Les représentants de l'État libanais se sont montrés plus disposés à discuter de problèmes de droits humains en 2010, mais n'ont toujours pas mis en œuvre la plupart des réformes nécessaires pour améliorer la situation dans ce domaine.
Les autorités ont rejeté une proposition de loi qui aurait accordé aux femmes libanaises le droit de transmettre leur nationalité à leurs maris et enfants. En dépit des engagements pris, l'État n'a déployé aucun effort pour faire la lumière sur le sort des personnes disparues au cours de la guerre civile de 1975-1990. En août, le Parlement a promulgué un amendement longuement attendu visant à faciliter l'accès des réfugiés palestiniens au marché du travail, mais la réforme s'est révélée en deçà des attentes.
La tension est montée d'un cran au cours du second semestre 2010, au sujet du tribunal des Nations Unies chargé d'enquêter sur le meurtre en 2005 de l'ancien Premier Ministre Rafik Hariri, alors que certains observateurs craignaient de voir le pays plonger à nouveau dans le chaos.
Torture, mauvais traitements et conditions carcérales
Le droit libanais interdit la torture, mais l'obligation de rendre des comptes pour de tels actes semble rester un vœu pieux. De nombreux détenus, en particulier des personnes soupçonnées d'espionnage pour le compte d'Israël et des djihadistes armés, ont affirmé à Human Rights Watch avoir été torturés par les personnes chargées de les interroger, et ce dans plusieurs centres de détention appartenant notamment au ministère de la Défense et à la section du renseignement des Forces de sécurité intérieure. Le Liban n'a pas encore mis en place de mécanisme national de prévention permettant de visiter et contrôler les lieux de détention, comme l'exige le Protocole facultatif à la Convention contre la torture (OPCAT) que le pays a ratifié en 2008.
Les conditions de vie dans les prisons restent médiocres, le surpeuplement et le manque de soins médicaux suffisants demeurant des problèmes persistants. Selon les Forces de sécurité intérieure, les personnes placées en détention préventive représentent environ les deux tiers du nombre total de détenus.
Le Liban a maintenu son moratoire de facto sur les exécutions, néanmoins au moins cinq condamnations à mort ont été prononcées en 2010. De nombreux responsables politiques ont appelé à la condamnation à mort des personnes reconnues coupables d'espionnage pour le compte d'Israël. Le Président Michel Sleiman, qui selon le droit libanais doit approuver chaque condamnation à mort, a déclaré en juillet qu'il confirmerait toutes les condamnations à la peine capitale prononcées par des tribunaux militaires.
Liberté d'expression
En dépit du dynamisme des médias libanais, les cas de harcèlement de blogueurs et de journalistes qui critiquent l'armée et certains hauts représentants de l'État se sont multipliés en 2010. En mars, des agents du Renseignement militaire ont brièvement emprisonné et interrogé un blogueur, Khodor Salameh, pour avoir publié en ligne une série d'articles critiquant l'armée et les trois plus hauts représentants de l'État. En juin, les forces de sécurité ont placé Naim Hanna, Antoine Ramia, et Shibel Kassab en détention pour avoir publié sur Facebook des commentaires critiques sur le Président. Un juge d'instruction les a inculpés pour calomnie, diffamation, et injures envers le Président, puis les a libérés sous caution le 2 juillet. En août, le bureau du Renseignement militaire a convoqué Hassan Oleik, un journaliste du quotidien d'information al-Akhbar. Il lui était reproché d'avoir rapporté dans un article une conversation supposée entre le Ministre de la Défense Elias Murr et le commandant en chef des armées du pays Jean Kahwaji, au sujet d'un individu soupçonné d'espionnage pour Israël. Oleik a été relâché quelques heures plus tard. En août, le Renseignement Militaire a également brièvement placé en détention Ismael Sheikh Hassan, un urbaniste, suite à un article qu'il avait publié critiquant les autorités publiques et l'armée pour leur gestion de la reconstruction du camp de réfugiés de Nahr el-Bared.
