Réagissant aux mouvements pro-démocratie du Printemps arabe et à des manifestations en faveur de réformes au Maroc, le roi Mohammed VI a proposé en juin des amendements constitutionnels contenant d'importantes garanties en matière de droits humains, mais peu de limites véritables à ses propres pouvoirs en tant que souverain. L'électorat a approuvé ces amendements en juillet.
La nouvelle constitution reconnaît l'amazigh, l'idiome des Berbères, comme langue officielle et interdit la torture et les traitements inhumains et dégradants; la détention arbitraire; et les disparitions forcées. Elle exige également que toute personne arrêtée soit informée « immédiatement » des raisons de cette interpellation et jouisse de la présomption d'innocence et du droit à un procès équitable. Toutefois, au moment de la rédaction de ce rapport, ces amendements n'avaient pas encore eu l'effet d'améliorer le bilan décidément mitigé du Maroc en matière de droits humains.
Libertés de rassemblement, d'association et d'expression
Inspirés par les mouvements populaires de protestation dans d'autres pays de la région, les Marocains ont commencé à défiler dans les rues le 20 février pour exiger des réformes politiques de grande ampleur. Ces manifestations—généralement menées par un groupe jeune et peu structuré, le Mouvement du 20 février pour le changement, et soutenues par d'autres forces politiques et de la société civile, parmi lesquelles le puissant mouvement islamiste Justice et Spiritualité—ont parfois rassemblé plus de 10.000 personnes et ont eu lieu simultanément dans plusieurs villes. La police a toléré certaines de ces manifestations, mais a parfois attaqué et violemment battu les protestataires. Certaines des violences policières les plus graves ont été commises lors de manifestations pacifiques à Casablanca, à Kénitra et à Rabat, la capitale, lors des semaines précédant le discours très attendu du roi en juin, dans lequel il a annoncé les grandes lignes des réformes constitutionnelles.
Le 29 mai, les forces de sécurité de la ville de Safi ont passé à tabac Kamal Ammari, un manifestant âgé de 30 ans. Il est mort le 2 juin. Le Bureau du procureur a annoncé que les médecins légistes avaient conclu qu'Ammari était mort d'un problème de santé pré-existant, qui a été « aggravé » par « traumatisme thoracique non compliqué et habituellement bénin ». Une enquête est toujours en cours sur ce cas.
Terrorisme et anti-terrorisme
Le 28 avril, une bombe a explosé dans un café de Marrakesh fréquenté par des touristes étrangers, tuant 17 personnes et en blessant des dizaines. Personne n'a revendiqué la responsabilité de cet attentat terroriste, le plus meurtrier commis au Maroc depuis 2003. Le 28 octobre, la chambre spéciale anti-terrorisme de la Cour d'appel de Rabat a déclaré coupables de cet attentat neuf militants islamistes présumés et en a condamné un à mort et les autres à des peines de prison. Les tribunaux marocains continuent de prononcer des peines de mort mais le Maroc n'a exécuté aucun condamné depuis le début des années 1990.
Des centaines d'extrémistes islamistes présumés, qui avaient été arrêtés après les attentats à la bombe de Casablanca en mai 2003, sont toujours en prison. Beaucoup d'entre eux avaient été condamnés lors de procès injustes, après avoir été détenus au secret et soumis à de mauvais traitements, parfois torturés. Depuis une nouvelle vague d'attentats terroristes en 2007, la police a arrêté des centaines d'autres militants présumés, dont un grand nombre ont été condamnés et emprisonnés, non pas pour avoir commis des actes de terrorisme, mais pour avoir appartenu à un « réseau terroriste » ou pour s'être apprêtés à rejoindre le « djihad » en Irak ou ailleurs.
Il y a eu en 2011 moins d'informations que les années précédentes sur la pratique des officines de renseignement consistant à mener des interrogatoires de personnes soupçonnées de terrorisme dans des centres de détention secrets et à les maintenir en garde à vue avant inculpation au-delà de la période maximale de 12 jours autorisée par la loi dans les affaires de terrorisme. En mai, des délégations du parlement et du nouveau Conseil national des droits de l'homme (CNDH), mis en place par le roi en mars pour remplacer son Conseil consultatif sur les droits de l'homme, ont visité l'emplacement présumé du plus célèbre de ces centres de détention, le siège du Directorat général de la surveillance du territoire à Témara, près de Rabat. Elles ont indiqué n'avoir trouvé durant leur visite aucune preuve du fonctionnement sur place d'un établissement de détention.
