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Tunisie : Les agressions de manifestants par la police doivent cesser

Les passages à tabac au vu et au su de tous démontrent l’urgente nécessité de contrôler les forces de sécurité

(Tunis, le 31 janvier 2011) - La violence dont a fait preuve la police envers les manifestants ces derniers temps à Tunis démontre la nécessité pour le gouvernement de transition tunisien d'abandonner les moyens de répression violents employés régulièrement par le précédent gouvernement, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Le 29 janvier Human Rights Watch a été témoin d'une scène où des agents en uniforme ont roué de coups de poing et de matraque un jeune homme derrière un fourgon de police, sur l'avenue principale de la capitale. Plus tard cette même journée, des membres de la police ont agressé un photographe français et ont détruit son appareil alors qu'il les photographiait en train de brutaliser un autre jeune homme à coups de pied et de matraque.

Le nouveau ministre de l'Intérieur, Farhat Rahji, devrait donner des ordres clairs à toutes les forces de police exigeant que celles-ci respectent le droit à la liberté d'association et n'aient recours à la force qu'en dernier recours, a déclaré Human Rights Watch. Les autorités devraient sans délai enquêter sur les cas d'usage illégal de la force par des policiers envers les manifestants, et engager des poursuites contre ces policiers.

« Les Tunisiens, tout en se réjouissant de leur nouvelle liberté d'expression et de manifestation, sont également les témoins directs ou par le biais de la télévision de passages à tabac de leurs compatriotes par la police », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Le gouvernement devrait clairement souligner que les policiers coupables de telles violences seront punis. »

À Tunis, la police a brutalisé de nombreux manifestants ces derniers jours. C'est ce qu'ont rapporté des juristes et militants tunisiens des droits humains, parmi lesquels Mokhtar Trifi, président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme. Les violences policières de Tunis sont pour la plupart liées à l'occupation pendant plusieurs jours de la place de la Kasbah, devant le siège du gouvernement national, par des manifestants qui demandaient le départ immédiat de tous les ministres du gouvernement du président déchu Zine el-Abidine Ben Ali. Les manœuvres policières pour contenir puis, le 28 janvier, pour évacuer la place ont donné lieu à des accrochages au cours desquels les manifestants ont jeté des pierres et les policiers ont utilisé du gaz lacrymogène, sur la place de la Kasbah et dans le centre ville.


« Cette brutalité attise les tensions et prouve que les forces de police agissent encore comme si elles se trouvaient toujours au-dessus des lois, malgré le départ de Ben Ali », a déclaré Mme Whitson.

Le 29 janvier à 17 heures, deux chercheurs de Human Rights Watch ont été témoins, sur l'avenue Habib Bourguiba, dans le centre de Tunis, du passage à tabac d'un jeune homme par plusieurs agents en uniforme qui l'ont roué de coups de poings et de matraque à l'intérieur d'un fourgon de police.

Questionné sur ce qui était en train de se passer, un policier en uniforme qui se tenait près du véhicule a expliqué que le jeune avait « insulté la police ». Il s'est ensuite rapproché en montrant son poignet : « Vous leur donnez de la liberté jusqu'ici », avant de montrer son épaule, « et déjà ils veulent tout ça ! »

La portière du fourgon de police s'est ouverte après quelques minutes ; le jeune homme en est sorti en pleurant et le nez en sang, avant de s'enfuir.

Une heure plus tard, le photographe indépendant français Michel Monteaux a filmé des membres de la police en uniforme en train d'attraper un jeune et de le brutaliser alors qu'il était étendu sur le dos, dans la zone piétonne de l'avenue. Comme il l'a expliqué ensuite à Human Rights Watch, dès que des membres de la police ont remarqué qu'il prenait des photos, ils l'ont rattrapé en courant, l'ont frappé au niveau des jambes et ont saisi son appareil avant de le détruire. Michel Monteaux, qui effectuait un reportage pour le magazine hebdomadaire français La Vie, a réussi à récupérer la carte mémoire contenant plusieurs photos, dont celle qui figure sur cette page.

