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La contre-offensive face au défi populiste

Rassemblement massif de personnes particpant à la Marche des femmes sur le Parvis des droits de l'homme (esplanade du Trocadéro) face à la Tour Eiffel, le 21 janvier 2017 à Paris.

© 2017 Christophe Morin/IP3/Getty Images

La montée en puissance de populistes autoritaires paraît moins inéluctable qu’elle ne l’était il y a un an. À l’époque, il semblait que rien n’arrêterait une série de politiciens dans le monde qui prétendaient parler pour « le peuple », mais s’attiraient des soutiens en diabolisant les minorités impopulaires, en s’attaquant aux principes des droits humains et en alimentant la défiance envers les institutions démocratiques. Aujourd’hui, une réaction populaire dans différents pays, parfois appuyée par des leaders politiques ayant le courage de défendre les droits humains, a rendu plus incertain le destin de bon nombre de ces programmes populistes. Là où l’opposition est forte, les avancées des populistes ont été limitées. Mais là où l’on capitule devant leur message de haine et d’exclusion, les populistes prospèrent.

Cette lutte interne a incité de nombreuses puissances occidentales en particulier à se replier davantage sur elles-mêmes, rendant le monde de plus en plus fragmenté. Alors que les États-Unis sont dirigés par un président qui affiche un penchant inquiétant pour les « hommes forts » piétinant les droits humains et que le Royaume-Uni est préoccupé par le Brexit, deux défenseurs traditionnels, même imparfaits, des droits humains à l’échelle globale manquent souvent à l’appel.

Malmenés par des mouvements politiques nationaux racistes et anti-réfugiés, l’Allemagne, la France et leurs partenaires de l’Union européenne n’ont pas toujours fait preuve de volonté pour combler le vide. Des démocraties comme l’Australie, le Brésil, l’Indonésie, le Japon et l’Afrique du Sud n’ont que rarement fait entendre leurs voix pour activement défendre les droits humains.

La Chine et la Russie ont cherché à tirer parti de ce vide. Tout en veillant à étouffer, en interne, toute possibilité de protestations populaire contre le ralentissement de leurs économies et la corruption généralisée de leurs fonctionnaires, les présidents Xi Jinping et Vladimir Poutine ont poussé avec agressivité une approche anti-droits humains dans les enceintes multilatérales et forgé de solides alliances avec des gouvernements répressifs. Leur façon d’éviter tout droit de regard sur leur action a suscité l’admiration des populistes occidentaux et des autocrates du monde entier.

Le fait que de nombreux gouvernements qui auraient pu défendre les droits humains battent en retraite, a laissé le champ libre aux dirigeants meurtriers et à leurs soutiens. Les atrocités de masse ont proliféré dans une quasi-impunité, dans des pays comme le Yémen, la Syrie, la Birmanie et le Soudan du Sud. Les normes internationales destinées à prévenir les abus les plus atroces et les institutions encore récentes de réponse judiciaire telles que la Cour pénale internationale (CPI) sont remises en cause.

Dans cet environnement hostile, plusieurs pays de petite et moyenne taille ont commencé à assumer des rôles de leadership plus importants. En formant des coalitions larges, ils ont montré qu’ils sont capables d’exercer une pression forte pour la défense des droits humains. Dans certains cas, ils ont été soutenus par un public de plus en plus mobilisé. Ils ne peuvent pas entièrement se substituer aux puissances qui se sont retirées, mais leur émergence atteste que la volonté de défendre les droits humains existe toujours bel et bien.

La réponse au populisme

Des problèmes réels sont à l’origine de la montée du populisme dans de nombreuses régions du monde : les bouleversements économiques et les inégalités causées par la mondialisation, l’automatisation et les changements technologiques ; la peur des changements culturels alors que les facilités de transports et de communication favorisent les migrations dues aux guerres, à la répression, à la pauvreté et au changement climatique ; les divisions sociétales entre élites cosmopolites qui se félicitent et tirent profit de bon nombre de ces évolutions et ceux qui trouvent que leurs vies sont devenues plus précaires ; et la répétition traumatisante d’attaques terroristes exploitées par les démagogues pour alimenter la xénophobie et l’islamophobie.

