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En début de semaine ici à Genève, à quelques minutes à pied de l’imposante façade du siège de l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, j’ai ouvert mon journal du matin. Dès le premier coup d’œil, j’ai vu que le « règlement intérieur » suisse avait changé et qu’une « autorisation » serait nécessaire pour nager dans les piscines municipales ou pour s’approcher d’une école, et que ceux qui enfreindraient le règlement risquaient d’être assignés à résidence ou de se voir infliger une réduction de leur « argent de poche ». Des souvenirs d’enfance me sont revenus à la mémoire, et je revoyais le visage sévère de mes parents et la fessée qui m’était administrée. J’ai envisagé d’appeler ma mère pour m’excuser de ne pas l’avoir consultée avant de me rendre à la piscine municipale en plein air la veille au soir.

Je me suis replongé dans le journal, pensant que ces règles s’appliquaient sûrement aux enfants, non pas à moi, et j’ai poussé un soupir de soulagement. Elles ne me concernaient pas. Mais elles n’étaient pas non plus destinées spécifiquement aux enfants. En fait, elles visaient tous les demandeurs d’asile vivant dans une ville de Suisse alémanique appelée Bremgarten, proche d’une autre grande ville suisse située sur un lac, Zurich. J’ai siroté ma tassé de thé et vérifié si j’avais suffisamment d’argent en poche pour payer ma prochaine visite à la piscine. Mais ensuite j’ai pensé : il fait chaud cet été. Et si je ne pouvais pas aller à la piscine ? Et si je ne pouvais pas aller chercher mon enfant à l’école ?

Aussi incroyable que cela puisse paraître – et je sollicite ici toute votre indulgence – voilà les problèmes et les questions qui préoccupent une majorité de Suisses et, de plus en plus, les médias internationaux. Les révélations d’Oprah Winfrey le 8 août, à propos du traitement qualifié par elle de raciste que lui a réservé récemment le personnel d’un magasin de sacs de luxe de Zurich, viennent s’ajouter à la liste. Le 7 août, les journaux suisses avaient signalé que le directeur de l’Office fédéral des Migrations, Mario Gattiker, avait annoncé un accord entre son ministère et la municipalité de Bremgarten habilitant les autorités locales à limiter ou à interdire l’utilisation des piscines, des autres établissements publics sportifs et des écoles aux demandeurs d’asile.

Ces règles ne s’appliquent qu’aux demandeurs d’asile parce qu’ils sont demandeurs d’asile. Selon M. Gattiker, elles sont également nécessaires pour éviter « les frictions et le sentiment d’hostilité » qui pourraient naître entre les 6 500 habitants de la localité et les dizaines – et non centaines – de demandeurs d’asile que compte la ville si « 50 demandeurs d’asile » cherchaient à jouer au football ou à nager en même temps. Cette mesure est la dernière en date d’une série de décisions choquantes allant dans le même sens. En 2009, les électeurs suisses avaient approuvé une mesure interdisant aux mosquées de disposer d’un minaret. L’année suivante, ils avaient approuvé une mesure visant à expulser automatiquement tout ressortissant étranger jugé coupable d’une infraction pénale « grave », y compris de fraude aux prestations sociales ; ladite mesure avait toutefois été bloquée par le gouvernement fédéral suisse. Et en juin dernier, les électeurs ont approuvé un durcissement de la législation en matière d’asile, supprimant la possibilité de demander l’asile aux ambassades suisses et réduisant les motifs pour lesquels l’asile peut être octroyé, suscitant les critiques de l’agence de l’ONU pour les réfugiés.

M. Gattiker affirme que la Suisse ne viole aucune loi car la législation suisse ne prévoit aucune sanction à l’encontre des demandeurs d’asile qui « ne respectent pas les règles du jeu » ou le « Hausordnung ». Hausordnung est un terme suisse allemand qui fait référence au règlement souvent en vigueur dans les bâtiments résidentiels, entre autres les logements estudiantins ou les blocs d’appartements, ainsi que dans les institutions publiques telles que les prisons et les casernes militaires. Les avocats suisses font remarquer que les personnes soumises à de telles règles peuvent les contester devant le Tribunal fédéral suisse et que des soldats ont déjà contesté de telles règles devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Aux termes du droit européen et d’autres règles de droit international, la Suisse est tenue de justifier toute restriction à la liberté de circulation, notamment le fait de ne pas être autorisé à avoir accès à une piscine publique ou à un établissement scolaire, en démontrant qu’il s’agit d’une mesure nécessaire, proportionnée et non discriminatoire visant à garantir la sécurité nationale, l’ordre public ou la santé publique. Toute mesure de ce type ne peut pas non plus créer de discrimination entre les citoyens suisses et les ressortissants étrangers. Les règles en question ne passeraient pas l’épreuve de ses obligations juridiques. La discrimination et la ségrégation qui est proposée n’affectent pas uniquement les 23 demandeurs d’asile de Bremgarten, lesquels pourraient bientôt être rejoints par 125 autres demandeurs d’asile dans le premier des nouveaux centres d’accueil pour demandeurs d’asile qui a ouvert ses portes dans la ville le 5 août.

Les autorités envisagent d’en ouvrir huit autres. Le prochain ouvrira ses portes le 19 août dans la ville d’Alpnach, à 100 kilomètres au sud de Zurich. Le maire d’Alpnach a communiqué que la ville pourrait interdire aux demandeurs d’asile l’accès aux écoles, aux établissements sportifs, à une maison de retraite, ainsi qu’à tout un quartier. Le maire de Menzingen, une ville située à 50 kilomètres au sud de Zurich, où l’ouverture d’un centre est prévue en 2015, signale que les demandeurs d’asile de la ville se verront interdire l’accès à des « zones sensibles » telles que la proximité des écoles car « les demandeurs d’asile pourraient rencontrer nos écoliers – de jeunes filles ou de jeunes garçons ». Le ciel nous en préserve !

Terre d’accueil de 75 000 réfugiés enregistrés et demandeurs d’asile, la Suisse peut encore éviter de porter atteinte à sa réputation et d’essuyer l’opprobre et la gêne face à la communauté internationale. Elle devrait honorer ses obligations juridiques et les principes fondateurs sur lesquels repose l’ONU – que la Suisse accueille sur son sol – à savoir le respect de la diversité et la tolérance. Les autorités fédérales devraient intimer à Bremgarten l’ordre de ne pas pratiquer de discrimination et de respecter le droit à la liberté de circulation des demandeurs d’asile. Et la Suisse devrait veiller à ce que tous les futurs accords régissant les centres fédéraux de demandeurs d’asile fassent de même.

Gerry Simpson est chercheur senior sur les réfugiés et chargé de plaidoyer à Human Rights Watch. Il est basé à Genève.

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