Comportement de la police et système de justice criminelle
Il est rare que les tribunaux soient le théâtre de procès équitables dans les affaires ayant des connotations politiques. Les juges ignorent généralement les demandes d'examen médical d'accusés qui affirment avoir été torturés, refusent de faire comparaître des témoins de la défense et prononcent des condamnations sur la base d'aveux apparemment extorqués.
Le ministre de la Justice a suspendu en août 2010 le juge Jaâfar Hassoun de son poste de président du tribunal administratif de Marrakesh. Puis en décembre 2010, Hassoun a été exclu du Haut Conseil de la magistrature (HCM). Les autorités l'ont accusé d'avoir divulgué le contenu de délibérations confidentielles du HCM au journal Essabah. Hassoun a affirmé qu'il était innocent et que les autorités le persécutaient en raison de son indépendance judiciaire, illustrée par une décision de 2009 dans laquelle il avait invalidé une élection à la mairie de Marrakesh remportée par un candidat d'un parti proche du palais royal. En janvier, le roi a signé un ordre de radiation de Hassoun de la magistrature.
En janvier, une cour d'appel a confirmé la condamnation et l'emprisonnement pour fraude du champion de boxe Zakaria Moumni, à la suite d’un procès auquel les plaignants n'étaient jamais apparus et des aveux qui auraient été extorqués sous la torture, avaient servi de preuve. Moumni, qui était rejugé lors de la rédaction de ce rapport, affirme que les poursuites dont il fait l'objet ont des motifs politiques et trouvent leur origine dans les démarches insistantes et publiques qu'il a effectuées auprès du palais pour obtenir du gouvernement des indemnités auxquelles il affirme avoir droit.
En mars, Mohammed VI a accordé son pardon et a fait libérer un officier supérieur à la retraite, le colonel Kaddour Terhzaz. En novembre 2008, un tribunal militaire l'avait reconnu coupable d'avoir divulgué des « secrets de la défense nationale », sur la base d'une lettre écrite au roi en 2005, dans laquelle il critiquait ce qu'il considérait comme le mauvais traitement par le Maroc de certains de ses pilotes, que le Front Polisario avait gardés prisonniers pendant un quart de siècle.
En avril, le roi a également accordé son pardon à cinq personnalités politiques condamnées lors du procès collectif « Belliraj » pour avoir fomenté un complot terroriste. En 2010, une cour d'appel avait confirmé le verdict de culpabilité prononcé contre les 35 accusés, bien que la plupart d'entre eux soient revenus sur leurs aveux. La cour d'appel avait refusé d'enquêter sur les affirmations des accusés selon lesquelles ils avaient été torturés, détenus dans des prisons secrètes et leurs déclarations avaient été falsifiées. Vingt-neuf autres accusés dans cette affaire continuent à purger leurs peines de prison, qui incluent la perpétuité pour le chef présumé du groupe, Abdelkader Belliraj. Un autre accusé avait été libéré en 2010, après avoir purgé une peine de deux ans.
Un tribunal de Casablanca a remis le 14 avril en liberté provisoire trois éminents militants sahraouis, non violents et pro-indépendance, Ali Salem Tamek, Brahim Dahane et Ahmed Naciri, après 18 mois de détention préventive. La police les avait arrêtés, avec quatre autres activistes, en octobre 2009 à leur retour d'une visite dans les camps de réfugiés sahraouis administrés par le Polisario en Algérie. Le procès de ces sept personnes, accusées d' « atteinte à la sécurité intérieure » du Maroc, s'était ouvert en octobre 2010 mais avait été reporté à plusieurs reprises. Il n'avait pas repris au moment de la rédaction de ce rapport.
Vingt-trois civils sahraouis sont toujours en détention préventive avant leur procès devant un tribunal militaire, pour leur rôle présumé dans des heurts qui avaient éclaté en novembre 2010 à El-Ayoun et dans les environs, entre les forces de sécurité et des Sahraouis, et qui avaient fait des morts de chaque côté. 120 autres Sahraouis ont été libérés sous caution et devaient répondre de chefs d'accusation moins graves devant un tribunal civil, pour leur rôle dans ces incidents. Un an après ceux-ci, aucun procès n'avait encore commencé.