Ces problèmes ne sont pas simples à résoudre. Cependant, les populistes ont tendance à y répondre, non pas en proposant de véritables solutions, mais en désignant les minorités vulnérables et les pans défavorisés de la société comme boucs émissaires. Cela s’est concrétisé par une attaque frontale contre les valeurs d’inclusion, de tolérance et de respect qui se trouvent au cœur des droits humains. En effet, certains populistes semblent se délecter à briser les symboles qui incarnent ces valeurs. S’appuyant sur une interprétation des aspirations de la majorité pour servir leurs propres objectifs, ces populistes cherchent à remplacer le régime démocratique – un gouvernement élu encadré par des droits et l’État de droit – par un  « majoritarisme » débridé.

La réponse à ce défi populiste exige non seulement de trouver une solution aux mécontentements légitimes qui le sous-tendent, mais aussi de réaffirmer les principes des droits humains que rejettent les populistes. Cela nécessite de faire valoir haut et fort les avantages des gouvernements responsables devant leurs citoyens plutôt que ceux favorisant le renforcement du pouvoir et l’enrichissement des dirigeants. Cela exige de démontrer que tous nos droits sont en péril si nous permettons aux gouvernements de sélectionner les personnes qui méritent le respect de leurs droits. Cela nécessite de rappeler aux personnes ordinaires qu’elles ont autant besoin des droits humains que les dissidents et les groupes vulnérables.

La volonté des leaders démocratiques de relever ce défi et de défendre les droits humains a évolué. Il y a un an, alors que les populistes semblaient avoir le vent dans le dos, peu osaient ; mais au cours de l’année écoulée, cela a commencé à changer, avec un effet visible.

La défense des droits humains

France

La France a connu le tournant le plus notable. Dans d’autres pays européens – Autriche et Pays-Bas, notamment – les politiciens du centre et du centre-droit ont concurrencé les populistes en adoptant bon nombre de leurs positions nativistes. Ils espéraient ainsi contrecarrer l’attrait des populistes, mais au final, ils n’ont fait que renforcer leur message.

Emmanuel Macron a choisi une approche différente pendant sa campagne présidentielle. Il a ouvertement fait siens les principes démocratiques, repoussant fermement les efforts du Front National pour fomenter la haine contre les musulmans et les immigrés. La victoire qui en a résulté et le succès de son parti aux élections législatives ont montré que les électeurs français rejettent massivement la politique de division du Front National.

Il reste à voir comment Emmanuel Macron gouvernera. Son initiative pour rendre permanents de nombreux aspects préoccupants de l’état d’urgence en France a été une première mesure inquiétante. En matière de politique étrangère, il a fait preuve de leadership en s’élevant contre le pouvoir autocratique en Russie, en Turquie et au Venezuela, et d’une volonté de soutenir une action collective de l’Union européenne plus forte contre l’atteinte aux droits humains en Pologne et en Hongrie. Mais il s’est montré réticent à s’opposer aux abus généralisés en Chine, en Égypte et en Arabie saoudite. Malgré ce bilan contrasté, il a prouvé pendant sa campagne qu’une défense vigoureuse des principes démocratiques peut attirer un large soutien public.

États-Unis

En réaction à l’élection de Donald Trump, les États-Unis ont connu un vaste mouvement de réaffirmation des droits humains venant de nombreux côtés. Donald Trump a remporté les élections présidentielles avec une campagne de haine contre les immigrants mexicains, les réfugiés musulmans et d’autres minorités raciales et ethniques, et avec un mépris évident pour les femmes. Une réponse forte est venue de groupes civiques, de journalistes, d’avocats, de juges, de nombreux citoyens et même de membres élus du propre parti de Donald Trump.

Cela n’a pas empêché Donald Trump de prendre des mesures régressives par des décisions de l’exécutif – en expulsant de nombreuses personnes sans égard pour leurs liens profonds avec les États-Unis, en ravivant une politique cruelle et décriée d’incarcération massive des délinquants, en assouplissant le contrôle des abus commis par la police et en réduisant le financement mondial pour la santé reproductive des femmes.

Mais la résistance a limité les dégâts qui auraient pu être causés, notamment par les efforts du président pour introduire une discrimination envers les musulmans souhaitant se rendre ou demander l’asile aux États-Unis, pour mettre en cause le droit aux soins de santé aux États-Unis, pour renvoyer les personnes transgenres de l’armée et même, dans certains cas, pour expulser des immigrés résidents de longue date.

