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Guinée : Le massacre du 28 septembre était prémédité

Une enquête approfondie a également révélé de nombreux cas de viols

(New York, le 27 octobre 2009) - Une enquête approfondie sur les meurtres et les viols perpétrés lors de la répression d'un rassemblement pacifique dans la capitale guinéenne Conakry le 28 septembre 2009 a révélé que ces actes ont été organisés, et qu'ils ont été pour la plupart commis par des unités d'élite de la Garde présidentielle dénommées « Bérets rouges », a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. À l'issue de sa mission de recherche de dix jours effectuée en Guinée, Human Rights Watch a également constaté que les forces armées ont tenté de dissimuler les preuves de ces crimes en retirant des corps du stade et des morgues de Conakry, pour les enterrer dans des fosses communes.

Human Rights Watch a constaté que des membres de la Garde présidentielle ont massacré de façon préméditée au moins 150 personnes le 28 septembre, et ont brutalement violé des dizaines de femmes. Les Bérets rouges ont tiré sur des partisans de l'opposition jusqu'à ce qu'ils aient épuisé leurs balles, puis ont continué à tuer avec des baïonnettes et des couteaux.

« Le gouvernement ne peut plus continuer à alléguer que les victimes ont été tuées par inadvertance », a déclaré Georgette Gagnon, directrice de la division Afrique à Human Rights Watch. « Il est clair qu'il s'est agi d'une tentative préméditée de museler l'opposition. »

« Les forces de sécurité ont encerclé et bloqué le stade, puis ont fait irruption à l'intérieur avant de commencer à tirer froidement sur les manifestants jusqu'à ce qu'ils n'aient plus de balles », a ajouté Mme Gagnon. « Ils ont commis des actes atroces, des viols collectifs et des meurtres de femmes, sous les yeux de leurs commandants. Ce n'était pas un accident. »

Un groupe d'officiers militaires se nommant le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) a pris le pouvoir quelques heures seulement après le décès le 22 décembre 2008 de Lansana Conté, qui a présidé la Guinée pendant 24 ans. Le CNDD est dirigé par le président autoproclamé, le capitaine Moussa Dadis Camara.

Human Rights Watch a réitéré son appel en faveur de la mise en place rapide d'une commission d'enquête internationale pour faire la lumière sur ces violences conformément à la proposition de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Cette commission sera dirigée par l'Organisation des Nations Unies avec la participation de l'Union africaine. L'ouverture d'une enquête criminelle menant à des poursuites justes et efficaces - par l'intermédiaire d'instances nationales ou à défaut internationales - est essentielle, comme l'a rappelé Human Rights Watch.

Une équipe de quatre enquêteurs de Human Rights Watch a interrogé plus de 150 victimes et des témoins en Guinée du 12 au 22 octobre. Parmi les personnes interrogées ont figuré des victimes blessées pendant l'attaque, des témoins présents au stade, des proches de personnes disparues, des officiers militaires ayant participé à la répression et la dissimulation, des membres du personnel médical, des responsables d'organismes humanitaires, des diplomates ainsi que des dirigeants de l'opposition.

Massacres du 28 septembre dans le stade

D'après les récits de nombreux témoins, des forces constituées de centaines de soldats de la Garde présidentielle dénommés « Bérets rouges», de gendarmes travaillant à l'unité de lutte antidrogue et contre le crime organisé, ainsi que de certains membres de la police antiémeute et des dizaines de milices irrégulières en civil sont entrées dans le stade vers 11h30, le 28 septembre. Elles ont ensuite bloqué la plupart des sorties avant que la police antiémeute ne commence à lancer des grenades lacrymogènes dans le stade. Des dizaines de milliers de manifestants pacifiques en faveur de la démocratie avaient rempli le stade pour protester contre le régime militaire et la candidature présumée de Dadis Camara aux prochaines élections présidentielles.

Quelques accrochages entre les partisans de l'opposition et forces de sécurité avaient eu lieu au cours de la matinée. Dans plusieurs incidents meurtriers, les forces de sécurité ont tiré sur des membres de l'opposition pour tenter de les empêcher d'accéder au stade. En réponse à ces tirs mortels, les partisans de l'opposition en colère ont mis le feu au commissariat de police de Bellevue.

