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Côte d’Ivoire: Criminalité en hausse et vide sécuritaire à Bouaké

Le gouvernement devrait protéger les habitants de Bouaké et désarmer les anciens combattants

(Nairobi, le 5 mars 2012) – Le gouvernement ivoirien devrait s’attaquer d’urgence au problème de l’explosion de la criminalité à Bouaké, la deuxième ville du pays, et dans ses environs, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le gouvernement devrait prendre sans tarder des mesures pour désarmer les anciens combattants qui sont généralement considérés comme étant impliqués dans ces crimes, et équiper de manière adéquate la police et les gendarmes pour leur permettre de protéger la population et d’enquêter sur ces violences, a ajouté Human Rights Watch.

Depuis début décembre 2011, au moins 22 personnes ont été victimes de meurtres dans le centre de la Côte d’Ivoire, alors qu’elles se déplaçaient à moto ou en transport en commun. Des survivants et des témoins de ce genre d’attaques originaires de Bouaké et interrogés par Human Rights Watch ont décrit 15 incidents, dans lesquels au moins 13 hommes ont été tués par balles et cinq femmes ont été violées. Des habitants de Bouaké ont indiqué que de tels actes de banditisme sur les routes se produisaient quotidiennement et reflétaient une hausse frappante de la criminalité violente, qui a pour effet de perturber gravement la vie quotidienne. Des résidents ont affirmé que la police et les gendarmes ne les avaient pas protégés de ces violences et qu’ils n’avaient pas non plus enquêté de façon appropriée sur ces attaques.

« Le peuple ivoirien a déjà souffert d’innombrables horreurs », a déclaré Corinne Dufka, chercheuse senior sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Le gouvernement doit montrer qu’il est déterminé à faire cesser cette violence en désarmant les anciens combattants et en s’assurant que la police et les gendarmes sont équipés de manière adéquate pour protéger les Ivoiriens et pour enrayer la criminalité galopante aux alentours de Bouaké. »

Des victimes ont raconté que les attaquants, armés de fusils d’assaut kalachnikov, opéraient par groupes de deux à huit, bloquant les routes à l’aide de voitures ou de rondins de bois et dévalisant les voyageurs. Des témoins ont indiqué que des passagers qui avaient jeté un coup d’oeil sur le visage des assaillants, essayé de fuir ou n’avaient pu leur donner d’argent, avaient été tués. Plusieurs femmes interrogées par Human Rights Watch ont affirmé avoir été déshabillées par les bandits à la recherche d’argent, puis violées. Une femme a été violée devant les autres passagers après que son père eut été abattu sous ses yeux, tandis qu’une autre femme a été emmenée de force vers la brousse et violées par deux hommes.

Les victimes qui ont parlé à Human Rights Watch, toutes résidentes de Bouaké depuis des années, étaient unanimement persuadées que leurs attaquants étaient liés aux Forces républicaines. L’expression « Forces républicaines » désigne désormais l’armée nationale ivoirienne, mais elle est aussi communément utilisée pour évoquer des dizaines de milliers de jeunes qui ont pris les armes en 2011 pour chasser du pouvoir l’ancien président Laurent Gbagbo, après qu’il eut refusé de reconnaître la victoire électorale de l’actuel président Alassane Ouattara, et déclenché un torrent de violences contre les partisans de M. Ouattara.

Bouaké est l’ancienne capitale des Forces nouvelles, groupe armé qui avait pris le contrôle de la partie nord du pays dès septembre 2002 et constituait la majeure partie des Forces républicaines pendant la période post-électorale.

Pour expliquer le lien qu’elles établissaient entre leurs attaquants et les Forces républicaines, les victimes ont cité le type d’armes qu’ils utilisaient, le fait que certains portaient des pantalons ou des chaussures militaires, ainsi que la nature quasi-militaire de leurs attaques. Les victimes ont également mentionné l’ubiquité des combattants des Forces républicaines et des anciennes Forces nouvelles à Bouaké et le fait que manifestement, leurs attaquants ne craignaient pas d’être interpellés par les troupes des Forces républicaines qui exercent un contrôle effectif sur cette ville.

