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Cameroun : Appel à l'annulation de la condamnation d'un citoyen pour homosexualité

Courrier à trois hauts représentants du gouvernement camerounais concernant l'affaire Mbede

Le 17 mai 2011

M. Amadou Ali Garde des Sceaux Ministère de la Justice Yaoundé, Cameroun M. Martin Mbargua Nguélé Délégué général à la Sûreté nationale Présidence de la République Yaoundé, Cameroun

M. Jean Baptiste Bokam Secrétaire d'État auprès du ministre de la Défense Ministère de la Défense Yaoundé, Cameroun

Objet : Affaire concernant Roger Jean-Claude Mbede

Messieurs Ali, Nguélé et Bokam,

Human Rights Watch est une organisation non gouvernementale à but non lucratif qui enquête sur les violations des droits humains partout dans le monde. L'Association pour la défense de l'homosexualité (ADEFHO) et Alternatives-Cameroun sont deux des principales organisations camerounaises de défense des droits de toutes les personnes, dont les lesbiennes, les gays, les bisexuels et les transgenres.

Nous vous écrivons aujourd'hui pour vous faire part de notre inquiétude suite à l'arrestation, à la détention et à la condamnation d'une personne de plus, Roger Jean-Claude Mbede, en application de l'article 347 bis du code pénal, qui criminalise les « rapports sexuels avec une personne de son sexe » et condamne les personnes arrêtées à une peine de prison pouvant atteindre cinq ans.

Monsieur Ali, nous vous exhortons, en votre qualité de ministre de la Justice, à procéder sans délai à la révision de cette loi qui criminalise les rapports sexuels consentis et à enquêter sur le cas de M. Mbede ainsi que sur d'autres arrestations effectuées en application de cette loi. Messieurs Nguélé et Bokam, nous vous exhortons, en vos qualités respectives de délégué général à la Sûreté nationale chargé de la Police et de secrétaire d'État auprès du ministre de la défense chargé de la Gendarmerie, à prendre des mesures pour veiller à ce que l'ensemble des arrestations effectuées en application de l'article 347 bis cessent sans délai, cette loi servant de prétexte à la traque d'individus et à l'extorsion, en violation des obligations constitutionnelles et internationales du Cameroun.

L'affaire que nous souhaitons évoquer est la suivante : M. Mbede a envoyé un SMS à une connaissance pour convenir d'une rencontre le 2 mars 2011. Lorsqu'il est arrivé sur place, cette personne était accompagnée de policiers, qui ont placé M. Mbede en garde à vue. Pendant son interrogatoire par les policiers, M. Mbede aurait déclaré être homosexuel. Selon la loi du Cameroun, une personne ne peut pas être retenue en garde à vue plus de 48 heures sans être inculpée ; or M. Mbede est resté sept jours à la gendarmerie du SED de Yaoundé avant d'être inculpé, en application de l'article 347 bis, et transféré à la prison centrale de Yaoundé.

Le 28 avril, le Tribunal de première instance de Yaoundé à reconnu M. Mbede coupable d'avoir des « rapports sexuels avec une personne de son sexe » et l'a condamné à trois ans d'emprisonnement. M. Mbede purge actuellement sa peine à la prison centrale de Yaoundé. Pour les militants camerounais, sa sécurité physique est menacée en raison de son orientation sexuelle.

Comme vous le savez, M. Mbede n'est pas la première personne à être condamnée à une peine d'emprisonnement au motif de son orientation sexuelle présumée. En 2010, nous avons conjointement publié un rapport rassemblant des preuves sur les nombreuses violations des droits fondamentaux auxquelles les lesbiennes, les gays et les bisexuels du Cameroun sont confrontés. Ce rapport documente notamment la détention arbitraire des personnes, le mépris du droit et la violation des droits constitutionnels des inculpés reconnus coupables en vertu de l'article 347 bis et condamnés. Il explique également comment les membres de la police, du personnel carcéral et les autres détenus font subir aux hommes emprisonnés en application de l'article 347 bis des abus continuels, à savoir des passages à tabac, de la violence verbale, des agressions sexuelles et des actes de torture, au cours de la détention qui précède leur procès et qui suit leur condamnation. Le rapport montre par ailleurs de manière troublante que les membres du personnel carcéral ne protègent pas les prisonniers contre une telle violence, et qu‘ils vont même jusqu'à l'encourager.

En outre, aucun document ni aucune information sur les rapports sexuels protégés n'ont été mis à disposition par les autorités pénitentiaires, alors même que les rapports sexuels entre détenus, forcés ou consentis, sont une réalité. En dépit de l'engagement déclaré du gouvernement à intégrer les hommes ayant des rapports sexuels entre eux dans sa stratégie nationale de lutte contre le VIH et le sida, les conditions d'emprisonnement sont telles que non seulement le risque de transmission du VIH entre détenus est élevé, mais les prisonniers atteints du VIH ne reçoivent généralement aucun traitement lors de leur séjour en prison, ce qui les expose à un très grand danger.

Vous pouvez consulter ce rapport à l'adresse suivante : https://www.hrw.org/fr/reports/2010/11/04/criminalisation-des-identit-s

L'existence de l'article 347 bis dans les textes et les abus auxquels les individus doivent faire face en raison de leur orientation et expression sexuelles, qu'elles soient présumées ou avérées, violent les droits garantis par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et par la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, auxquels le Cameroun a adhéré respectivement le 27 juin 1984 et le 20 juin 1989. Ces traités garantissent le droit à la vie privée, le droit à la santé, le droit à la liberté contre l'arrestation et la détention arbitraires, la protection contre la torture et les traitements inhumains et dégradants, le droit à la liberté d'expression, d'association, et d'information, le droit à la non-discrimination et à l'égalité dans la protection par la loi, les droits des prisonniers en détention et les droits des femmes.

Nous vous exhortons, au nom des principes constitutionnels nationaux d'égalité et de non-discrimination, et des obligations internationales du Cameroun, à annuler la condamnation de Jean-Claude Mbede et à faire respecter le droit de tous les Camerounais à vivre dans la dignité et l'égalité.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs Ali, Nguélé et Bokam, l'expression de notre haute considération.

Boris O. Dittrich Directeur de plaidoyer Programme sur les droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres

Alice Nkomb Présidente Association pour la défense de l'homosexualité (ADEFHO)

Yves Yomb Directeur exécutif Alternatives-Cameroun

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