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Guinée : Les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive selon de nombreux témoins

Le nouveau président doit discipliner les forces de sécurité et garantir leur neutralité politique

(Dakar, le 29 novembre 2010) - Les forces de sécurité en Guinée ont fait usage d'une force excessive et fait preuve de manque de neutralité politique lors de leur réponse aux violences liées aux récentes élections, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les violences, entre les partisans des candidats à la présidence Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo, et entre les manifestants et les services de sécurité, ont eu lieu à Conakry, la capitale, et dans d'autres villes du 15 au 19 novembre 2010. Au moins sept personnes sont mortes et 220 ont été blessées.

Human Rights Watch a mené des entretiens en Guinée auprès de plus de 80 victimes et témoins. Ces entretiens ont confirmé que les forces de sécurité, dominées par des groupes ethniques qui ont pour l'essentiel soutenu le parti d'Alpha Condé, ont eu recours à la force létale pour réprimer les violences causées par des membres du groupe ethnique peul, qui protestaient contre les irrégularités électorales à l'encontre de Cellou Dalein Diallo, leur candidat. La Cour suprême de la Guinée devrait annoncer cette semaine les résultats définitifs du deuxième tour contesté de l'élection qui, malgré quelques irrégularités, a été considérée par les observateurs internationaux comme la plus libre en Guinée depuis 50 ans. Le 15 novembre, les fonctionnaires électoraux ont déclaré Alpha Condé vainqueur du deuxième tour des élections du 7 novembre.

« Les récits lugubres sur la façon dont les forces de sécurité ont agi et la montée de la violence intercommunautaire démontrent à quel point la tâche du nouveau président constituera un défi », a déclaré Corinne Dufka, chercheuse senior sur l'Afrique de l'Ouest à Human Rights Watch. « Pour mettre fin au long passé violent de la Guinée, le nouveau gouvernement devra discipliner les forces de sécurité et veiller à leur neutralité, et s'attaquer de toute urgence aux causes des tensions ethniques persistantes. »

L'enquête de Human Rights Watch en Guinée a montré que les membres des forces de sécurité ont proféré des insultes à caractère ethnique envers les membres de l'ethnie peule, ont collaboré avec des groupes de civils issus de groupes ethniques qui ont majoritairement soutenu Alpha Condé, et dans plusieurs cas, pillé et volé les biens de personnes dont ils estimaient qu'elles avaient soutenu Diallo. Bien que les forces de sécurité aient pu chercher à apaiser la violence qui s'est emparée des villes de Conakry, Dalaba et Labé, elles ont omis de fournir une protection équitable pour tous les Guinéens, a déclaré Human Rights Watch.

Se comportant davantage comme des prédateurs que des protecteurs, les membres des forces de sécurité de la Guinée ont depuis des décennies été laissés libres de commettre des exactions en toute impunité, notamment l'extorsion de fonds, le banditisme, le vol, les enlèvements, le racket et l'usage excessif de la force létale, sans crainte apparente de devoir rendre compte de leurs actes. Les chefs d'État autoritaires consécutifs ont fait usage des forces de sécurité à des fins partisanes pour réprimer les opposants politiques, influencer les résultats des élections et intimider l'appareil judiciaire.

Pour mettre fin à ce cycle de violence parrainée par l'État, Human Rights Watch a exhorté le nouveau gouvernement de la Guinée à :

  • Imposerdes règles claires aux forces de sécurité afin de garantir la même protection à tous les Guinéens, et de se conformer aux normes internationales régissant l'utilisation de la force et des armes à feu lorsqu'elles sont confrontées à des manifestations et à des troubles.
  • Traduire en justice les responsables des exactions flagrantes commises d'une part dans le cadre des récentes violences électorales, et d'autre part lors des massacres de plus de 150 partisans de l'opposition et des viols de 100 femmes par les forces de sécurité en septembre 2009.
  • Discipliner, professionnaliser et réformer les forces de sécurité et veiller à ce que les structures disciplinaires pour enquêter, poursuivre et punir les agresseurs soient convenablement dotées en personnel, garanties et prises en charge.