Sous le Secrétaire d’État Rex Tillerson, la promotion des droits humains a été largement retirée de la politique étrangère des États-Unis et, plus généralement, le rôle des États-Unis à l’étranger a été considérablement réduit, notamment du fait d’un démantèlement sans précédent du Département d’État. Tillerson a refusé de pourvoir de nombreux postes de haut rang, a remercié plusieurs diplomates chevronnés, a amputé le budget et laissé le Département d’Etat à la dérive. De nombreux diplomates de carrière et fonctionnaires d’échelon intermédiaire ont démissionné en désespoir de cause.

Mais alors que Donald Trump a soutenu un autocrate après l’autre, certains des fonctionnaires restants du Département d’État, parfois avec le soutien du Congrès, ont fait tout leur possible pour éviter un abandon total des principes des droits humains qui ont joué un rôle ne serait-ce que partiel dans l’orientation de la politique étrangère des États-Unis pendant quatre décennies. Ils ont permis à Washington d’avoir tout de même une influence utile à certaines occasions, comme la menace de sanctions ciblées contre les autorités militaires birmanes à l’origine du nettoyage ethnique de la minorité Rohingya.

Allemagne

Au cours de l’année écoulée, l’Allemagne a fait les gros titres lorsque l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) est devenue le premier parti d’extrême droite à entrer au parlement depuis des décennies. Cette percée a effrité le soutien à la coalition au pouvoir incluant le parti Union chrétienne-démocrate (CDU) d’Angela Merkel et a compliqué la tâche de la chancelière pour former une nouvelle coalition gouvernementale. La préoccupation d’Angela Merkel pour la politique intérieure et la défense continue, de sa part, de sa courageuse décision de 2015 d’accueillir un grand nombre de demandeurs d’asile en Allemagne ont paradoxalement privé l’Europe d’une voix forte en faveur des droits des réfugiés et des immigrants – la problématique la plus conflictuelle sur le continent aujourd’hui. Cela a aussi privé Emmanuel Macron de son partenaire européen le plus évident pour lutter contre le populisme autoritaire.

Cependant, l’élection allemande a aussi fourni une leçon sur la manière de gérer l’extrême droite. Au-delà des régions orientales du pays économiquement défavorisées où le racisme et la xénophobie généralisés n’ont pas été combattus depuis la chute du mur de Berlin, c’est dans la riche Bavière que l’AfD a remporté le plus de voix : dans cette région, l’Union chrétienne sociale, parti au pouvoir avec Angela Merkel, a adopté bien plus de positions nativistes de l’AfD que ne l’a fait la CDU. La confrontation basée sur des principes s’est révélée être une réponse plus efficace que l’émulation calculée.

Pologne et Hongrie

L’Europe centrale est devenue un terreau particulièrement fertile pour les populistes. Certains dirigeants y exploitent la peur de l’immigration ailleurs en Europe pour fragiliser l’équilibre entre pouvoirs et contre-pouvoirs chez eux. Mais là aussi, les populistes ont rencontré une résistance.

En Pologne, sur fond de manifestations publiques importantes et de forte critique internationale, y compris de la part des institutions de l’UE, le président Andrzej Duda a opposé son veto à la tentative initiale du gouvernement polonais de compromettre l’indépendance du pouvoir judiciaire et l’État de droit, même si l’alternative qu’il a ensuite proposée ne répondait toujours pas aux attentes.

En Hongrie, la menace d’une action légale de l’UE ainsi que la condamnation internationale, y compris de la part des États-Unis, ont empêché les projets du gouvernement de fermer l’Université d’Europe centrale, un bastion de pensée indépendante qui s’est opposé à la « démocratie illibérale » prônée par le Premier ministre Viktor Orban. Dans le cas de la Pologne au moins, il y a une reconnaissance croissante de la part des institutions de l’UE et de certains États membres que ses attaques contre la démocratie représentent une menace pour l’UE elle-même. Étant donné que la Pologne et la Hongrie figurent parmi les principaux bénéficiaires des financements de l’UE, un débat commence à s’ouvrir sur la possibilité de conditionner cette aide au respect des valeurs fondamentales de l’UE.

