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France: Recommandations sur l’établissement d’un pôle spécialisé dans les crimes graves internationaux

Mémorandum au Ministre de la Justice et aux Membres de la Commission des Lois

1.     Doter le pôle spécialisé proposé d'une compétence matérielle qui lui permette d'être véritablement efficace et dissuasif

La création d'un pôle spécialisé dans les crimes graves internationaux en France répond à un certain nombre d'objectifs.

Tout d'abord, il s'agit de permettre au système judiciaire français d'enquêter et poursuivre de façon plus efficace que ça n'a été le cas jusqu'à présent les violations graves des droits humains qui sont portées à son attention. La France a en effet ratifié un certain nombre d'instruments juridiques internationaux par lesquels elle s'est engagée à ne pas tolérer l'impunité pour des crimes qui choquent la conscience de l'humanité, tels que les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et la torture. En vertu de certains de ces textes, la France a une obligation de poursuivre les personnes suspectées d'avoir commis ces crimes et qui se trouveraient sur son territoire. Toutefois, peu de  ces affaires ont abouti à des procès en France[1] et la France a d'ailleurs été condamnée à plusieurs reprises par la Cour Européenne des Droits de l'Homme pour la longueur des procédures menées, notamment en relation avec le génocide au Rwanda de 1994.[2]

Les magistrats instructeurs chargés d'instruire ces dossiers, qui demeurent par ailleurs saisis de bien d'autres dossiers de droit commun, regrettent l'absence de temps, de moyens et d'expertise à leur disposition pour faire avancer ces affaires.[3]

Il est clair que le contentieux concernant les violations graves du droit international commises à l'étranger requiert des ressources et une expertise bien spécifiques. Il s'agit pour les enquêteurs, les juges d'instruction et les procureurs de se familiariser avec le droit international, des éléments constitutifs de crimes qui ne font pas souvent l'objet d'enquêtes, des théories de responsabilité pénale peu usitées, telles que la responsabilité du supérieur hiérarchique ou militaire. Le personnel judiciaire doit également bien connaître l'historique du conflit ou des persécutions en question, le contexte politique dans le pays concerné, les aspects culturels, linguistiques et logistiques essentiels afin de mener une enquête la plus efficace possible dans ce pays. Obtenir la coopération judiciaire des autorités locales peut également demander des efforts particuliers, ainsi que la protection des victimes et des témoins ou s'assurer que l'accusé disposera d'une défense efficace.

Ainsi, il est clair que le contentieux des crimes graves internationaux justifie pleinement la création d'un pôle. La spécialisation du personnel judiciaire dans les enquêtes relatives aux violations graves des droits humains est essentielle afin de leur permettre de dédier le temps nécessaire à ces enquêtes et d'acquérir une expérience et une pratique précieuses en vue d'améliorer la qualité et l'efficacité de leur travail dans ce domaine.

Bien sur, il existe de grandes similarités en ce qui concerne les enquêtes liées aux différents crimes internationaux que sont les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, le génocide ou la torture, ce qui justifie que le pôle proposé soit compétent pour tous ces crimes (voir ci-dessous).

Un autre objectif important lié à la création d'un pôle spécialisé dans les crimes graves internationaux est d'envoyer un signal politique fort, à savoir que la France est résolument déterminée à poursuivre les suspects de crimes internationaux présents sur son sol. La création du pôle constituera en effet un avertissement aux criminels contre l'humanité, tortionnaires et criminels de guerre qui sauront ainsi qu'ils ne pourront être accueillis en France et jouir de l'impunité pour leurs crimes, où que ceux-ci aient été commis.

i.        Projet de loi actuellement à l'examen : éviter le piège d'un pôle dédié seulement aux affaires « Rwanda »

Dans cette logique, il apparait donc important de prévoir clairement dans le projet de loi que le pôle spécialisé sera compétent pour connaître de tous les types de graves crimes internationaux : non seulement les crimes contre l'humanité, actuellement visés par le projet de loi, mais plus largement l'ensemble des crimes internationaux pour lesquels la France s'est dotée d'une compétence universelle : crimes de guerre, torture, disparitions forcées (voir projet de loi en cours d'adoption), et autres crimes visés par les articles 689-1 et suivants du Code de procédure pénale.