Cependant, des témoignages et des preuves sur vidéo obtenus par Human Rights Watch font état d'une atmosphère pacifique joyeuse dans le stade juste avant les tirs, avec des partisans de l'opposition en train de chanter, de danser ou de faire le tour du stade en brandissant des affiches et le drapeau guinéen, ou même de prier. Human Rights Watch n'a trouvé aucune preuve indiquant que les partisans de l'opposition aient été armés, et aucun membre des forces de sécurité n'a été blessé par des partisans de l'opposition dans le stade, ce qui laisse supposer que ceux-ci ne posaient aucune menace pouvant justifier de façon légitime la violence qui s'est ensuivie.

Des témoins ont déclaré que dès que les forces de la Garde présidentielle sont entrées dans le stade, elles ont commencé à tirer à bout portant directement sur la foule massive des manifestants, tuant des dizaines et semant la panique. Les assaillants, en particulier les membres de la Garde présidentielle, mais aussi des gendarmes rattachés à l'unité chargée de la lutte antidrogue et du grand banditisme, ont continué à tirer sur la foule jusqu'à avoir vidé les deux chargeurs de balles pour fusils AK-47 que beaucoup d'entre eux portaient. Comme la plupart des sorties avaient été bloquées et le stade entouré par les assaillants, il était extrêmement difficile pour les manifestants pris au piège de s'évader et beaucoup ont été piétinés à mort par la foule prise de panique.

Un partisan de l'opposition âgé de 32 ans a décrit à Human Rights Watch comment les Bérets rouges sont entrés dans le stade et ont commencé à tirer directement sur les manifestants, et la manière dont les tueries ont continué lorsqu'il a essayé de s'enfuir :

« Ils ont d'abord commencé à lancer des grenades lacrymogènes à l'extérieur du stade et de nombreuses cartouches de gaz lacrymogènes ont été tirées dans le stade. C'est à ce moment que les Bérets rouges sont entrés par le grand portail du stade. Une fois à l'intérieur, ils ont commencé à tirer directement sur la foule. J'ai entendu un soldat crier : Nous sommes venus faire du nettoyage! J'ai décidé de courir à la porte située à l'extrémité. Lorsque j'ai regardé derrière moi, j'ai vu de nombreux corps gisant sur la pelouse. J'ai tenté de sortir en courant du stade. À la grille située à l'extrémité, l'une des portes était ouverte, mais il y avait tellement de personnes qui essayaient de fuir et j'ai décidé d'escalader la porte fermée...

J'ai couru vers le mur de l'enceinte. Près du terrain de basket, un groupe de Bérets rouges et des gendarmes de Tiégboro [du capitaine Moussa Tiégboro Camara, secrétaire d'État chargé de la lutte contre le trafic de drogue et contre le grand banditisme, aucun lien de parenté avec le président du CNDD, Dadis Camara] nous ont poursuivis. Ils ont tiré sur huit personnes de notre groupe et seulement trois ont pu s'en tirer vivants. Les cinq autres ont été tuées par balle près du mur donnant sur l'université [Gamal Abdel Nasser].

Nous ne pouvions pas sortir de là, alors nous nous sommes retournés en courant vers le mur effondré près de la route de Donka. Un groupe de Bérets rouges et leurs deux camions nous y attendaient. Ils étaient armés de baïonnettes. J'ai vu un Béret rouge tuer trois personnes sous nos yeux [avec une baïonnette] et j'ai voulu revenir sur mes pas. Là, mon ami avec qui j'étais m'a dit : ‘Nous sommes nombreux, essayons de forcer le passage' et c'est ainsi que nous nous sommes échappés. »

L'un des dirigeants de l'opposition a décrit à Human Rights Watch comment à partir de la tribune où il se trouvait, il a été témoin d'un meurtre qu'il avait du mal à croire :

« Nous sommes montés sur la tribune et lorsque les gens ont su que les chefs étaient là, beaucoup d'autres personnes sont venues remplir le stade. Nous étions sur le point de quitter le stade et de dire aux gens de rentrer chez eux lorsque nous avons entendu des coups de feu à l'extérieur et des tirs de grenades lacrymogènes. Les soldats ont mis les portes en métal sous tension en coupant les câbles électriques avant d'encercler le stade.

