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Maroc/Sahara occidental

Événements de 2008

Le Maroc continue de présenter un tableau contrasté en matière de droits humains. De grands progrès ont été accomplis dans le traitement des abus passés. Un espace considérable a été accordé aux divergences d'opinion et à la contestation publiques, et l'inégalité de genre a été réduite dans le code de la famille. Mais les autorités, aidées par des tribunaux complaisants, continuent d'utiliser une législation répressive pour punir des opposants non violents, en particulier ceux qui violent les tabous en critiquant le roi ou la monarchie, en contestant la « marocainité » du Sahara occidental, ou en « dénigrant » l'Islam. La police continue de faire un usage excessif de la force pour disperser les manifestations.

Il y a eu des troubles sporadiques en 2008 à propos de revendications socioéconomiques, notamment dans la ville de Sidi Ifni où les forces de sécurité sont intervenues le 7 juin pour lever le blocus du port par des manifestants. Les forces de sécurité ont fait un usage excessif de la force et ont commis d'autres abus à Sidi Ifni, selon de nombreuses sources.

Les contrôles sont particulièrement stricts dans la région contestée du Sahara occidental, que le Maroc administre comme si elle faisait partie de son territoire national. Un mouvement pro-indépendantiste connu sous le nom de Front Polisario (Front populaire de libération de la Saguía el Hamra et du Río de Oro) conteste la souveraineté marocaine et demande un référendum sur l'autodétermination pour le peuple sahraoui. Le Polisario a rejeté un projet d'autonomie pour la région présenté par le Maroc en avril 2007, surtout parce que cette proposition ne mentionne nulle part un référendum dans lequel l'indépendance serait une option. (Pour la situation des droits humains dans les camps de réfugiés gérés par le Polisario, voir le chapitre sur l'Algérie.)

Terrorisme et contreterrorisme

Des centaines de personnes soupçonnées d'être des extrémistes islamistes et arrêtées à la suite des attentats de Casablanca de mai 2003 continuent de purger des peines de prison, en dépit d'une série de grâces royales qui en ont libéré quelques centaines. Beaucoup des personnes arrêtées en 2003 ont été maintenues cette année-là en détention secrète pendant des jours ou des semaines, soumises à de mauvais traitements et parfois à la torture pendant les interrogatoires, puis condamnées lors de procès inéquitables. Certains des inculpés ont été condamnés à mort, peine que le Maroc n'a pas abolie même s'il ne l'a pas appliquée depuis 1993. Depuis août 2006, la police a arrêté des centaines d'autres militants islamistes présumés, portant  à plus d'un millier (selon certaines estimations) le nombre total de militants islamistes présumés se trouvant en prison en septembre 2008.

Les agences de renseignement ont continué à interroger les personnes soupçonnées de terrorisme dans un centre de détention non reconnu à Temara, près de Rabat, selon de nombreux récits de détenus. Les suspects affirment que la police les a torturés pendant les interrogatoires, tout en les maintenant en garde à vue au delà des douze jours maximum prévus par la loi dans les cas de terrorisme. Par exemple, l'enseignant Abdelkrim Hakkou a disparu à proximité de sa maison à Ain Taouijdat le 16 mai 2008. Sa famille n'a pas réussi à savoir où il se trouvait jusqu'en juillet, quand il a été amené devant un juge et accusé d'avoir tenté de recruter des djihadistes pour combattre en Irak. Hakkou a dit à sa famille que la police l'avait détenu pendant près des six semaines dans un lieu de détention secret à Temara, où il avait été torturé. Au moment où nous écrivons, Hakkou se trouve toujours en détention préventive. Les autorités prétendent que Hakkou n'a été arrêté que le 1er juillet et présenté au procureur le 11 juillet.

Au cours de la dernière décennie, ceux qui comme Hakkou ont « disparu » sont réapparus au bout de quelques semaines de détention par la police, contrairement aux centaines de personnes qui avaient « disparu » sous le règne de feu le roi Hassan II et qui n'ont jamais été retrouvés vivants. L'Etat a reconnu sa responsabilité dans cette pratique à la suite du travail de l'Instance Equité et Réconciliation du Maroc et de son rapport de 2005. A partir de 2007, l'Etat a versé l'équivalent d'environ 85 millions de US$ à titre de compensation à quelque 16 000 victimes ou à leurs héritiers, et a commencé à offrir d'autres formes d'assistance à des personnes et des communautés ayant subi la répression au cours des années passées.

