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CPI : Recommandations à l'attention des représentants des pays membres africains participant à la 13e session de l'AEP

Recommandations formulées par quatre groupes de la société civile africaine et deux organisations internationales présentes en Afrique, pour la 13e session de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (8 - 17 décembre 2014)

 

La session de décembre de l’Assemblée des États parties (AEP) au Statut de Rome de la Cour pénale internationale arrive à un moment important pour les États parties africains. L’AEP s’apprête à avoir son premier président africain, en la personne du ministre de la Justice sénégalais Sidiki Kaba, nommé pour assumer cette fonction lors de la session. Cinq juges africains seront également candidats pour l’élection au collège des juges. En outre, au cours de cette année écoulée, la République centrafricaine a demandé à la CPI d’ouvrir une seconde enquête sur les crimes commis dans ce pays, et le Procureur de la CPI a annoncé l’ouverture d’une enquête en septembre 2014, amenant à neuf le nombre total de situations faisant l’objet d’une enquête de la CPI.

En même temps, la CPI continue à faire face à des défis dans sa capacité à fonctionner de manière indépendante et efficace en raison des décisions prises par l’Union africaine et des initiatives du gouvernement du Kenya. La CPI n’est pas une institution parfaite, mais elle reste un tribunal de dernier recours indispensable pour juger les crimes internationaux. Dans ce contexte, nous demandons instamment à votre gouvernement d’utiliser la prochaine AEP pour travailler à renforcer – plutôt qu’à déstabiliser – la CPI. Ci-dessous figurent un analyse et des recommandations qui, nous l’espérons, seront utiles pour avancer vers cet objectif. La déclaration a été rédigée et approuvée par les six organisations africaines et organisations internationales présentes en Afrique citées à la fin de ce document.

 

Élire les juges les plus qualifiés
Lors de la prochaine session de l’AEP, l’Assemblée élira six nouveaux juges pour remplacer les juges actuels qui verront leur mandat expirer en mars 2015. Ces élections sont extrêmement importantes, car la présence d’un collège qualifié est essentielle pour un fonctionnement efficace de la CPI.

En 2011, l’AEP a mis en place une Commission consultative pour l’examen des candidatures au poste de juge de la Cour pénale internationale qui doit fournir à l’AEP des informations techniques sur les qualifications des candidats et qui a publié un rapport avec ses conclusions.[1] Nous demandons instamment aux États parties africains de la CPI d’étudier attentivement le rapport de la Commission consultative pour l’examen des candidatures au poste de juge et d’élire les candidats les plus qualifiés en respectant les paramètres des exigences pour cette élection concernant la représentation géographique, le genre, etc.

 

Protéger l’indépendance des procédures judiciaires de la CPI

Le gouvernement du Kenya a proposé un point supplémentaire à l’ordre du jour pour cette session de l’AEP, « Session extraordinaire en vue d’examiner la conduite de la Cour et du Bureau du Procureur ».[2] La demande du Kenya porte sur l’activité judiciaire, y compris les décisions en cours des affaires devant la CPI, en ce qui concerne les crimes commis pendant les violences postélectorales de 2008 au Kenya. Alors qu’il existe un besoin réel de renforcer le fonctionnement de la Cour, la demande du Kenya pourrait ouvrir la porte à l’apparition de l’interférence de l’Assemblée dans les fonctions judiciaires de la Cour.

L’indépendance du rôle judiciaire de la Cour est cruciale pour sa légitimité et l’équilibre délicat dans l’administration de la justice entre les droits des accusés à un procès équitable et les droits des victimes doit également être préservé. L’article 112 du Statut de Rome de la CPI portant sur le rôle de l’AEP confère notamment à l’AEP un rôle visant à donner des « orientations générales » aux responsables de la CPI, mais uniquement pour ce qui concerne l’« administration de la Cour ». Nous demandons aux gouvernements africains de s’abstenir d’instaurer des débats qui pourraient compromettre l’indépendance de la CPI et d’insister sur l’importance du respect des fonctions judiciaires indépendantes de la Cour.

