Skip to main content

Lettre au procureur général du Roi à Marrakech concernant le cas de l’officier de police Mohamed Kherbouche

Ce commissiaire jugé coupable de "violences ayant entraîné la mort" d'un citoyen marocain en 2002 n'a toujours pas purgé sa peine

M. Abdelilah El Mestari

Procureur général du Roi rattaché à la Cour d’appel de Marrakech

Marrakech, Maroc

 

Votre Excellence,

Demain, le 2 mars 2012, marquera l’anniversaire de la condamnation définitive de Mohamed Kherbouche, un officier de police de Marrakech, pour violences ayant entraîné la mort de Mohamed Aït Si Rihal, dans un poste de police de Marrakech, le 25 juillet 2002.

Alors qu’il était inculpé de la mort de M. Aït Si Rihal, le commissaire Kherbouche a continué à travailler dans les forces de police de Marrakech pendant près de neuf ans. Dans cet intervalle, il a été déclaré coupable et condamné à dix ans de prison, puis  a été à nouveau reconnu coupable en appel, à deux reprises. Pourtant, une fois que les tribunaux ont donné un caractère définitif à sa condamnation et à sa peine de dix ans de prison, M. Kherbouche a disparu, et les autorités ont déclaré publiquement qu’elles étaient incapables de le retrouver.

Inquiets que la non-exécution prolongée de la condamnation de M. Kherbouche ne sape le principe selon lequel chacun doit rendre compte de ses actes, nous écrivons à Votre Excellence pour lui demander quelles mesures sont prises pour le localiser. Vous avez indiqué, dans une lettre aux proches de l’homme décédé, datée du 17 juin 2011, que votre bureau avait ordonné à la police judiciaire de Marrakech d’intensifier les démarches pour localiser M. Kherbouche après qu’elles ont été incapables de le trouver à son adresse officielle. Vous mentionnez que le mandat d’arrêt national n°10982 a été émis contre lui, le 19 mai 2011. Vous mentionnez aussi dans cette lettre que le conseil administratif de la Sûreté Nationale a émis un arrêté le suspendant de son poste, qui a pris effet le 11 mai 2011.

Nous sommes aussi reconnaissants d’accuser réception d’un communiqué du ministère de la Justice, le 28 février 2012, affirmant que votre bureau a émis un mandat d’arrêt national contre M. Kherbouche après que la police a échoué à le retrouver.

L’affaire remonte au soir du 25 juillet 2002, lorsque les policiers ont amené au poste de police du Premier arrondissement M. Aït Si Rihal, un Marocain de 52 ans résidant en France et qui visitait alors Marrakech avec son épouse et le plus jeune de ses trois fils. La police avait arrêté M. Aït Si Rihal aux alentours de 19h30, dans un café où lui et un autre client avait commencé à se disputer. La femme de M. Aït Si Rihal, Zoubida Aït Si Rihal, et son frère, Abdellatif Aït Si Rihal, sont arrivés au poste dès qu’ils ont appris que les policiers l’y détenaient. A environ 20h30, une ambulance a transporté M. Aït Si Rihal, apparemment inconscient ou semi-conscient, à l’hôpital Ibn Zouheir, où il est mort environ deux heures plus tard. Le lendemain, le frère et l’épouse ont déposé plainte auprès du bureau du Procureur à la Cour d’appel de Marrakech, demandant l’ouverture d’une enquête criminelle. Dans leur plainte, tous deux déclaraient avoir vu M. Aït Si Rihal en train d’être passé à tabac au poste de police. Le verdict du tribunal de première instance cite leurs déclarations, ainsi que celles d’autres personnes, pour juger coupable l’accusé.

Les tribunaux marocains ont condamné M. Kherbouche dans chacun de ses trois procès : le procès en première instance devant la chambre criminelle de la Cour d’appel de Marrakech (affaire n°55/2004, jugement daté du 1er mars 2005) ; un premier procès en appel (affaire n°139/2005, jugement du 11 mai 2006) ; et un autre appel (affaire no415/2007, jugement du 28 novembre 2008) suite à la cassation du premier par la Cour suprême (jugement du 28 novembre 2008).

Dans le procès en première instance, qui s’était ouvert le 9 mars 2004, le tribunal a condamné l’officier en vertu des articles 231(2) et 403 du code pénal, pour violences ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner, un crime pour lequel la peine minimale est de 10 ans d’emprisonnement. Le tribunal a également condamné l’accusé à payer des dommages et intérêts de 120 000 dirhams (13 200 US$) aux proches de M. Aït Si Rihal.

La première cour d’appel à rejuger l’affaire a reconnu M. Kherbouche coupable d’un crime moins grave, en vertu de l’article 400 du code pénal évoquant l’usage de la violence, réduisant la peine à deux ans et annulant l’obligation de dédommager la famille de la victime. Pourtant, la seconde cour d’appel l’a de nouveau reconnu coupable selon l’article 403, restaurant la peine de 10 ans et le jugement de dédommagement. Le commissaire Kherbouche a déposé une demande auprès de la Cour suprême pour casser le verdict de la seconde cour d’appel, mais le 2 mars 2011, cette cour a gardé le verdict de la seconde cour d’appel intact (décision 98).

Le 25 juillet marquera le dixième anniversaire de la mort prématurée de M. Aït Si Rihal. Pendant la majeure partie de cette dernière décennie, l’homme poursuivi pour violences ayant entraîné la mort a poursuivi son travail en tant que policier et a continué de toucher son salaire. Puis, après avoir épuisé toute possibilité de faire appel il y a un an, il s’est enfui plutôt que de se rendre pour purger sa peine, et n’a pas été trouvé depuis.

Nous serions reconnaissants d’apprendre les mesures que les autorités marocaines ont prises, et prennent actuellement, pour localiser ce condamné, et apprécierait de recevoir des copies du ou des mandats émis pour l’arrêter ; de tout avis adressé aux postes de contrôle des passeports des points de sortie du territoire ; et une copie d’un mandat d’arrêt international, si le Maroc en a émis un.

Merci pour votre attention.

 

Veuillez agréer, Votre Excellence, l’expression de ma haute considération.

Sarah Leah Whitson

Directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord

Human Rights Watch 

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.