Pour répondre aux tensions ethniques croissantes, le nouveau président devrait :

  • Prendre des mesures concrètes pour s'assurer que les membres des forces de sécurité s'abstiennent de prendre des Guinéens pour cible sur la base de leur appartenance ethnique.
  • Mettre en place un mécanisme de recherche de la vérité afin de déterminer les racines de la violence ethnique, enquêter sur la persécution historique de certains groupes ethniques, explorer la dynamique qui a donné lieu aux cycles successifs de régimes autoritaires et abusifs et les a soutenus, et émettre des recommandations pour assurer une meilleure gouvernance et éviter une répétition des violations passées.
  • Demander instamment à tous les dirigeants des partis politiques d'appeler leurs partisans à cesser les attaques violentes contre autrui sur la base de l'appartenance ethnique ou de l'affiliation politique.
  • Veiller à ce que les responsables de violences et d'incitation à la violence fassent l'objet d'une enquête et soient tenus de rendre des comptes, notamment les membres des deux partis politiques.

« Le démantèlement des structures favorisant l'impunité qui ont caractérisé la Guinée dans le passé, et la construction d'une société fondée sur l'État de droit, devraient être prioritaires dans l'ordre du jour à la fois pour la nouvelle administration et pour les partenaires internationaux de la Guinée », a conclu Corinne Dufka. « S'abstenir d'exiger des comptes ne fera qu'encourager ceux qui envisageraient de recourir à nouveau à la violence et à l'intimidation à l'avenir. »

Contexte
Les élections présidentielles de juin et novembre étaient censées mettre fin à plus de 50 ans de régime autoritaire et entaché d'abus. Toutefois, des irrégularités lors du premier tour en juin et aussi du second tour le 7 novembre, plusieurs débordements de violences politiques et ethniques et des incidents de recours excessif à la force de la part des forces de sécurité dans leur réponse aux violences ont entaché la crédibilité de l'élection et de la transition de la Guinée vers un régime civil. Le second tour a opposé Diallo, de l'Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), à Condé, du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG).

Les incidents les plus récents de violences, de meurtres et autres exactions ont fait suite à la déclaration donnant la victoire à Condé le 15 novembre. Diallo avait déclaré le 14 novembre qu'il n'accepterait pas le résultat du vote, en grande partie parce que la commission électorale avait refusé de jeter les bulletins de vote de deux préfectures contestées, Kouroussa et Siguiri. Les membres de la minorité peule n'avaient pas pu voter dans ces deux préfectures en raison d'attaques à caractère ethnique menées contre eux en octobre, qui avaient fait un mort et contraint les habitants peuls à fuir en masse.

Le 15 novembre, Condé a suggéré lors d'une conférence de presse qu'il était le vainqueur, ce qui a été confirmé plus tard dans la soirée par la commission électorale. Toutefois, Diallo a contesté les résultats devant la Cour suprême de Guinée. Le 17 novembre, après deux jours de violences, l'armée a imposé l'état d'urgence et un couvre-feu depuis la tombée de la nuit jusqu'à l'aube. Par la suite, la violence semble avoir diminué.

Violences intercommunautaires
Dans la plupart des cas, les violences ont commencé autour du 15 novembre, avec l'annonce des résultats du second tour des élections. Un Malinké de Hamdalaye, une banlieue de Conakry, dont la maison a été attaquée quatre fois ce soir-là, a déploré : « Ce sont les jeunes de notre propre quartier. Nous regardons le football avec eux, nous buvons le thé avec eux, nous prions avec eux. Nous ne savons pas pourquoi ils s'en sont pris à nous de cette façon. »

Des dizaines de victimes et de témoins qui vivent à Conakry dans les banlieues fortement peuplées de Hamdalaye, Bambeto, Cosa, Dar es Salam, Kakimbo et Lambanyi ont décrit des scènes de violence inquiétantes entre les partisans peuls de Diallo et les partisans de Condé qui sont en majeure partie des Malinkés, des Soussous et de la région de Forestier. Les violences ont été commises par des bandes de jeunes et d'hommes armés de pierres, de bâtons, de barres de fer, de couteaux, de machettes et, dans quelques cas, de petites lances et de marteaux.