Le gouvernement ivoirien a de manière louable reconnu l’existence du problème du banditisme sur les routes et de la criminalité violente et s’est engagé publiquement à s’en occuper, a relevé Human Rights Watch. Des représentants de la société civile ivoirienne et de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) ont indiqué à Human Rights Watch que depuis le meurtre de cinq personnes en décembre 2011 par des soldats des Forces républicaines dans la ville de Vavoua, le gouvernement avait pris quelques mesures concrètes pour faire face aux problèmes d’indiscipline au sein de ces forces. Parmi ces mesures figurent la création d’une unité de police militaire, qui a arrêté des soldats impliqués dans des crimes, et des progrès dans les tentatives de réunir des forces anciennement antagonistes au sein d’une armée unique dotée d’une seule chaîne de commandement.

Les habitants de Bouaké ont cependant indiqué clairement que leur situation en matière de sécurité s’était progressivement aggravée. Une résidente de Bouaké a indiqué à Human Rights Watch, le 23 février 2012, que les deux semaines précédentes avaient été les pires qu’elle avait vécues jusque-là, avec des attaques à main armée chaque jour dans plusieurs endroits de la ville. Elle a indiqué qu’au moins cinq personnes avaient été tuées pendant cette période et que des attaques avaient été commises contre Western Union et d’autres entreprises importantes, provoquant une grève de marchands et de commerçants.

Le droit à la sécurité est garanti aux termes de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l’article 6 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, deux documents que la Côte d’Ivoire a ratifiés. Ces provisions exigent que les autorités prennent des mesures raisonnables pour protéger chaque citoyen de Côte d’Ivoire contre des violences exercées par qui que ce soit, quand les autorités savent que certains individus ou groupes courent des risques particuliers.

Des victimes ont déclaré à Human Rights Watch que lorsqu’elles avaient rapporté à la police ou à la gendarmerie des cas de banditisme sur les routes, y compris des cas de meurtres et de viols, les autorités avaient répondu qu’elles manquaient d’armes et d’équipement pour faire face au problème, et qu’elles s’étaient abstenues d’enquêter. Plusieurs personnes travaillant dans le secteur des transports interurbains à Bouaké ont indiqué que le vide sécuritaire était désormais en partie comblé par des membres des Forces républicaines régulières, qu’elles payent pour leur protection.

Human Rights Watch a appelé le gouvernement à fournir sans tarder à la police et aux gendarmes un soutien matériel suffisant pour qu’ils puissent accomplir des tâches de base en matière de sécurité. Le gouvernement devrait également faire en sorte que l’armée respecte la primauté de la police et des gendarmes, à qui revient la responsabilité de protéger la population et de traduire en justice les auteurs de crimes, a estimé Human Rights Watch.

Outre l’habilitation des forces de sécurité, la mise en œuvre efficace du programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (aussi appelé DDR) pour les dizaines de milliers d’hommes qui ont pris les armes durant la crise post-électorale est essentielle si l’on veut stopper la hausse préoccupante de la criminalité violente, a affirmé Human Rights Watch. Quelques progrès importants ont été réalisés dans le domaine du désarmement de ces hommes, selon Human Rights Watch. Des responsables de l’ONU ont en outre indiqué que les efforts actuels du gouvernement Ouattara constituaient un progrès significatif par rapport aux trois programmes infructueux de désarmement entrepris sous la présidence de M. Gbagbo. Le désarmement de certains groupes armés pouvant poser un risque élevé à Abidjan et dans l’ouest du pays – pour la plupart précédemment associés au camp Gbagbo – a effectivement commencé, avec une importante implication de l’ONU.

Toutefois, plusieurs responsables de l’ONU ont indiqué que certains membres influents du gouvernement, étroitement liés aux Forces républicaines, semblaient « tergiverser » ou « traîner des pieds » dans la mise en œuvre du programme de désarmement de forces grâce auxquelles ils ont accédé au pouvoir. Selon des informations de presse ayant pour sources des diplomates, on estime à environ 40 000 le nombre de « volontaires » qui ont combattu au sein des Forces républicaines.

