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Des enfants derrière les barreaux

Recours excessif à la détention de mineurs à travers le monde

La porte d'une cellule à la prison centrale de Lusaka. Les enfants sont régulièrement incarcérés pour des infractions mineures en Zambie, et souvent détenus avec des adultes, ce qui les expose au risque de subir des violences sexuelles et d'autres abus.

© 2010 João Silva

En février 2012, peu de temps après son incarcération à la prison du comté de Polk en Floride, un adolescent de 16 ans, T.W., a été brutalisé par ses trois voisins de cellule : après l’avoir roué de coups et battu à coup de serviettes mouillées, ses agresseurs l’ont à moitié étranglé avec une taie d’oreiller. Puis ils lui ont uriné dessus et versé du détergent ménager sur le visage. Après l’avoir déshabillé, ils lui ont noué un drap autour du cou, ont fait un second nœud à un barreau de fenêtre et ont serré jusqu’à ce que T.W. perde connaissance. D’après le juge fédéral, ces violences se sont renouvelées à trois reprises en quelques heures, sans qu’aucun gardien de prison ne remarque quoi que ce soit.

Dans le monde entier, des enfants se morfondent derrière des barreaux, parfois pendant des périodes prolongées. Comme T.W., ils sont exposés dans bien des cas à des brutalités et des conditions inhumaines. Le manque de données fiables et le grand nombre d’institutions concernées font que le nombre total d’enfants privés de liberté dans le monde n’est pas connu avec précision. Pour sa part, l’UNICEF estime qu’au moins un million d’enfants dans le monde sont derrière des barreaux. Beaucoup d’entre eux sont détenus dans des conditions déplorables et dégradantes, sont victimes d’abus, sont privés d’éducation et d’accès à des activités constructives, et n’ont aucun contact avec le monde extérieur. Beaucoup de ces enfants—ainsi que des adultes qui ont été condamnés pour des infractions commises alors qu’ils étaient mineurs—ont été condamnés à des peines disproportionnées, en violation du droit international, en vertu duquel « la détention ou l'emprisonnement d'un enfant doit être en conformité avec la loi, n'être qu'une mesure de dernier ressort, et être d'une durée aussi brève que possible ».

D’autres sont en détention pour des agissements qui ne devraient même pas constituer des infractions : absentéisme, fugue, rapports sexuels consensuels, avortement ou tentative d’avortement. Certains n’ont jamais bénéficié d’un procès ; d’autres ont été jugés comme s’ils étaient adultes et, une fois condamnés, sont emprisonnés avec des adultes.

Des migrants mineurs sont régulièrement détenus dans des centres de rétention pour migrants, en violation des normes internationales. Des enfants handicapés sont institutionnalisés en guise de « protection ».

Un rapport des Nations Unies, qui devrait être finalisé en 2017, promet de mettre le projecteur sur la détention des enfants. Il devrait conduire à une meilleure surveillance des pratiques abusives, un plus grand respect des normes internationales, et une réduction significative du nombre d’enfants privés de liberté.

Mais les gouvernements ne devraient pas attendre la publication de ce rapport ; ils devraient d’ores et déjà agir pour mettre en place des solutions alternatives à la détention, et s’assurer que les enfants devant être incarcérés soient détenus dans des conditions humaines, et bénéficient d’un accès à l’éducation, aux services de santé, à des activités récréatives et à des contacts avec le monde extérieur.

Détention et incarcération pour infractions

La plupart des pays ne disposent pas de statistiques précises sur le nombre d’enfants incarcérés pour infraction à la loi. Il est d’autant plus difficile d’estimer le nombre d’enfants derrière des barreaux que certains gouvernements ont recours à différents types d’établissements, y compris des prisons pour adultes et des centres de détention pour mineurs.

On sait toutefois que, dans le monde industrialisé, les États-Unis ont le plus grand nombre—et le taux le plus élevé—d’enfants incarcérés dans des centres de détention pour mineurs. En 2011, ils étaient plus de 60 000, d’après des données recueillies par la Fondation Annie E. Casey, spécialiste de la justice des mineurs et des droits de l’enfant. Les États-Unis envoient également un nombre d’enfants considérable dans des prisons pour adultes : plus de 95 000 en 2011, selon les estimations de Human Rights Watch et de l’American Civil Liberties Union, avec peu d’opportunités d’accès à l’éducation ou de réinsertion.

