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Rwanda

Événements de 2017

Le président rwandais Paul Kagame du Front patriotique rwandais (FPR) au pouvoir salue ses partisans lors d’un rassemblement à Nyanza, au Rwanda, le 14 juillet 2017.

© 2017 Jean Bizimana/Reuters

Dans un contexte où la liberté d’expression et l’espace politique étaient très limités, le Président Paul Kagame a été très largement réélu pour un troisième mandat en août avec un score annoncé de 98,8 pour cent des voix, après qu’un référendum en 2015 l’avait autorisé à briguer un septennat puis deux quinquennats additionnels. Avant et après l’élection du mois d’août, le gouvernement rwandais a continué de limiter la capacité des groupes de la société civile, des médias, des organisations internationales de défense des droits humains et des opposants politiques à fonctionner librement et en toute indépendance ou à critiquer les politiques et les pratiques du gouvernement.

Entre avril 2016 et mars 2017, les forces de sécurité de l’État dans la Province de l’Ouest ont sommairement tué au moins 37 personnes soupçonnées d’être des petits délinquants, actes qui semblent s’inscrire dans le cadre d’une stratégie plus vaste destinée à semer la terreur, assurer l’ordre et décourager toute résistance aux ordres ou politiques du gouvernement. Les autorités rwandaises ont continué d’arrêter et de détenir des personnes dans des centres de détention non officiels, où des dizaines de détenus ont été torturés ces dernières années.

Liberté d’expression

La société civile au Rwanda est très faible, en raison de nombreuses années d’intimidation et d’ingérence de la part de l’État, les organisations rwandaises de défense des droitshumains se retrouvant en grande partie dans l’incapacité de documenter publiquement les atteintes perpétrées par les agents de l’État. Si certaines stations de radio privées diffusent parfois des émissions sur des sujets sensibles sur le plan politique, tels que les propositions d’amendements au code pénal au sujet de la diffamation, les opinions officielles du gouvernement ont dominé les médias nationaux et la quasi-totalité de la couverture médiatique des élections. Des acteurs de l’État ont également intimidé des journalistes internationaux. Le service de la BBC en langue kinyarwanda reste suspendu depuis 2014.

John Ndabarasa, un journaliste de Sana Radio, porté disparu le 8 août 2016, est réapparu à Kigali, la capitale, le 6 mars. Ndabarasa est un membre de la famille de Joël Mutabazi, ancien membre de la garde présidentielle condamné à la prison à vie en 2014 pour des crimes liés à la sécurité. Ndabarasa a raconté à des journalistes qu’il avait fui le pays, avant de décider de revenir de son plein gré ; ce récit a éveillé de nombreux soupçons.

Pluralisme politique

L’élection présidentielle du mois d’août a vu s’affronter trois candidats : Kagame (Front patriotique rwandais, RPF) ; Frank Habineza (Parti vert démocratique du Rwanda, DGPR) ; et un candidat indépendant, Philippe Mpayimana. Habineza et Mpayimana ont affirmé avoir fait l’objet de harcèlement, de menaces et de mesures d’intimidation à l’approche de l’élection. Aucun de ces deux hommes n’a représenté une sérieuse menace pour le Président Kagame.

Deux autres indépendants qui auraient voulu se présenter à l’élection, Diana Rwigara et Gilbert Mwenedata, ont déclaré qu’ils avaient rempli tous les critères d’éligibilité. Cependant, la Commission électorale nationale a rejeté leurs candidatures, avançant l’invalidité d’un grand nombre des signatures qu’ils avaient recueillis pour appuyer leur candidature. Un autre candidat potentiel, Thomas Nahimana, s’est vu refuser l’accès au Rwanda en janvier alors qu’il tentait d’entrer dans le pays depuis la France.

Dans les journées qui ont suivi l’élection, Human Rights Watch a interrogé des activistes locaux et des citoyens privés, qui ont évoqué des actes d’intimidation et des irrégularités pendant la campagne et la période électorale.

