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RD Congo : Multiplication des atrocités commises par l’armée dans l'est du pays

La force de maintien de la paix de l’ONU soutient en connaissance de cause des opérations militaires au cours desquelles des exactions sont commises

(New York, le 2 novembre 2009) - Les forces armées congolaises dans l'est de la République démocratique du Congo ont tué brutalement des centaines de civils et perpétré un très grand nombre de viols au cours des trois derniers mois, lors d'une opération militaire appuyée par les Nations Unies, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

Human Rights Watch a appelé la force de maintien de la paix de l'ONU au Congo, la MONUC, à suspendre immédiatement son soutien à l'opération militaire, faute de quoi elle court le risque d'être impliquée dans de nouvelles atrocités.

Lors de deux missions d'enquête sur le terrain dans l'est du Congo en octobre 2009, Human Rights Watch a documenté les meurtres d'au moins 270 civils commis délibérément par des soldats congolais entre les villes de Nyabiondo et de Pinga, dans une partie reculée de la province du Nord Kivu depuis le mois de mars. Nombre d'entre eux ont été tués lors de deux massacres perpétrés en août dans les villages de Mashango et de Ndoruma. La plupart des victimes étaient des femmes, des enfants et des personnes âgées. Certaines ont été décapitées, d'autres ont été découpées à coups de machette, battues à mort avec des gourdins ou bien abattues en tentant de s'enfuir.

« Certains soldats de l'armée congolaise commettent des crimes de guerre en s'attaquant violemment aux personnes qu'ils devraient justement protéger », a indiqué Anneke Van Woudenberg, chercheuse senior à Human Rights Watch. « La volonté persistante de la MONUC d'apporter son soutien à des opérations militaires pendant lesquelles sont commises des exactions l'implique dans des violations des lois de la guerre. »

La mission de maintien de la paix de l'ONU est partenaire de l'armée congolaise dans l'opération Kimia II, commencée le 2 mars dernier. L'objectif est de désarmer par la force les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), une milice hutue rwandaise, dont certains chefs ont participé au génocide au Rwanda en 1994. Les soldats du maintien de la paix de l'ONU fournissent aux soldats un soutien opérationnel et logistique important, notamment une puissance de feu militaire, le transport et des livraisons des rations et de carburant.

L'un des massacres s'est produit début août sur la colline de Mashango, à 15 kms de Nyabiondo, où les soldats du maintien de la paix de l'ONU ont une base. Selon les témoins interrogés par Human Rights Watch, au moins 81 civils ont été tués quand les soldats de l'armée congolaise ont attaqué cinq hameaux distants de quelques kilomètres les uns des autres, dont un seul abritait des combattants rebelles. Les soldats congolais auteurs de l'attaque n'ont fait aucune distinction entre combattants et civils, tirant souvent à bout portant ou massacrant leurs victimes à coups de machettes.

Dans l'un des hameaux, Katanda, des soldats de l'armée congolaise ont décapité quatre jeunes hommes, leur ont coupé les bras, puis ont jeté leurs têtes et leurs membres à vingt mètres de leurs corps. Les soldats ont ensuite violé 16 femmes et filles, dont une jeune fille de 12 ans, puis en ont tué quatre d'entre elles.

Le 15 août, des soldats de l'armée congolaise ont massacré un autre groupe de civils dans la région de Nyabiondo, dans le village de Ndoruma. Des témoins ont expliqué que les soldats revenant d'une attaque manquée contre une milice locale alliée des FDLR menée plus tôt ce jour-là avaient tué délibérément au moins 50 civils qu'ils accusaient de collaborer avec les FDLR et leurs alliés. Une femme a vu avec horreur des soldats tuer son mari, puis mettre le feu à sa maison, brûlant vifs ses trois jeunes enfants qui se trouvaient à l'intérieur.

