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Tchad : Des preuves sur la torture présentées lors d’un procès

Vingt-et-un présumés complices du régime de Hissène Habré jugés par une cour criminelle

Le procès de 21 anciens responsables des services de sécurité tchadiens met en évidence de nombreuses atrocités commises par le régime de Hissène Habré entre 1982 et 1990, a déclaré  Human Rights Watch aujourd’hui.

Depuis le début du procès le 14 novembre 2014, quelque cinquante victimes ont décrit les actes de torture et de mauvais traitements perpétrés par des agents de la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS) la police politique de Habré. 

« Ce procès, c’est le rendez-vous du Tchad avec son histoire », a déclaré Reed Brody, conseiller juridique à Human Rights Watch, qui observe le procès. « Pour la première fois depuis 24 ans, les violations systématiques du régime Habré sont présentées en audience publique. »

Le 14 janvier, Mahamat Hassan Abakar, ancien président de la Commission nationale d’enquête de 1992, a expliqué que  la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), la police politique de Habré, « torturait systématiquement et exécutait ». Il a ajouté que  « les agents de la DDS étaient des superhommes parce qu’ils jouissaient d’une impunité totale. Dès que la DDS vous arrête, vous n’avez aucun recours ».  Beaucoup dans la salle d’audience se sont mis à pleurer en regardant le film réalisé par la Commission qui montre successivement les images des fosses communes, l’intérieur des prisons du régime Habré, les dessins des principales formes de torture ainsi que les visages émaciés des prisonniers libérés après la chute du dictateur.  

Le procès des responsables du régime Habré se tient  ouvert alors que les Chambres africaines extraordinaires mises en place au Sénégal terminent leurs instruction sur les supposés crimes commis par l’ancien dictateur. Cette juridiction a inculpé Habré en juillet 2013 et, si les juges des Chambres considèrent que les preuves contre lui sont suffisantes, son procès pourrait débuter en mai 2015.

Les prévenus sont accusés d’assassinat, torture, séquestration, détention arbitraire, coups et blessures et actes de barbaries. Deux des prévenus sont Saleh Younouss, un ancien directeur de la Direction de la documentation et de la Sécurité (DDS), et Mahamat Djibrine qui était, selon la Commission nationale d’enquête, l’un des « tortionnaires les plus redoutés » du Tchad. Ces suspects sont aussi visés par les Chambres africaines extraordinaires, mais les autorités tchadiennes ont refusé de les transférer.

Josué Doumassem, parmi beaucoup d’autres, a décrit comment il avait été torturé à l’arbatachar.  Cette méthode de torture consiste à attacher les bras du supplicié à ses chevilles derriere le dos de manière à faire bomber sa poitrine, pendant plusieurs heures, entraînant une paralysie temporaire voire permanente. Plusieurs femmes ont rapporté avoir été violées en détention. 

Ginette Ngarbaye, arrêtée alors qu’elle était enceinte et torturée par des décharges électriques, a donné naissance à son premier enfant en prison. Selon Mahamat Moussa Mahamat, un autre rescapé, les cellules étaient souvent si pleines que les prisonniers ne pouvaient dormir qu’à tour de rôle. Clément Abaifouta, président de l’association des victimes, a décrit comment il a été forcé d'enterrer les corps des détenus décédés dans des fosses communes. « Je témoigne au nom des morts” a-t-il déclaré à la barre.

La majorité des prévenus ont nié toute implication. Le 15 janvier 2015, la Cour a commencé à confronter leurs différents témoignages.

Bien que le procès ait débuté le 14 novembre 2014, il a été suspendu le 21 novembre suite à une grève des avocats. Ayant repris le 23 décembre dernier, il est prévu qu’il se termine le 29 janvier 2015. Des centaines de Tchadiens ont assisté chaque jour aux audiences qui sont résumées tous les soirs au journal de la télévision nationale.

Parmi les autres accusés figurent notamment  Nodjigoto Haunan, ancien directeur de la Sureté nationale, mis en cause dans la répression contre les membres de l’ethnie Zaghawa et Khalil Djibrine, ancien chef de service de la DDS dans le sud en 1983-1984. Une liste complète des accusés peut être consultée ici.

Human Rights Watch a regretté cependant une instruction précipitée qui n’a pas permis de constituer un dossier sur chaque accusé ni d’analyser le fonctionnement et la hiérarchie de la DDS. Tandis que les juges d’instruction des Chambres africaines extraordinaires à Dakar ont interrogé quelque 2 500 témoins et victimes, analysé les documents de la DDS, désigné des experts pour disséquer les structures sécuritaires de Habré et exhumé des charniers, l’instruction tchadienne n’a comporté que des auditions de moins d’une centaine de victimes et accusés, et d’aucun témoin.

Hissène Habré a dirigé le Tchad de 1982 à 1990, date à laquelle il a été renversé par l’actuel président tchadien Idriss Déby Itno, et s’est réfugié au Sénégal. Son régime à parti unique a été marqué par des atrocités commises à grande échelle, y compris des vagues d’épuration ethnique. Des documents de la DDS, la police politique de Habré, récupérés par Human Rights Watch en 2001, ont révélé les noms de 1 208 personnes exécutées ou décédées en détention, et de 12 321 victimes de violations des droits humains. Il a été inculpé par les Chambres africaines extraordinaires en juillet 2013 et placé en détention provisoire. 

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