La violence politique et les mesures de répression du gouvernement se sont poursuivies en 2017, alors que le Président Joseph Kabila s’est maintenu au pouvoir au-delà de la limite constitutionnelle de deux mandats, qui a pris fin le 19 décembre 2016. Alors que les autorités retardaient les projets d’organisation d’élections, des agents gouvernementaux et des membres des forces de sécurité ont systématiquement cherché à faire taire, réprimer et intimider l’opposition politique, les défenseurs des droits humains et les activistes pro-démocratie, les journalistes et les manifestants pacifiques. Les forces de sécurité gouvernementales et de nombreux groupes armés ont attaqué des civils à travers le pays, avec des conséquences dévastatrices.
Un accord de partage du pouvoir conclu sous l’égide de l’Église catholique et signé fin 2016 appelait à la tenue d’élections avant la fin de 2017 et l’adoption d’un certain nombre de mesures pour apaiser les tensions politiques, notamment la libération de prisonniers politiques. Nombre des principes cardinaux de cet accord ont été en grande partie ignorés.
En mars, les évêques catholiques se sont retirés de leur rôle de médiateurs. En juin, ils ont imputé la responsabilité des crises terribles qui affectent le pays dans les domaines de la sécurité, des droits humains, de l’économie et de la politique au fait que les dirigeants n’avaient pas tenu d’élections conformément à la Constitution, et exhorté les Congolais à se mettre « debout » et à prendre en main leur destin.
En novembre, quelques jours après que l’ambassadrice des États-Unis auprès de l’ONU, Nikki Haley, s’était rendue en RD Congo et avait appelé Kabila à organiser des élections d’ici la fin de l’année 2018, la commission électorale nationale a publié un calendrier électoral fixant la date du 23 décembre 2018 pour des élections présidentielles, législatives et provinciales, tout en citant de nombreuses contraintes susceptibles d’impacter l’échéancier.
Des groupes de la société civile congolaise et les leaders de l’opposition politique ont dénoncé ce calendrier, jugeant qu’il ne s’agissait là que d’une nouvelle manœuvre dilatoire afin de prolonger la présidence de Kabila. Ils ont appelé au retrait de Kabila avant la fin de l’année 2017 et proposé une brève transition post-Kabila en vue d’organiser des élections crédibles, menée par des personnes qui ne pourraient elles-mêmes pas être candidats.
Libertés d’expression et de réunion pacifique
Les forces de sécurité ont tué au moins 62 personnes et arrêté des centaines d’autres individus lors de manifestations qui ont éclaté à travers le pays entre le 19 et le 22 décembre 2016, suite au refus du Président Kabila de quitter le pouvoir à l’issue de son second mandat. En tout, les forces de sécurité ont tué au moins 171 personnes lors de manifestations en 2015 et 2016.
Des travaux de recherche réalisés par Human Rights Watch ont montré que, fin 2016, des officiers supérieurs des forces de sécurité congolaises avaient mobilisé au moins 200 anciens combattants rebelles du M23—leur véritable nombre étant sans doute bien plus élevé—depuis les pays voisins que sont l’Ouganda et le Rwanda afin de protéger Kabila et de réprimer des manifestations anti-Kabila, après les avoir intégrés dans des unités de l’armée et de la police congolaises. Des combattants du M23 ont de nouveau été introduits dans le pays entre mai et juillet 2017 afin de les préparer à des « opérations spéciales » de protection du président.
Tout au long de 2017, des agents du gouvernement et des forces de sécurité ont systématiquement et à maintes reprises interdit les manifestations de l’opposition, fermé des médias et empêché des dirigeants de l’opposition de se déplacer librement. Ils ont emprisonné plus de 300 dirigeants et partisans de l’opposition, journalistes, défenseurs des droits humains et activistes pro-démocratie, dont la plupart ont par la suite été libérés. Un grand nombre d’entre eux ont été détenus dans des lieux secrets, sans chefs d’inculpation ni d’accès à leurs familles ou à des avocats. D’autres ont été poursuivis en justice sur la base de chefs d’accusation fabriqués de toutes pièces. Beaucoup ont été arrêtés alors qu’ils planifiaient ou venaient de lancer des manifestations pacifiques, ce qui a souvent empêché la tenue de ces manifestations. Lorsque des manifestations de plus grande ampleur ont été organisées, les forces de sécurité ont fait usage de gaz lacrymogènes et, dans certains cas, tiré à balles réelles pour disperser les manifestants. Le 30 octobre, les forces de sécurité ont tué cinq personnes, dont un garçon de 11 ans, et en ont blessé 15 autres lors d’une manifestation à Goma.
