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Soudan : Les forces de sécurité doivent mettre fin aux violences contre les manifestants pacifiques

Les autorités devraient soit inculper les détenus politiques dans les plus brefs délais, soit les libérer

(New York, le 3 janvier 2012) – Les forces de sécurité soudanaises doivent cesser de recourir à la force de façon excessive pour disperser les manifestations étudiantes pacifiques, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Les autorités doivent également libérer immédiatement les activistes et les membres de l'opposition retenus prisonniers ainsi que les autres personnes arrêtées à cause de leurs opinions politiques, ou bien les inculper pour des motifs justifiés.

 « Les étudiants soudanais ont le droit d'organiser des manifestations pacifiques sans se faire agresser à coups de matraques et de gaz lacrymogène », a affirmé Daniel Bekele, directeur de la division Afrique chez Human Rights Watch. « Les forces de sécurité devraient respecter les droits fondamentaux à la liberté de parole et de réunion, et ne faire usage de la force que quand c'est absolument nécessaire. »

Selon Human Rights Watch, les forces de sécurité font usage depuis la mi-décembre 2011 d'une force inutile ou excessive pour disperser des manifestations dans les universités du Soudan. Le 22 décembre, des policiers et des membres des forces internes de sécurité armés de matraques et de bombes lacrymogènes ont violemment dispersé des manifestations pacifiques à l'université de Khartoum, organisées par les étudiants en solidarité avec une communauté déplacée par la construction d'un barrage dans l'État du Nil. Les autorités ont arrêté un grand nombre d'étudiants, et leur ont infligé des blessures à la suite desquelles beaucoup d'entre eux ont eu besoin de soins médicaux.

Un étudiant a raconté à Human Rights Watch comment des policiers sont entrés dans sa chambre sur le campus la nuit du 22 décembre, alors que les étudiants dormaient. « La police a fait une descente dans notre chambre, ils ont fracassé la porte et nous ont battus », a-t-il déclaré. L'un de ses camarades de chambre a été blessé à la tête et un autre a eu la main cassée. La police a placé 16 étudiants en garde à vue pour la nuit.

Le nombre d'arrestations d'activistes et de personnalités de l'opposition a également augmenté ces dernières semaines, selon Human Rights Watch. Entre septembre et décembre 2011, les forces de sécurité ont arrêté plus de 250 personnes au cours de manifestations, de conférences de presse, de réunions de partis politiques, et au domicile de particuliers.

Le 26 décembre, sept agents de sécurité en civil ont arrêté dans sa maison de Khartoum Mohammed Hassan Alim Boshi, fraîchement diplômé de l'université et membre affiché du parti d'opposition le Baas. Il est actuellement détenu dans un lieu non déterminé. On pense qu'il a été arrêté suite au discours largement diffusé qu'il a prononcé à l'Université de Khartoum le mois dernier, dans lequel il critiquait le parti du Congrès National au pouvoir au Soudan et son principal conseiller en matière de sécurité, Nafi Ali Nafi.

Des dizaines d'autres membres de l'opposition et d'activistes qui s'affichaient ouvertement ont également été arrêtés. Exemple récent, Ali Zein al-Abdin Ali Omer, blogueur et militant pro-démocratie de premier plan, a été arrêté le 22 décembre quand des agents de sécurité en civil ont arrêté la voiture qui l'emmenait à Khartoum. Il a été détenu à l'isolement pendant huit jours, et a subi des interrogatoires sur ses relations avec le Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord (SPLM-Nord), le parti d'opposition soudanais issu du SPLM suite à la sécession du Sud-Soudan le 9 juillet 2011.

Ibrahim Sanoussi, le secrétaire général du parti d'opposition du Congrès Populaire, qui est âgé de 70 ans, a été arrêté à l'aéroport de Khartoum le 19 décembre alors qu'il arrivait du Sud-Soudan. Il est actuellement détenu dans un lieu non-déterminé. Les autorités ont par la suite arrêté d'autres membres de son parti qui avait tenté d'attirer l'attention publique sur son sort, en tenant une conférence de presse dans l'État de Gedarif le 22 décembre.

« Le recours à la violence et aux arrestations pour réprimer tout discours politique et réduire les activistes au silence est à la fois illégal et contre-productif », a observé Daniel Bekele. « Au lieu d'étouffer la contestation, les autorités devraient promouvoir le dialogue comme étant le meilleur moyen de venir à bout des différends. »

Le Soudan continue également à détenir arbitrairement un grand nombre de personnes suspectées d'avoir des liens avec le SPLM-Nord dans les États du Sud-Kordofan et du Nil-Bleu. Ces arrestations participent d'une campagne de répression contre ce parti, lancée au moment où des affrontements ont éclaté entre le groupe armé et les forces gouvernementales dans le Sud-Kordofan en juin et le Nil-Bleu en juillet.