Réfugiés
Les réfugiés palestiniens vivant au Liban, et dont le nombre est estimé à 300 000, vivent dans des conditions sociales et économiques épouvantables. Le Parlement libanais a amendé en août la législation relative au travail pour faciliter l'obtention du permis de travail par les réfugiés palestiniens. L'amendement les exempte notamment des exigences de réciprocité ainsi que des frais pour l'obtention des permis de travail, et leur accorde des prestations limitées de sécurité sociale. Cependant, la réforme n'a pas supprimé les restrictions interdisant aux Palestiniens d'exercer certaines professions (au moins 25) qui exigent l'appartenance à un syndicat, notamment dans le domaine du droit, de la médecine et de l'ingénierie. Elle maintient également un système de permis de travail fondé sur la coopération des employeurs, et qui a par le passé relégué la plupart des Palestiniens au travail au noir. Les réfugiés palestiniens sont toujours assujettis à une loi discriminatoire promulguée en 2001 qui leur interdit d'enregistrer des titres de propriété.
Les Palestiniens du camp de réfugiés de Nahr el-Bared - détruit lors des affrontements de 2007 entre l'armée libanaise et le groupe armé Fatah al-Islam -vivent toujours dans des conditions épouvantables. Les efforts de reconstruction ont pris du retard, et l'Office de secours et de travaux des Nations Unies a annoncé que les premières maisons reconstruites ne seraient pas livrées avant mars 2011. L'armée libanaise restreint la circulation vers le camp en maintenant des postes de contrôle à sa périphérie.
Selon des sources gouvernementales, le Ministère de l'Intérieur a recommencé à délivrer des papiers d'identité temporaires aux Palestiniens qui se trouvent au Liban sans documents légaux, dans le cadre d'un plan visant à améliorer la situation légale d'au moins 3 000 Palestiniens sans papiers, qui vivaient auparavant dans la crainte constante d'être arrêtés. Le ministère avait interrompu ce processus début 2009, invoquant des demandes frauduleuses.
Au 30 septembre, 9 768 réfugiés et demandeurs d'asile non palestiniens - dont plus de 80% d'origine irakienne - étaient enregistrés auprès du Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (UNHCR). Le Liban n'ayant pas ratifié la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, ce pays n'accorde pas de valeur juridique à la reconnaissance par l'UNHCR des réfugiés, et traite la plupart d'entre eux comme des immigrants illégaux, qui sont donc en permanence menacés d'arrestation. Au 31 octobre, 54 réfugiés ou demandeurs d'asiles reconnus restaient maintenus en détention, au seul motif qu'ils n'avaient pas de cartes de séjour valables.
Droits des travailleurs et travailleuses migrant(e)s
Les employées domestiques migrantes sont souvent confrontées à l'exploitation et aux mauvais traitements de la part de leurs employeurs, notamment des heures de travail excessives, le non-paiement des salaires, l'enfermement sur leur lieu de travail, et dans certains cas des sévices physiques et sexuels. Les employées qui poursuivent leurs patrons pour ce type d'abus font face à des obstacles juridiques et risquent l'emprisonnement et l'expulsion à cause d'un système de visas restrictif. Le Ministère du Travail a mis en place en juin une assistance téléphonique pour recevoir les plaintes des employées. Les employées domestiques migrantes continuent de mourir en grand nombre (huit décès ont été signalés pour le seul mois d'août), et la plupart de ces morts sont classées comme suicide.
Les hommes travailleurs migrants - pour la plupart originaire de Syrie et d'Égypte - qui travaillent dans le bâtiment et d'autres métiers manuels connaissent des conditions de travail dangereuses et sont régulièrement la cible de vols à main armée et d'agressions violentes. Les autorités publiques n'ont fait à ce jour aucun effort concerté pour les protéger ou pour poursuivre les auteurs de ces crimes en justice.