Venezuela

En Amérique latine, le président Nicolás Maduro a continué de saccager la démocratie et l’économie vénézuéliennes sous couvert de défendre les petites gens et de s’opposer à ceux qu’il qualifie d’impérialistes. Mais alors que son régime est devenu plus brutal et autocratique, sa gestion corrompue et incompétente de l’économie est devenue dramatiquement évidente. Cette nation potentiellement riche s’est retrouvée démunie malgré ses vastes réserves pétrolières, et de nombreuses personnes cherchent désespérément à se procurer de la nourriture et des médicaments dans un contexte d’hyperinflation galopante.

Les citoyens sont descendus en masse dans les rues pour manifester. Certains responsables ont quitté le gouvernement. Un nombre sans précédent de pays sud-américains ont surmonté leur réticence traditionnelle à critiquer la répression d’un de leurs voisins. D’autres ont suivi, dont l’UE.

Nicolás Maduro a réussi à se maintenir au pouvoir, essentiellement grâce à la répression violente qu’il a déployée. Tirant parti d’une Cour suprême inféodée et de l’Assemblée constituante qu’il a créée pour prendre en main les pouvoirs législatifs de l’Assemblée nationale contrôlée par l’opposition, il a exercé une répression brutale contre la dissidence. Tandis que le peuple vénézuélien poursuit sa descente vers la pauvreté et la misère, on ignore combien de temps encore il va laisser Nicolás Maduro s’accrocher au pouvoir.

Une lutte qui mérite d’être soutenue

Aucun de ces exemples de résistance aux leaders populistes n’est promis au succès. Une fois en poste, les populistes ont l’avantage considérable de pouvoir exploiter le pouvoir de l’État. Mais la résistance qu’ils rencontrent montre qu’une lutte est en cours, que de nombreuses personnes ne resteront pas tranquillement les bras croisés pendant que les autocrates s’en prennent à leurs libertés et droits fondamentaux.

Populistes et autocrates comblent un vide

En revanche, quand la résistance intérieure a été éliminée et qu’aucune inquiétude n’a été soulevée à l’échelle mondiale, les populistes et autres forces anti-droits humains ont prospéré. Le président Recep Tayyip Erdogan, par exemple, a décimé le système démocratique de la Turquie en toute impunité, alors que l’UE a concentré ses efforts pour s’assurer de son aide afin de stopper l’afflux de réfugiés vers l’Europe. Le président Abdel Fattah al-Sissi a écrasé la contestation publique en Égypte sans grande intervention de la part des États-Unis ou de l’Union européenne. Ceux-ci ont acquiescé aux arguments de la lutte contre le terrorisme et du maintien de la stabilité qu’il leur a servis, même si sa suppression brutale de toute option islamique dans le processus politique du pays était exactement ce que les islamistes militants attendaient.

Bénéficiant d’un apparent feu vert des alliés occidentaux, le nouveau prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, a mené une coalition d’États arabes dans une guerre contre les rebelles houthistes et leurs alliés au Yémen, qui a impliqué le bombardement et le blocus de civils, aggravant considérablement la plus grande crise humanitaire au monde. Désireuse d’endiguer la migration par bateau via la Libye, l’UE – notamment l’Italie – a décidé de former, financer et aider les garde-côtes libyens pour effectuer ce qu’aucun navire européen ne pourrait faire légalement : renvoyer de force les migrants et les réfugiés désespérés vers des conditions inhumaines de travail forcé, de viol et de mauvais traitements violents.

Les efforts de Vladimir Poutine pour étouffer l’opposition à son maintien au pouvoir prolongé ont rencontré peu de résistance de la part des gouvernements étrangers, davantage concentrés sur son comportement en Ukraine et en Syrie qu’au sein de la Russie. Xi Jinping a pu sans grande résistance imposer la répression la plus intense depuis l’écrasement brutal du mouvement démocratique de la place Tiananmen en 1989, parce que les autres nations avaient peur de mettre en péril les contrats chinois lucratifs en cherchant à défendre les droits du peuple chinois.

En fait, lorsqu’ils ont vu que leurs actions à l’intérieur de leurs pays suscitaient peu de réactions au niveau mondial, les gouvernements répressifs se sont enhardis, se permettant de manipuler et paralyser les institutions internationales susceptibles de défendre les droits.