Quels que soient les chiffres, les raisons de ne pas mettre des enfants en prison sont multiples.

Premièrement, la Convention relative aux droits de l’enfant dispose que la détention d’un enfant ne doit être qu’une mesure de dernier ressort. Or, trop souvent, il s’agit d’une mesure de premier ressort, voir même d’unique ressort, parce qu’il n’existe d’alternative ni en droit ni en pratique.

Deuxièmement, des enfants sont souvent poursuivis et détenus pour des actes qui ne devraient pas constituer des infractions pénales. Par exemple, les enfants des rues sont souvent présumés coupables d’actes répréhensibles et arrêtés sur la base de vagues accusations—ou sans même faire l’objet d’une accusation, comme Human Rights Watch l’a constaté en Ouganda et au Cambodge, entre autres.

Nombre de pays mettent des enfants en détention pour simple désobéissance ou pour des infractions relatives à leur statut de mineurs, autrement dit des agissements qui ne seraient pas constitutifs d’une infraction s’ils étaient commis par un adulte. En 2010, aux États-Unis, 6 000 enfants étaient détenus pour des motifs tels que l’absentéisme scolaire, une fugue, un comportement « incorrigible », la consommation d’alcool (interdite aux moins de 21 ans) ou le non-respect d’un couvre-feu, selon une étude de la Texas Public Policy Foundation.

Les filles peuvent subir des restrictions spécifiques à leur liberté de mouvement, sous peine de sanctions pénales. Ainsi, en Arabie saoudite, les filles—tout comme les femmes d’âge adulte—risquent l’emprisonnement et la flagellation pour des infractions mal définies telles que « l’isolement volontaire » (« seclusion ») ou des « fréquentations illégales », agissements ainsi décrits à Human Rights Watch par un représentant du gouvernement : « le fait d’être seule dans son appartement, ou en groupe, ou de fréquenter un endroit qui n’est pas naturel pour une femme ».

Dans certains pays comme le Pérou et le Mexique, ainsi que dans certains États américains, les enfants peuvent faire l’objet de poursuites pénales pour relations sexuelles consenties— particulièrement, dans le cas des États-Unis, s’il s’agit d’un partenaire du même sexe. Dans bien des pays, la législation contre la prostitution permet d’arrêter, de détenir et d’emprisonner des enfants qui se prostituent pour survivre (en échange de nourriture, d’abri ou d’argent pour subvenir à leurs besoins de base). Au Chili, au Salvador, en Équateur, au Pérou et aux Philippines, entre autres, une jeune fille peut être poursuivie pour avortement ou tentative d’avortement—même à la suite d’un viol.

Troisièmement, des enfants sont condamnés à des peines prohibées en droit international. Ainsi, le droit international interdit strictement la peine de mort pour des actes commis avant l’âge de 18 ans.

Malgré cette interdiction, le Secrétaire général des Nations Unies a rapporté en février 2015 qu’au moins 160 personnes se trouvaient dans le couloir de la mort en Iran pour des crimes commis avant l’âge de 18 ans. Depuis 2010, des délinquants mineurs ont été condamnés à mort en Égypte, en Iran, aux Maldives, au Pakistan, en Arabie saoudite, au Sri Lanka, au Soudan et au Yémen. Au Nigéria, des personnes condamnées à mort avant 2010 pour des actes commis avant leur majorité risquent encore l’exécution.

Le droit international exige également que la durée de détention soit aussi brève que possible et que la peine prononcée soit proportionnée aux circonstances et à la gravité de l’infraction, ainsi qu’aux circonstances individuelles et aux besoins de l’enfant. L’exécution de la peine doit pouvoir faire l’objet d’un examen prompt, régulier et réel, avec possibilité de libération conditionnelle ou sous contrainte. Malgré cela, des jeunes reçoivent des condamnations à vie dans 73 pays, y compris les États-Unis, et dans 49 des 53 pays du Commonwealth, selon une récente étude de l’ONG Child Rights International Network.

Quatrièmement, les enfants issus de minorités sont souvent arrêtés et condamnés de façon disproportionnée. Dans certains pays, les disparités de traitement entre les minorités et les enfants issus de groupes majoritaires augmentent même à chaque étape de la procédure, de l’arrestation à la détention provisoire, de la condamnation à la libération conditionnelle : c’est ce qui ressort notamment d’études sur les jeunes Aborigènes en Australie et sur les jeunes Noirs aux États-Unis.