Malgré la victoire écrasante de Kagame, les autorités gouvernementales, voulant assurer leurs arrières, ont arrêté, soumis à des disparitions forcées ou menacé des opposants politiques dans les semaines qui ont suivi l’élection du mois d’août. Le 29 août, des policiers ont fait irruption dans le bureau de Rwigara à Kigali pour l’emmener chez elle, où ils l’ont interrogée, ainsi que des membres de sa famille, leur interdisant de quitter la maison. Au bout de plusieurs semaines d’intimidation, d’interrogatoires et de restrictions de leurs déplacements, Rwigara, sa sœur Anne et sa mère ont été arrêtées le 23 septembre. Au moment de la rédaction de ce chapitre, elles étaient en garde à vue dans les locaux de la police à Kigali.

Quelques jours avant son arrestation, Rwigara, s’adressant à des médias internationaux, avait critiqué les actions de la police et les accusations qui étaient portées contre elle. Quelques heures avant son arrestation, Rwigara a déclaré à l’un de ces médias que sa famille était « persécutée pour ses critiques à l’égard du gouvernement ».

Les Forces démocratiques unifiées (FDU)-Inkingi, un parti de l’opposition non enregistré, ont également continué de rencontrer de sérieuses difficultés qui ont empêché le parti de fonctionner efficacement. Victoire Ingabire, présidente des FDU-Inkingi, se trouve en prison depuis 2010. Le 6 septembre, sept membres des FDU-Inkingi ont été arrêtés, dont quatre des dirigeants du parti : Boniface Twagirimana, premier vice-président ; Fabien Twagirayezu, responsable de la mobilisation du parti ; Léonille Gasengayire, trésorière adjointe ; et Gratien Nsabiyaremye, commissaire adjoint.

Théophile Ntirutwa, représentant du parti à Kigali, a été arrêté le 6 septembre. Il a été détenu au secret pendant 17 jours, avant qu’un membre de sa famille n’ait le droit de lui rendre visite au poste de police de Remera le 23 septembre. Ntirutwa avait précédemment été détenu le 18 septembre 2016, prétendument par l’armée, à Nyarutarama, une banlieue de Kigali, où il affirme avoir été battu et interrogé sur son appartenance aux FDU-Inkingi, avant d’être libéré deux jours plus tard.

Huit membres des FDU-Inkingi, dont Ntirutwa, ont été accusés de crimes liés à la sûreté de l’État, y compris d’avoir créé un groupe armé irrégulier et commis des délits contre le Président.

Gasengayire avait précédemment été arrêtée par la police après avoir rendu visite en prison à Ingabire en mars 2016. Elle a été placée en détention pendant trois jours, battue, interrogée et on lui a refusé l’accès à un avocat. La police l’a libérée sans inculpation, mais l’a de nouveau arrêtée en août 2016, l’accusant d’incitation au soulèvement ou aux troubles parmi la population. Elle l’a également accusée de soulever l’opposition locale face aux expropriations de terrains appartenant à des habitants de son district d’origine et de promouvoir les FDU-Inkingi. Les habitants qui ont essayé de témoigner en sa faveur à son procès ont fait l’objet de mesures d’intimidation. Un tribunal l’a acquittée et libérée le 23 mars 2017.

Violette Uwamahoro, une femme détenant la double nationalité rwandaise et britannique, épouse d’un membre du Congrès national rwandais (Rwanda National Congress, RNC), groupe d’opposition en exil, a été portée disparue le 14 février. Elle se trouvait au Rwanda pour les funérailles de son père. Le 3 mars, la police a annoncé qu’elle était détenue par le gouvernement. Sa détention au secret avait duré plus de deux semaines. Le 13 mars, Uwamahoro et un coaccusé ont été inculpés de révélation de secrets d’État et de délits contre le gouvernement en place ou le président. Elle a été libérée sous caution fin mars faute de preuves suffisantes pour justifier sa détention, et elle a regagné le Royaume-Uni le 12 avril.

Exécutions extrajudiciaires de petits délinquants

Les forces de sécurité de l’État rwandais ont procédé à l’exécution sommaire d’au moins 37 personnes soupçonnées de petite délinquance et en ont soumis quatre autres à des disparitions forcées dans la Province de l’Ouest du Rwanda entre avril 2016 et mars 2017. La plupart des victimes étaient accusées de vols divers, par exemple de bananes, d’une vache ou d’une moto. D’autres étaient soupçonnées de faire du trafic de marijuana, de franchir illégalement la frontière de la République démocratique du Congo vers le Rwanda ou d’utiliser des filets de pêche illégaux.