Des responsables de l’ONU ont déclaré à Human Rights Watch que le désarmement sous supervision des Nations Unies de ces anciens combattants n’a pas encore commencé, étant donné que le gouvernement indique qu’il n’est pas encore parvenu à une décision concernant la réforme de l’armée et n’a pas terminé les opérations de recensement et de profilage de tous ces anciens combattants. Selon la formule d’un responsable de l’ONU, les Nations Unies ne peuvent pas participer au désarmement des Forces républicaines « tant que le gouvernement ne nous dit pas qui il faut désarmer ».

Les responsables de l’ONU ont expliqué qu’une partie du problème provenait de la prolifération des institutions d’État impliquées dans le programme DDR – actuellement au nombre de 17, dans diverses capacités – et ont appelé à la mise en place d’un programme national centralisé doté de l’autorité requise pour organiser et faire avancer le processus. Un expert de l’ONU sur le sujet a déclaré: « Le processus doit être intégré et cohérent, du moment où une personne est désarmée jusqu’à sa réinsertion, avec un accès transparent [pour l’ONU] à un registre qui indique les progrès des ex-combattants, utilisant pour chacun une carte biométrique [d’identification] unique…. Ce doit être le dernier programme DDR de la Côte d’Ivoire, donc il doit être rigoureux. »

Human Rights Watch a appelé le gouvernement ivoirien à faire en sorte que les opérations de l’ONU dans le pays et d’autres acteurs internationaux puissent superviser le processus de DDR, de la phase d’identification et recensement des anciens combattants à celles du désarmement et de réinsertion.

« La prolifération d’armes et le recrutement généralisé par les deux camps durant le conflit post-électoral a créé une grave situation de vide sécuritaire dans certaines régions de la Côte d’Ivoire », a conclu Corinne Dufka. « Le gouvernement ivoirien doit de toute urgence désarmer les anciens combattants et faire rendre des comptes à ceux qui se sont engagés dans des activités criminelles. »

Attaques avec violences contre des véhicules
Human Rights Watch a interrogé des victimes de 15 incidents relevant du grand banditisme sur les routes, survenus entre décembre et février à Bouaké et dans les environs. Treize hommes ont été tués et cinq femmes ont été violées au cours de ces attaques. Des récits crédibles fournis par la presse ivoirienne et des habitants de Bouaké ont apporté des détails sur 12 autres attaques commises contre des véhicules ou des entreprises dans le centre de la Côte d’Ivoire, lors desquelles au moins neuf autres personnes ont été tuées dans des circonstances semblables. Des résidents ont déclaré que les déplacements interurbains de nuit dans la région étaient devenus presque impossibles à cause du danger, tout en précisant que les attaques se produisaient aussi souvent de jour.

La criminalité, notamment le braquage armé constitue un problème grave en Côte d’Ivoire depuis des années, en particulier dans les régions du Nord et de l’Ouest. L’expert indépendant nommé par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU en juin 2011 pour observer la situation en Côte d’Ivoire en matière de droits humains, ainsi que des responsables de l’ONUCI, ont exprimé leur préoccupation au sujet de la criminalité devenue endémique à la suite des violences post-électorales. Des responsables de l’ONUCI ont déclaré à Human Rights Watch en janvier que si la criminalité à Abidjan a diminué vers la fin de 2011, les incidents autour de Bouaké et de Yamoussoukro en particulier ont en revanche augmenté.