La Chine a arrêté ceux de ses citoyens qui espéraient attirer l’attention des organismes des Nations Unies sur les atteintes aux droits humains dans le pays. La Russie a déposé pas moins de 11 vetos pour bloquer toute tentative du Conseil de sécurité de l’ONU d’examiner les crimes de guerre du gouvernement syrien. La Russie a aussi menacé de se retirer d’un organisme de surveillance européen essentiel sur les droits humains si celui-ci maintenait ses sanctions pour l’occupation de la Crimée, alors que l’Azerbaïdjan a versé des pots-de-vin à certains membres de cet organisme et la Turquie a annoncé qu’elle cesserait sa contribution budgétaire. Le Burundi a menacé de représailles les enquêteurs de l’ONU eux-mêmes.

La Birmanie et les Rohingyas

C’est peut-être en Birmanie que les conséquences de l’absence d’opposition aux attaques populistes contre les droits humains ont été les plus frappantes. La rhétorique nationaliste virulente progressivement propagée par les extrémistes bouddhistes, les officiers supérieurs de l’armée birmane et certains membres du gouvernement civil a contribué à accélérer la campagne de nettoyage ethnique contre les Rohingyas musulmans, suite aux attaques menées par un groupe militant sur des avant-postes de sécurité. Une campagne, conduite par l’armée, de massacres, de viols généralisés et d’incendies criminels massifs dans au moins 340 villages a chassé plus de 640 000 Rohingyas qui se sont réfugiés au Bangladesh voisin pour sauver leurs vies. Il s’agit exactement des crimes que la communauté internationale avait promis de ne plus jamais tolérer.

Cependant, les nations occidentales qui s’intéressaient activement à la Birmanie depuis longtemps ont été réticentes à agir, ne serait-ce qu’en imposant des sanctions financières et des interdictions de voyager aux généraux de l’armée à l’origine de ces crimes contre l’humanité. Cette réticence a en partie été due à la concurrence géopolitique avec la Chine pour s’attirer les faveurs du gouvernement birman.

Les égards indus à Aung San Suu Kyi, dirigeante civile de facto de la Birmanie, ont également joué un rôle important, même si celle-ci n’a pas de contrôle réel sur l’armée et n’a montré aucune volonté de payer le prix politique de la défense d’une minorité impopulaire. Cela a provoqué la fuite massive forcée la plus rapide depuis le génocide rwandais, avec peu d’espoir immédiat de retour sûr et volontaire des Rohingyas ou de poursuites judiciaires à l’encontre des personnes responsables des atrocités qui les ont mis en fuite.

En fin de compte, les nations de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) ont appelé à une session spéciale du Conseil des droits de l’homme de l’ONU où elles ont soutenu une résolution condamnant les crimes contre l’humanité de la Birmanie. L’effort est notable en qu’il a constitué un des rares cas dans lesquels des membres de l’OCI ont appuyé une résolution critiquant un pays en particulier.

La contre-offensive peut porter ses fruits

L’Afrique et la CPI

L’Afrique a certainement apporté une des réponses les plus encourageantes aux autocrates anti-droits humains. L’année était déjà marquante avec le renversement de deux tyrans de longue date. Le président de la Gambie Yahya Jammeh a perdu une élection libre et équitable contre Adama Barrow, et lorsqu’il a refusé de reconnaître les résultats, il a été démis de ses fonctions sous la menace des troupes ouest-africaines.

Le président du Zimbabwe Robert Mugabe a été évincé par un coup d’État, même s’il a été remplacé par son ancien vice-président, Emmerson Mnangagwa, un leader militaire ayant aussi un lourd bilan en matière d’abus. Les deux pays ont connu des manifestations publiques importantes contre ces tyrans de longue date.

La défense africaine des droits humains a été particulièrement impressionnante face aux attaques populistes contre la justice internationale. Il y a un an à peine, de nombreux dirigeants africains, certains avec du sang sur les mains et craignant des poursuites judiciaires, complotaient en vue d’un retrait massif de leurs pays de la Cour pénale internationale. Employant une rhétorique populiste contre ce qu’ils qualifiaient de néocolonialisme, ils ont tenté de dépeindre la CPI comme anti-africaine parce que, ayant pris au sérieux des crimes contre les peuples africains, elle avait concentré son attention sur les dirigeants africains responsables de ces crimes. (Sa portée était aussi limitée par le refus de certains gouvernements de ratifier le traité de la CPI et par la réticence du Conseil de sécurité de l’ONU de déférer d’autres situations pour enquête.)

