles à la renonciation par des visites quotidiennes.
  • En septembre 2010, dans le journal Cong An Nhan Dan (la police du peuple), on pouvait lire que la police et des fonctionnaires d'État locaux avaient organisé plusieurs séances de critiques publiques dans les circonscriptions de Duc Co, province de Gia Lai. Le 29 septembre, au cours d'une de ces séances, 50 personnes en provenance de quatre villages de Duc Co ont été convoquées dans le but d'être publiquement critiquées, devant une foule composée de membres de la communauté, pour avoir « menacé la sécurité et perturbé l'ordre public » lors de troubles dans une plantation de caoutchouc le 25 août 2010. D'après l'article, après avoir admis leurs fautes, ces personnes ont promis de renoncer à leur appartenance au protestantisme Dega et à d'autres groupes « réactionnaires ».
  • Le 12 juillet 2010, Bao Gia Lai indiquait que 97 familles, soit 297 individus, avaient « volontairement » renoncé au protestantisme Dega dans les villages de Tok et de Roh, circonscription de Chu Se, province de Gia Lai.
  • Le 6 juin 2010, dans le cadre d'une cérémonie publique officielle organisée dans la circonscription de Dak Mil, province de Dak Nong, en vue de faire naître un « mouvement de masse pour protéger la sécurité nationale », Bao Dak Nong, le journal du parti communiste de la province de Dak Nong, a rapporté que deux hommes avaient été présentés devant la foule pour confesser publiquement leur soutien au protestantisme Dega et à d'autres groupes « réactionnaires ».

Depuis 2001, des milliers de Montagnards ont fui vers le Cambodge pour échapper à la sévère répression du gouvernement vietnamien à leur encontre. Là-bas, ils ont pour la plupart obtenu le statut de réfugié et ont été réinstallés aux États-Unis, en Suède, en Finlande et au Canada.

En décembre 2010, le gouvernement cambodgien a demandé au Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés (HCR) de fermer le centre d'accueil des réfugiés montagnards à Phnom Penh. Depuis la fermeture de ce centre le 15 février 2011, les Montagnards qui cherchent à échapper à la répression au Vietnam ont moins de possibilités.

« Les Montagnards essaieront de fuir le Vietnam tant que le gouvernement vietnamien continuera de violer de façon systématique leurs droits fondamentaux », a conclu Phil Robertson. « Les autorités vietnamiennes doivent immédiatement mettre un terme à cette répression. »

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