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Union africaine : Il faut faire pression sur le Sénégal pour que ce pays extrade Hissène Habré

Un rapport de l’Union africaine critique l’absence de progrès dans l’organisation du procès de l’ex-dictateur tchadien

(Dakar, le 28 juin 2011) - L'Union africaine doit demander au Sénégal d'extrader l'ancien dictateur tchadien, Hissène Habré, vers la Belgique, a déclaré aujourd'hui une coalition de victimes et d'organisations de défense des droits de l'homme.

Les chefs d'État africains se réuniront en Guinée équatoriale le 30 juin 2011 pour le sommet de l'Union africaine, un mois après que la délégation sénégalaise ne se soit retirée des discussions avec l'Union africaine au sujet de la Cour chargée de juger Hissène Habré.

« Le moment est venu pour son extradition », a déclaré Jacqueline Moudeina, présidente de l'Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des droits de l'Homme (ATPDH). « Nous aurions préféré voir Hissène Habré jugé en Afrique, mais après vingt et un ans le plus important est que justice soit faite. »

Dans un rapport d'une inhabituelle franchise préparé en vue du sommet, la Commission de l'Union africaine s'est affligée du « peu de progrès accompli » quant à l'organisation du procès depuis qu'elle a demandé au Sénégal, en 2006, de juger Habré « au nom de l'Afrique » et demande au Sommet d'envisager d'autres options que celle d'un jugement au Sénégal.

L'ancien dictateur est accusé de centaines d'exécutions politiques et de torture systématique alors qu'il dirigeait le Tchad de 1982 à 1990 avant de se réfugier au Sénégal, où il vit depuis plus de vingt ans. La Belgique a demandé son extradition en 2005 et a réitéré sa demande en 2011.

« Le jugement de Hissène Habré est la priorité. Si le Sénégal ne veut pas le juger, il faut l'extrader immédiatement », a déclaré Dobian Assingar, Président de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme (FIDH), qui est également Président d'Honneur de la Ligue Tchadienne des Droits de l'Homme (LTDH). « Le fait que le Sénégal ne veuille pas juger Hissène Habré porte un rude coup à tous ceux qui croient en la capacité de l'Afrique à juger équitablement ses bourreaux. »

Selon la Commission, le Sénégal n'a toujours pas expliqué pourquoi sa délégation s'est brusquement retirée le 30 mai 2011 des discussions avec l'Union africaine à Dakar sur la mise en place d'une Cour chargée de juger Habré.

Le retrait de la délégation de la réunion de Dakar s'inscrit dans plus d'une décennie de manœuvres dilatoires de la part du gouvernement du Président Abdoulaye Wade. En 2000, le doyen des juges d'instruction sénégalais a inculpé Habré mais, à la suite d'immixtions politiques du Président Wade, les tribunaux sénégalais se sont déclarés incompétents.

En 2005, plusieurs victimes de nationalité belge ont déposé plainte à Bruxelles, et après quatre années d'enquête, un juge belge a délivré un mandat d'arrêt international à l'encontre de Hissène Habré. Pour autant, le Sénégal s'est refusé à l'extrader. L'Union africaine a demandé au Sénégal en 2006 de juger Habré « au nom de l'Afrique ». Dakar a pendant quatre ans, prétexté le manque de moyens financiers pour justifier son immobilisme. Enfin, en novembre 2010, une réunion des donateurs internationaux a permis de débloquer 11,7 millions de dollars pour le procès.

Le régime à parti unique instauré par Hissène Habré a été marqué par des atrocités commises à grande échelle, notamment des vagues d'épuration ethnique. Les documents de la police politique de Habré révèlent les noms de 1 208 personnes exécutées ou décédées en détention. Les documents font état d'un total de 12 321 victimes de graves violations aux droits de l'homme. Une Commission d'Enquête tchadienne a également découvert que l'ancien président avait, avant de fuir au Sénégal, vidé les caisses de l'État tchadien, se constituant ainsi une petite fortune qui lui permet aujourd'hui d'acheter sa tranquillité.

Dans son rapport, la Commission de l'Union africaine a insisté sur le fait que le Sénégal « a l'obligation au regard de la Convention contre la torture de 1984 de juger ou d'extrader Hissène Habré ».

En 2006, le Comité des Nations unies contre la torture avait condamné le Sénégal pour violation de ses obligations et l'avait enjoint à porter Habré devant la justice.

La Commission ajoute que si le Sénégal ne mène pas les poursuites à bien, d'autres options devraient être considérées : un jugement au Tchad devant une Cour internationale spéciale, ou l'extradition vers la Belgique.

Les organisations - l'Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des droits de l'Homme (ATPDH), l'Association des Victimes des Crimes du Régime de Hissène Habré (AVCRHH), la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme (RADDHO), la Ligue Sénégalaise des Droits de l'Homme, Human Rights Watch, Agir Ensemble pour les droits de l'Homme et la Fédération Internationale des ligues des Droits de l'Homme (FIDH) - estiment que les conditions pour un procès respectant les normes de droit international ne sont pas réunies au Tchad et qu'après vingt et une années d'attente, l'extradition de Habré en Belgique apparaît comme l'option la plus efficace, la plus réaliste et la plus rapide afin d'assurer que l'ex dictateur réponde des charges portées contre lui devant une juridiction offrant toutes les garanties d'un procès juste et équitable.

En juillet 2010, l'Archevêque Desmond Tutu et cent dix-sept groupes de vingt-cinq pays africains avaient dénoncé « l'interminable feuilleton politico-judiciaire » auquel les victimes sont soumises depuis plus de vingt ans.

En 2009, Bruxelles a saisi la Cour Internationale de Justice (CIJ) demandant à celle-ci d'ordonner au Sénégal de juger ou extrader Habré en Belgique. L'affaire est actuellement pendante et la décision de la Cour ne devrait pas être rendue avant 2012.

S'exprimant au nom des victimes, Souleymane Guengueng a déclaré : « D'abord nous avons été torturés par le régime dictatorial de Hissène Habré, et ensuite, depuis plus de vingt et un ans, nous avons été trompés par les dirigeants sénégalais et africains qui ont refusé que notre bourreau s'explique devant la justice sur les crimes commis contre le peuple tchadien. Le temps nous est compté : chaque année, des centaines de survivants meurent. L'Union africaine doit rapidement intervenir avec fermeté pour que le Sénégal affronte ses responsabilités et extrade Habré, sinon, il risque de ne plus y avoir de témoins le jour du procès ». Guengueng a failli mourir de la dengue durant les trois années qu'il a passé dans les prisons de Hissène Habré. Il fut libéré à la chute du régime Habré en 1990 et fonda une association de victimes pour demander justice.

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