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Rapport mondial 2015 : Canada

Événements de 2014

In northern British Columbia, a highway sign warns girls of the dangers of hitchhiking along the Highway of Tears.

© 2012 Samer Muscati

Le Canada jouit d’une réputation mondiale de défenseur des droit humains, étayée par un solide bilan en matière de protections des droits civils et politiques fondamentaux garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Néanmoins, en 2014, la majorité siégeant au parlement a refusé d’adopter des mesures essentielles pour résoudre de graves problèmes de droits humains, en particulier la violence à l’encontre des femmes autochtones, le statut juridique du commerce du sexe et l’impact des industries extractives canadiennes à l’étranger.

Violence à l’encontre des femmes et des filles autochtones

En 2014, le travail de collecte de données réalisé par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a permis de répertorier 1 181 cas d’homicides et disparitions de femmes et de filles autochtones entre 1980 et 2012, soit le double des estimations précédentes. L’étude a révélé que les femmes et filles autochtones étaient surreprésentées parmi les victimes d’homicides, constituant 16 pour cent du nombre total de victimes féminines d’homicides alors que la proportion des femmes et filles autochtones au sein de la population féminine du Canada ne s’élève qu’à 4,3 pour cent. Un rapport publié en 2013 par Human Rights Watch a relevé les manquements de la GRC en Colombie-Britannique en matière de protection des femmes et des filles autochtones contre la violence, ainsi que le comportement abusif des policiers à leur égard, notamment l’usage excessif de la force ainsi que des agressions physiques et sexuelles.

En dépit des inquiétudes de plus en plus vives du public à l’égard des homicides et disparitions, le gouvernement du Premier ministre Stephen Harper a continué de résister aux appels lancés par les responsables provinciaux, les partis politiques de l’opposition et la société civile en faveur de la mise sur pied d’une commission d’enquête nationale sur ces actes de violence.

Une commission parlementaire spéciale réunie pour examiner la question a calqué sa position sur celle du parti, et la majorité conservatrice s’est abstenue de recommander la mise en place d’une commission d’enquête ou l’adoption de toute autre mesure visant à réclamer des comptes aux policiers auteurs d’abus. Des signes récents indiquant que le gouvernement pourrait accepter l’organisation d’une table ronde ministérielle sur la violence font poindre l’espoir d’une investigation mais elle ne constituerait pas une solution de remplacement adéquate. Au Canada, les commissions d’enquête publiques nationales permettent de mener des investigations impartiales sur des questions revêtant une importance nationale.

Commerce du sexe

En 2014, le parlement a entamé un débat sur de nouvelles dispositions criminalisant certains aspects du commerce du sexe suite à un jugement de 2013 de la Cour suprême du Canada invalidant des restrictions antérieures qui, aux yeux de la cour, violaient les droits et la sécurité des travailleurs du sexe.

Le ministre de la Justice Peter MacKay a déposé le Projet de loi C-36, qui criminaliserait les annonces aux fins de vendre des services sexuels en public, ainsi que l’achat et la publicité de services sexuels, ou encore le fait de bénéficier de la vente de services sexuels. Le projet de loi limiterait sérieusement la capacité des travailleurs du sexe à prendre des mesures de sécurité vitales, notamment de filtrer les clients. La criminalisation des annonces affecte de manière disproportionnée les travailleurs du sexe basés dans la rue, dont beaucoup sont autochtones, pauvres ou transgenres, les forçant à travailler dans des endroits isolés et plus dangereux.

Surveillance et vie privée

En janvier 2014, la presse a rapporté que le Centre de la sécurité des télécommunications du Canada (CSTC) procédait à la collecte et à l’analyse de données  de communication  de façon arbitraire. Ces informations étaient basées sur des documents largement diffusés par un ex-sous-traitant de l’Agence de sécurité nationale américaine (NSA), Edward Snowden. Ces documents ont révélé que l’agence de renseignement avait, pendant deux semaines, obtenu des métadonnées saisies à partir d’appareils sans fil de voyageurs dans un grand aéroport canadien .

L’agence a alors suivi les déplacements ultérieurs des voyageurs lorsque leurs téléphones ou ordinateurs portables se connectaient à d’autres points d’accès wi-fi dans des aéroports, des hôtels et des restaurants. Certaines sources laissent entendre que cette initiative était un test réalisé en 2012 en vue d’un programme qui pourrait être opérationnel aujourd’hui. D’autres reportages des organes de presse ont révélé que le CSTC administrait peut-être plusieurs programmes de collecte de métadonnées en ligne ou lors de conversations téléphoniques. Les détails demeurent secrets.

Les programmes décrits à ce jour ne concernent que la collecte de métadonnées, et non du contenu des communications. Néanmoins, les métadonnées, c’est-à-dire les données relatives à une communication, peuvent s’avérer très révélatrices des déplacements, fréquentations et activités d’une personne. Le gouvernement insiste sur la légalité des programmes de collecte de métadonnées, faisant craindre que des réformes juridiques ne soient nécessaires pour garantir une protection efficace du droit à la vie privée dans le cadre des programmes de collecte de renseignements.