Au cours des deux incidents, la police a agressé une victime qui ne résistait pas physiquement : dans un cas la victime était entourée de policiers dans leur fourgon, et l'autre cas, la victime gisait sur son dos. Les deux hommes ont été relâchés après avoir été roués de coups, ce qui prouve que le but n'était pas de les arrêter mais de leur administrer une punition sommaire.

Conformément au droit international, les agents d'application de la loi ne devraient avoir recours à la force que dans la mesure exigée par l'accomplissement de leur devoir, comme l'énonce l'article 3 du Code de conduite pour les responsables de l'application des lois (adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies le 17 décembre 1979, résolution 34/169).

Le Code pénal de la Tunisie sanctionne, dans son article 101, de cinq ans d'emprisonnement « tout fonctionnaire public (...) qui, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions aura, sans motif légitime, usé ou fait user de violences envers les personnes ». L'article 101 bis prévoit une peine de huit ans de prison pour des actes assimilés à de la torture. Le pouvoir judiciaire de la Tunisie est donc en mesure d'enquêter sur de telles agressions et de lancer des poursuites si elles sont justifiées.

Pendant la présidence de Ben Ali, la police a rarement été incitée à maîtriser différents moyens de contrôle de manifestations de grande importance, car les autorités n'en autorisaient presque pas. La police se contentait de mettre fin à quasiment tout rassemblement extérieur organisé suite à des revendications sociales ou politiques. C'est seulement après le 17 décembre 2010, lorsque Mohamed Bouazizi, marchand ambulant, s'est immolé par le feu en signe de protestation, que les Tunisiens se sont massivement regroupés dans les rues, défiant ainsi l'interdiction de manifestation.

Alors que la contestation s'amplifiait dans le pays et gagnait en importance, la police a tiré sur les manifestants à balles réelles, entraînant la mort de nombreux civils, comme le décrit un rapport publié le 29 janvier par Human Rights Watch.

Le 14 janvier, alors que Ben Ali fuyait le pays, le photographe Lucas Mebrouk Dolega a été mortellement touché à l'œil par une grenade lacrymogène, apparemment lancée par un agent de police qui se trouvait à 20 mètres de lui, pendant qu'il faisait un reportage sur les manifestations ayant lieu sur l'avenue. M. Dolega travaillait à ce moment-là pour l'Agence européenne de photographie de presse (EPA).

Suite à la fuite de Ben Ali le 14 janvier, partout dans le pays des villes ont été le théâtre de rassemblements publics quasi quotidiens, et différents groupes aux revendications diverses ont ainsi défilé : pour ou contre le gouvernement de transition, pour l'égalité des femmes, pour le droit des femmes à porter des vêtements islamiques, pour la libération de prisonniers politiques et pour des poursuites judiciaires à l'encontre des agents de police ayant tué des manifestants ou tiré sur eux.

Certains de ces rassemblements ont été indisciplinés. Des participants à l'occupation de la place de la Kasbah ont déferlé à plusieurs reprises dans les artères principales du centre ville, en jetant parfois des pierres en direction de la police.

D'après les informations dont dispose Human Rights Watch, aucun policier n'a blessé ou tué par balle des manifestants depuis le départ de Ben Ali. Cependant, des témoignages sur des passages à tabac de manifestants par la police sont recueillis chaque jour et viennent jeter le discrédit sur les efforts du gouvernement de transition, qui voudrait convaincre les Tunisiens qu'il est en rupture avec les moyens de répression du passé.

« Les décès de nombreux manifestants abattus par les forces de police de Ben Ali n'ont fait que contribuer au succès de la révolte qui a fini par mener à sa fuite », a conclu Mme Whitson. « L'intensité de la violence policière a certes diminué, mais la crédibilité du gouvernement dépend de ses efforts pour la limiter davantage encore. »

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