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Lettre au Conseil de sécurité de l’ONU sur les conséquences qu’induirait un retrait de la MINURCAT du Tchad

Aux Ambassadeurs des États membres du Conseil de sécurité des Nations Unies

Votre Excellence,

Sur la base d'une expérience de près de dix ans consacrés à rendre compte de la situation des droits humains au Tchad, Human Rights Watch s'inquiète sérieusement des conséquences que tout retrait des forces de maintien de la paix de la MINURCAT, réclamé par le gouvernement tchadien, pourrait avoir sur la protection et la sécurité des populations civiles, sur les moyens mis en œuvre pour prévenir les violations des droits humains, sur l'accès à l'aide humanitaire pour les réfugiés et les populations déplacées dans l'est du Tchad, ainsi que sur les efforts consacrés à la réforme du secteur de la sécurité.

La mission des Nations Unies, malgré les nombreuses difficultés auxquelles elle est confrontée, contribue à améliorer la protection et la sécurité des populations civiles. Cette mission devrait donc rester en place jusqu'à ce que soient observés des progrès incontestables et conformes aux conditions de son retrait présentées par le Secrétaire Général dans son rapport adressé au Conseil de sécurité en décembre 2008.

Insécurité et violations des droits humains

Selon les recherches effectuées par Human Rights Watch, s'il est vrai que le nombre d'attaques perpétrées à l'encontre de civils a diminué depuis 2005-2007, les populations civiles résidant dans la région orientale du Tchad restent vulnérables, vivent dans une insécurité permanente et subissent les persécutions de divers groupes armés, parmi lesquels l'armée tchadienne et les groupes rebelles tchadiens et soudanais, ainsi que plusieurs gangs de criminels plus ou moins bien organisés. Dans le cadre de la bataille la plus brutale entre le gouvernement et les forces rebelles ces derniers mois, les soldats tchadiens ont usé, en mai 2009, d'une violence aveugle dans la ville d'Am Dam et ses environs, tuant au moins 15 civils, violant les femmes et les jeunes filles et se livrant au pillage de propriétés civiles et, notamment, de matériel médical.

Les attaques de bandits armés sur des populations civiles représentent une autre forme de menace perpétuelle. Très souvent, ces criminels visent des opérations d'aide humanitaire. L'ONU a observé des dizaines d'attaques visant chaque mois des opérations humanitaires et a cité plus de 200 incidents dans ses rapports en 2009. Ces attaques comprennent des actes de banditisme et de piraterie routière, des cambriolages, des enlèvements ainsi que d'autres violences à l'encontre des membres du personnel de l'ONU et des organismes humanitaires. Ces actions ont entraîné, dans certains cas, la perte de vies humaines et une diminution de l'aide dans certaines régions. Les conflits intercommunautaires, nourris par une concurrence exacerbée pour des ressources éparses, se sont également poursuivis.

À ce jour, la grande majorité des 160 000 Tchadiens déplacés et des 220 000 réfugiés soudanais n'ont pas pu retourner chez eux en raison de l'insécurité, des violations des droits humains, des menaces et des attaques contre les rapatriés, de l'absence d'informations sur leurs régions d'origine, ainsi que de l'absence d'assistance humanitaire et de services de base. Ces populations seront vraisemblablement amenées à rester au Tchad jusqu'à ce que la situation des droits humains connaisse une embellie irréfutable. (Lire le rapport de Human Rights Watch intitulé « Le risque du retour : Rapatriement des personnes déplacées dans le contexte du conflit dans l'est du Tchad », juin 2009.)

L'absence d'institutions légales et de forces de maintien de l'ordre au Tchad, particulièrement dans l'est du pays, a engendré l'impunité liée aux crimes violents, au banditisme et aux violations des droits humains des civils et, notamment, des populations tchadiennes déplacées et des réfugiés soudanais. Parmi les violations de droits humains observées dans l'est du Tchad, on compte nombre d'arrestations et de détentions arbitraires, les violences sexuelles perpétrées à l'encontre des femmes et des jeunes filles et le recrutement forcé d'enfants soldats par les groupes rebelles et les forces gouvernementales. (Lire le rapport de Human Rights Watch intitulé « Trop jeunes pour la guerre : Les enfants soldats dans le conflit tchadien », juillet 2007.) Les observateurs des droits humains de la MINURCAT ont observé ces schémas fin 2009, comme l'illustre le rapport du Secrétaire général daté d'octobre 2009, ainsi que sur le début de l'année 2010.

Indispensabilité actuelle de la MINURCAT

En janvier 2009, la résolution 1861 du Conseil de sécurité a autorisé les troupes de l'ONU à remplacer la force « de liaison » de l'Union européenne (EUFOR) et a prolongé la mission de la MINURCAT jusqu'au 15 mars 2010, compte tenu de l'insécurité dans l'est du Tchad et dans le nord-est de la République centrafricaine, ainsi que de la nécessité d'améliorer les droits humains et l'état de droit dans l'est du Tchad. Un mois plus tôt à peine, en décembre 2008, le Secrétaire général avait défini les conditions en vertu desquelles le retrait de la mission pourrait être prononcé. Parmi celles-ci figuraient le retour volontaire et la réinstallation dans des conditions de sécurité satisfaisantes d'un nombre conséquent de personnes déplacées ainsi que la capacité des autorités locales à garantir le niveau de sécurité nécessaire aux réfugiés, aux personnes déplacées, aux populations civiles et aux travailleurs humanitaires, de même que d'autres conditions liées à l'établissement de l'état de droit dans l'est du Tchad.