Toutefois, le retrait massif a fini par échouer quand seul le Burundi s’est retiré de la CPI, dans une tentative au final infructueuse de stopper l’enquête de la Cour sur des crimes contre l’humanité présumés commis sous la présidence de Pierre Nkurunziza alors qu’il a prolongé son mandat de manière violente. La Gambie a annulé son retrait annoncé après la prise de fonction du président Adama Barrow. Les tribunaux sud-africains ont, du moins temporairement, bloqué la tentative de retrait du président Jacob Zuma après qu’il a été inquiété pour avoir ignoré un ordre de la Cour visant à empêcher le président soudanais Omar el-Béchir, sous le coup de mandats d’arrêt de la CPI, de quitter l’Afrique du Sud pendant une visite pour échapper à son arrestation.

Un déferlement de soutien populaire à la CPI venant de groupes civiques en Afrique a contribué à persuader la plupart des gouvernements africains qu’ils devaient rester aux côtés de la Cour. La Procureure de la CPI a aussi cherché à étendre la portée de la Cour en demandant à ses juges la permission d’enquêter sur les crimes commis par tous les camps en Afghanistan, y compris sur la torture perpétrée dans le pays par des soldats et des agents des services de renseignement américains en toute impunité.

Le rôle majeur des petits États

L’année passée, des États de petite et moyenne taille ont manifesté une volonté impressionnante de prendre le leadership lorsque les principales puissances restaient silencieuses face aux atrocités de masse ou tentaient même d’entraver les efforts pour y répondre.

C’est quasiment la première fois que des petits États ouvrent la voie sur des problématiques de droits humains. La CPI, le Traité sur l’interdiction des mines antipersonnel, la Convention sur les armes à sous-munitions, le Protocole facultatif concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés et la Convention internationale contre les disparitions forcées ont tous été largement défendus par des coalitions mondiales d’États de petite et moyenne taille agissant sans ou contre les grandes puissances. Cependant, la volonté de ces voix alternatives d’occuper le devant de la scène a été particulièrement forte l’année passée alors que les principales puissances ont déserté la scène, voire tenté de perturber les efforts mis en œuvre.

Yémen

L’effort au sein du Conseil des droits de l’homme de l’ONU pour ouvrir une enquête internationale indépendante sur les abus au Yémen en est une bonne illustration. Une coalition d’États arabes menée par l’Arabie saoudite a attaqué des civils yéménites, conduit des frappes aériennes sur les maisons, les marchés et les hôpitaux et bloqué l’aide humanitaire nécessaire de toute urgence et l’entrée d’autres marchandises. En conséquence de cela, sept millions de personnes ont dû faire face à la famine et près d’un million de cas suspectés de choléra ont été dénombrés dans le pays.

Les forces houthis adverses et leurs alliés ont aussi utilisé des mines antipersonnel, recruté des enfants soldats et bloqué l’aide humanitaire. Malgré cette situation dramatique, l’idée d’une enquête a reçu au mieux un soutien mitigé de la part des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France, tous d’importants fournisseurs d’armes de l’Arabie saoudite. Aucun d’eux ne souhaitait prendre position publiquement. Face à cette absence de réponse, les Pays-Bas sont intervenus et ont ouvert la voie, avant d’être rejoints par le Canada, la Belgique, l’Irlande et le Luxembourg.

La tâche n’a pas été simple. L’Arabie saoudite a menacé de rompre les liens diplomatiques et économiques avec toute nation soutenant l’enquête. Toutefois, en partie à cause de cette menace, et du message implicite que les pays riches devraient échapper à tout contrôle pour les atrocités qu’ils commettent, l’Arabie saoudite a été contrainte d’accepter l’ouverture d’une enquête de l’ONU lorsqu’il est devenu évident qu’elle perdrait très probablement un vote contesté. Maintenant, l’espoir est que le travail du groupe d’enquêteurs obligera les combattants au Yémen à adopter un meilleur comportement.

Syrie

Dans le cas de la Syrie, les vetos et menaces de veto répétés de la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU, parfois rejoints par ceux de la Chine, ont écarté la seule voie immédiatement disponible vers la Cour pénale internationale. Malgré un effort international croissant pour décourager l’utilisation du veto dans les situations d’atrocités de masse, la Russie et la Chine, ainsi que les États-Unis, ne se sont pas ralliés à ces initiatives.

