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Bangladesh : Mettre fin aux exécutions extrajudiciaires commises par le RAB

Le gouvernement doit dissoudre ou réformer radicalement ce bataillon rattaché au ministère de l'Intérieur

(Dhaka, le 10 mai 2011) - Le gouvernement bangladais ne respecte pas son engagement de mettre un terme aux homicides extrajudiciaires, à la torture et aux autres abus commis par le Bataillon d'action rapide (Rapid Action Battalion, RAB) et de poursuivre les coupables, a déclaré Human Rights Watch dans un nouveau rapport publié aujourd'hui.

Le rapport de 53 pages, intitulé « "Crossfire": Continued Human Rights Abuses by Bangladesh's Rapid Action Battalion » (« "Tirs croisés" : Persistance des abus de droits humains commis par le Bataillon d'action rapide du Bangladesh ») retrace en détails les exactions commises par le RAB à Dhaka, la capitale, et dans sa région, sous le gouvernement actuel, dirigé par la Ligue Awami. Depuis le 6 janvier 2009, date de l'entrée en fonctions du gouvernement, près de 200 personnes ont été assassinées au cours d'opérations du RAB. Lorsqu'elle était dans l'opposition, la Ligue Awami s'était engagée à mettre un terme aux homicides extrajudiciaires. Cependant, depuis son arrivée au pouvoir, certains de ses représentants officiels nient la responsabilité du RAB dans ces abus et d'autres les justifient.

« Après deux années au pouvoir, le gouvernement a eu tout le temps nécessaire pour prendre des mesures afin de faire cesser les pratiques meurtrières du Bataillon d'action rapide », a indiqué Brad Adams, directeur de la division Asie de Human Rights Watch. « Un escadron de la mort rôde dans les rues du Bangladesh et le gouvernement ne semble rien vouloir faire pour y mettre fin. Sheikh Hasina, la Première ministre, doit agir. »

Le rapport est basé sur une publication de Human Rights Watch datant de 2006 et intitulée « Judge, Jury and Executioner: Torture and Extrajudicial Killings by Bangladesh's Elite Security Force » (« Juge, juré et bourreau : torture et assassinats extrajudiciaires par les forces de sécurité d'élite du Bangladesh »). Il s'appuie sur plus de 80 entretiens avec des victimes, des témoins, des défenseurs des droits humains, des journalistes, des responsables de l'application de la loi, des juristes et des juges.

En dépit des engagements répétés du gouvernement de faire cesser les massacres et punir les coupables, aucun officier ni représentant du RAB n'a jamais été poursuivi pour des homicides présentés comme des conséquences de « tirs croisés » ou pour d'autres abus de droits humains. Les crimes perpétrés par le RAB sont majoritairement justifiés comme résultant de « tirs croisés ».

Le gouvernement devrait prendre des mesures conséquentes à l'encontre du RAB afin de demander des comptes aux coupables et de réformer ce groupe dans les six prochains mois, ou procéder à sa dissolution, a déclaré Human Rights Watch. Les bailleurs de fonds tels que les États-Unis, le Royaume-Uni ou l'Australie devraient cesser immédiatement toute activité d'assistance ou de coopération tant que des efforts déterminants ne seront pas effectués.

Le RAB a été créé en mars 2004 sous la forme d'une force mixte intégrant des militaires (issus de l'armée, de l'armée de l'air et de la Marine), des policiers et des membres d'autres organes chargés de l'application de la loi au Bangladesh. Les membres du RAB sont désignés par l'organisation à laquelle ils appartiennent. Une fois leur mission au sein du groupe terminée, ils retrouvent leur fonction initiale. Le RAB est rattaché au ministère de l'Intérieur et est commandé par un officier dont le grade ne peut être inférieur à celui d'inspecteur général adjoint de police ou à un grade militaire équivalent. Le Bataillon est considéré comme l'élite des forces antiterroristes et a en effet pris pour cibles, outre des personnes suspectées de crime, des membres présumés de groupes islamistes ou d'extrême gauche.

Dans des communiqués de presse au contenu souvent uniforme, le Bataillon prétend que les criminels ont été tués par balles au cours de « tirs croisés », après que ces derniers ou leurs complices aient ouvert le feu sur lui. Les recherches menées par Human Rights Watch et des organisations de défense des droits humains bangladaises ont cependant permis de découvrir que nombre de victimes ont été exécutées au cours de leur placement en détention préventive par le RAB. Les corps des victimes montraient de manière générale des traces de torture. Beaucoup des personnes qui ont survécu à ces placements en détention préventive par le Bataillon ont déclaré avoir été torturées.

