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UE : Il faut placer les droits humains au cœur de la politique migratoire européenne

Le sommet du Conseil européen devrait adopter une démarche axée sur les obligations en matière de droits humains

(Bruxelles, le 20 juin 2011) - La réunion des chefs d'État de l'Union européenne (UE) qui se tiendra cette semaine à Bruxelles devrait placer les droits humains au cœur de la politique européenne en matière de migration et d'asile , a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. La migration fera partie des questions prioritaires du sommet du Conseil européen des 23 et 24 juin 2011, au cours duquel seront abordés le contrôle des frontières extérieures, la libre-circulation au sein de l'UE, le régime d'asile européen commun et la coopération migratoire avec l'Afrique du Nord.

La réunion du Conseil européen vient à point nommé, a commenté Human Rights Watch. Les soulèvements en Afrique du Nord ont amené des milliers de migrants et de demandeurs d'asile sur les côtes européennes et entraîné un nombre croissant de morts de migrants en mer. Les efforts visant à réformer les réglementations sur le droit d'asile et à renforcer la solidarité au sein de l'UE sont pour la plupart en perte de vitesse, tandis que la mise en avant de l'application des lois frontalières s'est faite au détriment de la protection des droits des migrants et de l'accès à l'asile.

« Aujourd'hui, les représentants de l'UE parlent beaucoup de promouvoir les valeurs de cette institution au Moyen-Orient et en Afrique du Nord », a commenté Judith Sunderland, chercheuse senior sur l'Europe occidentale à Human Rights Watch. « Mais quand il s'agit de migrants et de demandeurs d'asile, ces valeurs passent bien trop souvent aux oubliettes. »

À l'heure actuelle, l'UE affiche des déficiences dans cinq domaines clés qui l'empêchent d'honorer ses obligations en matière de protection des demandeurs d'asile et des migrants, a observé Human Rights Watch :

  • Absence de réforme du règlement de Dublin, qui exige d'examiner les demandes d'asile dans le premier État de l'UE par lequel un migrant est entré. Une charge disproportionnée incombe ainsi aux États situés aux frontières extérieures de l'UE comme la Grèce, au régime d'asile déficient.
  • Prolongement de la crise de l'asile et conditions de détention inhumaines et dégradantes des migrants en Grèce, l'aide de l'UE étant axée davantage sur la sécurité de ses frontières avec la Turquie que sur la garantie d'un traitement humain des migrants.
  • Efforts insuffisants pour prévenir les morts en mer de migrants par bateau fuyant la Libye et d'autres régions d'Afrique du Nord. Durant les six premiers mois de 2011, 1500migrants ont ainsi trouvé la mort en tentant de traverser la Méditerranée pour venir en Europe.
  • Initiatives limitées en matière de réinstallation des réfugiés d'Afrique du Nord dans les pays de l'UE, tandis que l'Égypte et la Tunisie continuent d'en accueillir des centaines de milliers.
  • Recours aux accords de réadmission, qui facilitent le renvoi de migrants et de demandeurs d'asile arrivés en UE vers des pays de transit- tels que l'Ukraine - qui manquent de volonté ou de capacités pour leur garantir un accès à l'asile et les traiter humainement.

Le règlement Dublin II

Le Conseil européen devrait examiner les propositions de la Commission concernant la révision de plusieurs parties du régime d'asile commun, dont la directive Accueil, qui couvre l'aide aux demandeurs d'asile, ainsi que la directive Procédure, qui traite des procédures d'asile.

Toutefois, les efforts de réforme du règlement Dublin II, qui partent de l'hypothèse erronée selon laquelle tous les États membres de l'UE disposeraient de normes et de capacités communes pour traiter et accueillir équitablement les demandeurs d'asile, sont paralysés du fait de l'opposition manifestée par un grand nombre de gouvernements de l'UE, notamment ceux de l'Europe du Nord qui auraient intérêt à ce que le statu quo soit maintenu. Concrètement, cela signifie qu'une charge inégale incombe aux États de l'UE les plus concernés qui doivent traiter les demandes émanant de la quasi-totalité des arrivées de migrants par terre et mer, alors que leurs régimes d'asile sont insuffisants, a précisé Human Rights Watch.