Nous attirons votre attention sur le fait que le projet de loi portant création du pôle, dans sa version actuelle, est ambigu sur ce point.

L'exposé des motifs se prononce en faveur de la création d'un pôle spécialisé « compétent pour les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre.[4]» Toutefois, l'article 16 (projet de nouvel article 628 du Code de Procédure Pénale) du projet de loi lui-même ne vise que les « crimes contre l'humanité » (ce qui comprend le crime de génocide, ce dernier étant inclus dans le sous-titre relatif aux crimes contre l'humanité) et cela malgré l'intitulé du « Titre Ier » à la page 26 du projet.[5] A la lecture de ce texte, il semble donc que le pôle ne pourrait pas être compétent en matière de crimes de guerre, de torture ou de disparitions forcées.

Le fait d'omettre les autres crimes graves internationaux de la compétence du pôle semble contraire à l'objectif même de spécialisation du personnel judiciaire dans ces matières. Pourquoi investir dans une spécialisation en matière de crimes contre l'humanité et génocide au sein d'un pôle national mais laisser la responsabilité aux juges d'instruction et parquets locaux d'enquêter de manière ad hoc sur des accusations de crimes de guerre ou de torture, qui seraient portées à leur attention ? Cette division des tâches semble contraire à l'un des objectifs essentiels de la création du pôle, qui est de permettre une approche cohérente, méthodique et professionnelle vis-à-vis des graves violations des droits humains par le système judiciaire français.

Nous notons que les annonces politiques concernant la création de ce pôle d'instruction ont souvent fait un lien avec les affaires concernant des suspects qui auraient participé au génocide rwandais résidant en France, dans lesquelles les actes poursuivis relèvent de la qualification de génocide ou crimes contre l'humanité.

Si l'on ne peut que se réjouir de l'engagement affirmé des pouvoirs publics à permettre aux juges d'instruction d'instruire avec davantage de célérité des affaires dont la durée est véritablement excessive, il n'en demeure pas moins qu' un véritable engagement de la France à lutter contre l'impunité pour les crimes graves en droit international, impose que le pôle soit compétent pour connaître d'autres affaires que celles de génocidaires rwandais. Si le pôle a pour seule vocation de faire avancer les affaires rwandaises, sa crédibilité et sa fonction dissuasive en seront fortement affectées.

Nous recommandons donc que l'article 16 du projet de loi soit modifié afin d'inclure tous les crimes internationaux codifiés en droit français.

Finalement, nous souhaitons souligner deux points importants, contenus dans le projet de loi et que nos organisations souhaitent vivement appuyer. Premièrement, nous sommes convaincus que l'investissement et la spécialisation des personnels, qui iront de pair avec la création du pôle, justifient que celui-ci ait une compétence nationale.  Deuxièmement, il nous semble tout à fait approprié que les affaires concernant les crimes internationaux soient regroupées devant le TGI de Paris (investi d'une compétence concurrente), comme le propose le projet de loi. La localisation du pôle dans la capitale présente en effet un certain nombre d'avantages au vu du caractère international de ces affaires (proximité des ambassades, de l'Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA), des ONG internationales etc.)

ii.      L'importance accrue de la création du pôle spécialisé suite à l'adoption d'une loi de mise en œuvre du Statut de la CPI restrictive :

La loi du 9 août 2010, enfin adoptée après des années d'hésitations, transpose le Statut de la Cour Pénale Internationale (CPI)[6] dans le droit interne et incrimine désormais en droit pénal français les crimes relevant de la compétence de la CPI : crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide.

En dépit des critiques formulées par les organisations de la société civile, cette loi confie le monopole des poursuites au Parquet.

La suppression de la possibilité pour les victimes de mettre en mouvement l'action publique par voie d'une plainte avec constitution de partie civile dans les affaires de compétence universelle est particulièrement préoccupante. Nous souhaitons en effet souligner que le Parquet n'a quasiment jamais, jusqu'à ce jour, initié de son propre chef une procédure judiciaire concernant des violations graves des droits humains commises à l'étranger par un étranger (même dans les cas où le suspect résidait en France) sauf dans un très petit nombre d'affaires et sous la pression des plaignants et des organisations de la société civile qui les soutenaient.