Les violences communautaires ont affecté les partisans, ou les partisans supposés, des deux côtés de la fracture politico-ethnique. Toutefois, à Conakry, Human Rights Watch a documenté considérablement plus d'attaques de la part de jeunes Peuls contre des membres des communautés qu'ils jugeaient alliées à Condé que l'inverse. Nombre de jeunes Peuls interrogés par Human Rights Watch ont interprété les actes de célébration et, dans de multiples cas, les insultes verbales, comme une autorisation de recourir à la violence.

Les habitants de Conakry ont signalé avoir été attaqués à leurs domiciles, traînés hors de leurs voitures et frappés, pris pour cible d'exactions en raison de leur origine ethnique à des points de contrôle improvisés, et dans trois cas au moins, des femmes ont été violées. Les personnes vivant dans des maisons ou des concessions comportant des barres métalliques de sécurité ont indiqué à Human Rights Watch qu'elles ont été bombardées de jets de pierres par des vagues successives de jeunes, tandis que les personnes vivant dans des résidences moins sécurisées où les agresseurs ont réussi à s'introduire ont déclaré avoir été battues et dévalisées. Des témoins ont décrit comment les voyous ont volé des téléphones, des vêtements, de l'argent, des réfrigérateurs, des postes de télévision, des machines à coudre, de la nourriture, des meubles et autres objets. Dans certains cas, des maisons, des voitures ou des meubles ont été incendiés.

Les personnes qui ont subi les violences les plus graves appartenaient à des groupes ethniques qui étaient manifestement en minorité au sein d'un quartier donné. Dans plusieurs quartiers, presque chaque famille appartenant à une minorité et interrogée par Human Rights Watch avait été attaquée. Il a été clairement dit aux victimes qu'elles étaient attaquées en raison de leur soutien, ou de leur soutien présumé, de l'autre parti et elles ont souvent été averties par les voyous de quitter le quartier sous peine d'être à nouveau attaquées - ou même tuées. De nombreuses familles ont fui leurs quartiers, et d'autres ont envoyé les enfants les plus jeunes et les femmes de la famille vivre ailleurs. Dans de multiples cas, les hommes et les femmes plus âgés appartenant à l'ethnie des agresseurs ont tenté d'enrayer la violence, souvent en vain.

Un Malinké a décrit comment des jeunes Peuls avaient barré la route près de sa maison à Cosa et intercepté toutes les personnes qui entraient dans le quartier.

« Ils ont frappé toutes les personnes qui n'étaient pas des Peuls », a-t-il indiqué.

Un autre Malinké a expliqué avoir été attaqué sept fois par des groupes de jeunes Peuls, ce qui a finit par l'obliger à envoyer ses enfants les plus jeunes se réfugier chez un voisin peul plus âgé. Un Soussou de 61 ans, qui a subi de graves blessures à la tête et a eu la mâchoire brisée après avoir été traîné hors de sa voiture et frappé par une dizaine de jeunes Peuls occupant un point de contrôle improvisé dans le quartier de Cosa, a raconté son calvaire :

Ils m'ont demandé si j'étais un Soussou ou un Malinké. Je leur ai dit que nous étions tous Guinéens et quand ils ont entendu ça, ils ont commencé à me frapper à l'intérieur de la voiture, avec des pierres, des bâtons, et à coups de poing. Ils m'ont trainé à l'extérieur de la voiture et ont continué à me frapper, puis ils ont commencé à casser toutes les fenêtres de la voiture. Pendant qu'ils me frappaient, ils disaient, « T'es RPG... c'est vous qui soutenez Alpha Condé... tu vas voir ce qu'il va t'arriver ! » J'ai perdu connaissance... J'étais seul. Il n'y avait aucun policier aux alentours, il n'y avait personne pour m'aider.

