La crise politique et des droits humains qui a commencé au Burundi en avril 2015, quand le président Pierre Nkurunziza a annoncé qu’il briguerait un troisième mandat controversé, s’est poursuivie en 2017. Les forces gouvernementales s’en sont prises aux opposants réels ou supposés avec une impunité quasi-totale. Les forces de sécurité et les services de renseignement—souvent en collaboration avec des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, connus sous le nom d’Imbonerakure—se sont rendus coupables de nombreux meurtres, disparitions, enlèvements, actes de torture, viols et arrestations arbitraires. Des agresseurs non identifiés ont mené des attaques à la grenade et avec d’autres armes, tuant ou blessant de nombreuses personnes.
En septembre, une Commission d’enquête des Nations Unies, créée par le Conseil des droits de l’homme un an auparavant, a déclaré avoir « des motifs raisonnables de croire que des crimes contre l’humanité ont été commis depuis avril 2015 au Burundi ». Au cours de la session tenue un peu plus tard le même mois, le Conseil a prolongé d’un an le mandat de cette commission, mais le Burundi persiste à refuser de coopérer de quelque manière que ce soit avec cette dernière. En octobre, les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont autorisé une enquête sur des crimes commis au Burundi depuis avril 2015.
Toujours en octobre, le gouvernement du Burundi a adopté un plan visant à modifier la constitution de façon à permettre au président Nkurunziza de se représenter pour deux nouveaux mandats de sept ans. Si cette proposition est votée par le parlement ou à l’occasion d’un référendum national, Nkurunziza aura la possibilité de rester au pouvoir jusqu’en 2034.
Meurtres, viols et autres abus commis par les forces de sécurité et par des jeunes du parti au pouvoir
En 2017, les violences ont fait des dizaines de morts, selon les organisations burundaises et internationales de défense des droits humains. Des cadavres de personnes tuées dans des circonstances inconnues ont été régulièrement retrouvés à travers le pays.
La commission d’enquête a confirmé « la persistance d’exécutions extrajudiciaires, d’arrestations et de détentions arbitraires, de disparitions forcées, de tortures et traitements cruels, inhumains ou dégradants, et de violences sexuelles depuis avril 2015 au Burundi », attribuant la plupart de ces violations à des membres des services de renseignement, de la police, de l’armée et de la ligue des jeunes du parti au pouvoir. La commission a précisé que « certaines violations ont été commises de manière plus clandestine, mais tout aussi brutale, depuis 2016. »
La commission d’enquête a récolté de nombreux témoignages suggérant que des « agents de renseignement ou de la police » ont été impliqués dans la disparition d’Oscar Ntasano, un ancien sénateur, à Bujumbura le 21 avril 2017.
Human Rights Watch a rassemblé des informations sur les viols commis en 2015 et en 2016 par des membres des Imbonerakure ou de la police—parfois munis d’armes à feu, de bâtons ou de couteaux—sur des femmes dont les parents de sexe masculin étaient considérés comme des opposants au gouvernement. Dans certains cas, les Imbonerakure ont menacé ou agressé ce parent de sexe masculin avant de violer la femme. Les victimes ont souvent continué à recevoir des menaces après avoir été violées. Human Rights Watch a reçu des témoignages crédibles indiquant que de telles exactions ont continué à se produire en 2017.
Début avril, une vidéo a circulé, montrant environ 200 membres des Imbonerakure rassemblés dans le nord du Burundi qui chantaient des chansons encourageant au viol d’opposants politiques et de leurs proches. Les incitations à la haine, à la violence et au viol, en particulier de la part des Imbonerakure, sont devenues monnaie courante au Burundi, et ne sont pratiquement jamais condamnées par les autorités.
Les forces de sécurité ont arrêté, maltraité et emprisonné illégalement de nombreux membres des partis d’opposition. Certains détenus ont été maintenus au secret dans des lieux inconnus. De nombreux activistes de deux partis d’opposition, le Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD) et les Forces nationales de libération (FNL), ont été arrêtés en juin. Début avril, le gouvernement avait suspendu le MSD pour six mois, et fait fermer ses bureaux.