Cinquièmement, juger des enfants en tant qu’adultes pose des problèmes supplémentaires. Tous les pays n’ont pas encore mis en place un système judiciaire pour mineurs, en dépit de l’obligation que leur impose le droit international. En Zambie, par exemple, l’absence d’un système de justice pour mineurs signifie que les jeunes délinquants peuvent attendre des mois, voire des années, que leur cause soit entendue.

Parmi les pays qui ont un système de justice pour mineurs, certains traitent néanmoins les adolescents les plus âgés comme s’ils étaient adultes. Cela peut se faire à titre systématique, en fixant à moins de 18 ans l’âge minimum pour le système pénal ordinaire, comme c’est le cas à Cuba, en Éthiopie, en Jamaïque, à Hong Kong, dans les Philippines, en Ukraine, au Queensland (Australie) ou dans l’État de New York, entre autres.

Cela peut également se faire de manière arbitraire, comme en Arabie saoudite et dans d’autres pays du Moyen-Orient où le juge peut décider de traiter un enfant comme un adulte dès lors qu’il montre des signes de puberté. Aux États-Unis, le système pénal, que ce soit celui des États ou de la fédération, permet de poursuivre certains mineurs devant les juridictions pénales ordinaires, en fonction de leur âge et de la gravité de l’infraction.

À l’heure de la rédaction de ce chapitre, le Brésil et l’Inde envisagaient d’abaisser l’âge légal de la majorité pénale pour certaines infractions, autrement dit l’âge minimum pour être jugé par les cours pénales ordinaires. Si ces projets de loi sont adoptés dans leur forme actuelle, des adolescents de 16 ans pourraient être jugés par des tribunaux pour adultes.

La détention comme moyen de contrôle de l’immigration

Lorsque Beatriz L. a fui le Honduras vers les États-Unis avec son fils de 11 ans, peu après que des gangs aient tenté de le recruter de force, son fils et elle ont été placés en détention dans un centre pour familles de migrants pendant plus de 10 mois. Beatriz a déclaré à Human Rights Watch que son fils s’était mis à dormir toute la journée, et lui avait dit: « Maman, je veux juste dormir jusqu’à ce qu’on soit libres. »

Les normes internationales relatives aux demandes d’asile prévoient que la détention doit être évitée. Dans le cas des mineurs, la Convention relative aux droits de l’enfant s’applique également. Cette dernière dispose que la détention ou l'emprisonnement d'un enfant n’est qu'une mesure de dernier ressort, et doit être d'une durée aussi brève que possible. Le Comité sur les droits de l’enfant a plusieurs fois demandé instamment à différents gouvernements de mettre fin rapidement et complètement à la détention d’enfants sur la base du statut migratoire de leurs parents. De plus, la détention d’enfants sur la seule base du statut migratoire de leurs parents est contraire à l’interdiction contre la détention arbitraire.

Néanmoins, de nombreux pays continuent de placer des enfants en détention comme moyen d’application de leur politique d’immigration.

Ainsi, l’Australie a mis en place en 1992 un programme de détention obligatoire pour tous les demandeurs d’asile. En octobre 2015, il y avait 112 enfants dans des centres de détention situés sur le territoire australien. En outre, 95 autres enfants étaient en détention au centre de traitement des demandes d’asile de l’île de Nauru. Des enquêtes menées par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), la Commission australienne des droits de l’homme et d’autres instances ont révélé l’existence de graves problèmes au centre de détention de Nauru, tels que pénuries d’eau, manque de chaussures et de vêtements, surpeuplement et mauvaises conditions d’hygiène, avec épidémies de poux, de gastroentérites et d’infections dermatologiques. En 2015, des rapports accablants ont même révélé que des enfants avaient été victimes d’abus sexuels de la part du personnel du centre et d’autres détenus au cours des deux dernières années.

Aux États-Unis, depuis mai 2014, l’administration Obama a fortement augmenté la capacité d’accueil des centres de détention pour migrants, de 100 à plus de 3 000 lits, avec l’objectif affiché de décourager les migrants d’Amérique centrale de passer par le Mexique. Depuis, l’administration semble être revenue sur cet objectif, tout au moins dans les procédures individuelles. Néanmoins, elle continue de soutenir, devant les tribunaux fédéraux, que le système de détention familiale reste nécessaire pour empêcher une immigration massive.