Environ cinq familles peules vivant dans une concession dans le quartier de Dabony Rai ont été attaquées par une bande de Soussous, qui ont fini par réussir à entrer, dépouillant toutes les familles de leur argent et de leurs possessions, y compris les châssis des fenêtres de leurs maisons, et ont incendié plusieurs de leurs voitures. Les Peuls sont une petite minorité dans ce quartier.

Une femme peule de 37 ans et son mari ont été attaqués alors qu'ils rentraient chez eux à pied depuis le marché dans le quartier de Koloma Rai par une bande d'une cinquantaine d'hommes parlant malinké. La femme, qui a été agressée avec un couteau et un marteau, a subi plusieurs lacérations au visage et perdu plusieurs dents dans l'agression. Son mari a déclaré à Human Rights Watch :

Quand ils nous ont vus, ils ont dit, « Regardez-les, c'est des Peuls ! » Alors qu'on courait, ma femme a trébuché et est tombée. Je leur ai crié de la laisser tranquille. Ils l'ont frappée avec des bâtons, des barres de fer. Je l'ai vu se faire poignarder le menton avec un couteau, et frapper la bouche avec un marteau. Quand je leur ai crié de la laisser tranquille, ils s'en sont pris à moi. Nous avons été sauvés par un homme malinké plus âgé qui leur a crié d'arrêter, ainsi qu'un camion de policier, qui a dispersé la foule avec des bombes lacrymogènes.

Usage excessif de la force létale par les forces de sécurité
Le 15 novembre, des jeunes Peuls en colère sont descendus dans la rue pour protester contre un manque de neutralité présumé de la part de la commission électorale. Nombre d'entre eux ont brûlé des pneus, bloqué des routes, jeté des pierres sur les forces de sécurité qui ont riposté, et s'en sont pris aux habitants qui avaient soutenu Condé où dont ils estimaient qu'ils l'avaient soutenu.

L'enquête de Human Rights Watch a révélé que les forces de sécurité - des policiers, des soldats (dont certains portaient des bérets rouges, laissant supposer leur appartenance à l'une des nombreuses unités militaires d'élite), et des membres de la Force spéciale de sécurisation du processus électoral (FOSSEPEL), une unité forte de 16 000 membres constituée de policiers et de gendarmes affectés au maintien de la sécurité pendant les élections - ont eu recours à une force excessive, souvent contre les Peuls.

Human Rights Watch a recueilli des témoignages exhaustifs auprès de 16 victimes de blessures par balles, dont 12, toutes des Peuls, ont indiqué avoir vu des membres des forces de sécurité qui soit tiraient directement sur eux, soit près d'eux. Les quatre autres victimes ont été blessées par des balles perdues tirées par les forces de sécurité. Certains des blessés ainsi que d'autres témoins ont décrit en détail les meurtres de trois hommes par les forces de sécurité lors d'attaques non provoquées.

L'hôpital local, où la grande majorité des victimes ont été accueillies, a indiqué avoir traité 84 personnes pour des blessures par balle. Human Rights Watch ainsi que les responsables de l'hôpital ont confirmé que la vaste majorité de ces personnes étaient des Peuls.

Quelques-uns des blessés ont admis qu'ils s'étaient livrés à des violences et avaient jeté des pierres sur les forces de sécurité, mais ont indiqué qu'ils s'étaient fait tirer dessus alors qu'ils s'enfuyaient et même dans certains cas avant l'utilisation des gaz lacrymogènes. La majorité d'entre eux, cependant, a nié toute implication dans les violences et ils ont dit qu'ils se trouvaient chez eux ou près de chez eux lorsque les membres des forces de sécurité leur avaient tiré dessus en prenant d'assaut les maisons et les concessions à la recherche de jeunes qui s'étaient enfuis après avoir été dispersés par les gaz lacrymogènes. Certains des jeunes ont également affirmé s'être fait tirer dessus par les forces de sécurité alors qu'elles effectuaient des patrouilles à pied ou dans des véhicules après que les violences se soient calmées. Plusieurs hommes ont été touchés, dont deux sont morts, pendant des périodes de calme relatif alors qu'ils s'étaient risqués à sortir pour aller acheter de l'eau ou faire des courses, ou encore pour rendre visite à des membres de leur famille.