La crise de l'asile en Grèce

La crise de l'asile en Grèce illustre parfaitement les défaillances de la réglementation, selon Human Rights Watch. En raison de la situation géographique du pays, plus de trois quarts des migrants en situation irrégulière arrivés en UE par voie terrestre en 2010 sont passés par la Grèce. L'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, le HCR, a qualifié la situation des migrants et des demandeurs d'asile en Grèce de « crise humanitaire ». La Grèce n'a approuvé que onze des 30 000 premières demandes d'asile qu'elle a reçues en 2010. Quelque 47 000 dossiers de demande d'asile sont actuellement en souffrance, et la réforme du régime d'asile grec ne progresse que lentement. Entre-temps, des milliers de migrants et de demandeurs d'asile en Grèce font face à une détention systématique dans des conditions jugées inhumaines et dégradantes par la Cour européenne des droits de l'homme.

En janvier, la Cour a statué qu'en raison du régime d'asile déficient de la Grèce et des conditions de détention qui y règnent, le transfert par la Belgique d'un demandeur d'asile afghan vers la Grèce en 2009 avait porté atteinte à l'interdiction des mauvais traitements et empêché à cet individu de disposer d'un recours efficace. Conséquence : au moins huit pays ont d'ores et déjà suspendu les transferts vers la Grèce au titre du règlement de Dublin.

La pression que la Commission a exercée sur la Grèce a incité cette dernière à réformer son régime d'asile. En novembre 2010, l'agence européenne de surveillance des frontières, Frontex, y a envoyé des gardes-frontières d'autres pays de l'UE pour contribuer à renforcer les frontières terrestres de la Grèce avec la Turquie - le long desquelles la police grecque a arrêté en 2010 plus de 47 000 migrants et demandeurs d'asile qui tentaient de s'introduire en Grèce. Toutefois, l'UE n'est guère intervenue pour venir à bout des conditions de détention abusives réservées aux migrants qui atteignent la Grèce.

« L'UE semble bien plus soucieuse de tenir les migrants et les demandeurs d'asile à l'écart de la Grèce et hors d'Europe que d'assurer les droits de ceux qui s'y trouvent déjà », a commenté Judith Sunderland. « Si l'UE tient réellement à s'engager envers le droit de demander l'asile, elle doit corriger le règlement de Dublin et aider la Grèce à mettre un terme à son régime de détention abusif des migrants. »

Morts en mer

L'accès à la protection internationale en Europe impose également d'agir davantage pour prévenir les morts en mer, selon Human Rights Watch. Jusqu'à 1 500 personnes ont péri en Méditerranée depuis le début de l'année lors de tentatives désespérées d'atteindre les rivages européens. Des dizaines d'entre elles sont mortes lorsque leur embarcation a fait naufrage ou chaviré ; tout dernièrement, début juin, plus de 200 ont trouvé la mort au large des côtes tunisiennes, tandis que des centaines d'autres ont disparu et sont présumées mortes. Les informations selon lesquelles des navires militaires en Méditerranée n'ont pas porté assistance à un bateau à la dérive fin mars et début avril, 63 personnes d'Afrique subsaharienne étant ainsi mortes de soif et de faim, sont particulièrement troublantes et soulignent la nécessité d'apporter une réponse communautaire concertée et fondée sur des principes à la migration par bateau, a affirmé Human Rights Watch.

Tous les navires en Méditerranée devraient sans hésitation porter secours aux bateaux surchargés de migrants et tenir compte de l'appel lancé par le HRC selon lequel il convient de traiter présomptivement toutes ces embarcations comme devant être secourues sans attendre qu'elles soient en perdition, a commenté Human Rights Watch. L'Italie et Malte doivent multiplier leurs opérations vitales en mer, intensifier les exercices d'identification des navires avant que ceux-ci soient en perdition et les accompagner jusqu'à ce qu'ils puissent accoster en sécurité.