Liberté d'association
Le Maroc compte des milliers d'associations indépendantes mais les responsables gouvernementaux entravent arbitrairement le processus de légalisation d'un grand nombre d'entre elles, ce qui limite leur liberté de fonctionnement. Parmi les groupes affectés, se trouvent ceux qui défendent les droits des Sahraouis, des Amazighs (Berbères), des immigrés en provenance d'Afrique subsaharienne et des diplômés chômeurs, ainsi que des associations caritatives, culturelles et éducatives dont les dirigeants comptent dans leurs rangs des membres de Justice et Spiritualité, un mouvement bien établi à l'échelle nationale qui milite pour l'instauration d'un État islamique et conteste l'autorité spirituelle du roi. Le gouvernement, qui ne reconnaît pas Justice et Spiritualité comme une association légale, a toléré beaucoup de ses activités mais en a interdit d'autres.
Les organisations locales et internationales de défense des droits humains sont en mesure de fonctionner sans rencontrer trop d'obstacles dans les grandes villes mais à titre individuel, les activistes payent parfois un lourd tribut à la dénonciation d'abus. Chekib el-Khayari, président de l'Association Rif des droits de l'homme, a purgé les deux tiers d'une peine de trois ans de prison pour « outrage envers les corps constitués » et pour des infractions mineures au code des changes, avant d’être pardonné par le roi en avril. Les autorités avaient emprisonné el-Khayari après qu'il eut accusé certains hauts responsables marocains de complicité de trafic de drogue.
Droits des femmes
La nouvelle constitution garantit aux femmes l'égalité de statut, « dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume ». D'importantes réformes du Code de la famille adoptées en 2004 ont relevé l'âge minimum requis pour le mariage et amélioré les droits des femmes en matière de divorce et de garde des enfants. Mais le nouveau code a conservé des dispositions discriminatoires dans le domaine de l'héritage, ainsi que le droit des maris de répudier leur femme unilatéralement.
Le 8 avril, le Maroc a levé ses réserves aux articles 9(2) et 16 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, tout en maintenant d'autres réserves. Cette décision a signalé l'engagement du gouvernement à éliminer la discrimination basée sur le sexe en matière de droits et de responsabilités conjugaux, et a reflété une loi de 2007 qui accorde aux mères marocaines les mêmes droits qu’aux pères marocains pour conférer la nationalité de ce pays à leurs enfants lorsque le (la) conjoint(e) est non marocain(e). Dans sa première étude de la violence faite aux femmes réalisée à l'échelle nationale, le Haut Commissariat au Plan, organe gouvernemental chargé de recueillir des statistiques nationales, a constaté que 55 % des femmes marocaines incluses dans l'enquête et âgées de 18 à 64 ans, avaient subi des violences familiales lors de l'année 2009; 15 % d'entre elles ont fait état de violences physiques et 48 % de violence émotionnelle.
Employé(e)s de maison
En juillet, un employeur aurait battu à mort une domestique âgée de 11 ans, à el-Jadida. Cette affaire a attiré l'attention sur les dizaines de milliers d'enfants marocains employés comme travailleurs domestiques logés, et sur les conditions de vie déplorables qui leur sont souvent imposées. L'affaire était toujours devant le tribunal lors de la rédaction de ce rapport. Le gouvernement marocain a adopté en octobre un projet de loi qui, s'il est approuvé par le parlement, alourdirait les sanctions contre les personnes qui violent l'interdiction d'employer des enfants de moins de 15 ans et durcirait les conditions d'autorisation du recrutement d'employés de maison âgés de 15 à 18 ans.
Liberté des médias
La presse écrite indépendante et les médias en ligne du Maroc peuvent enquêter sur les responsables et les politiques du gouvernement mais s'exposent à des tracasseries et à des poursuites s'ils franchissent certaines limites. Le Code de la presse prévoit des peines de prison pour quiconque répand « de mauvaise foi » une « nouvelle fausse » susceptible de troubler l'ordre public ou tient des propos diffamatoires, injurieux à l'égard de membres de la famille royale, ou qui portent atteinte « à la religion islamique, au régime monarchique, [ou] à l'intégrité territoriale », c'est-à-dire la revendication par le Maroc de sa souveraineté sur le Sahara occidental.
