Les attaques contre des civils sont restées un phénomène généralisé et très préoccupant en République centrafricaine en 2014, en dépit d’une baisse des violences par rapport à l'année précédente. Les violences sectaires entre les rebelles de la Séléka, majoritairement musulmans, et les « anti-balaka », un groupe caractérisé par la haine qu’il voue aux musulmans, ont débordé des régions occidentales du pays et gagné le centre et l'est. Des témoins des deux camps ont régulièrement souligné le caractère de représailles de ces attaques, reflétant un cycle de règlements de comptes meurtriers qui ne fait que s’intensifier. Fin 2014, des milliers de civils avaient été tués par les deux camps, et plus de 800 000 personnes déplacées avaient dû quitter leur foyer, parmi lesquels 415 000 environ, pour la plupart musulmans, ont passé les frontières pour chercher refuge dans les pays voisins. Un gouvernement de transition, dirigée par la Présidente par intérim Catherine Samba-Panza, nommée en janvier, s'est efforcé avec difficulté d'instaurer la sécurité. Un accord de cessez-le-feu signé par les groupes armés au mois de juillet est globalement resté lettre morte.
En avril, le Conseil de sécurité des Nations Unies a approuvé la création d’une nouvelle mission de maintien de la paix pour la République centrafricaine, connue sous le nom de MINUSCA, pour protéger les civils, faciliter l'accès des humanitaires, et pour contrôler, rapporter et enquêter sur les violations des droits humains. La MINUSCA a pris le relais de l'Union africaine (UA) le 15 septembre, intégrant dans ses rangs 4 800 soldats issus de l’UA, et a commencé à déployer des troupes supplémentaires. Au moment de la rédaction de ce chapitre, 8 500 soldats avaient été mobilisés, sur un total potentiel de 11 800. Environ 2 000 soldats de la paix français, dont le déploiement avait été approuvé par le Conseil de sécurité fin 2013, sont restés dans le pays.
Si les forces de maintien de la paix de l'UA ont assuré une protection cruciale pour les civils pendant la période où ils étaient déployés, certains d’entre eux ont également commis de graves violations des droits humains. Ceux qui étaient accusés de tels actes n'ont cependant pas été intégrés à la MINUSCA, selon le Département des opérations de maintien de la paix de l’ONU.
La lutte contre l'impunité et la réinstauration de l'État de droit restent des problématiques cruciales. En septembre, la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé l’ouverture d’une enquête sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis dans le pays depuis 2012, après avoir été saisie par la Présidente par intérim Catherine Samba-Panza.
Attaques menées par les rebelles de la Séléka
La Séléka (qui signifie « alliance » en sango, la principale langue du pays), un groupe rebelle majoritairement musulman à l’origine du coup d'État de mars 2013, a été chassée du pouvoir en décembre de la même année, suite au déploiement de forces de maintien de la paix françaises. La Séléka a transféré sa base militaire à Bambari, une ville du centre du pays, depuis laquelle ses combattants se sont efforcés de prendre le contrôle des régions de l'est et du nord.
La Séléka a continué à mener des attaques brutales contre les civils, souvent sous le prétexte de viser ses ennemis, les combattants anti-balaka. Les forces de la Séléka ont détruit des villages, commis des pillages massifs, et violé des femmes et des jeunes filles. Le 26 septembre par exemple, des combattants de la Séléka, aidés par des bergers appartenant à l'ethnie peule, ont tué huit personnes et blessé au moins 10 autres – pour la plupart des jeunes enfants – dans le village de Bowai, au nord-est de Bossangoa. Lors d'une attaque similaire en juin à Liwa, près de Bambari, des rebelles de la Séléka accompagnés de Peuls ont tué au moins 10 personnes et incendié tout le village. Des civils ont aussi été attaqués dans leurs villages ou aux environs à proximité des routes que les rebelles de la Séléka considèrent stratégiques. En juin, des dizaines de civils ont été tués à Bakala et dans les environs, juste au nord de Bambari, et à proximité de plusieurs mines d'or. Plusieurs victimes ont été ligotées avant que les membres de la Séléka ne leur tranchent la gorge.