Le 24 janvier, des personnes non identifiées ont attaqué le camp Mukoni, une base militaire dans la province de Muyinga, dans l’est du Burundi. Sept militaires, douze civils et un policier arrêtés après cette attaque ont été condamnés à de lourdes peines de prison. Des agents du renseignement ont sévèrement battu et torturé de nombreux accusés au cours des interrogatoires, selon les récits de témoins recueillis par Human Rights Watch.
Exactions commises par les groupes d’opposition armés et par des acteurs non identifiés
Plusieurs attaques à la grenade ont eu lieu dans des bars et d’autres endroits à travers le Burundi en 2017, faisant de nombreux morts et blessés, y compris des enfants. L’identité des coupables est souvent demeurée inconnue.
La Commission d’enquête de l’ONU a constaté que « [d]es atteintes aux droits de l’homme ont également été commises par des groupes armés d’opposition [depuis avril 2015], mais celles-ci se sont avérées difficiles à documenter ». Emmanuel Niyonkuru, Ministre de l’eau, de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme a été assassiné le 1er janvier. La commission n’a « pas pu établir » les responsabilités pour cet acte, ni pour plusieurs autres « assassinats ».
Réfugiés
Le nombre de réfugiés burundais est resté élevé en 2017, malgré les déclarations du gouvernement affirmant que le pays était « paisible ». Plus de 400 000 Burundais qui ont fui le pays depuis 2015 se trouvaient toujours à l’étranger à l’heure de la rédaction de ce chapitre, principalement en Tanzanie, au Rwanda, en Ouganda et en République démocratique du Congo.
En septembre 2017, le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR) a commencé à rapatrier des centaines de réfugiés burundais de la Tanzanie voisine vers chez eux. Au moins 12 000 réfugiés burundais se sont portés volontaires pour être rapatriés, parfois en raison des conditions de vie terribles dans les camps de réfugiés en Tanzanie. Plus de 234 000 réfugiés sont restés dans ce pays.
Le 15 septembre, des membres présumés des forces de sécurité congolaises ont fait un usage excessif de la force pour réprimer une manifestation à Kamanyola, dans la province du Sud-Kivu, dans l’est de la RD Congo, faisant environ 40 morts parmi les réfugiés burundais, et en blessant plus de 100 autres.
Société civile et médias
La plupart des principaux activistes de la société civile et de nombreux journalistes indépendants sont toujours en exil, après que le gouvernement les ait menacés à de nombreuses reprises en 2015, et ait émis des mandats d’arrêts contre plusieurs d’entre eux, et suite à l’interdiction ou à la suspension par le ministre de l’Intérieur des activités de 10 organisations de la société civile, qui avaient dénoncé les exactions commises par le gouvernement, en octobre 2016.
En janvier, deux nouvelles lois ont permis un contrôle renforcé des autorités sur les activités et les ressources des organisations non-gouvernementales burundaises et étrangères. Le 3 janvier, les autorités ont interdit la Ligue Iteka, une des principales organisations burundaises de défense des droits humains.
Le 13 juin, les forces de sécurité ont arrêté trois membres de Parole et Action pour le Réveil des Consciences et l’Évolution des Mentalités (PARCEM), l’une des dernières organisations non-gouvernementales indépendantes du pays, alors qu’ils organisaient un atelier sur les arrestations arbitraires dans la province de Muramvya.
Le Service national de renseignement a détenu Aimé Gatore, Emmanuel Nshimirimana et Marius Nizigama du 17 au 27 juin, avant qu’ils ne soient transférés à la prison de Mpimba, à Bujumbura, et plus tard à la prison de Muramvya, à environ 30 kilomètres de la capitale. Ils étaient toujours en détention à l’heure de la rédaction de ce chapitre, inculpés pour « atteinte à la sûreté de l’État ».
Germain Rukuki, un défenseur des droits humains et ancien trésorier d’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT) au Burundi, l’une des organisations qui ont été interdites, est emprisonné depuis le 13 juillet et fait l’objet de plusieurs chefs d’accusation, y compris pour « rébellion ». Le 25 août, les experts de l’ONU ont appelé à la libération de Germain Rukuki, ajoutant que les charges retenues contre lui « s'inscrivent dans un contexte de menaces et de harcèlement généralisés des défenseurs des droits de l'homme au Burundi ».