Un étudiant de 17 ans qui a reçu un tir dans le genou devant sa maison le 15 novembre a raconté comment un autre homme et lui-même avaient été blessés, et un troisième homme tué, au cours du même incident :

Je préparais le thé avec des amis chez moi. J'ai entendu des gens courir, puis quelques minutes plus tard, j'ai vu deux camions de la FOSSEPEL et de la CMIS [police], avançant au pas dans le quartier. Le matin, les jeunes de l'UFDG avaient brulé des pneus, mais je n'étais pas avec eux. Je pensais qu'ils cherchaient ces jeunes, mais tout d'un coup je les ai entendus dire : « C'est des Peuls ... tuez-les » et je me suis rendu compte que c'était après nous qu'ils en avaient. Un de mes amis s'est précipité pour traverser la rue, et j'ai vu un policier lui tirer dessus ... il s'est effondré. J'ai couru, et en regardant rapidement derrière moi, j'ai vu un policier en train de me viser ... Je l'ai vu clairement, à trois mètres de moi. C'est là que j'ai été touché. Quelques minutes plus tard, ils [les policiers] ont tiré sur un troisième homme ... à quelques mètres de moi. La police se déplaçait dans la zone comme s'ils étaient en guerre. Alors que j'essayais de me trainer jusqu'à chez moi, ils m'ont frappé à coups de pied dans le ventre et avec leurs fusils jusqu'à ce que je tombe dans le caniveau. Je pense que s'ils ont fait ça, c'est qu'ils n'ont pas d'enfants. Je peux comprendre qu'ils soient après des gens qui brulent des pneus, mais je n'avais rien à voir avec eux.

Human Rights Watch s'est également entretenu avec un chauffeur de taxi de 18 ans qui s'est fait tirer dessus par la police alors qu'il rentrait chez lui en courant depuis la mosquée où il avait fait ses prières de l'après-midi : « J'avais fait mes ablutions, mais j'ai vu la police arriver et j'ai eu peur. J'ai mis mes chaussures et j'ai couru, et je les ai vus qui tiraient sur moi.... Il n'y a eu aucun avertissement, pas de gaz [lacrymogènes], pas de tirs de sommation. »

Un mécanicien de 22 ans, handicapé physique, s'est fait tirer dessus par des membres de la FOSSEPEL d'une distance d'environ quatre mètres alors qu'il tentait de fuir son lieu de travail avec son père.

« Ils ne nous ont pas dit de nous arrêter. Ils n'ont pas lancé de gaz lacrymogènes. Ils ont juste tiré », a-t-il déclaré à Human Rights Watch. « Je suis tombé, terrifié alors que les militaires se dirigeaient vers moi. J'ai pensé qu'ils allaient tirer sur moi à nouveau, mais deux d'entre eux m'ont donné de violents coups de pied dans le ventre, proférant des insultes à l'égard de mon peuple, les Peuls. »

Trois témoins du meurtre d'un étudiant de 20 ans, Mamadou Abdoulaye Bah, par un membre de la FOSSEPEL le mercredi 17 novembre, ont dit qu'il avait été touché au cou par une balle tirée d'une quarantaine de mètres alors qu'il était en visite avec des amis et se promenait le long de la voie ferrée dans le quartier de Cosa. Selon un témoin :

Il s'est approché d'un groupe d'amis assis sur les rails du train pour donner de l'argent a l'un d'eux pour acheter du pain. Ça avait été tendu - entre les forces de l'ordre et les jeunes - mais ça s'était un peu calmé, alors il a décidé de s'aventurer plus loin. Sa mère se lamenta plus tard qu'elle lui avait dit de ne pas prendre trop de temps ; il était son seul enfant. A ce moment la, il a vu deux agents de la FOSSEPEL à 50 mètres de lui - ils surveillaient la maison d'une famille malinké que des jeunes Peuls avaient attaquée quand les troubles avaient commencé. Tout d'un coup, ils ont tiré en l'air, et Abdoulaye et ses amis sont partis en courant, mais ensuite l'un d'eux [les agents] a tiré dans notre direction. Il [Abdoulaye] s'est effondré sur place - à moitié sur les rails, et à moitié à coté.