Deux moyens de transport semblent être les cibles privilégiées des attaquants: les véhicules de transport interurbains et les motos. Le 23 janvier, Ibrahima Karim a été tué par balles dans la banlieue de Bouaké alors qu’il se déplaçait sur sa moto, que ses agresseurs ont ensuite volée, selon des témoins. Le 14 janvier, vers 18h00, une femme âgée de 42 ans revenait d’un marché de Bouaké sur sa moto lorsque deux hommes, également à moto, ont commencé à la suivre, selon le récit qu’elle a fait à Human Rights Watch. Elle a déclaré: « L’homme qui était à l’arrière de la moto était armé et ils m’ont ordonné de m’arrêter et de descendre de ma moto. Ils m’ont dit que si je ne le faisais pas, ils me tueraient. Ils ont vu mon [téléphone] portable et me l’ont pris, ainsi que mon argent. J’ai crié mais personne n’est intervenu. » Une habitante de Bouaké a dit à Human Rights Watch qu’il n’était plus possible pour les femmes de se déplacer à moto dans la région.

Un commerçant âgé de 57 ans a décrit une attaque commise le 15 décembre contre un véhicule de transport interurbain, semblable à plusieurs autres documentées par Human Rights Watch, dans laquelle une personne a été tuée:

Nous nous rendions vers 19h00 de Bouaké à Sakassou, à environ 60 kilomètres. Les attaquants avaient barré la route avec leur voiture et attendaient là, avec de gros fusils. Ils étaient six. Ils ont arrêté notre camion et nous ont crié de descendre et de nous allonger sur le sol. Ils nous ont tout pris – nos [téléphones] portables, notre argent et toute la marchandise qui était dans le camion. Ils ont fouillé tous nos bagages et les ont emportés dans le taxi dans lequel ils étaient venus.

Alors que nous étions étendus à plat ventre, un homme a tourné la tête et les a regardés. L’un d’eux s’est aussitôt approché de lui et l’a tué avec son arme; ce n’était pas un pistolet mais un gros fusil, du genre que les militaires portent en ville. Le type qu’ils ont tué avait à peu près 45 ans. Ils étaient masqués; nous ne pourrions même pas les identifier.

Quand ils eurent fini de tout mettre dans la voiture, ils nous ont brutalisés un peu. Ils nous ont frappés dans le dos et à la tête avec leurs fusils et leurs bottes…. Quand nous y réfléchissons, nous pensons que ce sont les FRCI [Forces républicaines] qui font cela. Je suis à Bouaké depuis longtemps mais je ne pourrais pas les reconnaître. Ils avaient caché leurs visages, avec des cagoules, des écharpes, tout ce qu’ils avaient. Et si vous les regardez, ils vous tuent.

Il y a constamment des attaques comme celle-ci. C’est devenu très sérieux. Nous n’avons pas le courage de prendre une [moto] pour aller à 10 kilomètres. Même en plein centre de la ville, ils vous tueront. La nuit, c’est particulièrement dangereux. Ils braquent des maisons, peut-être encore plus souvent que des véhicules…. Dans la brousse, ils attaquent même en plein jour. Et ils tuent des gens, avec leurs fusils de guerre. Ils attaquent sur de nombreuses routes. Il y avait des braquages et des viols avant [la crise post-électorale], mais pas à ce point-là.

Plusieurs victimes et témoins se sont dits convaincus que les bandes criminelles étaient organisées et qu’elles s’en prenaient parfois à des véhicules et à des personnes bien précis. Un homme âgé de 25 ans, qui a été dévalisé entre 20h00 et 21h00 le 18 janvier sur la route entre Bouaké et Katiola, a raconté que des hommes armés de kalachnikovs avaient arrêté le gbaka (minibus) dans lequel il voyageait et avaient semblé viser particulièrement un homme plus âgé – qu’ils ont fait descendre du véhicule et emmené. Le témoin a indiqué qu’il s’agissait d’un homme d’affaires en vue qui, selon ce qu’il avait entendu dire, avait sur lui une somme importante en argent liquide. Les victimes et plusieurs autres personnes ont été détroussées de leur argent et de leurs téléphones portables, avant d’être autorisées à poursuivre leur route dans le gbaka vers Katiola.