Le monopole des poursuites confié au parquet implique donc un rôle accru du ministère public. Il est par conséquent essentiel que le parquet du pôle spécialisé soit proactif dans sa politique pénale, notamment s'agissant de l'ouverture d'enquêtes préliminaires et/ou d'informations judiciaires.

Cela suppose un pôle spécialisé muni de ressources suffisantes et bien ancré auprès des autres autorités pertinentes, comme nous l'expliquons dans la section suivante, qui traite de la mise en place pratique du pôle spécialisé.

2.     Composition et fonctionnement : appliquer les leçons des autres pôles européens 

Comme mentionné ci-dessus, un certain nombre de pôles spécialisés pour les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité existent déjà dans plusieurs pays. Ces pôles ont développé des ‘bonnes pratiques' et réfléchi aux moyens de dépasser certains obstacles qui se posent nécessairement dans le type d'affaires dont ils sont chargés. Il est important que le pôle français profite de cette riche expérience. Nous développons ci-dessous quelques-unes des leçons apprises par ces pôles,  tirées des différents échanges et réunions que nous avons eus avec leur personnel.[7] En ce sens, nous encourageons vivement les autorités françaises à organiser un séminaire  réunissant les personnels français et leurs homologues européens, au cours duquel les différents aspects du mandat du pôle pourraient être examinés à la lumière de l'expérience des autres pôles, et des défis auxquels ils sont confrontés.[8]

i.        Composition du pôle et formation du personnel:

Les pôles déjà existants dans plusieurs pays européens ont une composition et un nombre très varié de personnels. Au Danemark, par exemple, le pôle regroupe dans une même structure, procureurs, enquêteurs et experts (historiens, experts géographiques.) Aux Pays-Bas, en Belgique ou en Allemagne, le pôle est constitué d'une équipe d'enquêteurs, accompagnée d'un petit groupe de procureurs ou juges d'instruction spécialisés. Au Danemark, le pôle compte 17 agents au total. Aux Pays-Bas, le pôle se compose de 32 enquêteurs, auxquels s'ajoutent 4 procureurs assistés de 2 assistants. En Allemagne, il consiste en 7 enquêteurs et 3 procureurs.

La composition du pôle en France devrait être dictée par le nombre d'affaires (en cours et à venir) et l'importance de garantir la meilleure collaboration et communication possibles entre les différents agents. A partir de l'expérience d'autres pôles, nous retenons l'importance de l'implication et de la spécialisation des différents acteurs de la chaîne judiciaire pour traiter de ces affaires (procureurs, juges d'instructions[9] et officiers de police judiciaire.) En l'état, le projet de loi prévoit la création d'un pôle judiciaire et ne concerne donc que les juges d'instructions et procureurs. Selon les informations à notre disposition, le ministère de l'Intérieur aurait déjà créé une équipe d'enquêteurs spécialisés dans les affaires de crimes graves internationaux au sein de la Section de Recherches de la Gendarmerie de Paris, entièrement dédiée à collaborer avec le pôle spécialisé. Ceci est une initiative très importante pour le fonctionnement efficace du pôle d'instruction qu'il serait utile de souligner lors de l'examen du projet de loi faisant l'objet de ce courrier. Plus spécifiquement, la création d'un « office central » spécialisé dans les crimes internationaux pourrait être envisagée, à l'instar des offices centraux existant déjà en France en matière de criminalité organisée ou de trafic de stupéfiants. Il est également important que le personnel du pôle ait accès à des experts, et consultants sur des sujets variés (histoire, conflits, culture locale, langues etc) et à des assistants de justice qui puissent les aider à gérer leur charge de travail.

Enfin, il est important d'assurer une formation adéquate du personnel du pôle.  Comme indiqué plus haut, les affaires impliquant de graves crimes internationaux requièrent des connaissances et compétences considérablement différentes des affaires de droit commun. Il est essentiel que le personnel puisse bénéficier de formations spécialisées, dans la lignée de certaines formations existantes à l'ENM et l'école de police.[10]

ii.      Budget et moyens adaptés aux enjeux de ces procédures:

L'expérience des pôles ayant mené à bien à ce jour des enquêtes concernant de graves crimes internationaux montre que des investigations dans le pays où les crimes ont été commis sont souvent nécessaires. La coopération et le partage d'informations avec d'autres pôles sont également souvent cruciaux pour des procédures fructueuses.[11]   En reconnaissance de la nature spéciale de son mandat, le pôle devrait bénéficier d'un budget propre au sein du TGI de Paris et de ressources suffisantes. Une telle approche permettrait de répondre au mieux aux besoins du pôle.

iii.    Liens avec les services d'immigration, autres agences de l'Etat et coopération avec les ONG et représentants des victimes :

Le succès du pôle dépendra également en grande partie d'une collaboration efficace avec les autres administrations pertinentes pour son activité. Principalement, une communication effective entre l'OFPRA et le pôle est importante. En application de la Convention de Genève sur les Réfugiés (article 1F), il arrive en effet que des demandes d'asile soient refusées parce que le demandeur est suspecté d'avoir commis des crimes graves.[12]  Les demandeurs ‘suspects' peuvent se dénoncer eux-mêmes, dans l'espoir de ne pas être renvoyés dans leur pays d'origine, ou être identifiés comme tels du fait de leur appartenance à certaines forces armées ou parfois même, être reconnus par des victimes. Les dossiers de demande d'asile définitivement rejetés en application de l'article 1F devraient faire l'objet d'un signalement au pôle afin que celui-ci puisse examiner l'opportunité d'exercer des poursuites pour les crimes éventuellement commis. Il est important de noter en ce sens qu'un certain nombre de pays, parmi lesquels le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark et la Norvège, ont pris l'initiative d'établir des équipes spécialisées au sein de leurs services d'immigration qui identifient et gèrent ce type de dossier.[13] Au minimum, il serait utile de formaliser les modalités de coopération entre l'OFPRA et le pole spécialisé (par la signature d'un protocole d'accord et la formulation d'une procédure, par exemple) en ce qui concerne les dossiers rejetés en application de l'article 1F, comme cela se fait par exemple en Allemagne ou en Belgique. Une formation spécialisée pour le personnel de l'OFPRA dans les crimes internationaux serait également utile.

Le personnel du pôle devrait également être en contact régulier avec les représentants des victimes et les ONG de défense des droits humains qui peuvent apporter une assistance précieuse dans des domaines variés, tels que l'identification de victimes et témoins, l'information sur des conflits et violations des droits humains, les renseignements pratiques sur le pays concerné etc.  A ce jour, les représentants des victimes et les ONG ont initié la quasi-totalité des affaires relatives à de graves crimes internationaux en France, ce qui souligne l'importance d'un dialogue régulier entre le pôle et ces interlocuteurs. Au Royaume-Uni, le ministère public (Crown Prosecution Service) a, par exemple, établi un groupe de contact avec les groupes de victimes et la société civile, qui se réunit tous les trimestres.[14]

Le pôle aura enfin besoin de la coopération  effective du Ministère des Affaires Etrangères, du Ministère de la Justice et des ambassades dans les pays où seront conduites les enquêtes, afin de négocier d'éventuels accords de coopération et apporter l'appui nécessaire aux enquêtes de terrain.

iv.     Coopération avec les pôles d'autres pays et Interpol :

Il est important que le futur pôle français soit en contact régulier avec les autres pôles existant ailleurs en Europe, ainsi qu'aux Etats-Unis et au Canada. Comme indiqué ci-dessus, cela peut être utile pour partager les expériences, ou même échanger des informations sur  des affaires particulières. En effet, les  pôles étrangers ont mené, ou mènent actuellement, des enquêtes qui pourraient être pertinentes pour le pôle français (Rwanda, Afghanistan, République Démocratique du Congo etc.).  L'Union Européenne a mis en place un ‘Réseau de points de contacts sur le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité[15]' qui se réunit une à deux fois par an. Les pôles européens (ainsi que ceux du Canada, des Etats-Unis et de la Norvège, en tant qu'observateurs) participent à ces rencontres. Elles  sont généralement une opportunité unique de discuter d'aspects particulièrement difficiles des enquêtes concernant des crimes internationaux, tels que : la protection des victimes et des témoins, l'interaction avec des témoins traumatisés, ou ayant témoigné à répétition, les difficultés créées par le besoin d'interprétation ou les meilleurs moyens de garantir les droits de la défense dans ces enquêtes particulières. A l'heure actuelle, le point de contact représentant la France aux réunions du Réseau est un fonctionnaire affilié au Ministère de la Justice. A l'avenir, il serait important de s'assurer qu'au moins un des points de contact désignés auprès du Réseau soit un membre du pôle spécialisé. En effet, la participation aux réunions du Réseau et les liens que celles-ci permettent d'établir avec le personnel d'autres pôles seront probablement très utiles au fonctionnement du pôle français. La prochaine réunion du Réseau, organisée par la présidence hongroise de l'Union Européenne aura lieu les 28 et 29 avril 2011 à La Haye, Pays-Bas, et d'ores et déjà nous encourageons vivement la participation d'un futur agent du pôle français. 