Les forces de sécurité ont tué au moins 90 personnes dans le cadre d’une répression visant les membres de la secte politico-religieuse Bundu dia Kongo (BDK) à Kinshasa et dans la province du Kongo Central entre janvier et mars, ainsi qu’en août. Certains des membres de BDK ont aussi eu recours à la violence, tuant au moins cinq agents de police.
En juillet, à Lubumbashi, des hommes armés non identifiés ont tiré sur un juge et ont failli le tuer ; celui-ci refusait de rendre un jugement contre Moïse Katumbi, leader de l’opposition et candidat déclaré à l’élection présidentielle.
Les autorités ont empêché des journalistes internationaux et congolais de faire leur travail, notamment en les arrêtant, en leur interdisant l’accès ou en confisquant leur matériel et en supprimant des images. Au moins 40 journalistes ont été détenus en 2017. Le gouvernement a fermé des médias congolais et a périodiquement restreint l’accès aux réseaux sociaux. En août, les autorités ont rétabli le signal de Radio France Internationale (RFI) à Kinshasa après neuf mois de coupure, mais, en juin, elles ont refusé de renouveler l’accréditation de l’envoyée spéciale de RFI en RD Congo et, en août, le visa du correspondant de Reuters.
Attaques menées contre des civils par des groupes armés et les forces gouvernementales
Entre août 2016 et septembre 2017, des actes de violence impliquant les forces de sécurité congolaises, des milices soutenues par le gouvernement et des groupes armés locaux ont fait jusqu’à 5 000 morts dans la région du Kasaï, dans le sud du pays. Six cents écoles ont été attaquées ou détruites et 1,4 million de personnes ont été déplacées de leurs foyers, y compris 30 000 réfugiés qui ont fui en Angola. Près de 90 fosses communes ont été découvertes dans la région ; on estime que la majorité d’entre elles contiennent les corps des civils et des militants tués par les forces de sécurité gouvernementales qui ont eu recours à une force excessive contre des membres ou des sympathisants de milices présumés.
En mars, deux enquêteurs des Nations Unies—Michael Sharp, de nationalité américaine, et Zaida Catalán, de double nationalité suédoise et chilienne—ont été sommairement exécutés par un groupe d’hommes armés alors qu’ils enquêtaient sur les graves violations des droits humains dans la région du Kasaï. Les conclusions des recherches de Human Rights Watch et d’un rapport de RFI s’orientent vers une responsabilité du gouvernement pour ce double meurtre. Un procès entaché de graves irrégularités contre des suspects dans l’affaire s’est ouvert en RD Congo en juin 2017.
Dans la province du Tanganyika, dans le sud-est du pays, plus de 200 personnes ont été tuées, 250 000 autres déplacées, et de nombreux villages et camps de déplacés ont été incendiés lors de violences intercommunautaires entre juillet 2016 et septembre 2017.
Plus de 100 groupes armés restaient actifs dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, dans l’est de la RD Congo, et beaucoup ont continué de s’en prendre aux civils, notamment les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) et des groupes alliés Nyatura, les Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces, ADF), le groupe armé Nduma Défense du Congo-Rénové (NDC-R), les groupes Maï Maï Mazembe, Charles et Yakutumba et plusieurs groupes armés burundais. Bon nombre de leurs commandants ont été impliqués dans des crimes de guerre, y compris des massacres ethniques, des viols, le recrutement forcé d’enfants et des pillages.