Un autre résident de Bouaké qui travaille dans l’une des gares routières de la ville a déclaré à Human Rights Watch que ses collègues et lui étaient persuadés que les bandits disposaient d’informateurs dans cette gare – car les véhicules transportant des passagers d’allure prospère tendaient à être systématiquement attaqués. De la même manière, les bandes criminelles ont pris pour cible plusieurs des plus importantes compagnies de la ville, dont la Société Ivoirienne des Tabacs(SITAB) qui, fin janvier, a été victime d’un hold-up de plusieurs millions de francs CFA en plein jour.

Violences sexuelle
Human Rights Watch a documenté cinq cas de viol commis au cours de ces actes de banditisme sur les routes. Une femme âgée de 27 ans a raconté à Human Rights Watch qu’elle avait été violée par deux hommes le 4 janvier, pendant l’attaque d’un minibus sur la route principale menant de Bouaké à Korhogo. Huit bandits, dont quatre armés de kalachnikovs, ont arrêté le minibus vers 19h30. Deux des attaquants ont déshabillé la victime pour chercher son argent, puis l’ont emmenée dans la brousse alentour et l’ont tous les deux violée. Elle pense être la seule femme à avoir été violée lors de cette attaque.

Une femme de Bouaké âgée de 20 ans a décrit une attaque semblable le 23 décembre dans laquelle son père a été tué, puis elle et plusieurs autres femmes ont été violées, tandis que les bandits s’emparaient de l’argent et des biens des passagers:

Nous étions dans un minibus de 22 places reliant Bouaké à Botro, à environ 45 kilomètres. Il était environ 21h00 quand nous avons vu un gros morceau de bois en travers de la route. Nous nous sommes arrêtés et les attaquants sont apparus. Quatre étaient en vêtements civils, le cinquième en tenue militaire. Ils avaient les gros fusils que nous voyons aux mains des militaires dans la ville et ils nous ont crié “Descendez! Descendez!”

Après être descendus, mon père et moi nous sommes mis à courir et ils nous ont tirés dessus. Ils ont tiré deux fois et mon père a été tué. Je me suis immobilisée en entendant les coups de feu et ils m’ont saisie, m’ont ramenée et allongée sur le sol. Ils ont pris l’argent, les [téléphones] portables – tout ce qui avait de la valeur dans nos sacs, dans le minibus et sur les passagers. Ils ont fouillé tout le monde.

Alors que l’un d’eux me fouillait, il m’a déshabillée et m’a violée. Il y avait cinq attaquants mais un seul m’a violée. Il a violé plusieurs autres femmes au moment où il les fouillait; quatre ou cinq au total. Un seul attaquant a commis ces viols mais les autres l’ont vu – cela s’est passé devant tout le monde. Il m’a frappée alors qu’il me violait, me disant que je ferais bien de lui donner tout mon argent. Les attaquants n’étaient pas masqués mais il faisait sombre et les gens avaient trop peur de regarder. Ils tuent les gens qui les regardent. J’ai vu le visage de celui qui m’a violée mais je ne le connaissais pas.

Ils avaient une Peugeot 205 verte. Ils ont mis tous nos biens dedans et sont partis vers 22h00, peut-être 23h00. Nous sommes remontés dans le minibus et avons emmené mon père à l’hôpital, où il est mort …. Des choses de ce genre se produisent constamment. Ils attaquent aussi des maisons mais seulement durant la nuit. Les braquages sur les routes se produisent tous les jours, même pendant la journée. Cela devient vraiment grave, très grave.

Les attaquants
Les victimes interrogées par Human Rights Watch sont toutes convaincues que les auteurs des attaques sont liés aux Forces républicaines, bien qu’ils fussent généralement habillés en civil et se couvraient le visage. Ici l’expression « Forces républicaines » désigne à la fois les anciennes forces rebelles désormais intégrées à l’armée nationale ivoirienne et d’autres combattants « volontaires » qui se sont battus au côté de ces soldats pour chasser Laurent Gbagbo du pouvoir. Des résidents ont fait remarquer à plusieurs reprises que la ville était pleine de personnes ayant des liens avec les Forces républicaines. Des victimes ont également basé leur conviction sur le type d’arme utilisée, le fait que certains attaquants étaient partiellement vêtus d’uniformes militaires, la nature quasi-militaire des attaques et le fait que les bandits ne craignaient apparemment pas que les troupes des Forces républicaines, qui ont le contrôle effectif de Bouaké, prennent des mesures pour mettre fin à leurs agissements.