Ils sont ensuite entrés dans le stade en tirant. Ils ont commencé à tirer à partir de la grande porte d'entrée au stade. Nous étions montés sur la tribune et avons vu comment les gens tombaient. C'était incroyable. Une fois que tout le monde s'est enfui, il y avait des cadavres partout et nous sommes restés sur la tribune. »

Des témoins ont également décrit le meurtre de nombreux autres partisans de l'opposition par la Garde présidentielle et les autres forces de sécurité sur le terrain entourant le stade, entouré par un mur d'une hauteur de deux mètres. Plusieurs manifestants qui tentaient d'escalader les murs pour s'échapper ont été abattus par les assaillants. Les partisans de l'opposition ont raconté qu'ils ont également été attaqués par des hommes en civil armés de couteaux, de pangas (machettes), et de bâtons pointus.

D'après les témoignages recueillis par Human Rights Watch, il ne fait aucun doute que le massacre et les viols collectifs (documentés ci-dessous) étaient organisés et prémédités. Cette conclusion est confirmée par les preuves provenant des témoignages et des vidéos qui ont démontré que les forces de sécurité ont commencé à tirer immédiatement sur les manifestants à l'entrée du stade et que la manifestation de l'opposition était pacifique et ne constituait aucune menace nécessitant une intervention violente. Le déroulement du massacre, à savoir l'arrivée simultanée de plusieurs corps des forces de sécurité, la fermeture des sorties et des voies d'évacuation et la fusillade mortelle simultanée appuyée par un grand nombre de membres de la Garde présidentielle, porte à croire qu'il y avait une certaine organisation, planification voire préméditation.

Dimension ethnique

Lors des entrevues, de nombreux Guinéens se sont déclarés choqués par le caractère ethnique apparent de la violence qui risque de déstabiliser encore la situation en Guinée. La grande majorité des victimes étaient de l'ethnie peule dont la quasi-totalité est musulmane, tandis que la plupart des commandants dans le stade et même les principaux membres du CNDD au pouvoir y compris le capitaine Dadis Camara, chef de la junte militaire, appartiennent à des groupes ethniques de la région forestière du sud-est qui sont en grande partie chrétiens ou animistes.

Des témoins ont déclaré qu'un grand nombre des tueurs et des violeurs faisaient des commentaires à caractère ethnique au cours des attaques, proféraient des insultes et semblaient viser en particulier les Peuls, l'ethnie majoritaire des partisans de l'opposition en affirmant que ces derniers ont voulu s'emparer du pouvoir et qu'il fallait leur « infliger une bonne leçon ». Human Rights Watch s'est également entretenu avec des témoins d'un entraînement militaire avec la participation de plusieurs milliers d'hommes de la région de la forêt sud-est dans une base près de Forécariah, une ville située au sud-ouest. Cet entraînement était apparemment destiné à former une unité de commando dominée par des membres des groupes ethniques de la région forestière.

Un grand nombre des victimes peules ont indiqué avoir été menacées ou maltraitées en raison de leur appartenance ethnique. C'était le cas d'une femme qui a été violée par des hommes en uniforme, portant des bérets rouges. Elle a raconté comment ses agresseurs ont évoqué à plusieurs reprises son origine ethnique en lui disant : « Aujourd'hui, nous allons vous infliger une bonne leçon. Oui, nous sommes fatigués de vos astuces... On va en terminer avec tous les Peuls ». Un jeune homme détenu pendant plusieurs jours dans le camp militaire Koundara décrit comment un Béret rouge, a mis un pistolet sur sa tête et lui a tenu les propos suivants : « Vous dites que vous ne voulez pas de nous, que vous préférez Cellou [Cellou Dalein Diallo, le principal candidat de l'opposition issu de l'ethnie peule]... on va tous vous tuer. Nous allons rester au pouvoir ».