Nous encourageons également le pôle à être en contact avec Interpol, à Lyon, qui organise régulièrement des réunions de coordination ainsi que des formations pour les officiels de ses Etats membres dans le domaine des enquêtes relatives aux crimes de guerre, crimes contre l'humanité, génocide et torture.[16]

Il serait enfin utile de considérer la nomination au Ministère de la Justice d'un point focal pour les questions relatives à la poursuite des crimes graves internationaux. Nous notons en effet qu'un certain nombre de dossiers sont logiquement traités par des services différents au Ministère (projet de loi de mise en place du pôle spécialisé, aspects pratiques liés aux instructions et commissions rogatoires concernant des affaires impliquant des crimes graves internationaux commis à l'étranger, Réseau Européen de points de contacts sur le génocide, demandes d'extradition de personnes suspectées de crimes graves.) Il existe bien évidemment des liens importants entre ces différents dossiers et il serait important qu'une personne au Ministère de la Justice ait une vision d'ensemble et puisse assurer la coordination nécessaire entre services au Ministère ainsi qu'avec le Ministère des Affaires Etrangères quand cela est nécessaire.

v.       Rapport annuel au parlement :

Enfin, nous recommandons qu'il soit prévu un rapport annuel au parlement concernant les activités du pôle spécialisé. Un tel dialogue avec le parlement est nécessaire afin de renforcer le soutien (politique et financier) aux activités du pôle et promouvoir une meilleure compréhension de son travail et de l'importance de sa tâche.

La mise en œuvre de l'ensemble des recommandations pratiques que nous détaillons ci-dessus sera indispensable au bon fonctionnement du pôle spécialisé dont la mise en place est proposée. Ces recommandations touchent aux compétences de divers ministères. Il est donc impératif que des consultations soient engagées qui permettent l'adoption de mesures d'accompagnement nécessaires dès que le projet de loi aura été adopté. A la lumière des besoins importants exprimés par les magistrats impliqués dans ces enquêtes, le pôle devrait pouvoir être opérationnel dès que possible. Nous appelons donc le Ministère de la Justice à organiser une réunion de coordination avec les autres ministères concernés dès que possible et cela avant même que le projet de loi ne soit adopté, afin que les préparations pratiques puissent être finalisées en même temps que le travail législatif nécessaire à la mise en place du pôle.

3.     Une condition sine qua non: soutien politique et respect de l'indépendance du pouvoir judiciaire

Pour que le pôle réussisse dans sa mission, il est indispensable qu'il bénéficie d'un soutien politique fort. Ce soutien doit être ancré dans une volonté sans compromis de lutter contre l'impunité pour les crimes les plus graves, et d'appliquer de façon équitable les règles de droit international. Jusqu'à aujourd'hui, nous regrettons que le Ministère Public ne se soit pas montré plus proactif ou engagé positivement à propos de ces affaires.

Il est évident que les affaires concernant la commission de graves crimes internationaux peuvent avoir des conséquences diplomatiques embarrassantes pour l'Etat français. Face à de telles situations, la seule attitude correcte pour le gouvernement est de respecter et souligner sans relâche l'indépendance du pouvoir judiciaire.  Gérer toutes les affaires qui tombent sous la compétence du pôle, ‘faciles' ou embarrassantes, est essentiel pour la crédibilité et la légitimité de cette entreprise.

Ces affaires demandent courage et détermination. Les victimes ayant souffert de crimes odieux méritent un système juste et efficace pour obtenir justice.


