Douze organisations de la société civile du Sud-Soudan ont aujourd'hui envoyé une lettre au Président Salva Kiir Mayardi, exprimant leur préoccupation au sujet de l'invitation du gouvernement du Sud-Soudan au Président Omar Al-Bashir - recherché par la Cour pénale internationale (CPI) - pour assiter au sommet présidentiel en Avril 2012
à Juba. Cette lettre est soutenue par 19 organisations de la société civile africaine et des organisations internationales avec une présence en Afrique, y compris Human Rights Watch.
Monsieur le Président Salva Kiir Mayardit,
Nous, soussignées les organisations de la société civile du Soudan du Sud, écrivons pour exprimer notre profonde inquiétude au sujet de l’invitation que votre gouvernement a adressée au Président Omar el-Béchir, le conviant à assister à un sommet présidentiel à Juba. Des combats le long de la frontière entre le Soudan et le Soudan du Sud ayant été signalés, il apparait de plus en plus improbable qu’Omar el-Béchir accepte l’invitation. Néanmoins, nous demandons au gouvernement du Soudan du Sud de bien vouloir adopter une politique visant à tenir des réunions avec el-Béchir et d’autres officiels soudanais recherchés par la Cour Pénale Internationale (CPI) en dehors du territoire du Soudan du Sud.
Nulle autre nation ne connait mieux la cruauté d’el-Béchirque celle du Soudan du Sud. Depuis la prise de pouvoir du Président el-Béchir suite à un coup d’Etat militaire en 1989, un nombre incalculable de soudanais du sud ont été tués et déplacéssuite aux actions de son régime. Au cours de la guerre, les méthodes criminelles du régime de Khartoum se sont répétées dans d’autres régions marginalisées du Soudan. Au Darfour, son régime a lancé une campagne brutale de massacres de masse et de nettoyage ethnique qui a fait plus de 300 000 morts et déplacé des millions de personnes.
En réponse à ces violations massives des droits humains et du droit international humanitaire, le Conseil de Sécurité des Nations Unis a adopté la résolution 1593 (2005) renvoyant la situation du Darfour à la Cour Pénale Internationale (CPI). La résolution appelle tous les états membres des Nations Unies, qu’ils soient parties ou non au Statut de Rome de la CPI, à coopérer pleinement avec la cour et son Procureur.
Quatre ans plus tard, la CPI a émis deux mandats d’arrêt à l’encontre d’el-Béchirpour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. Du jour au lendemain, les possibilités de déplacement à l’étranger d’el-Béchir ont été sévèrement restreintes. Conformément à la résolution 1593, des nations responsables du monde entier ont refusé de le recevoir.A chaque refus, les survivants des atrocités d’el-Béchir font un pas supplémentaire vers la possibilité de voir la justice rendue de leur vivant, un pas supplémentaire vers l’assurance qu’el-Béchir ne pourra pas soumettre d’autres victimesà des maux similaires.
En tant que nation qui a beaucoup souffert à cause d’el-Béchir, le Soudan du Sud a une obligation morale envers les survivants de ses atrocités de prendre une position de principe sur les mandats d’arrêts dont il fait l’objet. Les millions de soudanais du sud qui ont perdu des êtres chers du fait des actes criminels d’el-Béchir ont le même intérêt à le voir être jugé que ces femmes et enfants qui continuent d’être violés et tués au Darfour ou que ces centaines de milliers d’innocents qui aujourd’hui risquent d’être frappés par la famine causée par le conflit au Kordofan du Sud et au Nil Bleu du Sud.
Nous vous félicitons vous et votre équipe de négociateurs de continuer à maintenir ouvertes les voies de communication avec les représentants du gouvernement du Soudan et de faire avancer l’Accord sur les ‘quatre libertés’. L’importance du sommet présidentiel et ses implications pour la paix entre le Soudan et le Soudan du sud sont claires.
Mais accueillir le fugitif international qu’est Omar el-Béchir, fermer les yeux sur les mandats d’arrêt dont il fait l’objet, lui accorder la permission de mettre les pieds sur le sol du Soudan du sud pour la première fois depuis l’indépendance de notre pays porte préjudice aux survivants de ses atrocités. Au nom de ce qui s’apparente à un exercice de relations publiques, le Soudan du sud est sur le point de rejoindre la courte liste des états qui ont tacitement toléré les crimes d’el-Béchir en ne respectant pas les mandats d’arrêt émis à son encontre par la CPI.
Votre Excellence, nous vous appelons à bien vouloir adopter une politique visant à tenir des réunions avec el-Béchir et d’autres officiels soudanais recherchés par la Cour Pénale Internationale (CPI) en dehors du territoire du Soudan du Sud. Nous appelons de plus le gouvernement du Soudan du Sud à démontrer au monde entier que notre nation respecte l’état de droit et la justice en ratifiant au plus vite le traité de Rome de la Cour Pénale Internationale et les autres conventions portant sur les droits humains.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de nos sentiments les plus distingués.