Nombre de morts et dissimulation par le gouvernement des preuves de crimes

Les recherches de Human Rights Watch confirment que le bilan du massacre du 28 septembre a été beaucoup plus élevé que le chiffre officiel de 57 morts avancé par le gouvernement. Il serait très probablement d'environ 150 à 200 morts. Selon les données des hôpitaux, les entrevues avec des témoins, le personnel médical et aussi d'après les documents rassemblés par les partis politiques d'opposition et les organisations locales de défense des droits humains, au moins 1 000 personnes ont été blessées pendant l'attaque au stade. Human Rights Watch a découvert des preuves irréfutables que le gouvernement tente systématiquement de dissimuler les preuves de ces crimes. Au cours de l'après-midi du 28 septembre, les membres de la Garde présidentielle ont pris le contrôle des deux morgues centrales de Conakry et les familles ont été empêchées de récupérer les corps de leurs proches.

Dans les heures qui ont suivi les événements, les témoins et les membres des familles de victimes ont raconté que les soldats, la plupart portant des bérets rouges, ont enlevé des corps dans les morgues de la ville et récupéré les corps du stade avant de les emmener sur des bases militaires pour les cacher. Human Rights Watch a mené des enquêtes sur plus de 50 cas de décès confirmés dans le massacre et a constaté que la moitié des corps de ces victimes avait été enlevée par les militaires, dont au moins six qui avaient été pris à la morgue principale de l'hôpital Donka.

Par exemple, le corps de Mamadou « Mama » Bah, un étudiant de 20 ans tué le 28 septembre, a été transporté à la morgue de Donka par la Croix-Rouge locale. Le corps a disparu et n'a pas pu être récupéré. Son père s'est confié à Human Rights Watch sur ce qu'il a vécu :

« La Croix-Rouge a emmené le corps de mon fils à la morgue de l'hôpital Donka, et je l'ai suivie moi-même. À l'hôpital, j'ai parlé aux médecins qui m'ont dit de revenir le lendemain pour récupérer le corps. Mais, le lendemain, la morgue a été encerclée par les Bérets rouges qui ont refusé l'accès à tout le monde. Nous avons essayé de négocier avec eux, mais en vain. Le vendredi, je suis allé à la Grande Mosquée Fayçal où les dépouilles provenant de la morgue de l'hôpital de Donka étaient exposées, mais son corps n'y était pas. Il avait tout simplement disparu. »

Hamidou Diallo, un vendeur de chaussures âgé de 26 ans a été tué au stade après avoir reçu une balle dans la tête. Un ami proche lui aussi blessé a vu les « Bérets rouges » emmener le corps du jeune Diallo du stade pour une destination inconnue. Malgré les vastes recherches à la morgue et dans les bases militaires, la famille n'a pas pu retrouver son corps.

Un témoin de la scène à l'intérieur du camp militaire Almamy Samory Touré a décrit à Human Rights Watch comment dans les premières heures après le massacre, l'armée a ramené 47 corps du stade dans le camp, puis plus tard dans la soirée les soldats se sont rendus à la morgue (il a appris que c'était celle de l'hôpital Ignace Deen) et récupéré 18 autres corps. Le témoin a en outre déclaré que les 65 corps ont été transportés de la base militaire au milieu de la nuit, sous prétexte d'être enterrés dans des fosses communes.

Viols collectifs et violences sexuelles

La Garde présidentielle et, dans une moindre mesure, des gendarmes ont commis des viols et violences sexuelles contre des dizaines de filles et de femmes au stade, souvent avec une brutalité extrême, de sorte que leurs victimes sont mortes suite aux blessures infligées.

Human Rights Watch a interrogé 27 victimes de violences sexuelles, dont la majorité a été violée par plus d'une personne. Les témoins affirment avoir vu au moins quatre femmes tuées par des membres de la Garde présidentielle après avoir été violées, y compris des femmes qui ont reçu des balles ou des coups de baïonnette dans le vagin. Certaines victimes ont été pénétrées avec des canons de fusils, des chaussures et des bâtons.