Les autorités utilisaient les exécutions extrajudiciaires en guise d’avertissements. Dans la plupart des cas documentés par Human Rights Watch, les autorités militaires et civiles locales ont expliqué aux habitants, souvent lors de réunions publiques, que la personne suspectée de petite délinquance avait été tuée et que tous les autres voleurs et autres criminels de la région seraient arrêtés et exécutés. Les agents du gouvernement ont déclaré que les rapports relatifs à ces meurtres étaient de « fausses informations ».

Détentions arbitraires, mauvais traitements et actes de torture

Des personnes accusées d’atteintes à la sûreté de l’État ont continué d’être arrêtées et détenues illégalement dans des camps militaires. De nombreuses personnes détenues dans ces camps ont été torturées dans une tentative de les forcer à passer aux aveux ou d’accuser d’autres individus. Les autorités ont continué d’embarquer les vendeurs ambulants, les travailleurs sexuels, les enfants des rues et d’autres personnes démunies, les détenant dans des centres dits « de transit » à travers le pays. Les conditions y sont dures et inhumaines, et les passages à tabac sont légion.

La justice pour le génocide

Le 15 septembre, le Conseil constitutionnel français a refusé l’accès d’un chercheur aux archives de François Mitterrand, qui présidait la France à l’époque du génocide rwandais. Le Conseil a invoqué une loi qui protège les archives présidentielles 25 ans après le décès d’un chef de l’État.

Jean Twagiramungu, le premier suspect accusé de génocide extradé par l’Allemagne, est arrivé à Kigali le 18 août. Cet ancien enseignant, qui avait été arrêté à Francfort en 2015, aurait organisé le meurtre de Tutsis pendant le génocide. Son procès était en cours au moment de la rédaction des présentes.

En juillet, un tribunal de première instance britannique a refusé d’extrader cinq personnes soupçonnées de génocide, invoquant des préoccupations quant au manque d’indépendance judiciaire qui prévaut au Rwanda. Wenceslas Twagirayezu, soupçonné de génocide, a été arrêté en mai au Danemark. Il n’avait pas été extradé au moment de la rédaction de ce chapitre. En juin 2014, les autorités rwandaises avaient adressé au Danemark un mandat d’arrêt international visant Twagirayezu.

Principaux acteurs internationaux

Les États-Unis se sont déclarés préoccupés par des irrégularités ainsi que par le manque de transparence avec lequel l’éligibilité des candidats potentiels a été déterminée pendant la période électorale. L’Union européenne a également exprimé des préoccupations au sujet du manque de transparence relatif à l’enregistrement des candidats et à la publication des résultats.

Le Royaume-Uni a déclaré qu’il était préoccupé par « des irrégularités dans le dépouillement et la présentation des résultats » et « par les arrestations » et le « ciblage de personnalités de l’opposition » après l’élection. Les ambassades américaine et britannique et la délégation de l’UE ont salué le fait que l’élection avait été pacifique.

Un rapport du Secrétaire général des Nations Unies, publié en septembre, a identifié le Rwanda comme l’un des 29 pays où les défenseurs des droits humains qui coopèrent avec l’ONU sur les questions relatives à ces droits sont soumis à des représailles.

En octobre, le Sous-Comité pour la prévention de la torture, organe chargé de surveiller l’application du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture (OPCAT), que le Rwanda a ratifié en 2015, a effectué une visite d’État au Rwanda. Le Sous-Comité a toutefois dû suspendre sa visite et quitter le pays plus tôt que prévu, invoquant des mesures d’obstruction de la part du gouvernement rwandais. Le Rwanda n’a toujours pas mis en place de mécanisme national pour prévenir la torture, tel que requis par l’OPCAT, alors qu’il aurait dû le faire dans l’année suivant la ratification du Protocole.

En novembre, le Rwanda a comparu devant le Comité contre la torture (Committee Against Torture, CAT), un organe onusien chargé de surveiller l’application de la Convention contre la torture par les États parties. Le 6 décembre, le CAT, dans ses observations finales, a réclamé l’abolition des détentions involontaires dans des centres de transit ; l’arrêt des mesures d’intimidation à l’encontre des opposants politiques, des journalistes et des défenseurs des droits humains ; et l’ouverture d’enquêtes rapides, impartiales et efficaces sur les allégations de torture.