Sévices corporels et en détention, comportement criminel des forces de sécurité
Une trentaine de personnes qui se sont entretenues avec Human Rights Watch ont fait état de gifles, de coups de pieds, de coups de fouet, de brûlures, de coups de matraque et de crosse de fusil, alors qu'elles étaient détenues par des membres des forces de sécurité dans la rue, à leur domicile, ou à leur travail, ou encore lors de leurs maintien en détention dans l'un des locaux de la gendarmerie et de la police. Human Rights Watch a aussi recueilli des témoignages sur le viol de six jeunes femmes par des soldats dans la ville de Labé.

Bon nombre de ces abus ont été commis contre des jeunes hommes qui avaient pris part aux manifestations, ou contre des hommes et des femmes rencontrés par les forces de sécurité lors d'une patrouille. De nombreux témoins ont montré à Human Rights Watch des marques physiques des sévices, notamment des contusions, des coupures et des brûlures. Des témoins ont également décrit la façon dont les forces de sécurité avaient dispersé à coups de pieds les aliments préparés par leurs épouses et leurs mères dans leurs maisons, en particulier le 16 novembre, jour de la fête religieuse musulmane de l'Aïd.

Certaines des personnes interrogées ont indiqué à Human Rights Watch que des membres des forces de sécurité avaient uriné dans leurs maisons et, dans un cas, démantelé à coups de pied toute la bibliothèque d'un maître coranique. Un autre homme, arrêté à Cosa par plusieurs agents de la FOSSEPEL, a expliqué avoir été gravement brûlé :

Un groupe de FOSSEPEL est entré dans ma maison et ils ont volé mon téléphone et deux paires de chaussures. Ils m'ont trainé avec deux autres personnes jusqu'au carrefour, où ils nous ont frappés, puis l'un d'eux a ramassé un morceau de chaise que les jeunes avait brulé [avec des pneus] pendant les événements survenus plus tôt dans la journée, et ils ont brulé mon dos à deux endroits. Ils nous ont gardés là, continuant à nous frapper, pendant plusieurs heures.

De nombreux témoins ont décrit comment les forces de sécurité avaient volé des téléphones portables, de l'argent, des chaussures et des articles ménagers au cours des opérations. Plusieurs victimes arrêtées chez elles ou près de chez elles se sont vu réclamer de l'argent pour éviter d'être emmenées jusqu'au poste de police local, au camp de gendarmerie ou en prison, ou bien, une fois sur place, pour rester en liberté. Un homme arrêté après avoir été découvert alors qu'il se cachait dans une maison a été emmené au quartier général de la police à Bellevue où il s'est entendu dire qu'il serait envoyé à la prison centrale s'il ne payait pas 400 000 francs guinéens (45 euros).

Trois autres jeunes hommes qui ont été arrêtés le 15 novembre par des agents de la FOSSEPEL ont passé cinq jours au quartier général de la police judiciaire (Direction de la Police Judiciaire, DPJ). Les trois hommes ainsi que deux membres de leurs familles ont indiqué à Human Rights Watch que la famille avait payé la police pour s'assurer qu'ils aient des conditions de détention décentes et pour obtenir leur libération. Au total, 52 hommes étaient détenus à la DPJ. L'un des trois jeunes hommes a déclaré :