Les autorités ont continué à restreindre sévèrement l’espace dévolu aux médias au Burundi. Les chaînes Radio Publique Africaine, Radio Bonesha et Radio-Télévision Renaissance—toutes des stations privées que le gouvernement avait fait fermer suite à une tentative de coup d’État en mai 2015—n’étaient toujours pas revenues sur les ondes à l’heure de la rédaction de ces lignes.
D’autres médias ont été autorisés à mener leurs activités en 2017, mais se sont vu confrontés à de graves restrictions dans leurs activités. Le 5 avril, des agents du renseignement ont interrogé Joseph Nsabiyabandi, le rédacteur en chef de Radio Isanganiro, une autre station de radio privée, à propos de sa collaboration présumée avec des radios burundaises émettant en exil, depuis le Rwanda. Il a plus tard été la cible de critiques pour avoir « incité l’opinion et la population à la révolte. » La Radio Isanganiro avait été fermée en mai 2015, jusqu’à ce que les autorités lui permettent de rouvrir en février 2016, après avoir signé une « charte déontologique » avec le Conseil national de la communication burundais, par laquelle la radio s’engageait à proposer une ligne éditoriale « équilibrée et objective », respectueuse de « la sécurité du pays ».
Justice nationale et internationale
Au Burundi, l’impunité pour les crimes graves reste la norme. Le système de justice est manipulé par le parti au pouvoir et les responsables du renseignement, et les procédures judiciaires sont régulièrement bafouées.
Le Burundi est devenu le premier pays à se retirer de la CPI, le 27 octobre 2017. Deux jours plus tôt, les juges de la CPI avaient autorisé une enquête sur des crimes commis dans le pays depuis avril 2015. Les juges ont déterminé que le retrait du Burundi n’a aucun impact sur la compétence de la cour en matière de crimes commis pendant la période où le pays en était membre.
Lois discriminatoires
Depuis avril 2009, le Burundi a pénalisé les relations sexuelles entre personnes consentantes du même sexe. L’article 567 du code pénal, qui prévoit jusqu’à deux ans de prison pour sanctionner les relations consenties entre personnes adultes de même sexe, constitue une violation des droits à la vie privée et à la non-discrimination. Ces droits sont protégés par la Constitution du Burundi et consacrés par ses engagements aux termes des traités internationaux.
En mai 2017, le président Nkurunziza a promulgué une nouvelle réglementation imposant aux couples non mariés de légaliser leur relation en s’enregistrant auprès de l’Église ou de l’État. En novembre, un nouveau décret à interdit aux femmes de battre le tambour, et a restreint toute « animation culturelle » aux cérémonies officielles autorisées par le Ministère de la culture.
Principaux acteurs internationaux
Les efforts régionaux et internationaux pour assurer un dialogue entre les acteurs politiques burundais, facilité par l’ancien président de Tanzanie Benjamin Mkapa, n’ont pas beaucoup progressé. La plupart des principaux bailleurs ont suspendu tout soutien budgétaire direct au gouvernement burundais, mais certains ont maintenu une aide humanitaire. Les États-Unis et l’Union européenne ont maintenu des sanctions ciblées à l’encontre de plusieurs hauts fonctionnaires et dirigeants de l’opposition burundais.
En plus de renouveler le mandat de sa commission d’enquête, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a aussi adopté une autre résolution sur le Burundi, le 28 septembre, présentée par le Groupe africain et dépêchant une mission de trois experts pour rassembler des informations sur les violations des droits humains et les partager avec les autorités judiciaires locales.
En août, le Conseil de sécurité de l’ONU a déclaré rester « alarmé par le nombre croissant de réfugiés à l'étranger et troublé par les rapports faisant état d'actes de torture, de disparitions forcées et d'exécutions extrajudiciaires, ainsi que par la persistance de l'impasse politique dans le pays et les conséquences humanitaires graves qui en découlent ».
Une résolution du Conseil de sécurité datée de juillet 2016 et autorisant le déploiement de 228 policiers de l’ONU dans le pays n’a pas été mise en œuvre en 2017, car les autorités burundaises ont continué à s’y opposer.