Malgré les retards constatés dans le déploiement d'une composante militaire de l'ONU pour remplacer l'EUFOR et leur incapacité à atteindre les régions les plus reculées, les casques bleus semblent avoir contribué à prévenir la reprise des massacres et des violences à grande échelle. Les autorités locales et les communautés déplacées ont déclaré aux organisations humanitaires que la présence des forces de l'ONU avait ces derniers mois permis d'améliorer la sécurité et nombre d'entre elles se déclarent inquiètes d'une recrudescence de l'insécurité en cas de départ des troupes de l'ONU.

Outre les menaces qui pèsent sur la sécurité, la présence permanente d'une force de maintien de la paix internationale est nécessaire si l'on souhaite pouvoir anticiper toute forme de violence susceptible de menacer les populations civiles en raison des relations soudano-tchadiennes.  En dépit du rapprochement récent des gouvernements soudanais et tchadien, les tensions historiques et profondément enracinées qui minent les relations de ces deux nations et le soutien apporté par chacune d'elle aux forces rebelles de son voisin pourraient favoriser un regain de violence, comme nous l'avons déjà constaté par le passé juste après la signature d'accords de paix entre les deux pays. Dans la région soudanaise du Darfour, les élections  prévues en avril, mais qu'un grand nombre de personnes déplacées comptent boycotter, pourraient également contribuer à une recrudescence de la violence dans la région et à de nouveaux déplacements vers l'est du Tchad. Les élections législatives au Tchad en novembre 2010 pourraient également avoir un effet déstabilisateur sur la région.

Human Rights Watch s'inquiète des conséquences désastreuses qu'un retrait anticipé des troupes de l'ONU aurait sur la fourniture de l'aide humanitaire dans l'est du Tchad. Le personnel civil de la MINURCAT, des agences de l'ONU et d'autres agences humanitaires comptent sur les forces de la MINURCAT pour assurer les escortes et le maintien de la sécurité. Les agences présentes sur le terrain ont rapporté à Human Rights Watch que, sans la présence des Nations Unies, elles se verraient contraintes de limiter leurs opérations.

Nous sommes également profondément inquiets de l'impact négatif qu'un retrait anticipé de la MINURCAT aurait sur les efforts déployés en faveur d'un état de droit dans l'est du Tchad. La mission de la MINURCAT est précisément consacrée à la promotion de cet état de droit et, notamment, à l'aide apportée aux forces de police tchadiennes, au Détachement Intégré de Sécurité (DIS) et à la sécurité à l'intérieur et aux alentours des camps de personnes déplacées et de réfugiés. Elle apporte également un soutien décisif au personnel du secteur de la justice, aux tribunaux mobiles et aux installations correctionnelles dans l'est du Tchad. S'il est vrai que ces programmes montrent des signes de progrès, ils nécessitent néanmoins un soutien accru. Le DIS est loin d'être suffisamment durable et nécessite d'importants efforts de formation, de soutien et de supervision ; un retrait anticipé mettrait un terme définitif à tous ces efforts ainsi qu'au soutien apporté au secteur de la justice.

Enfin, un retrait anticipé de la MINURCAT aurait une incidence désastreuse sur les efforts déployés par cette mission en faveur de la protection des droits humains.  Le personnel en charge des droits humains au sein de la MINURCAT surveille les violations et représente les victimes auprès du secteur de la justice. Sans cette fonction de surveillance, le degré d'impunité dont jouissent les forces de sécurité tchadienne demeurerait incontrôlé.  Human Rights Watch s'inquiète particulièrement des informations qui lui parviennent sur la poursuite du recrutement d'enfants soldats par le groupe rebelle soudanais du Mouvement pour la justice et l'égalité (JEM) dans l'est du Tchad et par les forces de sécurité tchadiennes. Les efforts consacrés à la réforme du secteur de la sécurité n'ont que peu contribué à enrayer ces violations.

Afin de garantir aux populations civiles vivant dans l'est du Tchad la protection et l'assistance urgentes dont elles ont besoin, Human Rights Watch recommande aux membres du Conseil de prendre les mesures suivantes :

  • renouveler la mission de la MINURCAT et autoriser la poursuite de son déploiement, conformément au plan initial défini par la résolution 1861 du Conseil;
  • s'assurer que le retrait progressif de la mission s'appuie sur le respect des conditions définies par le Secrétaire général dans son rapport adressé au Conseil en décembre 2008. À cet égard, il devrait être demandé à la MINURCAT de coopérer avec le gouvernement tchadien afin de planifier l'obtention du respect des principales conditions et les modalités de son retrait progressif.

Veuillez agréer, Excellence, l'assurance de ma très haute considération.

Georgette Gagnon

Directrice de la Division Afrique

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