Répression des manifestations d’étudiants

La récente vague de répression coïncide avec l'indignation publique croissante soulevée par un certain nombre de problèmes sociaux, et suscitée notamment par la détérioration de la situation économique et l'incertitude politique qui ont suivi la sécession du Sud-Soudan le 9 juillet 2011.

Suite à la répression des manifestations d’étudiants le 22 décembre à l'université de Khartoum, les forces de sécurité du gouvernement ont à nouveau pénétré sur le campus le 25 décembre, et ont maltraité et arrêté d'autres étudiants qui s'étaient rassemblés pour un sit-in en signe de protestation contre ces violences. Les autorités ont arrêté plus de 70 étudiants, en blessant de nouveau un grand nombre.

Les étudiants ont maintenu le sit-in malgré la fermeture de l'université le 29 décembre. Trois leaders étudiants ont été arrêtés le 31 décembre et le 1er janvier, en lien avec ce sit-in. Les étudiants s'étaient initialement rassemblés pour manifester leur solidarité avec les Manaseer, un groupe ethnique vivant sur les rives du fleuve, dont les membres ont été déplacés de force et ont dû quitter des terres situés dans l'État du Nil lors de la construction du barrage de Méroé, achevé en 2008.

Des agents de sécurité ont également dispersé des manifestations avec violence au cours de ces dernières semaines dans des universités de Khartoum, de Port-Soudan, de l'État du Nil, de Gedarif et de Kassala, dans l'est du pays. Les manifestations dans ces universités étaient motivées par les revendications des Manaseer ; le meurtre du Dr Khalil Ibrahim, un chef rebelle du Darfour, par les forces gouvernementales le 23 décembre; et par des soupçons de trucage politique des élections de syndicats d’étudiants.

Les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois disposent que les forces de sécurité, dans l'accomplissement de leurs fonctions, auront recours autant que possible à des moyens non violents avant de faire usage de la force. Lorsque l'usage légitime de la force est inévitable, les autorités doivent en user avec modération, et leur action doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction.

Répression des partis politiques interdits

Le gouvernement continue à détenir arbitrairement des personnes soupçonnées d'avoir des liens avec le SPLM-Nord. La répression à l'encontre de ce parti s'est intensifiée suite aux affrontements qui ont éclaté entre ses forces et celles du gouvernement au Sud-Kordofan au mois de juin et dans l'État du Nil-Bleu en septembre. Ces États sont situés au nord de la frontière Soudan / Sud-Soudan, mais sont historiquement alignés avec le Sud.

Le Soudan a interdit en septembre le SPLM-Nord et a fait fermer des journaux, dont notamment le quotidien d'opposition Ajras al-Huriya, en invoquant leurs liens avec « le Sud ». Le Soudan a restreint tout accès aux régions agitées que sont les États frontaliers, et contrôle étroitement les informations sur la situation des droits humains dans ces zones.

Bien que Human Rights Watch n'ait pu vérifier les dires des dirigeants du SPLM-Nord, selon lesquels 180 membres et partisans du parti seraient portés disparus ou auraient été emprisonnés depuis le début du conflit dans l'État du Nil-Bleu, des sources crédibles ont confirmé que 14 personnes arrêtées au cours de la première semaine de septembre sont actuellement détenues dans la prison de Sennar, sans qu'aucune charges ne soient retenues contre eux.

Deux défenseurs des droits humains de premier plan, originaires de la région disputée de la frontière, ont été emprisonnés sans être inculpés pendant des mois. Bushra Gammar, un défenseur des droits humains appartenant à l'ethnie Nuba, arrêté à Kadugli le 25 juin, est détenu par la sécurité nationale dans la prison de Kober. Abdelmonim Rahama, poète et ancien conseiller au sein du gouvernement de l'État du Nil-Bleu, a été arrêté le 2 septembre à Damazin par des agents de la sécurité nationale, et est détenu au secret dans un lieu non déterminé.

Human Rights Watch et d'autres organisations ont exprimé à de nombreuses reprises leurs inquiétudes concernant le risque de mauvais traitements et de torture auquel sont soumis les prisonniers sous la garde de la sécurité nationale. Le Service National du Renseignement et de la Sûreté au Soudan (NISS) utilise couramment ses larges pouvoirs en matière d'arrestation et de détention pour s'en prendre aux opposants au gouvernement, et est connu pour maltraiter et torturer les détenus. En 2011, Human Rights Watch a rassemblé des informations indiquant l'existence d'un recours systématique du NISS à la torture contre les manifestants étudiants, suite à une vague de répression contre des manifestations de masse en faveur de la démocratie.

« Le conflit armé au Soudan n'est pas une excuse pour priver quelque détenu que ce soit de ses droits fondamentaux », a conclu Daniel Bekele. « Le gouvernement doit mettre fin à la détention au secret et libérer tous ceux qui n'ont pas été légalement inculpés d'un crime. »

 

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