Un cas récent est celui de Rasal Ahmed Bhutto qui, le 3 mars, a été arrêté par des membres du RAB en tenue civile alors qu'il surveillait la boutique d'un ami à Dhaka. Son beau-frère, Gulam Mustafa, a déclaré à Human Rights Watch qu'un de leurs proches, membre de l'armée, avait pu contacter des collègues au RAB et obtenir la promesse que Bhutto ne serait pas tué par des « tirs croisés. » Cependant, Gulam Mustafa a indiqué que son beau-frère a été ramené dans son quartier le 10 mars, dans un véhicule appartenant au RAB, avant d'être abattu. Le RAB a ensuite convoqué des journalistes pour leur montrer son cadavre en le présentant comme celui d'un criminel présumé tué par des tirs croisés.

« Ils l'ont ramené et l'ont assassiné de sang froid, » a confié Gulam Mustafa à Human Rights Watch.

Les membres de la Ligue Awami ont été victimes du RAB lorsqu'ils appartenaient à l'opposition, et les cadres du parti soutenaient alors que le groupe se rendait coupable d'assassinats politiques. Mais l'impunité dont jouit le Bataillon depuis sa création se poursuit malgré l'arrivée au pouvoir de la Ligue Awami.

Faisant écho à leurs prédécesseurs du Parti nationaliste, le ministre de l'Intérieur et d'autres représentants du gouvernement nient tout crime commis par le Bataillon et par d'autres organismes d'application de la loi. Ils maintiennent la version selon laquelle toutes les personnes tuées l'ont été par les autorités, dans le cadre de la légitime défense.

En mars 2009, par exemple, le ministre de la Justice, Shafique Ahmed, a expliqué à Human Rights Watch que le gouvernement n'avait pas l'intention d'enquêter sur les accusations d'abus de droits humains commis dans le passé par les forces de sécurité, même si les coupables exerçaient encore au sein du Bataillon et pouvaient continuer à employer les mêmes méthodes illégales. Il a également déclaré ne pas tolérer les assassinats justifiés par des « tirs croisés », tout en ajoutant qu'il ne fallait pas oublier que le RAB avait uniquement abattu des « criminels. » En mai 2010, malgré de nombreux rapports publiés par des groupes de défense des droits humains, le ministre a déclaré que « plus aucun incident impliquant des tirs croisés n'est constaté dans le pays. »

En janvier 2011, la ministre de l'Intérieur, Sahara Khatun, dont le ministère supervise le RAB, a déclaré, en réponse aux allégations d'exécutions extrajudiciaires : « Nombreux sont ceux qui évoquent et qui évoqueront ce sujet. Mais en tant que ministre de l'Intérieur, j'affirme que la tâche des agents chargés de l'application de la loi est de poursuivre les criminels. » Interrogée par Human Rights Watch sur la persistance présumée des assassinats extrajudiciaires, elle a répondu : « Que sont censés faire les agents lorsque des criminels leur tirent dessus ? Sauver leur vie ou mourir ? »

Pour Shajahan Khan, ministre des Transports maritimes et du Secteur portuaire, les décès dus aux tirs croisés ne représentent pas une violation des droits humains et ont contribué à reprendre le contrôle sur l'extorsion et d'autres crimes. Malheureusement, aucun de ces commentaires n'a été dénoncé par le gouvernement, a indiqué Human Rights Watch. Les représentants de la Ligue Awami ont toujours affirmé que les poursuites à l'encontre des coupables d'abus ne leur semblaient pas être une nécessité en raison du contrôle politique réel qu'ils pouvaient exercer sur le Bataillon, ce que contredisent les faits constatés depuis leur accession au pouvoir il y a plus de deux ans.

Il est inquiétant de constater que le RAB se rend désormais coupable de disparitions forcées. Selon les groupes bangladais de défense des droits humains, le groupe a déjà assassiné des personnes sans reconnaître une quelconque part de responsabilité dans leur mort.

Human Rights Watch a déclaré qu'après sept ans d'abus généralisés et plus de 700 décès, si le bilan en matière de droits humains du RAB ne connaît pas une amélioration significative dans les six prochains mois et que les coupables d'abus ne sont pas poursuivis, le groupe devra être dissout par le gouvernement. Une nouvelle unité devrait être créée par le gouvernement au sein de la police ou d'une nouvelle institution qui placerait les droits humains au centre de la lutte contre les crimes graves, le crime organisé et le terrorisme. Ni le RAB ni une quelconque autre unité nouvelle ne devrait puiser ses effectifs au sein de l'armée, dont le mode de fonctionnement estdifférent de celui des forces de police civiles, a déclaré Human Rights Watch.

Les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie devraient insister pour que le gouvernement du Bangladesh tienne ses engagements et veille à ce que des enquêtes impartiales et indépendantes soient menées sans délai sur les actes de torture et les décès intervenus pendant les détentions préventives organisées par le RAB, a indiqué Human Rights Watch.

« Au lieu de remplir son rôle d'unité d'élite de l'application de la loi, créée pour contrôler le crime et le terrorisme, le Bataillon d'action rapide enfreint lui-même la loi de manière létale », a conclu Brad Adams. « On est aujourd'hui en droit de se demander si le gouvernement bangladais a l'intention de s'attaquer à ce fléau. »

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