La télévision d'État marocaine donne une certaine latitude au journalisme d'enquête, mais très peu pour la critique directe du gouvernement ou pour l'expression de désaccords sur les sujets sensibles. Des centaines de journalistes travaillant pour les médias contrôlés par l'État, notamment les chaînes de télévision et l'agence de presse officielle, ont manifesté le 25 mars pour réclamer, entre autres choses, davantage d'indépendance rédactionnelle.
En avril, les autorités ont arrêté Rachid Nini, éditorialiste populaire et rédacteur en chef du quotidien al-Masa’. En juin, un tribunal de première instance de Casablanca l'a condamné pour avoir tenté d'influer sur des décisions judiciaires, exprimé du mépris pour des décisions judiciaires et accusé faussement de crimes des responsables gouvernementaux. Le tribunal lui a infligé une peine d'un an de prison et lui a refusé la liberté provisoire pendant la procédure d'appel. Les preuves à charge consistaient en des articles écrits par lui, dans lesquels il critiquait les services de renseignement du Maroc et accusait de corruption des proches du palais royal. Une cour d'appel a confirmé le verdict et la peine le 24 octobre.
Le Maroc a révoqué ou retardé le renouvellement de l'accréditation de certains journalistes de la presse étrangère. Exprimant son mécontentement de la couverture par Al Jazeera du conflit du Sahara occidental, le gouvernement a fermé son bureau d'information au Maroc en 2010.
Acteurs internationaux clés
En 2008, l'Union européenne a accordé au Maroc un « statut avancé », qui le place un cran au-dessus des autres bénéficiaires de la “politique de voisinage” de l'UE. Le Maroc est le plus gros bénéficiaire de l'aide européenne au Proche-Orient après les Territoires palestiniens occupés, avec 580 millions d'euros (757 millions de dollars) alloués pour la période 2011-2013.
La France est le premier partenaire commercial du Maroc et son principal fournisseur d'aide publique au développement et d'investissement privé. Elle a augmenté son aide publique au développement, qui est passée à 600 millions d'euros (783 millions de dollars) pour la période de 2010 à 2012. La France a rarement critiqué en public le bilan du Maroc en matière de droits humains et a ouvertement soutenu son plan d'autonomie pour le Sahara occidental. Le 18 juillet, la présidence française du G8 a loué les résultats du référendum constitutionnel et a promis le « soutien » des pays du G8 à « la mise en œuvre complète et rapide du programme de réforme marocain ».
Les États-Unis fournissent une aide financière au Maroc, qui est l'un de leurs proches alliés, y compris un don de 697 millions de dollars, sur cinq ans à partir de 2008, de la part de la Millennium Challenge Corporation, pour réduire la pauvreté et stimuler la croissance économique. Sur le plan des droits humains, les États-Unis ont continué à se féliciter publiquement des efforts de réforme du Maroc et des progrès effectués par les femmes. Toutefois, la sous-secrétaire d'État adjointe Tamara Wittes, lors d'une visite au Maroc en juin, a indiqué que les responsables américains avaient fait part au gouvernement marocain de leurs préoccupations concernant les violences commises par la police quand elle fait face à des manifestations pacifiques.
La résolution de 2011 du Conseil de sécurité des Nations Unies, renouvelant le mandat de la Mission de maintien de la paix de l'ONU au Sahara occidental (MINURSO), contenait des termes plus explicites que les années précédentes sur la question des droits humains mais elle n'élargissait pas le mandat de la MINURSO pour y inclure la tâche de superviser la situation en la matière, mesure qui a la faveur du Front Polisario mais à laquelle le Maroc est opposé. La MINURSO est la seule mission de maintien de la paix de l'ONU créée depuis 1990 qui soit dépourvue d'une composante chargée de superviser la situation des droits humains. Dans sa résolution 1979, le Conseil de sécurité se contente d'engager « les parties à collaborer avec la communauté internationale pour mettre au point et appliquer des mesures indépendantes et crédibles qui garantissent le plein respect des droits de l'homme ». Il se félicite « de l'engagement qu'a pris le Maroc d'accorder un accès sans réserves ni restrictions à tous les titulaires de mandats relevant des procédures spéciales du Conseil des droits de l'homme ».