 


[1] Il s'agit notamment du procès par contumace à l'encontre du capitaine mauritanien Ely Ould Dah, qui a abouti  à la condamnation de ce dernier le 1er juillet 2005 à 10 ans de réclusion criminelle pour la torture de citoyens mauritaniens en 1990-1991 ; du procès par contumace de Khaled Ben Saïd, ancien vice-consul de Tunisie en France, condamné en appel le 24 septembre 2010 à 12 années de réclusion criminelle pour avoir ordonné des actes de torture à l'encontre d'une citoyenne tunisienne en octobre 1996 ; et du procès d'anciens hauts responsables de la dictature d'Augusto Pinochet au Chili, que la Cour d'assises de Paris a condamnés le 17 décembre 2010 à des peines allant de la réclusion à perpétuité à 15 ans de réclusion criminelle pour l'arrestation, la séquestration, la détention arbitraire et la torture de 4 victimes franco-chiliennes.

[2] Voir, par exemple, Cour Européenne des Droits de l'homme, Mutimura v. France, (Requête no 46621/99), Arrêt  Juin 8, 2004, disponible sur www.echr.coe.int.

[3] Human Rights Watch, « State of the Art, Universal Jurisdiction in Europe, » juin 2006, voir le chapitre sur la France, https://www.hrw.org/en/node/11297/section/10, p 55.

[4] « Il est ainsi mis en place un pôle judiciaire spécialisé à Paris compétent pour les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, » Projet de loi relatif à la répartition du contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles, enregistré à la présidence du Sénat le 3 mars 2010, p. 6.

[5] Voir article 16 du projet de loi: « Sous-titre 2: Des juridictions compétentes pour la poursuite, l'instruction et le jugement des crimes contre l'humanité. »

[6] Ratifié par la France en 2000.

[7] « Stratégies garantissant l'efficacité des enquêtes et des poursuites relatives aux crimes internationaux graves : Les pratiques des unités spécialisées dans les crimes de guerre », FIDH et REDRESS, décembre 2010, http://fidh.org/Strategies-garantissant-l-efficacite-des-enquetes;  "Extraterritorial Jurisdiction in the EU: A Study of the Laws and Practice in the 27 Member States of the EU," FIDH et REDRESS, décembre 2010, http://fidh.org/Extraterritorial-Jurisdiction-in-the-EU-A-Study; « State of the Art : Universal Jurisdiction in Europe,» Human Rights Watch, 27 juin 2006, https://www.hrw.org/en/reports/2006/06/27/universal-jurisdiction-europe-0; « Fostering a European approach to accountability for genocide, crimes against humanity and war crimes », FIDH et REDRESS, avril 2007,  http://www.fidh.org/Fostering-a-European-Approach-to-Accountability, April 2007.

[8] Le pôle allemand avait organisé un tel séminaire en avril 2009 auquel des représentants des pôles néerlandais et danois étaient conviés, ainsi que des représentants d'ONGs, d'Interpol et du réseau européen de points de contacts.

[9] Le débat sur la possible suppression du juge d'instruction en France est au-delà de l'objet de cette lettre.

[10] Voir par exemple, les formations assurées par l'Institut pour les enquêtes pénales internationales aux Pays-Bas, http://www.iici.info/pages/index.php ou par des ONG ou organismes spécialisés dans l'interaction avec les victimes de torture ou de violences sexuelles.

[11] Voir ci-dessous iv.

[12] L'article 1F de la Convention sur les Réfugiés rend un demandeur inéligible s'il est soupçonné d'avoir commis un ‘crime contre la paix, un crime de guerre, un crime contre l'humanité' ou un ‘crime grave, non politique,' adoptée le 28 juillet, 1951,  GA Res. 429 (v), entrée en vigueur le 22 avril, 1954.

[13] Human Rights Watch, « State of the Art : Universal Jurisdiction in Europe.»

[14] Crown Prosecution Service (Royaume-Uni), http://www.cps.gov.uk/your_cps/our_organisation/ctd.html

[15] Council Decision setting up a European network of contact points in respect of persons responsible for genocide, crimes against humanity and war crimes, 2002/494/JHA ,Official Journal L 167, June 13, 2002 http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32002D0494:E..., (accessed March 11, 2010), pp. 0001-0002.

[16] Voir la page d'information à ce sujet sur le site internet d'Interpol : http://www.interpol.int/Public/CrimesAgainstHumanity/default.asp

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