 

Maintenir le soutien de la CPI comme un tribunal de dernier recours crucial et travailler à élargir la portée de la justice où que les pires crimes soient commis

Récemment, la CPI et plus encore le Bureau du Procureur ont fait l’objet de vives critiques de la part de l’Union africaine, du gouvernement du Kenya et de plusieurs dirigeants africains qui ont cherché à déstabiliser sa capacité à fonctionner efficacement avec le soutien requis. Notamment, l’Union africaine a appelé à plusieurs reprises les membres de l’UA à refuser de coopérer dans l’exécution du mandat d’arrêt de la CPI à l’encontre du président soudanais fugitif Omar el-Béchir depuis 2009. Plus récemment, dans une déclaration à l’Assemblée générale suite à la présentation du rapport annuel 2014 de la CPI, le représentant permanent du Kenya auprès des Nations Unies a suggéré que la CPI s’intéresse à un « théâtre quasi-judiciaire qui s’écarte de la recherche de la justice et la lutte contre l’impunité ». D’autre part, la déclaration peut avoir impliqué que l’existence continue de la Cour devrait être évaluée, en signalant qu’en l’absence de « nobles objectifs » de la Cour et de besoins « urgents » de justice, « il serait de notre devoir historique de mettre la Cour au repos ».

Nous rappelons que la CPI a été créée avec le vaste soutien des États africains pour traiter les crimes les plus graves qui heurtent la conscience humaine et que la CPI n’intervient que lorsqu’un État ne souhaite pas ou n’est pas en mesure de juger les crimes. Malheureusement, les États n’ont toujours pas établi de mécanismes nationaux pour faire en sorte que les victimes de violations graves des droits humains puissent obtenir justice et réparation. En Afrique, continent qui est trop souvent affecté par l’impunité et le manque de responsabilisation pour les crimes graves, la CPI constitue parfois la seule option de justice pour les victimes d’atrocités de masse. Les victimes sont au centre du système du Statut de Rome, et la poursuite des auteurs d’atrocités est un facteur déterminant pour mettre fin à l’impunité pour les victimes d’Afrique et d’ailleurs.

De plus, les allégations selon lesquelles la CPI cible de manière partiale l’Afrique ne sont pas étayées par les faits. S’il est vrai que toutes les situations faisant actuellement l’objet d’une enquête se trouvent en Afrique, toutes les enquêtes sauf une ont été ouvertes parce que les gouvernements des pays où des crimes ont été commis ont demandé l’implication de la CPI (Côte d’Ivoire, Mali, Ouganda, République centrafricaine et République démocratique du Congo, ) ou bien parce que le Conseil de sécurité de l’ONU a déféré la situation à la CPI (région du Darfour au Soudan, et Libye). Le seul cas où le Bureau du Procureur a agi entièrement de sa propre initiative est le Kenya.

En même temps, nous reconnaissons l’existence d’une politique à deux vitesses en ce qui concerne l’administration de la justice internationale. Certains États puissants n’ont pas rejoint la Cour et le Conseil de sécurité de l’ONU a usé de son pouvoir pour déférer des situations à la CPI de façon incohérente. Mais la justice ne devrait pas être refusée, lorsqu’elle est possible, en raison de l’absence de ratification universelle du Statut de Rome de la CPI. Les gouvernements africains devraient œuvrer en faveur de la justice où que les pires crimes soient commis, comme en Syrie, et utiliser leur voix pour soutenir les victimes partout dans le monde. En fin de compte, les victimes sont toujours des victimes, qu’elles soient africaines ou non.

 

Garantir à la CPI des ressources adéquates

Lors de la prochaine session, l’AEP approuvera aussi le budget de la Cour. La CPI a rencontré des défis dans la conduite des enquêtes et des poursuites judiciaires dans les situations traitées par le tribunal en raison de ses ressources limitées, ce que le Procureur a récemment reconnu lors de l’enquête du Procureur en Libye. Les États parties africains de la CPI devraient travailler avec les autres États parties pour s’assurer que la Cour bénéficie d’un soutien approprié pour mener sa tâche et que le Bureau du Procureur reçoive les ressources nécessaires pour effectuer son travail sur les neuf situations faisant l’objet d’une enquête. Cela inclut de rejeter les initiatives qui placeraient des plafonnements arbitraires sur les augmentations budgétaires ou les affectations du budget.

 

Soutenir la coopération efficace avec la CPI

La capacité de la CPI à fonctionner efficacement dépend de sa capacité à obtenir une coopération efficace. Nous pensons que l’Assemblée doit renforcer sa capacité à gérer les conclusions judiciaires de non-coopération dans les affaires de la CPI pour garantir une coopération adéquate.