Le système judiciaire et les forces chargées de l'application de la loi

Les policiers sont rarement tenus de rendre des comptes pour des violations des droits humains. Dans les dossiers ayant des implications politiques, les tribunaux tiennent rarement des procès équitables, ignorant les demandes d'examens médicaux déposées par des accusés qui affirment avoir été torturés, refusant de citer à comparaître des témoins à décharge, et condamnant les accusés sur la base d'aveux apparemment extorqués. La police à Marrakech a arrêté le militant sahraoui des droits humains Naâma Asfari le 17 avril 2008, l'a accusé de conduite en état d'ivresse et d'agression contre une automobiliste. Selon Asfari, les policiers l'ont sévèrement battu au cours d'un interrogatoire portant principalement sur son militantisme politique, puis l'ont forcé à signer des aveux. Le tribunal l'a condamné à deux mois de prison.

Après de bruyantes manifestations anti-gays dans les rues de Ksar el-Kébir, un tribunal a condamné six hommes à des peines de quatre à dix mois de prison le 10 décembre 2007, en vertu de l'article 487 du code pénal. Ces hommes étaient accusés de s'être livrés à des actes homosexuels, bien que l'accusation n'ait fourni aucune preuve que des actes illégaux se soient produits. Une cour d'appel a confirmé les verdicts le 15 janvier 2008.

Dans une autre affaire, les autorités ont annoncé en février le démantèlement d'un complot terroriste et arrêté cinq personnalités politiques et un journaliste qu'elles ont accusés de complicité. Les personnalités comprenaient des membres de trois partis reconnus légalement dont l'un, al-Badil al-Hadari (Alternative civilisationnelle), a été rapidement dissout. Les hommes sont restés en détention dans l'attente de l'ouverture de leur procès prévue le 14 novembre.

Environ 10 000 immigrants illégaux sub-sahariens, dont beaucoup espèrent accéder à l'Europe, vivent au Maroc. Le 29 avril, un bâtiment de la marine marocaine a intercepté en mer Méditerranée un canot pneumatique rempli de candidats à l'émigration. Selon les entretiens menés par une ONG marocaine auprès des survivants, quand l'équipage du canot a ignoré les ordres de retourner sur le rivage, un membre de l'équipage du bateau de la marine marocaine a crevé le canot, causant la mort par noyade de 29 passagers. Le Maroc a nié que ses agents aient joué un rôle quelconque dans la noyade, mais n'a mené aucune enquête qui ait été rendue publique.

Liberté d'association et d'assemblée

Les autorités tolèrent en général le travail des nombreuses organisations de défense des droits humains actives à Rabat et à Casablanca. Elles ne font en général pas obstacle aux organisations étrangères de défense des droits humains qui se rendent au Maroc, et répondent souvent aux lettres dans lesquelles ces organisations expriment leurs préoccupations. Toutefois, au Sahara occidental la surveillance est plus étroite et le harcèlement des défenseurs des droits humains plus courant. Les autorités ont refusé d'accorder une reconnaissance légale à toute organisation sahraouie attachée à révéler les atteintes marocaines aux droits. Les autorités ont expulsé le 25 avril une délégation française qui était venue observer le procès de Naâma Asfari et qui comprenait des membres d'organisations pro-sahraouies.

La plupart des réunions publiques nécessitent l'autorisation du ministère de l'Intérieur, qui peut refuser sa permission s'il les juge susceptibles de « troubler l'ordre public ». Bien qu'un grand nombre des manifestations qui se déroulent fréquemment à Rabat se passent sans heurts, des policiers en ont brutalement dispersé d'autres à coups de matraque. Par exemple, au cours d'un sit-in non violent le 1er juillet devant le Parlement à Rabat en solidarité avec des prisonniers politiques, les forces de l'ordre ont utilisé une force excessive pour disperser les participants, blessant des membres de l'Association marocaine des droits humains.