Un habitant de Bouaké, victime d’un vol à main armée fin décembre à bord d’un minibus, a déclaré: « Il y a énormément de militaires. Pendant la journée, on voit les armes qu’ils portent. Et la nuit, on voit le même type d’arme aux mains des braqueurs. Nous dormons la peur au ventre. Nous vivons dans la peur. »

Une victime d’une attaque le 4 janvier a dit: « Je ne sais pas si ce sont des soldats de l’armée véritable ou des volontaires qui ont combattu avec eux. Nous ne sommes pas capables de les distinguer; ils sont tout le temps ensemble près des casernes [militaires] durant la journée. Ce que nous savons, c’est qu’ils sont les seuls à posséder tous ces fusils identiques à ceux des bandits. »

Lors de leur offensive militaire pour chasser M. Gbagbo du pouvoir, les Forces républicaines ont armé des milliers de jeunes qui étaient volontaires pour se battre. De son côté, le camp Gbagbo a armé des milliers d’autres miliciens et mercenaires. Bien qu’il soit très peu vraisemblable que des militants pro-Gbagbo soient actuellement actifs près de Bouaké – qui a longtemps été la capitale des Forces nouvelles – la distribution massive d’armes par les deux camps a pour résultat une prolifération de petites armes, notamment des kalachnikovs. Il est très probable que certaines de ces armes soient désormais entre les mains de personnes qui ne se sont battues pour aucun des deux camps, c’est-à-dire que tous les crimes violents de cette nature commis aux alentours de Bouaké ne sont pas nécessairement l’oeuvre d’hommes ayant appartenu ou appartenant aux Forces républicaines.

Cependant, il existe des indices sérieux permettant d’établir une implication au moins partielle des anciennes forces pro-Ouattara. Fin novembre, le ministre chargé des victimes de guerre s’est rendu à Bouaké pour discuter du processus de désarmement avec d’anciens combattants des Forces républicaines que les autorités avaient décidé de ne pas incorporer dans l’armée nationale ivoirienne. Les autorités locales, dont le préfet, assistaient à cette réunion. Un témoin a raconté à Human Rights Watch qu’un ancien combattant des Forces républicaines, mécontent, avait admis lors de cette réunion que d’ex-combattants des FRCI commettaient les braquages et avait averti qu’il y aurait d’autres attaques. Selon ce témoin, l’ancien combattant avait dit que ses camarades et lui étaient toujours en possession de leurs armes et qu’ils les conserveraient, avertissant qu’ils étaient mieux entraînés que la police et les gendarmes et qu’ils savaient se battre.

Réponse inefficace de la police et de la gendarmerie
Après le début de leur soulèvement fin 2002, les Forces nouvelles, à l’époque rebelles, avaient rapidement pris le contrôle de la moitié nord du pays. Jusqu’à l’élection présidentielle de 2010, l’Etat n’a pu exercer que très peu, voire aucune autorité, y compris policière ou judiciaire, dans le nord de la Côte d’Ivoire, et ces fonctions ont été assurées par les Forces nouvelles.

Neuf mois après la fin du conflit post-électoral, les Forces républicaines continuent d’assumer l’essentiel des tâches de lutte contre le crime dans de nombreuses régions du pays – malgré les multiples promesses du gouvernement de faire rentrer les militaires dans les casernes et de permettre à la police et aux gendarmes de reprendre leur fonctions. Les tensions nées de la poursuite de la prééminence de l’armée ont parfois mal tourné. Reuters a rapporté que le 13 février, trois personnes avaient été tuées et 20 autres blessées dans l’est de la Côte d’Ivoire, dans des heurts déclenchés lors de manifestations de protestation contre la poursuite de l’utilisation des Forces républicaines, plutôt que les gendarmes, dans des tâches sécuritaires de base.