Lutte contre le terrorisme

Le Canada a continué de refuser à Omar Khadr—un citoyen canadien qui avait été capturé à l’âge de 15 ans et détenu pendant 10 ans à Guantanamo et qui avait plaidé coupable de chefs d’accusation liés au terrorisme dans le cadre d’un système de commission militaire présentant de profondes lacunes—tout accès aux services de réadaptation et de réinsertion requis pour les ex-enfants soldats.

Khadr demeure incarcéré. En juillet, une cour d’appel a établi que Khadr aurait été considéré comme un délinquant mineur s’il avait été condamné au Canada et qu’il devrait purger le reste de sa peine de huit ans de prison dans un établissement provincial, où il aurait accès à un programme d’éducation et de réadaptation, conformément à la loi canadienne relative aux délinquants mineurs. L’appel du gouvernement fédéral est en instance.

Abus dans l’industrie minière

Le Canada est le plus important centre mondial de financement de l’industrie minière, accueillant la majorité des sociétés minières et entreprises d’exploration du monde. Ces firmes ont un impact collectif énorme sur les droits humains des communautés vulnérables partout dans le monde.

En 2013, Human Rights Watch a recueilli des informations concernant les accusations visant Nevsun Resources, une firme basée à Vancouver, selon lesquelles sa mine d’or phare de Bisha, en Érythrée, avait été en partie construite en recourant au travail forcé de main d’œuvre déployée par un entrepreneur public local, Segen Construction. Dans une déclaration, Nevsun a exprimé « des regrets si certains employés de Segen ont été enrôlés de force » lors de la construction de la mine, insistant sur le fait que de tels abus n’avaient plus cours aujourd’hui. La compagnie a ensuite réalisé une évaluation des incidences en matière de droits humains et a promis d’intégrer des points relatifs aux droits humains dans ses politiques. Elle a toutefois refusé de rompre ses liens avec Segen.

En 2011, Human Rights Watch avait recueilli des informations sur les accusations selon lesquelles des agents de sécurité employés par le géant minier canadien Barrick Gold avaient commis des viols collectifs de femmes sur un site minier de Papouasie-Nouvelle-Guinée et s’étaient livrés à d’autres brutalités. Depuis lors, la firme a pris des mesures visant à prévenir de nouvelles brutalités. En 2014, elle a indemnisé une centaine de femmes qui avaient subi des violences sexuelles infligées par des employés de la société, soit en leur versant de l’argent liquide, soit en prodiguant d’autres formes d’assistance. Ce programme de réparation sans précédent s’est heurté à des problèmes de conception et de mise en œuvre et a fait l’objet de vives critiques. En dépit de ses lacunes, cette initiative s’est avérée être un exemple novateur de la démarche proactive que peuvent adopter les entreprises pour répondre aux violences graves liées à leurs opérations dans le monde. Il est trop tôt pour juger si elle aura des retombées durables et positives pour les femmes concernées.

Le gouvernement canadien ne réglemente pas et ne contrôle pas les pratiques des sociétés minières canadiennes en matière de droits humains lorsqu’elles s’établissent à l’étranger. L’unique mesure qu’il a adoptée sur ce plan a été de mettre en place, en 2009, un conseiller en responsabilité sociale des entreprises dont le bureau ne dispose d’aucun pouvoir de supervision ni d’enquête.

Armes à sous-munitions

En 2014, le Parlement canadien a poursuivi son débat sur le très controversé Projet de loi C-6 visant à mettre en œuvre la Convention sur les armes à sous-munitions. La convention prohibe l’utilisation, la production, le transfert et le stockage de ces armes, et elle interdit d’aider quiconque à s’engager dans ces activités. Elle exige également que les États détruisent leurs stocks, enlèvent les restes d’armes à sous-munitions et portent assistance aux victimes. Le Canada, signataire de la convention, doit adopter une loi de mise en œuvre avant la ratification.

Certaines dispositions du Projet de loi C-6 sont contraires à l’esprit et à la lettre du traité. Elles autoriseraient les forces armées canadiennes à aider à utiliser ces armes et à mener d’autres activités interdites lors d’opérations militaires conjointes avec un État non partie. Par exemple, des commandants canadiens pourraient ordonner ou donner l’autorisation aux forces armées d’un allié d’utiliser des armes à sous-munitions. Le projet de loi permettrait par ailleurs de stocker et de transporter des armes à sous-munitions à travers le territoire canadien.

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international avait prévu d’examiner le projet de loi en octobre 2014. La Chambre des Communes avait introduit un changement dans le projet original et Human Rights Watch a vivement recommandé au Comité sénatorial de le réexaminer afin de permettre au Canada d’honorer ses engagements internationaux. Il faut espérer que le Canada sera un État partie à la Première Conférence de révision de la convention en septembre 2015.

Il convient toutefois de féliciter le Canada d’avoir achevé la destruction de ses stocks d’armes à sous-munitions en 2014, conformément à la convention.