Pour sortir de cette impasse, l’idée a été lancée de contourner le système de veto du Conseil de sécurité en engageant une action à l’Assemblée générale de l’ONU, où aucun État ne dispose d’un droit de veto. L’impulsion est venue de la minuscule nation du Liechtenstein, qui a réuni une vaste coalition de gouvernements. Avec leur soutien, l’Assemblée générale a fini par voter à 105 voix contre 15 l’instauration d’un mécanisme pour recueillir des preuves et instruire des cas en vue de poursuites en attendant que des instances soient enfin disponibles – un engagement important pour voir la justice rendue. Cela ouvre aussi la porte à une possible création par l’Assemblée générale d’un tribunal spécial pour la Syrie si la Russie continue de bloquer la voie vers la justice devant la CPI.

Cette recherche de preuves est capitale, comme l’a montré l’utilisation continue, par le gouvernement syrien, d’agents neurotoxiques interdits comme le sarin, bien qu’il ait soi-disant renoncé à toutes les armes chimiques après son utilisation notoire de sarin en août 2013 dans la Ghouta orientale. Pour expliquer un incident en avril 2017 dans la ville de Khan Cheikhoun dans le nord-ouest de la Syrie, la Russie a affirmé qu’une bombe conventionnelle syrienne aurait frappé une cache de sarin appartenant aux rebelles. Mais cette théorie a été définitivement démentie et la Russie a réagi en opposant son veto à la poursuite d’une enquête de l’ONU. Lorsqu’un membre permanent du Conseil de sécurité cherche à utiliser son pouvoir pour couvrir les atrocités perpétrées par un allié – dans ce cas, tout en apportant une aide militaire – il est particulièrement important d’explorer les autres moyens de faire respecter les droits les plus fondamentaux.

Philippines

La situation aux Philippines est un exemple particulièrement éhonté et meurtrier d’attaque populiste contre les droits humains. Comme il l’avait fait précédemment en tant que maire de la ville de Davao, le président Rodrigo Duterte a, dès sa prise de fonction, encouragé la police à tuer les personnes soupçonnées de trafic ou de consommation de drogues. Il en est résulté une épidémie de tirs de policiers – souvent décrits comme des « fusillades », mais s’avérant à maintes reprises être des exécutions sommaires – qui a fait plus de 12 000 morts dans l’année et demie environ après la prise de fonction de Rodrigo Duterte. La vaste majorité des victimes étaient de jeunes hommes issus des bidonvilles des grandes villes – des personnes suscitant peu de sympathie parmi de nombreux Philippins.

Le conflit territorial en cours entre la Chine, les États-Unis et les Philippines portant sur la mer de Chine méridionale a laissé peu de place à des préoccupations face à ces exécutions. Donald Trump, comme il l’a fait pour d’autres dirigeants, semblait essentiellement admirer les qualités d’« homme fort » de Duterte.

Au lieu de cela, une pression forte pour stopper le massacre est venue d’un groupe d’États conduits par l’Islande qui ont déposé des déclarations au Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Duterte a essayé de dénigrer ces « cœurs sensibles », mais sous la pression, il a fini par transférer l’autorité pour lutter contre la drogue, au moins pendant un temps, de la police meurtrière à une agence anti-drogue respectant davantage la loi. Quand la police a été retirée des opérations anti-drogue, les exécutions ont nettement chuté.

Droits des femmes

Plusieurs des populistes actuels affichent une tendance misogyne. L’année dernière, la Russie a dépénalisé certains actes de violences domestiques. La Pologne, possédant déjà l’une des lois sur l’avortement les plus restrictives en Europe, limite maintenant l’accès à la contraception d’urgence.

Sous la présidence de Donald Trump, le gouvernement des États-Unis a réintroduit une « règle du bâillon mondial » étendue qui réduit considérablement les financements accordés pour des soins de santé essentiels destinés aux femmes et aux filles à l’étranger.

Toutefois, des voix se sont élevées en réaction. La Marche des femmes, organisée initialement comme une réponse américaine à l’élection de Donald Trump, s’est transformée en un phénomène mondial, alors que des millions de personnes se sont rassemblées pour soutenir les droits humains des femmes.