Ils ont forcé la porte, et nous ont trouvé cachés, mes frères et moi. Ils nous ont forcés à monter dans le camion de la FOSSEPEL, et nous ont battus jusqu'au sang. Quand ma mère a essayé de les arrêter, ils l'ont frappée violemment au visage. Ils nous ont ensuite amenés au quartier général de la police à Bellevue, mais l'officier qui était là a dit qu'il ne prenait pas les blessés. Du coup, la FOSSEPEL nous a conduits à la DPJ. En une matinée, ils nous avaient parqués à 30 dans une pièce minuscule avant de fermer la porte. A un moment, cinq personnes se sont évanouies. Chaque matin, nos familles payaient pour nous faire sortir de cette cellule, et payaient encore pour nous faire sortir de la DPJ. Notre famille a payé en tout 500 000 francs guinéens (56 euros). Pendant qu'on était là-bas, ils ont fait un grand tas de machettes, de couteaux et d'autres armes, et ont filmé les 52 d'entre nous, tous Peuls, derrière le tas pour diffuser les images à la télévision.

L'une des victimes de viol à Labé, à 400 kilomètres de Conakry, a été interrogée par téléphone à l'hôpital où elle recevait des soins. Elle a expliqué que le 19 novembre, elle a été contrainte sous la menace d'une arme à feu à monter dans un camion rempli de soldats, emmenée dans une maison en construction, et retenue contre son gré pendant deux jours. Elle a été arrêtée en même temps que deux autres jeunes femmes et a trouvé trois autres femmes dans cette maison. La victime ainsi que deux autres femmes ont fini par prendre la fuite en passant par une fenêtre. Des sources diplomatiques interrogées par Human Rights Watch ont indiqué que des médecins locaux ont confirmé les viols.

Le 21 novembre, vingt-deux membres des forces de sécurité ont été arrêtés et accusés pour des actes criminels commis contre la population civile à Conakry après l'imposition tardive de l'état d'urgence le 17 novembre. Toutefois, il n'y a eu aucune arrestation des membres des forces de sécurité impliqués dans des violations commises entre le 15 et le 17 novembre.

Manque de neutralité de la part des forces de sécurité
Les recherches menées par Human Rights Watch laissent penser que les forces de sécurité ont fait preuve de manque de neutralité dans leur réponse aux violences politiques et ethniques, et en ciblant les membres de l'ethnie peule.

Les victimes peules des abus commis par les forces de sécurité ont été, à peu d'exceptions près, en butte à des injures à caractère ethnique, des insultes qui avaient trait à leur origine ethnique et des menaces de mort sur la base de leur groupe ethnique. Les victimes interrogées par Human Rights Watch ont indiqué qu'on leur disait constamment : « Vous, les Peuls, vous ne gouvernerez jamais le pays »; « Vous salauds de Peuls, nous allons tous vous tuer »; et « Vous, les Peuls, c'est vous qui ruinez la Guinée. » Un membre haut placé de l'UFDG qui a été détenu pendant plusieurs heures par des agents de la FOSSEPEL s'est entendu dire : « Vous êtes tous bons pour le feu des nazis », alors que les agents de la FOSSEPEL disaient au jeune homme qui a été brûlé avec une chaise incandescente : « Ton père est Cellou Dalein Diallo, n'est-ce-pas ? Nous allons tous vous éliminer ici. »

De nombreuses victimes ont signalé avoir vu des membres des forces de sécurité et des civils armés de pierres, de bâtons et, parfois, de machettes et de couteaux semblant travailler ensemble tandis qu'ils repoussaient des bandes de jeunes Peuls qui prenaient part aux manifestations, qu'ils affrontaient des bandes de jeunes appartenant à d'autres groupes ethniques ou qu'ils se livraient à des agressions contre des partisans présumés de Condé. Les habitants peuls des quartiers de Kakimbo et de Cosa ont décrit comment les forces de sécurité, dont la police, les bérets rouges et des agents de la FOSSEPEL ont ouvert le feu en direction de leur communauté, tandis que les civils accompagnants les agents jetaient des pierres dans la même direction.

Un groupe d'une quinzaine de jeunes membres des ethnies malinké, forestier et soussou interrogés par Human Rights Watch ont indiqué ouvertement avoir pris part à ce qu'ils ont décrit comme une initiative conjointe avec la police et des bérets rouges.

« Nous nous sommes mobilisés pour défendre notre quartier, et les militaires nous ont aidés », a dit l'un d'eux.