En Thaïlande, la législation permet la détention illimitée de tous les réfugiés, y compris les Rohingya et autres ethnies minoritaires du Myanmar, les minorités Uighurs de Chine, les Pakistanais et les Somalis. Des enfants migrants sont enfermés dans des cellules sordides sans accès à une nourriture suffisante ni accès à l’éducation ou à une activité physique. Des enfants ont dit à Human Rights Watch qu’ils devaient parfois dormir debout par manque de place. D’après une mère de famille, il n’y a que trois toilettes pour 100 migrants. Sa fille adolescente se retient d’y aller car elles n’ont même pas de porte.

Ailleurs dans le monde, Human Rights Watch et d’autres organisations ont documenté la détention en masse d’enfants migrants, notamment en Indonésie, en Malaisie et au Mexique.

La détention au nom de la sécurité nationale

Des enfants considérés comme une menace sécuritaire sont placés en détention administrative ou militaire, systèmes moins contrôlés que le système judiciaire pour mineurs et le système pénal ordinaire.

Parmi ces enfants se trouvent d’anciens enfants soldats ayant été capturés, s’étant rendus ou ayant été démobilisés, bien que les normes internationales appellent les gouvernements à traiter ces enfants comme des victimes et à les réhabiliter. Ainsi, des enfants sont détenus en grand nombre en Afghanistan, en République démocratique du Congo, en Irak, en Somalie et en Syrie du fait de leur association présumée avec des groupes armés ou extrémistes. La Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies, Mme Leila Zerroughi, s’est déclarée préoccupée du fait que, dans 17 dans 23 conflits analysés dans son rapport de 2014, des enfants sont placés en détention du fait de leur association présumée avec des groupes armés.

Chaque année, Israël arrête, emprisonne et poursuit devant les tribunaux militaires quelque 500 à 700 enfants palestiniens soupçonnés d’infractions pénales dans les territoires occupés, selon l’organisation Défense internationale des enfants. Israël est le seul pays à poursuive automatiquement des enfants devant la justice militaire. En 2015, Human Rights Watch a constaté que les forces de sécurité israéliennes font un recours excessif à la force lors de l’arrestation et de la détention d’enfants palestiniens, dont certains âgés d’à peine 11 ans, dans les territoires occupés. Lors de leur arrestation ou de leur interrogatoire, des enfants reçoivent coups de pied et coups de poing, sont immobilisés par strangulation, reçoivent des menaces ou sont interrogés sans la présence ni de leurs parents ni d’un avocat.

D’autres pays font juger des enfants par des tribunaux militaires. En Égypte, par exemple, des dizaines d’enfants arrêtés ces deux dernières années pour infractions politiques sont jugés par la justice militaire.

La détention à titre de soins ou de traitement

Des enfants sont également placés en détention pour « traitement » ou pour « réhabilitation », ou encore pour « gérer » leur handicap.

Au Cambodge, un millier de personnes sont détenues dans huit centres de traitement pour toxicomanes. D’après les derniers chiffres officiels publiés, au moins un détenu sur dix est mineur. Dans ces centres, enfants comme adultes sont victimes d’abus, y compris des traitements cruels, inhumains et dégradants et même des tortures.

Ainsi, RoamChoang était âgé de moins de 18 ans lorsqu’il a été placé en détention dans un centre pour toxicomanes dirigé par des militaires, dans la province de Koh Kong. Durant ses 18 mois de détention, il a été enfermé dans une pièce, et même enchainé à son lit pendant la première semaine. Ensuite, il a été contraint d’effectuer des exercices physiques tous les matins. Les soldats, qui le battaient dès qu’il s’endormait, lui ont dit que la transpiration l’aiderait à se sevrer de la drogue.

Au Laos et au Vietnam, de nombreux enfants sont en détention dans des centres pour toxicomanes. Au Vietnam, les détenus, enfants comme adultes, sont forcés à travailler, et sont victimes de coups et de torture. La véritable raison d’être de ces centres est d’enfermer et de punir les pauvres et les marginaux. Au Cambodge, des enfants sont placés dans ces centres non pas parce qu’ils consomment de la drogue mais parce qu’ils sont arrêtés pour « nettoyer les rues ». De même, le Laos utilise le centre de détention de Somsanga, qui a reçu des subventions de l’Ambassade des Etats-Unis à Vientiane, pour y parquer les enfants des rues et toute autre personne considérée comme indésirable.

Ailleurs dans le monde, des enfants des rues sont souvent arrêtés et placés en détention arbitraire, parfois sur la base de vagues dispositions pénales.