La police a systématiquement empêché ou dispersé des sit-ins ou des rassemblements non violents de groupes favorables à l'indépendance du Sahara occidental. Les policiers ont souvent utilisé une force excessive en réaction aux incidents quand des manifestants sahraouis ont mis des pierres en travers des rues ou lancé des pierres ou, très occasionnellement, des cocktails Molotov. Les violences des manifestants sahraouis ont causé pour la première fois des blessures mortelles à un policier le 26 février 2008 à Tantan.

Liberté d'expression et médias

Les médias critiquent souvent les autorités de façon plutôt directe. Ces critiques sont cependant restreintes par une loi sur la presse qui prévoit des peines de prison pour diffusion « de mauvaise foi » de « fausses informations » susceptibles de troubler l'ordre public ou pour des propos diffamatoires, mettant en cause des membres de la famille royale, ou qui portent atteinte à « l'Islam, l'institution de la monarchie, ou l'intégrité territoriale [du Maroc]. »

Le 11 juillet 2008, un tribunal de Rabat a infligé une amende à Hassan Rachidi, directeur du bureau marocain de la chaîne de télévision Al Jazeera, pour diffusion « de mauvaise foi » de « fausses informations ». L'accusation faisait suite à un compte-rendu d'Al Jazeera, citant des défenseurs des droits humains, selon lesquels des personnes avaient trouvé la mort lors d'affrontements entre les forces de sécurité et des manifestants à Sidi Ifni. Le tribunal a condamné Hassan Rachidi même si Al Jazeera avait diffusé les démentis du gouvernement à propos des victimes. Les autorités ont aussi retiré à Hassan Rachidi son accréditation de presse. Le même jour, un tribunal de Rabat a condamné pour les mêmes motifs la personne qui avait fourni cette information à Al Jazeera, Brahim Sab'alil du Centre marocain des droits de l'homme (CMDH). La veille, un tribunal avait condamné Brahim Sab'alil à six mois de prison et à une amende pour « insultes aux autorités en proférant de fausses accusations » pour avoir accusé les forces de sécurité de « crimes contre l'humanité » à propos de morts, de viols et de « disparitions » présumés à Sidi Ifni lors d'une conférence de presse le 26 juin. Une cour d'appel a confirmé la peine de six mois de prison contre Brahim Sab'alil.

Un tribunal de Casablanca a condamné Fouad Mourtada le 22 février à une peine de trois ans de prison pour « usurpation d'identité », pour avoir créé sur Facebook un profil non autorisé et faux, mais non diffamatoire, du frère du Roi Mohamed VI. Un tribunal d'Agadir le 8 septembre, a infligé une peine de deux ans de prison à Mohamed Erraji pour « manque de respect envers le roi » dans un article qu'il avait publié sur www.hespress.com critiquant la façon dont le monarque dispensait privilèges et faveurs. Après des protestations internationales contre les condamnations, le roi a gracié Fouad Mourtada le 18 mars, et une cour d'appel a annulé la condamnation de Mohamed Erraji le 18 septembre.

En avril, une grâce royale a libéré sept membres de l'Association marocaine des droits humains emprisonnés près d'une année auparavant pour « atteinte aux valeurs sacrées », accusés d'avoir scandé des slogans contre le roi au cours des manifestations de 2007. Mais en février, Ahmed Nasser, âgé de 95 ans et en fauteuil roulant, est mort en prison, cinq mois après avoir entamé une peine de prison de trois ans reçue pour « atteinte aux valeurs sacrées » en ayant prétendument insulté le roi au cours d'une altercation de rue.

En mai 2008, les autorités ont révoqué la licence de diffusion de la chaîne Al Jazeera lui permettant de transmettre ses émissions sur les actualités du Maghreb depuis Rabat. Elles ont invoqué des raisons techniques et juridiques, mais des observateurs soupçonnent que la véritable raison était le mécontentement à propos de la couverture du Maroc par la chaîne de télévision.