Des factions rivales au sein de la Séléka se sont disputé le contrôle du groupe, s'affrontant parfois lors de nouvelles attaques armées, qui ont fait plusieurs dizaines de morts parmi les combattants de la Séléka à Bambari, au mois de septembre. De nombreux civils ont également été tués lors de ces attaques.
Attaques menées par les anti-balaka
Les anti-balaka, un ensemble de groupes armés locaux apparu à la mi-2013 pour combattre la Séléka, ont continué à mener des attaques de représailles massives contre les civils musulmans, et par la suite, contre des non-musulmans. La majorité des musulmans a fui la capitale et l'ouest du pays. Des milliers d'entre eux sont restés piégés dans des enclaves, comme Carnot et Boda, où ils vivaient dans des conditions précaires alors que les forces de maintien de la paix tentaient de leur offrir une forme de protection. En février, au moins 72 civils musulmans ont été tués par les forces anti-balaka dans le sud-ouest du pays. Lors d'un incident le 5 février à Guen, les anti-balaka ont attaqué une propriété où s’étaient réfugiés des centaines de musulmans. Les attaquants ont séparé environ 45 hommes en deux groupes, les ont conduits à l'extérieur de la propriété, les ont forcés à s'allonger au sol, et les ont exécutés. Les agresseurs ont poursuivi les musulmans en fuite jusqu'à la ville voisine de Djomo, où beaucoup de ces derniers ont cherché refuge dans une église catholique. Les anti-balaka ont continué à s'en prendre à eux jusque dans ces lieux.
Les anti-balaka ont également agressé des musulmans dans les régions du centre et de l'est. En juin, les forces anti-balaka ont attaqué une communauté peule à Ardondjobdi, près de Bambaru, alors que les hommes terminaient la prière du matin. Au moins 20 personnes ont été tuées, parmi lesquelles des femmes et des enfants, dont la plupart ont été blessés à coups de machette à la tête et au cou. Trois des victimes ont eu la gorge tranchée alors qu'elles se trouvaient toujours à l'intérieur de la mosquée locale.
Réfugiés et personnes déplacées à l'intérieur du pays
La situation des quelque 800 000 réfugiés et personnes déplacées à l'intérieur du pays est restée préoccupante ; peu d'entre eux seulement se sont sentis suffisamment en sécurité pour rentrer chez eux. Dans les régions de l'ouest, environ 12 000 civils musulmans ont survécu dans des enclaves isolées protégées par l'UA puis par les Casques bleus des Nations Unies, trop terrorisés pour retourner chez eux. A Bangui, les civils habitant l'un des plus vastes quartiers musulmans, connu sous le nom de « 5 Kilo », sont restés isolés du reste de la ville, craignant d'être attaqués s'ils quittaient la zone.
Les camps de déplacés et les autres endroits où les civils avaient cherché refuge ont subi de fréquentes attaques des combattants armés des deux camps. Le 28 mai, un camp de déplacés du quartier de Fatima à Bangui a été attaqué par des musulmans armés venus de 5 Kilo, après un raid des combattants anti-balaka dans l’enclave musulmane. A Bambari, au moins 27 civils ont été tués par les combattants de la Séléka et leurs alliés au mois de juillet, alors qu’ils cherchaient refuge dans un camp de déplacés installé dans la paroisse Saint-Joseph et la résidence adjacente de l’évêque. Dans les deux cas, des forces de maintien de la paix françaises et de l’UA étaient stationnées à quelques kilomètres de là, mais se sont montrés incapables de réagir assez vite pour protéger les civils.
Le manque d’aide humanitaire reste un des principaux problèmes des personnes déplacés. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU ainsi que d’autres organisations humanitaires ont dénoncé l’insécurité, qui constitue le principal obstacle à la distribution d’une aide vitale pourtant urgemment nécessaire.
Forces de l’Union africaine
Des membres des forces de maintien de la paix de l’UA ont été impliqués dans des violations des droits humains, et notamment des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires.