Détention des étrangers après la fin de leur peine
Selon les Forces de sécurité intérieures, 13% environ des personnes détenues dans les prisons libanaises en 2010 étaient des étrangers ayant fini de purger leur peine. Ce groupe inclut des demandeurs d'asile et des réfugiés qui ne peuvent pas rentrer dans leur pays pour des raisons de sécurité. La prolongation de leur détention est illégale. En septembre 2010, le Conseil des Ministres du Liban a adopté un décret dont l'objectif affiché était de réduire le nombre d'étrangers détenus après la fin de leur peine. Cependant, ce décret n'a pas encore été mis en application et ne réglera pas le problème de la détention des demandeurs d'asile et des réfugiés qui n'ont pas de carte de séjour en règle.
Droit des femmes et des filles
Diverses dispositions discriminatoires figurent toujours dans les lois relatives au statut de la personne, les lois sur la nationalité et le code pénal relatif aux violences dans la famille. En mai, le Conseil des Ministres a promulgué un décret élargissant le droit des enfants et des maris de femmes libanaises à résider au Liban, mais contrairement aux hommes, celles-ci ne peuvent toujours pas transmettre leur nationalité à leurs maris et enfants étrangers.
En avril, le Conseil des Ministres a soumis au Parlement un nouveau projet de loi visant à criminaliser la violence domestique. Le projet de loi exige que quiconque est témoin de violences domestiques signale de tels actes, et oblige leurs auteurs à fournir aux plaignantes un hébergement de substitution et une indemnité de subsistance, ainsi qu'à prendre en charge leurs frais médicaux.
Séquelles des conflits et guerres passées
Le Liban a déposé le 5 novembre 2010 son instrument de ratification de la Convention sur les armes à sous-munitions auprès des Nations Unies. Les sous-munitions non explosées abandonnées sur place après le bombardement du sud Liban par Israël en 2006 continuent à blesser des civils : selon le Centre officiel d'action contre les mines du Liban, ces engins non explosés ont tué au moins 45 personnes et blessé plus de 300 autres depuis 2006.
En dépit de l'engagement pris en 2009 d'agir pour lever le voile sur le sort réservé aux Libanais et autres ressortissants qui ont « disparu » durant et après la guerre civile libanaise de 1975-1990, et de ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, le gouvernement n'a pris aucune mesure concrète sur ces questions en 2010.
Un comité syrien-libanais conjoint officiel créé en mai 2005 pour enquêter sur ces cas de Libanais « disparus » aux mains des forces de sécurité syriennes n'avait encore publié aucun résultat au moment de la rédaction de ce rapport.
Tribunal Hariri
La tension est montée au sujet de l'intention du tribunal international des Nations Unies de juger les auteurs du meurtre de l'ex-Premier Ministre Hariri en 2005 ainsi que d'autres assassinats pour raisons politiques, dans l'attente d'éventuels actes d'accusations qui pourraient impliquer des membres du Hezbollah. Le Hezbollah a appelé au boycott du tribunal, l'accusant d'être un « projet israélien ».
Acteurs internationaux clés
De multiples acteurs internationaux et régionaux rivalisent d'influence au Liban. Au niveau régional, la Syrie, l'Iran et l'Arabie Saoudite maintiennent une forte influence sur les politiques libanaises par l'intermédiaire de leurs alliés locaux.
La France, les États-Unis et l'Union européenne fournissent une assistance à une large gamme de programmes, notamment la formation des forces armées, des séminaires de prévention de la torture et des activités de la société civile. Cependant, ces pays n'ont pas pleinement usé de leur capacité d'influence pour pousser le Liban à adopter des mesures concrètes pour améliorer la situation des droits humains, comme par exemple l'ouverture d'enquêtes sur des allégations spécifiques de torture, ou l'adoption de lois qui respectent les droits des réfugiés ou des travailleurs migrants.
Les soldats du maintien de la paix de l'ONU sont encore présents en grand nombre à la frontière instable du Liban avec Israël, au sud du pays.