Droit de la famille et droits des femmes et des enfants

Les réformes du code de la famille adoptées en 2004 ont élevé l'âge minimum pour le mariage des femmes de quinze à dix-huit ans, fait de la famille la responsabilité partagée des deux conjoints, résilié le devoir d'obéissance de l'épouse à son mari, élargi l'accès au divorce pour les femmes et placé la pratique de la polygamie sous strict contrôle judiciaire. En janvier 2007, le Maroc a réformé son code de la nationalité pour donner aux femmes le droit de transmettre leur nationalité à leurs enfants. Réaffirmant l'âge minimum légal pour le mariage, les autorités ont en septembre 2008 fermé des écoles et un site Web gérés par un religieux qui prônait le mariage pour les filles dès neuf ans.

Le Maroc ne dispose pas d'un système opérationnel de protection de l'enfance, et les efforts du gouvernement pour créer un système d'unités de protection de l'enfance ont connu peu de progrès en 2008. Les enfants non accompagnés courent tout particulièrement le risque d'exactions lorsqu'ils tentent la traversée vers l'Espagne (voir chapitre sur l'Union européenne) et à leur retour au Maroc, notamment le risque d'être frappés par la police et détenus avec des suspects criminels adultes.

Acteurs internationaux clés

Le Maroc a cherché à établir des relations privilégiées avec l'Union européenne, qui de son côté recherche activement la coopération du Maroc dans la lutte contre le terrorisme et l'immigration illégale. Le royaume est le principal bénéficiaire de l'Instrument européen de voisinage et de partenariat, avec 654 millions d'euros d'aide affectés pour 2007-2010. Le 13 octobre, l'UE a voté pour donner au Maroc un « statut avancé », le plaçant un degré au-dessus des autres membres de la « politique de voisinage » européenne. Tout en notant des progrès dans de nombreux domaines des droits humains, l'UE a aussi « renouvelé son appel ... pour que le Maroc garantisse le respect de la liberté d'expression et ... réexamine le Code de la presse et le Code pénal en dépénalisant les délits d'opinion ». L'UE a aussi invité le Maroc à « sauvegarder la liberté d'association et d'assemblée, notamment dans le territoire du Sahara occidental », et a appelé « les forces de l'autorité [sic] à faire preuve de retenue dans le recours à la force ».

En présentant sa requête pour que les Etats-Unis accordent au Maroc une aide totale de 29 millions US$ en 2009, le Département d'Etat a qualifié le Maroc de « l'un des plus anciens et des plus proches alliés des Etats-Unis dans la région... [une] nation arabo musulmane modérée, stable, en voie de démocratisation, un acteur important dans la guerre contre le terrorisme et une force constructive dans la poursuite de la paix au Moyen Orient ». En 2007, le fonds de développement bilatéral Millennium Challenge Corporation soutenu par le gouvernement américain a approuvé une aide économique globale de 697,5 millions US$ sur cinq ans au Maroc, pour combattre la pauvreté et encourager la croissance économique.

Le Département d'Etat américain a déclaré qu'il soutenait l'autonomie pour le Sahara occidental sous souveraineté marocaine. Tout en soutenant cette position marocaine fondamentale, les autorités américaines ont tenu des réunions avec des militants sahraouis des droits humains, et ont critiqué ouvertement les exactions marocaines au Sahara occidental. De plus, une loi est entrée en vigueur en décembre 2007 qui fait dépendre une aide militaire américaine au Maroc de 1 million US$ des progrès  accomplis en matière de droits humains, en particulier dans le domaine de la liberté d'expression sur la question du Sahara occidental.

La France est le principal partenaire commercial du Maroc et la principale source d'aide publique au développement et d'investissement privé. Elle soutient aussi le plan d'autonomie du Maroc pour le Sahara occidental.

Le Conseil de Sécurité de l'ONU en avril 2008 a renouvelé pour un an la force de maintien de la paix de la MINURSO au Sahara occidental, mais encore une fois il a refusé d'étendre son mandat de façon à y inclure l'observation et la protection des droits humains. Le Maroc s'oppose à ce que ce mandat soit donné à la MINURSO, alors que le Polisario déclare le soutenir.

Le Maroc a été examiné dans le cadre de l'Examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme de l'ONU en avril 2008. L'examen ne couvrait pas la situation au Sahara occidental.