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Cambodge: 15 ans après, toujours pas de justice pour les victimes d'un attentat à la grenade

Les enquêtes menées par le FBI et par la France doivent se poursuivre; les bailleurs de fonds devraient exiger que les responsables rendent des comptes

(New York, le 29 mars 2012) – Le gouvernement cambodgien n'a fait aucun effort au cours des 15 dernières années pour traduire en justice les responsables d'un attentat sanglant à la grenade contre un rassemblement d'un parti d'opposition, a affirmé aujourd'hui Human Rights Watch.

Le Bureau fédéral américain d’enquêtes (Federal Bureau of Investigation, FBI) devrait achever son enquête, qui stagne depuis trop longtemps, sur cet attentat du 30 mars 1997, dans lequel au moins 16 personnes ont été tuées et plus de 150 ont été blessées, a ajouté Human Rights Watch. Selon de récentes informations, les autorités françaises auraient ouvert une nouvelle enquête sur cet événement, au début de cette année.

« L'existence d'indices crédibles d'une implication du gouvernement dans cet attentat signifie qu'une enquête nationale sérieuse ne verra jamais le jour si les bailleurs de fonds internationaux, dont les contributions représentent près de la moitié du budget du Cambodge, n'en exigent pas une », a déclaré Brad Adams, directeur de la division Asie à Human Rights Watch. « Les donateurs qui versent des millions de dollars pour financer les procès des dirigeants Khmers rouges, dans le but de mettre fin à l'impunité, ne devraient pas négliger une atrocité commise beaucoup plus récemment sous le régime de l'actuel Premier ministre. »

Le 30 mars 1997, un groupe d'environ 200 partisans du Parti de la Nation Khmère (KNP), formation d'opposition dirigée par l'ancien ministre des finances Sam Rainsy, s'est rassemblé dans un jardin public en face de l'Assemblée nationale à Phnom Penh, pour dénoncer le manque d'indépendance de la justice et la corruption du système judiciaire. Dans une action bien préparée qui visait à assassiner Sam Rainsy, des attaquants non identifiés ont lancé quatre grenades dans la foule, tuant des manifestants et des passants, dont des enfants, et mutilant des marchands ambulants.

L'unité des gardes du corps personnels du Premier ministre Hun Sen, en tenue anti-émeute complète, était présente, apparaissant pour la première fois sur les lieux d'une manifestation. De nombreux témoins ont raconté qu'après avoir jeté leurs grenades, les assaillants ont couru vers les gardes du corps de Hun Sen, qui étaient déployés en ligne à l'extrémité ouest du parc, devant l'entrée d'une enceinte fermée et gardée contenant les résidences de nombreux hauts responsables du Parti du Peuple Cambodgien (CPP) au pouvoir. Des témoins ont indiqué à des enquêteurs des Nations Unies et du FBI que les gardes du corps ont alors ouvert leur rang pour laisser entrer les attaquants à l'intérieur de l'enceinte. Ils l'ont ensuite refermé et ont pointé leurs armes sur les manifestants qui poursuivaient les lanceurs de grenade, menaçant de tirer sur ceux qui ne se retireraient pas.

Dès l'explosion de la première grenade, le garde du corps de Sam Rainsy, Han Muny, s'est jeté par-dessus celui-ci pour le protéger. Il a reçu tout l'impact d'une deuxième grenade et est mort sur le coup. Sam Rainsy s'en est tiré avec une légère blessure à la jambe.

La police, qui s'était précédemment montrée en nombre lors de manifestations de l'opposition dans l'espoir de les décourager, a affiché un profil inhabituellement bas ce jour-là. Un gros contingent de policiers était groupé au coin d'une rue voisine, au lieu d'être dans le jardin public. D'autres unités se trouvaient dans un poste de police tout proche, en tenue anti-émeute et en état d'alerte, ce qui laisse penser qu'elles savaient qu'il y aurait des violences lors de la manifestation.

La manifestation du 30 mars était la première pour laquelle le parti d'opposition KNP avait reçu une autorisation officielle du ministère de l'Intérieur et de la municipalité de Phnom Penh, après avoir essuyé plusieurs refus. Ce changement de position de la part du gouvernement a alimenté des conjectures selon lesquelles la manifestation avait été autorisée dans le seul but d'en faire la cible d'une attaque, a rappelé Human Rights Watch.

« Les autorités n'ont jamais donné d'explication crédible pour le déploiement et le comportement des gardes du corps de Hun Sen lors de la manifestation », a souligné Brad Adams.

Le FBI a rapidement ouvert une enquête sur l'attentat, en vertu d'une loi américaine qui lui donne compétence dans tous les cas où un ressortissant des États-Unis est blessé dans un acte de terrorisme. Ron Abney, un citoyen américain, a été gravement blessé dans l'attentat et a dû être évacué vers Singapour pour recevoir des soins pour des éclats de grenade dans la hanche.

L'enquêteur principal du FBI a interrogé des soldats et des officiers situés à divers échelons de commandement et a conclu que seul Hun Sen pouvait avoir ordonné à son unité de gardes du corps de se poster le long du parc. Il a indiqué que s'il avait eu davantage de temps, il aurait pu recueillir assez d'éléments de preuve pour présenter à des procureurs un dossier à charge suffisamment étayé pour qu'ils entament des poursuites criminelles. Mais en mai 1997, l'ambassadeur américain au Cambodge, Kenneth Quinn, lui a ordonné de quitter le pays.