Une nouvelle coalition de groupes armés au Sud-Kivu connue sous le nom de Coalition nationale du peuple pour la souveraineté du Congo (CNPSC) a eu de multiples affrontements avec l’armée congolaise et a pris le contrôle de plusieurs villages sur les rives du lac Tanganyika. L’objectif déclaré de ce groupe est de renverser le gouvernement de Kabila qui, d’après cette coalition, est illégitime suite au refus de Kabila de se retirer en décembre 2016. Plus de 100 000 personnes ont été déplacées depuis le début des combats en juin et l’armée congolaise aurait arrêté des dizaines de membres de la jeunesse locale soupçonnés d’entretenir des liens avec la coalition.
Toujours dans la province du Sud-Kivu, des individus dont on présume qu’il s’agissait de membres des forces de sécurité congolaises ont utilisé une force excessive pour réprimer une manifestation à Kamanyola en septembre, tuant environ 40 réfugiés burundais et en blessant plus de 100 autres.
La situation humanitaire en RD Congo s’est considérablement détériorée, marquée par la plus grande crise de déplacement d’Afrique en 2017, par une famine susceptible de frapper 7,7 millions de Congolais et par une épidémie de choléra qui s’est propagée à travers le pays. Entre-temps, le financement humanitaire international a atteint son niveau le plus bas depuis dix ans.
Justice et obligation de rendre des comptes
Le 26 juillet, un chef de milice, Ntabo Ntaberi Sheka, s’est constitué prisonnier auprès de la MONUSCO, la mission de maintien de la paix de l’ONU dans le pays, qui l’a ensuite remis entre les mains de responsables du système judiciaire congolais. Sheka, impliqué dans de nombreuses atrocités commises dans l’est de la RD Congo, était l’objet d’un mandat d’arrêt de la justice congolaise depuis 2011 pour crimes contre l’humanité pour viols massifs. Son procès n’avait pas encore commencé au moment de la rédaction des présentes.
Les autorités ont continué de détenir en résidence surveillée le chef de guerre Gédéon Kyungu Mutanga, qui s’est rendu en octobre 2016, et ce, au lieu de le transférer vers une prison pour qu’il y purge le reste de sa peine pour crimes contre l’humanité prononcée en 2009.
Sylvestre Mudacumura, le commandant militaire du groupe armé des FDLR, est toujours en liberté. La Cour pénale internationale (CPI) a émis un mandat d’arrêt à son encontre en 2012 pour différents chefs, à savoir attaque contre la population civile, meurtre, mutilation, traitement cruel, viol, torture, destruction de biens, pillage et atteinte à la dignité de la personne, crimes qu’il aurait commis dans l’est de la RD Congo en 2009 et 2010.
Le procès de Bosco Ntaganda devant la CPI se poursuit ; il est inculpé de 13 chefs de crimes de guerre et de cinq chefs de crimes contre l’humanité qu’il aurait commis en 2002 et 2003 en Ituri, province du nord-est de la RD Congo.
Principaux acteurs internationaux
Le 29 mai, l’Union européenne a annoncé l’imposition de sanctions ciblées à l’encontre de huit hauts responsables de la sécurité et du gouvernement congolais et d’un chef de milice impliqués depuis longtemps dans de graves abus en RD Congo. Le 1er juin, les États-Unis ont prononcé des sanctions ciblées à l’encontre du général François Olenga, chef d’état-major personnel du Président Kabila, ainsi que d’un complexe touristique en périphérie de Kinshasa, propriété du général Olenga. Les sanctions consistent en des interdictions de voyager, des gels d’avoirs et une interdiction de mettre des fonds ou des ressources économiques à la disposition des personnes et de l’entité inscrites sur la liste, ou de se livrer à des transactions avec elles.
En juin, l’ancien Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan et neuf anciens présidents d’États africains ont lancé un « appel urgent » à Kabila et aux autres dirigeants congolais en faveur d’une transition pacifique et démocratique. Ils ont mis en garde contre le « grave danger » qui menace l’avenir du pays. Toujours en juin, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a autorisé l’ouverture d’une enquête internationale sur les violences commises dans la région du Kasaï. En septembre, le Conseil a également décidé de continuer à surveiller de près la situation qui règne dans le pays pendant encore une année, et de renforcer cette surveillance, y compris dans le contexte du processus électoral.