Les victimes et les témoins ont décrit comment les viols ont eu lieu publiquement dans le stade, ainsi que dans plusieurs zones aux alentours du terrain du stade, y compris dans la salle de bain qui se trouve à proximité, les terrains de basket, et l'annexe du stade. En plus des viols commis dans le stade, de nombreuses femmes ont décrit comment elles ont été conduites, par la Garde présidentielle, à partir du stade et d'une clinique médicale où elles cherchaient un traitement à destination de résidences privées, où elles ont enduré jours et nuits des viols collectifs brutaux. Le niveau, la fréquence et la brutalité de la violence sexuelle ayant eu lieu pendant et après les protestations suggèrent fortement que cela faisait partie d'une tentative systématique de terroriser et d'humilier l'opposition et non pas des actes isolés par des soldats voyous.

Une enseignante âgée de 35 ans a décrit à Human Rights Watch comment elle a été violée dans le stade:

« Lorsque les tirs ont commencé, j'ai essayé de courir, mais les Bérets rouges m'ont attrapés et m'ont traînée au sol. L'un d'eux m'a frappé deux fois sur la tête avec la crosse de son fusil. Et quand je suis tombé, les trois se sont jetés sur moi. L'un a dégainé son couteau et a déchiré mes vêtements tout en me blessant au dos. J'ai essayé de me débattre, mais ils étaient trop forts. Deux m'ont maintenu à terre tandis que l'autre me violait. Ils ont dit qu'ils allaient me tuer si je ne leur laisse pas de faire ce qu'ils voulaient. Ensuite, le second m'a violée, puis le troisième. Ils me battaient tout le temps, et ont dit à maintes reprises qu'ils allaient nous tuer tous. Et je les croyais. A environ trois mètres, une autre femme avait été violée, et lorsqu'ils ont fini, l'un d'eux a pris sa baïonnette et l'a enfoncée dans son vagin puis a léché le sang qui s'y trouvait. J'ai vu cela, juste à côté de moi... J'ai été tellement effrayée qu'ils ne le fassent à moi aussi. »

Une femme professionnelle âgée de 42 ans a été séquestrée dans une maison et violée pendant trois jours. Elle a décrit son calvaire à Human Rights Watch:

« En essayant de m'enfuir des coups de feu, j'ai vu un petit groupe de Bérets rouges violer une jeune femme. L'un d'eux a enfoncé son fusil dans son sexe et a tira. Elle n'a plus bougé. Oh Dieu, chaque fois que je pense de cette fille mourir de cette façon... Je ne peux pas le supporter. Et tout de suite après, un autre Béret rouge m'a attrapé par derrière me tenant très fort et me dit : ‘Viens avec moi, ou je vais te faire la même chose.' Il m'a conduit à un camion militaire sans fenêtres. Il y avait là environ 25 jeunes hommes et six femmes, y compris moi. Après une certaine distance ils se sont arrêtés et les soldats ont dit à trois ou quatre femmes de descendre. Plus tard, ils se sont arrêtés devant une deuxième maison où ils ont dit aux femmes qui sont restées de descendre. J'ai immédiatement été conduite dans une pièce et la porte a été fermée à clef derrière moi.

Quelques heures plus tard, trois d'entre eux sont entrés dans la chambre. Tous habillés en tenues militaires et avec des bérets rouges. L'un d'eux avait un petit récipient de poudre blanche. Il y trempa son doigt dedans et l'a forcé dans mon nez. Puis, tous les trois m'ont abusée. Le lendemain, ils m'ont abusé à nouveau mais après, d'autres sont venus deux par deux. Je ne sais pas combien ou qui sont-ils. Je sentais mon vagin brûler et meurtri. J'étais tellement fatigué et hors de ma tête. Les trois premiers se regardaient entre eux quand ils me violaient.

J'étais là pendant trois jours. Ils ont dit : ‘Tu ne penses vraiment pas sortir d'ici en vie, n'est-ce pas ?' Et parfois ils discutent entre eux : ‘Faut-il la tuer maintenant ?' ‘Non... utilisons-la d'abord avant de la tuer.' Chaque fois j'entendais des pleurs de femme à partir d'une pièce voisine : ‘S'il vous plaît, s'il vous plaît... oh mon Dieu, je vais mourir.' Le dernier jour à 6 heures du matin, les soldats ont mis une couverture sur ma tête et m'ont conduite pendant un certain temps pour me laisser au coin d'une rue, toute nue. »