Conformément à l’article 87 du Statut de Rome, les juges peuvent présenter les cas de non-coopération à l’AEP, et au cours des dernières années, la Cour a signalé plusieurs cas de non-coopération en ce qui concerne les affaires liées aux crimes commis au Darfour. L’AEP a adopté en 2011 des procédures concernant la non-coopération qui se concentrent sur le dialogue avec un État faisant l’objet d’un cas de non-coopération.[3]

Toutefois, l’obtention d’une coopération efficace reste un défi considérable pour la Cour, et l’AEP doit renforcer sa capacité à prendre des mesures plus efficaces pour garantir la coopération en cas de non-coopération. Cela s’est actuellement intensifié, en particulier en raison des divergences entre le Bureau du Procureur de la CPI et le Kenya quant à savoir si le gouvernement kenyan a respecté ses obligations de coopération. Cela fait l’objet d’une décision en cours dans l’affaire Le Procureur c. Uhuru Kenyatta. Un sujet de préoccupation particulier face à un cas de non-coopération est que même si l’Assemblée se réunit au moins une fois par an et peut aussi tenir des sessions spéciales, dans la pratique, les réunions n’ont souvent lieu qu’une seule fois par an. De ce fait, cela pourrait conduire à des retards considérables dans la gestion des procès liés aux cas de non-coopération. Étant donné les développements jusqu’à présent, il n’est également pas improbable qu’un cas de non-coopération puisse être politisé, ce qui souligne l’importance d’une gestion efficace par l’AEP.

 

Rejeter l’immunité des dirigeants devant la CPI

Le gouvernement du Kenya a proposé, avec l’appui de l’UA, de modifier le Statut de la CPI pour autoriser l’immunité des dirigeants en exercice devant la CPI.[4] Les consultations du Groupe de travail de l’AEP sur les amendements indiquent que cette proposition (et tous les autres amendements des statuts proposés) ne sera pas formellement examinée lors de cette session de l’AEP. Nous pensons qu’il est néanmoins important pour votre gouvernement de prendre ses distances, si cela possible, face à l’autorisation de l’immunité des dirigeants en exercice et de toutes les personnes déférés devant la CPI pour des crimes graves. Le défaut de pertinence de la qualité officielle est au cœur de la mission de la CPI pour faire en sorte que les responsables de crimes graves soient jugés et pour garantir l’accès à la justice pour les victimes. Cela a été la pierre angulaire du droit international depuis les procès de l’après-Seconde Guerre mondiale à Nuremberg, et ce principe est inclus dans les statuts du Tribunal pénal international pour le Rwanda, du Tribunal spécial pour la Sierra Leone et des Chambres africaines extraordinaires du Sénégal. La récente inclusion de l’immunité de certains hauts dirigeants en exercice dans le protocole qui étend la compétence de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme représente un recul considérable par rapport à la pratique internationale.

 

Les États parties africains de la CPI devraient s’engager à renforcer leur capacité à poursuivre les crimes graves

La réaction violente à l’encontre de la CPI de la part de certains dirigeants africains au cours des dernières années appelle à une compréhension et une appréciation approfondies du principe de complémentarité, qui prévoit que la CPI est un tribunal de dernier recours.

Les tribunaux nationaux disposent de la compétence principale et le Statut de Rome de la CPI reflète la vision des tribunaux nationaux qui devraient être désireux et capables de garantir la justice. Cependant, les juridictions nationales doivent être dotées des outils qui leur permettent d’agir. La mise en œuvre du Statut de Rome dans le droit national est fondamentale pour habiliter les tribunaux africains à gérer les crimes atroces perpétrés sur leurs territoires. Cependant, seule une poignée d’États africains a adopté une législation qui transpose les crimes de la CPI dans le droit national. Au dernier décompte, il s’agit de l’Afrique du Sud, du Burkina Faso du Kenya, de Maurice, de l’Ouganda, de la République centrafricaine et du Sénégal. Nous appelons les États africains à transposer dans leur droit interne le Statut de Rome et à développer leur capacité à traiter les crimes internationaux au niveau national.