De nombreux pays enferment les enfants handicapés, sous prétexte de « traitements » mais, en réalité, en raison du manque de services de santé communautaires et de soutien aux familles. En Russie par exemple, les enfants handicapés sont trop souvent placés dans des institutions peu après leur naissance. Là, ils peuvent être attachés à leur lit, et ne reçoivent ni attention, ni accès à l’éducation, ni soins de santé ni même une nourriture suffisante. Human Rights Watch a également constaté ce type d’abus en Croatie, en Grèce et en Inde, pour ne citer que quelques exemples récents.

Certains enfants sont enfermés à cause de handicaps psychosociaux, réels ou perçus comme tels. Ainsi, Human Rights Watch a constaté qu’au Ghana, des enfants, dont certains avaient à peine 5 ans, sont enchaînés avec des adultes dans des soi-disant « camps de prière » (ou centres de guérison spirituelle) : enchaînés à un arbre ou un poteau avec une lourde chaîne métallique, ils sont privés d’eau, de nourriture et d’abri, et séparés de leur famille.

Impact de la détention et de l’emprisonnement

La détention a de terribles répercussions sur les enfants, particulièrement sur leur santé physique et morale. La torture et les maltraitances infligés par les gardiens sont un risque dans toutes les formes de détention, particulièrement pour les enfants détenus pour des raisons sécuritaires.

Les enfants font également face au risque de violences et d’abus de la part d’autres détenus, parfois à l’instigation des gardiens, ou leur accord tacite. En Australie par exemple, un rapport accablant publié en septembre 2015 par le Commissaire pour les enfants des Territoires du Nord-Ouest a révélé que des enfants en détention étaient mis en isolement dans des lieux exigus pendant des périodes pouvant aller jusqu’à trois semaines, et soumis à un usage excessif de la force. En Floride, deux mineurs sont morts en prison en février et en septembre 2015, après avoir été battu par d’autres détenus mineurs. Il s’agissait peut-être d’un arrangement avec les gardiens pour obtenir de la nourriture.

Le risque d’abus sexuels existe tant pour les garçons que pour les filles, surtout quand les enfants sont détenus avec des adultes.

De manière générale, il existe moins d’établissements pour filles, qui sont moins souvent placées en détention que les garçons. Lorsqu’elles sont placées en détention, c’est souvent loin de leur famille et de leur communauté, ou avec des adultes. Certains centres de détention n’ont pas de sanitaires suffisants, et les jeunes filles n’ont parfois pas le nécessaire pour leurs règles. La promiscuité et l’absence de portes dans les toilettes et salles de bain aggravent le risque d’abus sexuel.

Les établissements où les enfants sont placés en détention ne sont souvent guère plus que des entrepôts. Les enfants détenus pour délinquance, pour raisons sécuritaires ou en raison de leur statut migratoire n’ont souvent aucun accès à des services éducatifs. Les enfants privés de liberté sous prétexte de protection ou de soins, notamment les enfants handicapés, sont souvent privés d’un accès à l’éducation et aux autres services dont ils ont besoin. Les enfants incarcérés en raison sur la base d’une infraction pénale sont trop souvent placés dans des établissements qui n’ont ni le personnel ni les infrastructures nécessaires pour fournir des cours sur la gestion de la colère, des cours d’aptitude à la vie quotidienne, des conseils personnalisés et autres formes d’aide à la rééducation.

Les enfants de demandeurs d’asile qui sont placés en détention présentent des taux particulièrement élevés d’anxiété, de dépression et de troubles de stress post-traumatique, ainsi que l’ont révélé des études effectuées en Australie, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Leur détention peut conduire ces enfants à abandonner leur demande d’asile bien qu’ils aient besoin d’une protection internationale.

Alternatives à la détention

Pour que la privation de liberté soit réellement utilisée en dernier ressort, les gouvernements devraient mettre en place et recourir à de véritables alternatives.

En matière de justice, il s’agit de mettre en place des procédures et des programmes alternatifs, tels que régime de mise à l’épreuve, médiation, conseils personnalisés, service communautaire et, là où c’est nécessaire, des établissements ouverts qui fournissent aux enfants une structure et une supervision mais leur permettent d’aller à l’école dans la communauté et de rentrer chez eux certains week-ends.