Un autre témoin a observé des jeunes qu'il croyait être des Malinkés armés de pierres et de machettes se dirigeant vers le quartier de Bambeto, derrière un camion de la FOSSEPEL.

De nombreux membres des services de sécurité semblent avoir pris leur devoir de protéger les individus contre les groupes ethniques qui avaient largement voté pour Condé plus au sérieux qu'ils ne l'ont fait pour ceux qui ont fait alliance avec Diallo, selon Human Rights Watch. De nombreux témoins, dont des commerçants du quartier de Hafia, ont indiqué que les Peuls qui étaient attaqués par des jeunes Malinkés et Soussous armés appelaient la FOSSEPEL à l'aide. Leur soulagement à la vue des forces de sécurité arrivant s'évanouissait quand les forces de sécurité utilisaient plutôt des gaz lacrymogènes contre les Peuls. De même, au lieu de protéger plusieurs familles peules attaquées par une bande de jeunes membres de l'ethnie majoritaire soussoue dans le quartier de Dabony Rai, les agents de la FOSSEPEL appelés par les Peuls en quête de protection ont participé au pillage des maisons des Peuls, et ils ont frappé et arrêté au moins l'un des habitants peuls.

Human Rights Watch s'est entretenu avec plusieurs témoins peuls à Kakimbo, Dabony Rai, Cosa et Hafia qui ont décrit les membres des forces de sécurité se tenant à proximité tandis que des civils d'autres groupes ethniques les dépouillaient. Parfois, les civils et les membres des forces de sécurité les dépouillaient simultanément et leur volaient de l'argent et des objets. À Cosa, un habitant a expliqué comment deux Bérets rouges et trois agents de la FOSSEPEL se tenaient à proximité tandis que plusieurs habitants malinkés faisaient irruption dans son restaurant et dérobaient des batteries, des thermos, son poste de télévision et d'autres objets. À Hafia, des témoins ont raconté comment les forces de sécurité se tenaient à proximité pendant que des habitants malinkés et soussous faisaient irruption dans plusieurs résidences, un atelier de couture et un centre d'appel téléphonique, et comment ils se sont mis ensuite tous ensemble à dépouiller des habitants peuls locaux de leur argent, téléphones, machines à coudre, ventilateurs et autres objets.

De nombreux témoins ont fait état de partisans des deux côtés de la fracture politico-ethnique armés de couteaux, de machettes et autres armes, et se livrant à des agressions ainsi qu'à des actes criminels les uns contre les autres, dans de multiples cas. Mais les personnes détenues pour des actes criminels et blessées par les services de sécurité sont en grande majorité des Peuls. Cette tendance est corroborée par les registres tant hospitaliers que pénitentiaires consultés par Human Rights Watch et évoque de la part des forces de sécurité une réponse disproportionnée et à caractère ethnique à la violence. Très peu de membres des forces de sécurité sont des Peuls.

Quel que soit le contexte ethnique, les habitants de Conakry ont de fait payé un lourd tribut à la violence. Une femme soussoue mariée à un Malinké a raconté comment un groupe d'une quarantaine de Peuls armés de couteaux, de bâtons, de lances et de machettes a fait irruption dans leur maison, agressé sa fille adolescente et son fils de 10 ans, violé sa belle-sœur de 18 ans (qui a également été interrogée par Human Rights Watch), et dérobé de nombreux objets :

Lundi, juste après l'annonce des résultats, la foule est arrivée. L'un d'eux a mis un couteau sous la gorge de mon fils de dix ans - j'ai attrapé mon fils et je leur ai dit qu'il faudrait me tuer d'abord. Ils ont tout volé - les vêtements, les draps, les machines à coudre, les frigos, notre nourriture, et même les manuels scolaires de mes enfants ! Des voisins peuls nous ont donné des vêtements et de la nourriture ; ils ont été gentils. Deux des attaquants ont violé ma belle-sœur. Depuis lundi, nous n'avons pas dormi à la maison ; on y passe la journée mais pas la nuit. Nous sommes terrifiés.

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