La compétence universelle dans un contexte africain s’avère aussi un outil utile, comme le reflètent le travail important des Chambres africaines extraordinaires et la récente décision de la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud sur les autorités nationales qui traitent les affaires impliquant des crimes graves commis hors de l’Afrique du Sud. La législation mettant en œuvre le Statut de Rome peut être personnalisée pour convenir à chaque juridiction nationale et pour inclure une forme raisonnable de juridiction universelle.

 

Les États parties africains de la CPI devraient s’engager à intégrer les besoins des victimes dans les efforts nationaux pour garantir la justice pour les crimes graves

Le Statut de Rome a fait avancer les droits des victimes de crimes internationaux pour qu’elles participent aux procédures judiciaires à la CPI, comme prévu par l’article 68 du Statut de Rome. Cependant, la participation des victimes dans les mécanismes de justice pénale nationaux a reçu très peu d’attention jusqu’à présent. Les États doivent envisager de donner aux victimes l’opportunité de participer aux procédures judiciaires nationales liées aux crimes internationaux. Ceci est soutenu par l’esprit qui sous-tend le processus de transposition dans le droit interne du Statut de Rome, qui vise à renforcer les systèmes de justice pénale nationaux.

Au sein du système de la CPI, les victimes des crimes internationaux ont aussi droit à des réparations comme prévu par l’article 75 du Statut de Rome. Afin que le Statut de Rome soit véritablement complémentaire aux systèmes de justice pénale nationaux, il devrait y avoir une extension de la compréhension du principe de complémentarité pour inclure la possibilité pour les victimes de crimes internationaux de participer aux procédures devant des systèmes de justice pénale nationaux et d’avoir accès à des réparations de la part de l’État.

La législation nationale prévoyant la réparation en faveur des victimes de crimes internationaux soutient la relation de complémentarité entre la CPI et les juridictions pénales nationales, tout en apportant également un mécanisme d’application efficace des réparations ordonnées par la CPI. La complémentarité en matière de réparation plaide en faveur d’une mise en œuvre des principes de réparation établis par la CPI dans et par les systèmes judiciaires nationaux. Les systèmes judiciaires nationaux devraient aussi inclure la possibilité pour les victimes de participer de manière constructive au processus de réparation tout en maintenant simultanément les principes établis reconnus dans le droit international sur la réparation en faveur des victimes.

 

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Ce document a été conjointement rédigé par quatre organisations de la société civile africaine et deux organisations internationales présentes en Afrique. Son contenu est soutenu par les organisations suivantes qui sont actives au sein d’un réseau informel qui vise à promouvoir la défense de la justice pour les crimes les plus graves: Affirmative Action Initiative for Women, African Legal Aid, Centre for Accountability and Rule of Law of Sierra Leone, Children’s Education Society of Tanzania, Civil Resource Development and Documentation Centre, Coalition pour la Cour pénale internationale, East and Horn of Africa Human Rights Defenders Project, Foundation for Human Rights Initiative of Uganda, Human Rights Network-Uganda, Human Rights Watch, International Commission of Jurists–Kenya, International Crime in Africa Program (Institute for Security Studies), Kenya Human Rights Commission, Kenyans for Peace with Truth and Justice, Malawi Centre for Human Rights and Rehabilitation, Nigerian Coalition on the ICC, Pan African Human Rights Defenders Network, Southern African Litigation Centre, TrustAfrica, Ugandan Coalition for the ICC.

 

[1] Assemblée des États parties, Rapport de la Commission consultative pour l’examen des candidatures au poste de juge sur les travaux de sa troisième session, disponible à l’adresse : http://www.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/ASP13/ICC-ASP-13-22-FRA.pdf, 29 septembre 2014.

[2] Assemblée des États parties, Listes des questions supplémentaires dont l’inscription à l’ordre du jour de la treizième session de l’assemblée est réclamée, disponible à l’adresse : http://www.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/ASP13/ICC-ASP-13-34-Rev1-FRA.pdf, 18 novembre 2014.

[3] Assemblée des États parties, Procédures de l’Assemblée concernant la non-coopération, disponible à l’adresse : http://www.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/Non-coop/ICC-ASP-10-Res.5-extract-annex-FRA.pdf, 2011.

[4] La proposition du Kenya est disponible à l’adresse : https://treaties.un.org/doc/Publication/CN/2013/CN.1026.2013-Eng.pdf.

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