Les commandants présents sur les lieux étaient manifestement conscients des viols collectifs, mais ils n'y a aucune preuve qu'ils ont fait quoi que ce soit pour les arrêter. Un leader de l'opposition a déclaré à Human Rights Watch comment il fut conduit hors du stade par le lieutenant Abubakar « Toumba » Diakité, le commandant de la Garde présidentielle a, sur son chemin, dépassé au moins une douzaine de femmes qui se faisaient agresser sexuellement par les Bérets rouges. Il a remarqué comment Toumba n'a rien fait pour arrêter les viols:

« J'ai vu beaucoup de cas de viol. On a fait sortir lentement du stade les dirigeants de l'opposition, donc nous avons vu beaucoup de choses. En descendant de la tribune, j'ai vu une femme nue sur le terrain entouré de cinq Bérets rouges et violée sur l'herbe. J'ai vu d'autres femmes nues y être emmené par les Bérets rouges [pour être violée]. Il y a eu des viols, même plus à l'extérieur du stade. Juste à l'extérieur du stade, où les douches sont, il y avait une femme nue sur le terrain. Il y avait trois ou quatre Bérets rouges au-dessus d'elle, et l'un d'eux avait enfoncé le canon de son fusil dans son [vagin]. Elle criait si fort de douleur que nous avons eu à la regarder et à voir. Tout au long de ce passage, il y avait environ une douzaine de femmes violées. Le lieutenant Toumba était à côté de nous et a tout vu, mais il n'a rien fait pour arrêter les viols. »

Responsabilité du massacre, des actes de violence sexuelle et d'autres abus

En s'appuyant sur les preuves rassemblées, Human Rights Watch a conclu que les violences sexuelles et le massacre commis au stade le 28 septembre semblent avoir été à la fois planifiés et organisés. Toutes les personnes responsables, y compris celles ayant donné des ordres, devraient répondre de leurs actes devant un tribunal pénal, tout comme les personnes ayant essayé de dissimuler les crimes et de faire disparaître les indices. Le caractère apparemment systématique des meurtres, des actes de violence sexuelle et de la persécution basée sur des motifs ethniques laisse penser qu'il pourrait s'agir d'un crime contre l'humanité. Dans ce cas, le principe de responsabilité de commandement s'applique. Les personnes occupant des postes à responsabilité, qui auraient dû être au courant des exactions (ou de leur planification) et qui ne les ont pas empêchées ou n'ont pas lancé de poursuites contre les coupables devraient rendre compte de leurs actes devant la justice pénale.

Human Rights Watch estime que des enquêtes criminelles indépendantes visant à identifier et à poursuivre les responsables, y compris les personnes impliquées par le principe de commandement, doivent être organisées sans délai. Parmi ceux dont la possible responsabilité criminelle dans le massacre et les actes de violence sexuelle devrait être examinée se trouvent :