Des soldats originaires de la République du Congo, participant aux opérations de maintien de la paix sous l’égide de l’UA, se sont rendus responsables d’au moins deux incidents graves impliquant des exactions. Le 22 décembre 2013, des soldats de la République du Congo ont torturé à mort deux combattants anti-balaka qui se trouvaient en détention, en représailles suite à la mort d’un soldat issu de leurs propres rangs. Le 24 mars, des soldats de la République du Congo ont exécuté sommairement 11 à 18 personnes à Boali, parmi lesquelles des combattants anti-balaka mais aussi des civils, suite à une attaque des anti-balaka dans laquelle ils avaient perdu un de leurs hommes. L’UA a suspendu les deux commandants responsables des soldats de chacune de ces sections, a réaffecté les troupes dans d’autres zones, et a déclaré publiquement son intention d’ouvrir une enquête. A l’heure où nous écrivons, les efforts d’identification des responsables de ces massacres n’ont guère avancé.
En mars, des soldats de la paix tchadiens participant à la mission de l’UA ont été accusés par le gouvernement centrafricain de transition d’avoir ouvert le feu sans discernement sur des civils dans le quartier de PK12, à Bangui, faisant des dizaines de morts. Suite au tollé général provoqué par cet incident, le gouvernement tchadien a retiré ses 850 soldats de la mission de maintien de la paix de l’UA.
Initiatives nationales en faveur de la justice
Le 9 avril, la Présidente par intérim Catherine Samba-Panza a publié un décret instituant une cellule d’enquête spéciale pour instruire et poursuivre en justice les crimes graves commis dans le pays depuis 2004. La mission de maintien de la paix de l’ONU et le gouvernement de transition se sont également concertés au sujet de la création d’un mécanisme judiciaire, qui permettrait à la justice du pays de travailler conjointement avec les acteurs internationaux pour lutter contre l’impunité.
En août, la mission de maintien de la paix et le gouvernement ont signé un Protocole d’accord portant création d’une Cour pénale spéciale, chargée de juger les violations graves des droits humains et les violations du droit humanitaire international. Dans ce protocole, le gouvernement s’engage à prendre aussi tôt que possible les mesures législatives nécessaires pour créer ce tribunal spécial.
Le 24 septembre, la Procureure de la CPI a annoncé l’ouverture par son bureau d’une deuxième enquête dans le pays, concernant les crimes commis depuis 2012, suite à la demande préalable de la Présidente par intérim Catherine Samba-Panza. En 2007, la CPI avait ouvert sa première enquête dans le pays, pour les crimes commis pendant la guerre civile de 2002-2003. Cette enquête a conduit à l’arrestation de Jean-Pierre Bemba Gombo, un citoyen congolais et ancien vice-président de la République Démocratique du Congo. Son procès devant la CPI est en cours à l’heure de la rédaction de ce chapitre.
Principaux acteurs internationaux
Les acteurs africains de la région ainsi que la France ont pris la tête de la réponse internationale à la crise. Le Tchad et la République du Congo ont accueilli des conférences destinées à établir un plan de paix. La France a augmenté la présence de ses troupes de maintien de la paix, que l’on estime actuellement à 2 000 soldats.
En avril, le Conseil de sécurité a autorisé le déploiement d’une nouvelle mission de maintien de la paix, et en mai, il a imposé des sanctions à l’ancien Président François Bozizé et à deux autres dirigeants rebelles, en raison de leur rôle dans les violences. Les États-Unis et l’Union européenne ont apporté un soutien financier important aux efforts de maintien de la paix dans le pays. De plus, les États-Unis ont fourni plus de 145 millions de dollars d’aide humanitaire pour aider les personnes victimes du conflit en RCA, y compris les réfugiés se trouvant hors du pays.
En août, le Secrétaire général de l’ONU a souligné dans son rapport au Conseil de sécurité que les civils étaient quotidiennement la cible de violences sectaires et de représailles meurtrières, et que de graves violations des droits humains et du droit humanitaire international étaient commises dans l’impunité la plus totale.