Dans un article publié en juin 1997 par le Washington Post, R. Jeffrey Smith a écrit: « Dans un rapport confidentiel qui pourrait poser des problèmes embarrassants aux concepteurs de la politique américaine, le FBI a provisoirement attribué la responsabilité des jets de grenade, et des actes d'intimidation qui ont suivi, à des gardes du corps au service personnel de Hun Sen, l'un des deux Premiers ministres du Cambodge, selon quatre sources au sein du gouvernement américain qui ont une connaissance du rapport.... Le FBI affirme que son enquête se poursuit mais les agents qui y participent se sont, semble-t-il, plaints du fait que d'éventuels nouveaux témoins cambodgiens ont trop peur de parler. »

Le 9 janvier 2000, George Tenet, à l'époque directeur de l'Agence centrale de renseignement américaine (CIA), a déclaré que les États-Unis n'oublieraient jamais un acte de terrorisme commis contre un de leurs ressortissants et amèneraient ses responsables devant la justice, “quel que soit le temps que cela prendra.” Néanmoins, l'enquête du FBI sur l'attentat à la grenade a en réalité été abandonnée, a déploré Human Rights Watch.

Les indices recueillis par le FBI sur le rôle de Hun Sen dans l'attentat sont restés dans les dossiers car le FBI a refusé de coopérer pleinement avec les enquêtes du Congrès ou de poursuivre ses investigations initiales.

« Le FBI était près de résoudre l'affaire lorsque son principal enquêteur s'est soudain vu ordonner de quitter le pays », a noté Brad Adams. « Le FBI ne devrait pas placer ses relations avec Hun Sen au-dessus de la justice et de l'État de droit au Cambodge, et il devrait terminer ce qu'il a commencé. »

Au lieu d'ouvrir une enquête sérieuse, Hun Sen a immédiatement ordonné l'arrestation des organisateurs de la manifestation et donné consigne à la police de les empêcher de quitter le pays. L'Agence France-Presse a publié une dépêche sur ce sujet à l'époque.

Dans un entretien avec le journal Phnom Penh Post publié en juin 1997, Hing Bun Heang, à l'époque commandant adjoint de l'unité de la garde rapprochée de Hun Sen et dont on estime généralement qu'il exerçait le contrôle opérationnel, a menacé de tuer les journalistes qui affirmeraient que les gardes du corps de Hun Sen étaient impliqués dans l'attentat.

La garde rapprochée de Hun Sen reste réputée au Cambodge pour sa violence, sa corruption et l'impunité dont elle jouit, en tant que véritable armée privée du Premier ministre. Dans un rapport de 2007, l'organisation non gouvernementale Global Witness affirmait: « La Brigade d'élite 70 des Forces armées royales du Cambodge [nom officiel de l'unité de gardes du corps] gagne entre 2 et 2,5 millions de dollars par an grâce au transport de grumes illégalement coupées et de marchandises de contrebande. Une large portion des profits générés par ces activités va au général Hing Bun Heang, commandant de l'unité de gardes du corps du Premier ministre. »

Depuis l'attentat, Hing Bun Heang a bénéficié à plusieurs reprises de promotions de la part du Premier ministre. Il a actuellement le grade de général de corps d'armée et est commandant en chef adjoint des armées cambodgiennes. Le commandant de la Brigade 70 à l'époque, Huy Piseth, qui a reconnu devant le FBI avoir ordonné le déploiement des éléments de la Brigade 70 sur place le jour de l'attentat, est ensuite devenu sous-secrétaire d'État au ministère de la Défense.

« Accorder des promotions à des hommes qui ont été impliqués dans le massacre de manifestants pacifiques démontre un mépris cruel pour les victimes », a déclaré Brad Adams. « Le message que ceci transmet est que les violateurs des droits humains, quelle que soit l'énormité de leurs actes, non seulement resteront en liberté mais seront récompensés. »

L'attentat de 1997 s'est produit alors que la tension politique était à son comble dans le pays. Le gouvernement de coalition entre le Funcinpec royaliste et le CPP de Hun Sen était en train de se désagréger, à la suite d’accrochages armés survenus le mois précédent dans la province de Battambang. Le KNP de Sam Rainsy était considéré comme une menace dans la perspective des élections nationales prévues pour l'année suivante. Pendant plus d'un an, lui et les membres de son parti avaient été les cibles d'attaques et de menaces de la part de responsables et d'agents du CPP.

L'attentat a été suivi d'un coup d'État sanglant des forces de Hun Sen en juillet 1997, dans lequel plus de 100 personnes ont été tuées, et qui a poussé à s'exiler des personnalités politiques et des activistes qui craignaient pour leur vie. En dépit d'un travail méticuleux par les Nations Unies de documentation d'une campagne de meurtres extrajudiciaires, personne n'a jamais été amené à rendre des comptes pour les violations des droits humains relatives au coup d'État.

« L'attentat de 1997, perpétré de manière éhontée en plein jour, a enraciné l'impunité au Cambodge, plus qu'aucun autre acte commis dans le pays dans la période post-Khmers rouges,” a conclu Brad Adams. “Quelques mois plus tard, Hun Sen a réalisé un coup d'État qui a consolidé son pouvoir. C'est pourquoi le 30 mars est maintenant appelé le ‘Jour de l'impunité’ par beaucoup de Cambodgiens. »

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