  • le capitaine Moussa Dadis Camara, président du CNDD : alors que l'on pensait que Camara ne se trouvait pas au stade le 28 septembre, il a essayé d'empêcher la manifestation d'avoir lieu. Tous les témoignages ont indiqué que les meurtres ont été exécutés par des membres de la Garde présidentielle, dont Camara est en fin de compte le commandant, et que l'officier commandant les Bérets rouges dans le stade était le lieutenant Abubakar Diakité, dit « Toumba », l'aide de camp personnel de Camara qui est également à la tête de sa protection rapprochée. Les preuves laissent penser que la Garde présidentielle s'est rendue au stade après avoir quitté le camp militaire Alpha Yaya Diallo où Camara est basé. En outre, il n'existe aucune preuve montrant que Camara ait engagé à l'encontre de ses subordonnés directement impliqués dans les meurtres et les viols des procédures disciplinaires ou des mesures garantissant que ces personnes rendent compte de leurs actes.
  • le lieutenant Abubakar Diakité, dit « Toumba » : plusieurs témoignages recueillis par Human Rights Watch font état de la présence de Toumba dans le stade, où la Garde présidentielle, coupable du massacre et des actes de violence sexuelle perpétrés sur place, était sous ses ordres directs. Il n'existe aucune preuve laissant penser qu'il ait essayé d'empêcher les militaires de commettre des meurtres ou des actes de violence sexuelle.
  • le lieutenant Marcel Kuvugi : il est l'assistant de Diakité et occasionnellement le chauffeur personnel de Camara. Des témoins, dont plusieurs dirigeants de l'opposition, ont déclaré qu'il a violement attaqué et menacé à plusieurs reprises de tuer les dirigeants politiques de l'opposition présents dans le stade. Ces derniers ont affirmé que lors de leur transfert du stade vers l'hôpital pour y recevoir des soins de première urgence, Kuvugi a menacé de leur tirer dessus s'ils sortaient de la voiture et de jeter une grenade sur eux, les empêchant ainsi de recevoir des soins médicaux.
  • le capitaine Claude Pivi, dit « Coplan », ministre chargé de la sécurité présidentielle : il existe des rapports contradictoires quant à la présence de Pivi au stade pendant le massacre. Des témoins ont déclaré qu'il a participé à des attaques contre les maisons des dirigeants de l'opposition dans la soirée du 28 septembre et à des attaques violentes visant des quartiers majoritairement habités par les partisans de l'opposition les jours qui ont suivi.
  • le capitaine Moussa Tiégboro Camara : en tant que secrétaire d'État chargé de la lutte contre le trafic de drogue et le grand banditisme, Tiégboro dirige l'unité de gendarmerie d'élite qui a pris part au massacre du stade. Des témoins ont déclaré que Tiégboro s'y trouvait personnellement, et que les forces de gendarmerie ont tenté à plusieurs reprises d'arrêter les manifestants avant que ces derniers n'atteignent le stade, en tirant quelques coups de feu dans leur direction et en tuant au moins trois d'entre eux. Toujours selon les témoignages, l'unité de gendarmerie qui a participé au massacre du stade n'a pas commis autant de meurtres et de viols que la Garde présidentielle. Au moins 72 manifestants ont été placés en détention préventive par l'unité de gendarmerie à la suite du massacre. Les personnes arrêtées ont déclaré avoir été violemment battues.

Nécessité d'une commission internationale d'enquête et de poursuites criminelles

Étant donné la nature grave des crimes commis par les forces de sécurité de Guinée, en particulier par la Garde présidentielle, le 28 septembre et les jours qui ont suivi, la communauté internationale devrait répondre avec force. Human Rights Watch appelle donc l'Union africaine (UA), la CEDEAO, l'Union européenne (UE) et les Nations unies à :

  • apporter tout leur soutien à la commission d'enquête internationale sur les événements du 28 septembre proposée par la CEDEAO et déjà mise en place par le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon. Un tel soutien permettrait de garantir à la commission les ressources nécessaires au déroulement de son enquête et à la publication rapide de ses conclusions. Human Rights Watch appelle les représentants de la communauté internationale cités ci-dessus à insister auprès des autorités guinéennes afin qu'elles collaborent pleinement à cette enquête.
  • exhorter les autorités guinéennes à garantir qu'une enquête indépendante, équitable et publique soit menée sans délai sur les crimes et leur dissimulation, afin de poursuivre de manière juste et conforme à la loi ceux considérés comme responsables, y compris selon le principe de commandement, dans le respect du droit international. Dans le cas où les autorités guinéennes ne pourraient garantir cette enquête et ces poursuites, le gouvernement guinéen, l'UA, la CEDEAO, l'UE et les Nations unies devraient apporter tout leur soutien à des enquêtes et des poursuites internationales, y compris par la Cour pénale internationale (CPI), sous réserve d'une conformité avec les conditions de ses statuts. La Guinée est un État partie à la CPI ; par conséquent, la cour a compétence à l'égard de génocides, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre commis sur son territoire. À la suite des violences du 28 septembre, le procureur de la CPI a indiqué que la situation en Guinée fait l'objet d'un examen préliminaire, qui est l'étape précédant l'ouverture d'une enquête.

Human Rights Watch prévoit de rendre public un rapport complet sur ses conclusions. Au vu de la gravité des abus commis et du besoin d'une action internationale immédiate afin de poursuivre les coupables, Human Rights Watch rend public ses principales constatations dès aujourd'hui.

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