Par ailleurs, les pays européens devraient procéder à l'évacuation en mer des civils les plus vulnérables bloqués en Libye, a précisé Human Rights Watch. La Tunisie et l'Égypte accueillant déjà des centaines de milliers de Libyens et de ressortissants d'autres pays qui cherchent à fuir la Libye, les pays européens devraient faire preuve de solidarité en évacuant certains de ceux qui sont bloqués en Libye vers l'Europe, où ils devraient avoir accès au droit d'asile ou à une protection provisoire.

« Si des centaines de personnes mouraient à terre et non en mer, les gouvernements de l'UE exigeraient une initiative commune », a déclaré Judith Sunderland. « L'intensification des opérations de sauvetage pourrait littéralement sauver des centaines de vies. »

Besoin de réinstallation des réfugiés

L'UE devrait aussi multiplier ses efforts de réinstallation des réfugiés reconnus provenant d'Afrique du Nord et d'ailleurs en augmentant les quotas nationaux et en cherchant rapidement à mettre en œuvre un programme européen commun de réinstallation. Pour l'instant, les pays européens ont proposé de réinstaller quelque 700 réfugiés d'Afrique du Nord et de reloger plus de 300 demandeurs d'asile actuellement à Malte, ce qui témoigne du fardeau que font peser les arrivées de migrants par mer sur cette minuscule nation insulaire.

Seuls quatorze pays européens disposent de programmes de réinstallation, dont l'Islande et la Norvège, qui ne sont pas membres de l'UE. À travers le monde, 6 % seulement des réfugiés réinstallés se retrouvent en Europe. Environ 90 % ont pour destination finale les États-Unis, le Canada et l'Australie.

Accords de réadmission

Le renforcement du contrôle des frontières extérieures de l'Europe est également à l'ordre du jour de la réunion du Conseil européen. Une partie essentielle de la stratégie communautaire de contrôle de la migration s'appuie sur les accords de réadmission, qui facilitent la déportation des migrants vers des pays voisins et autres par lesquels ils ont transité pour entrer dans l'UE.

Au titre de ces accords, les retours sont censés n'avoir lieu qu'une fois que les demandes d'asile ont été examinées. Or, les travaux de recherche menés par Human Rights Watch dans le cadre d'un rapport publié en décembre 2010 indiquent que les migrants renvoyés vers l'Ukraine depuis la Slovaquie et la Hongrie au titre des accords de réadmission ne pouvaient demander l'asile avant d'être expulsés, et faisaient ensuite l'objet d'abus en Ukraine.

Plus de la moitié d'entre eux avaient été frappés et certains auraient été torturés en Ukraine. La plupart ont déclaré que les autorités slovaques et hongroises avaient ignoré leur volonté de demander l'asile. Le rapport a également révélé que le système ukrainien était complètement déficient, ne pouvant accorder l'asile aux personnes dont il s'avérait qu'elles étaient des réfugiés. Il a aussi indiqué que la Slovaquie et la Hongrie avaient expulsé des enfants migrants non accompagnés vers l'Ukraine alors que ce pays ne dispose d'aucun moyen spécial de les protéger.

Dans un rapport publié en février, la Commission européenne a reconnu que les droits humains pouvaient être violés au titre des accords de réadmission et déclaré qu'elle surveillerait le traitement réservé aux personnes expulsées et exigerait des comptes aux États membres qui renvoient des migrants dans des pays où ils font l'objet d'abus. La proposition formulée dans le rapport, qui porte sur un mécanisme pilote de suivi post-retour pour l'Ukraine, est positive, selon Human Rights Watch. Toutefois, la conclusion selon laquelle l'expulsion de migrants depuis des pays tiers vers l'Ukraine « a porté ses fruits » va totalement à l'encontre d'éléments clés qui démontrent que les personnes retournées font face à de mauvais traitements.

« Avant de renvoyer quiconque vers un pays de transit, les gouvernements de l'UE devraient s'assurer que la personne en question n'a pas besoin qu'on lui accorde l'asile et qu'elle n'y fera pas l'objet d'abus », a conclu Judith Sunderland. « La Commission devrait veiller à ce que les accords conclus avec des pays tiers prévoient une protection efficace des droits humains, soient soumis à une étroite surveillance et, si nécessaire, soient suspendus. »

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