En outre, la prédominance des Forces républicaines a rendu la police et les gendarmes presque entièrement inefficaces en matière de protection de la population et d’enquête sur les crimes, en particulier dans le nord. L’expert indépendant nommé par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a relevé ce problème persistant dans son rapport de janvier 2012:

Dans certaines zones, cette opération [de redéploiement des autorités de l’Etat] se passe de manière satisfaisante avec la coopération des éléments des Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) qui jusque-là assumaient l’essentiel des fonctions régaliennes de l’État. Dans d’autres cas, notamment dans les zones jadis sous contrôle des Forces nouvelles, comme le Nord et une partie de l’ouest du pays, des tensions sont persistantes entre les nouvelles autorités et les commandants FRCI. La police et la gendarmerie manquent de moyens humains et logistiques afin d’assurer convenablement leurs fonctions de maintien de l’ordre. Les services de police ne fonctionnent pas pleinement et certains commissariats sont toujours occupés par les éléments des FRCI.

Toutes les victimes originaires de Bouaké interrogées par Human Rights Watch ont déclaré que la police n’était pas équipée pour faire face à la criminalité – et que les Forces républicaines continuaient à exercer les fonctions relatives à la sécurité. Des victimes qui se sont plaintes de crimes auprès de la police ou des gendarmes ont indiqué que ces forces avaient répondu en se disant pratiquement désarmées et donc incapables d’agir. Une personne âgée de 41 ans, victime d’une attaque à bord d’un véhicule de transport interurbain dans laquelle une personne a été tuée, a déclaré: « La police est là, dans ses bureaux ou pour faire la circulation. Mais ils nous ont dit, ‘Ecoutez, nous ne sommes pas armés. Vos assaillants sont bien armés. Nous ne pouvons rien faire.’ »

Un habitant de Bouaké de 46 ans qui se trouvait dans un camion attaqué le 24 décembre a dit: « Quand nous sommes arrivés à Satama-Sokoura, nous sommes allés chez les gendarmes. Ils nous ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire pour le moment car ils n’étaient pas armés…. Ils ont pris note de l’information, mais ont dit qu’ils ne pouvaient pas faire d’enquête car les voleurs sont très bien armés. »

Cette situation constitue une violation non seulement du droit des victimes à la sécurité, mais aussi des dispositions du droit international exigeant des enquêtes effectuées dans la transparence dans les cas de meurtre.

Pendant des années, les soldats des Forces nouvelles ont été accusés de manière très crédible de se livrer à des rackets et des extorsions de fonds sur une grande échelle, y compris dans l’exercice de leurs fonctions policières et judiciaires. Le Groupe d’experts de l’ONU a publié un rapport en avril 2011, dans lequel il estimait à des millions de dollars les bénéfices financiers tirés des opérations d’extorsion de fonds par des commandants des Forces nouvelles. Un rapport de décembre 2011 de l’International Crisis Group décrit comment se poursuivent des activités de racket et d’extorsion de fonds sous l’autorité de certains commandants des Forces républicaines qui étaient précédemment membres des Forces nouvelles.

Le président Ouattara a, à son crédit, créé une force de police militaire chargée de s’occuper des problèmes d’indiscipline au sein de l’armée et il y a eu des arrestations. Toutefois, plusieurs victimes interrogées par Human Rights Watch ont déclaré qu’au moins quelques membres de l’armée régulière tirent des avantages financiers du manque de sécurité à Bouaké.

Une victime d’une attaque commise fin décembre a indiqué que lui-même et d’autres personnes employées dans les transports avaient pris la décision de se protéger: « Nous avons décidé de payer les FRCI pour notre protection…. Si vous avez trois camions qui se rendent à Daloa, à Gagnoa, n’importe où, vous payez environ 125 000 francs CFA (190 euros). Nous formons un convoi. Ce sont les vraies FRCI que nous payons, les soldats qui sont dans l’armée régulière. »

 

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