Pour les enfants migrants et leur famille, il serait à tous points de vue préférable de mettre en place des alternatives de type communautaire, autrement dit le logement dans un cadre qui permette aux demandeurs d’asile, réfugiés et autres migrants d’aller à l’école, de travailler et d’avoir des rapports avec les autres, ainsi que l’ont montré des programmes de gestion des cas en Australie, au Canada, en Indonésie, en Thaïlande, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.

Ces programmes sont plus sains et moins coûteux, et les migrants ainsi logés se présentent à leur audience avec un taux comparable à ceux qui sont placés en détention. Les États devraient également faire plus pour placer les enfants migrants non accompagnés auprès de membres de leur famille présents dans le pays d’accueil, ou dans des pays tiers.

Les enfants toxicomanes devraient recevoir des soins et des traitements appropriés. Le placement obligatoire dans des centres de détention ne peut pas être considéré comme une forme de « traitement » ni une « alternative à l’emprisonnement ». Conformément aux demandes du Rapporteur spécial sur la torture et de douze organismes des Nations Unies, les États devraient immédiatement fermer tous les centres de détention pour toxicomanes.

Les enfants handicapés devraient avoir le droit de vivre dans leur communauté, avec un soutien adéquat pour eux-mêmes et leur famille. Lorsqu’un placement institutionnel est réellement nécessaire, ce devrait être avec un protocole thérapeutique strict, y compris des normes sévères sur les traitements sans consentement. Les enfants handicapés devraient recevoir un soutien, notamment juridique, approprié pour leur permettre de prendre les décisions les plus importantes relativement à leur vie, y compris leur traitement médical, et devraient avoir de réelles possibilités de contester leur placement en institution.

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Ces dernières années ont vu des évolutions favorables : des enfants qui auparavant auraient été placés en détention ne le sont plus. Aux États-Unis notamment, le nombre d’enfants placés dans des centres de détention pour mineurs a régulièrement et considérablement baissé entre 1996 et 2011, dernière année pour laquelle on dispose de données complètes. En Californie, une loi adoptée en 2014 a offert la liberté conditionnelle à des milliers de délinquants qui avaient moins de 18 ans au moment des faits incriminés mais avaient été jugés et condamnés comme des adultes. En 2015, une nouvelle loi a rendu éligible à une libération conditionnelle les jeunes âgés de 22 ans ou moins à l’époque de l’infraction.

Plusieurs pays ont accepté de mettre fin ou de réduire considérablement le recours à la détention d’enfants migrants. La Finlande, Malte et le Royaume-Uni ont publiquement pris l’engagement de mettre fin à cette pratique, tandis que la France et Israël ont pour politique de limiter la détention d’enfants migrants à des « circonstances exceptionnelles ». Le Panama, le Japon, la Turquie et Taïwan ont adopté des lois interdisant la détention des enfants migrants. Depuis 2004, la cour suprême d’Afrique du Sud, dans une série de décisions, a décidé que les enfants migrants ne pouvaient être placés en détention qu’en dernier ressort.

En février 2015, une cour fédérale a demandé que les officiers de l’immigration américains commencent à évaluer les familles demandeuses d’asile au cas par cas pour les libérer. En juin 2015, grâce à des plaidoyers soutenus de la part de Human Rights Watch et d’autres organisations, l’administration américaine s’est engagée à libérer rapidement une majorité des familles demandant l’asile à condition qu’elles puissent présenter une demande d’asile fondée à première vue. Toujours en 2015, une autre cour fédérale a jugé que les enfants ne pouvaient pas être détenus pendant de longues durées dans des établissements comparables à des prisons qui n’ont pas de permis pour accueillir des enfants.

En 2010, en réponse à des informations fournies par Human Rights Watch, l’UNICEF a enquêté au centre de détention cambodgien de Choam Chao, qu’il subventionnait depuis 2006. Après avoir conclu à l’existence d’abus, l’UNICEF a demandé la libération de tous les enfants détenus dans des centres de détention pour toxicomanes au Cambodge. En réponse, le gouvernement a cessé d’envoyer des enfants dans ce centre et l’a fermé peu de temps après.

Ces exemples montrent que les gouvernements peuvent faire beaucoup plus pour mettre fin au recours généralisé à la détention et à l’incarcération d’enfants. Enfermer les enfants est souvent inutile et contre-productif, et cause d’abus. Il est temps que les États le reconnaissent et mettent fin à ces pratiques illégales.

Michael Bochenek est conseiller juridique senior auprès de la division Droits des enfants à Human Rights Watch.