Le Premier ministre canadien Justin Trudeau et le président français Macron se sont aussi identifiés comme féministes : le Canada a fait de la défense de l’égalité des genres un élément central de ses programmes d’aide et la France a annoncé de nouvelles mesures pour combattre la violence basée sur le genre et le harcèlement sexuel. Les gouvernements néerlandais, belge et scandinaves ont lancé des initiatives pour établir un financement international des droits reproductifs pour remplacer le financement américain manquant du fait de la règle du bâillon mondial et la Suède a mis en place une « politique étrangère féministe » qui accorde la priorité aux droits des femmes et des filles dans des lieux comme l’Arabie saoudite.

Répondant en grande partie à la campagne des défenseurs des droits des femmes, trois États du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord – la Tunisie, la Jordanie et le Liban – ont aboli les dispositions de leurs codes pénaux qui permettaient aux violeurs d’échapper à des sanctions en épousant leur victime.

Droits des personnes LGBT

Les minorités sexuelles et de genre ont été une cible courante des gouvernements cherchant à rallier des partisans conservateurs, souvent pour faire diversion aux échecs de gouvernance. Que ce soit Vladimir Poutine en Russie, Abdel Fattah al-Sissi en Égypte ou Robert Mugabe au Zimbabwe, les dirigeants ont essayé d’attiser une panique morale, allant dans le sens de leur propre intérêt politique, contre les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT). La police en Indonésie, en Tanzanie et en Azerbaïdjan a pris pour cible des personnes LGBT en public et a mené des raids dans des lieux privés en toute impunité.

La persécution accrue des personnes LGBT, sous quelque forme que ce soit, est un bon indicateur du fait que le gouvernement ne parvient pas à répondre aux attentes de la population. Toutefois, l’hypothèse selon laquelle la persécution des personnes LGBT serait inévitablement accueillie par une approbation devient moins certaine.

La plupart des pays d’Amérique latine sont carrément passés dans le camp en faveur des droits des personnes LGBT dans les forums internationaux, rejoignant le Japon ainsi que de nombreux pays européens et d’Amérique du Nord. Au cours des dernières années, le Mozambique, le Bélize, Nauru et les Seychelles ont tous dépénalisé les rapports sexuels entre personnes de même sexe.

Un revirement a même été observé en Russie. La détention, la torture, la disparition forcée et le meurtre d’hommes gays en Tchétchénie par les forces étatiques sous la présidence de Ramzan Kadyrov ont été accueillis avec une telle indignation généralisée que Vladimir Poutine a été contraint de réfréner son violent allié, mettant fin à la purge dans cette république du sud de la Russie. Cependant, il arrive parfois que d’autres priorités interfèrent, comme dans la réponse aux répressions anti-LGBT en Égypte, quand les pays-donateurs ont semblé réticents à soulever ce problème par crainte d’offenser un allié dans la lutte antiterroriste.

Il est temps d’agir, pas de désespérer

La principale leçon de l’année passée est que face aux vents contraires, la défense des droits humains peut porter ses fruits si les efforts appropriés sont faits. Les populistes apportent des réponses superficielles à des problèmes complexes. Cependant, si on leur rappelle que les principes des droits humains sont en jeu, de larges pans de la société peuvent être convaincus de rejeter la stigmatisation des minorités impopulaires véhiculée par les populistes et leurs efforts pour compromettre l’équilibre des pouvoirs contre les abus étatiques.

Le repli sur soi des puissances occidentales engendré par la lutte autour de valeurs populistes a conduit à un monde de plus en plus fragmenté où, trop souvent, les atrocités de masse ne suscitent pas de réaction. Néanmoins, des pays de petite et moyenne taille attachés aux grands principes peuvent faire une différence quand ils unissent leurs forces et agissent de manière stratégique.

Une juste évaluation des perspectives globales concernant les droits humains devrait susciter la préoccupation plutôt que la capitulation, un appel à l’action plutôt qu’un cri de désespoir. Alors que nous entrons dans le 70ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le défi sera de saisir les opportunités considérables qui demeurent pour lutter contre ceux qui veulent réduire à néant les progrès âprement accomplis.

Les normes de droits humains fournissent des directives, mais ne peuvent être opérationnelles qu’avec des porte-drapeaux parmi les gouvernements et le grand public. Chacun de nous a un rôle à jouer. L’année écoulée montre que les droits peuvent être protégés face aux attaques populistes. Le défi consiste désormais à renforce