Des soldats de l'armée congolaise s'en sont aussi pris à des civils sur le tronçon de route de 10 kilomètres qui relie Nyabiondo à Lwibo. Les 28 et 29 septembre, des soldats basés au village de Kinyumba situé le long de la route, ont enlevé et violé collectivement deux groupes séparés de jeunes femmes et filles, une vingtaine au total, alors qu'elles se rendaient au marché. Lorsqu'une milice locale alliée aux FDLR a attaqué les soldats du gouvernement ce même jour, elle a été repoussée par les soldats, qui ont demandé l'aide des hélicoptères d'assaut de la MONUC. Certaines des femmes et des filles se sont échappées, mais les soldats de l'armée congolaise en ont tué au moins cinq alors qu'elles tentaient de s'enfuir.

Le 29 octobre, la MONUC a signalé que l'armée congolaise avait déclenché de nouvelles opérations militaires dans la zone située au nord de Nyabiondo, soulevant des préoccupations quant à de nouvelles attaques contre les civils.

Human Rights Watch a mené 21 missions d'enquête sur le terrain dans le Nord Kivu et le Sud Kivu entre janvier et octobre 2009, et a constaté que des soldats de l'armée congolaise avaient tué délibérément au moins 505 civils depuis le début de l'opération Kimia II entre mars et septembre. En outre 198 civils ont été tués délibérément par des soldats de l'armée congolaise et leurs alliés de l'armée rwandaise lors d'une opération conjointe précédente qui a duré cinq semaines et connue sous le nom d'Umoja Wetu, fin janvier et en février.

Human Rights Watch a aussi documenté les attaques brutales menées en représailles par les milices FDLR, qui s'en sont pris délibérément aux civils congolais en réponse aux opérations militaires du gouvernement. De fin janvier au mois de septembre, les milices ont tué au moins 630 civils, nombre d'entre eux dans les régions de Ziralo, Ufumandu et Waloaluanda, à la frontière entre les provinces du Nord Kivu et du Sud Kivu.

« Les crimes de guerre commis par les milices FDLR ne justifient absolument pas que les soldats du gouvernement congolais commettent des atrocités »,  a ajouté Anneke Van Woudenberg. « L'ONU doit s'interroger fermement sur le rôle de ses soldats du maintien de la paix qui soutiennent des opérations donnant place à de pareilles exactions. »  

Des fonctionnaires de l'ONU ont à maintes reprises affirmé à Human Rights Watch qu'ils s'étaient joint à l'opération Kimia II parce qu'ils pensaient que leur participation pourrait aider à minimiser les dommages infligés aux civils. Le mandat de la MONUC défini par le Conseil de sécurité de l'ONU dans la Résolution 1856, lui permet de soutenir les opérations de l'armée congolaise contre les FDLR et d'autres groupes armés. Depuis le début des opérations, les soldats du maintien de la paix ont fait des efforts notables pour protéger les civils, ce qui a sans aucun doute aidé à sauver des vies.

Le mandat de la mission de maintien de la paix, toutefois, exige qu'elle accorde « la plus haute priorité » à la protection des civils. Selon une note datée du 13 janvier 2009 émanant du Bureau des affaires juridiques de l'ONU, et deux autres notes juridiques ultérieures du même bureau le 1er avril et le 12 octobre, montrées à Human Rights Watch, la MONUC a l'obligation, avant d'accepter de soutenir toute opération militaire avec l'armée congolaise, de garantir que de telles opérations sont organisées et menées en accord avec le droit humanitaire international. La MONUC ne peut participer à aucune opération dans laquelle il y a des raisons fondées de croire que les unités de l'armée congolaise concernées peuvent violer le droit humanitaire international.

Les mêmes notes juridiques indiquent également que la MONUC a l'obligation de cesser sa participation à l'opération Kimia II si elle dispose d'informations crédibles que l'armée congolaise commet de brutales violations des droits humains et si les tentatives de s'interposer pour arrêter les violations échouent.

En mai, Human Rights Watch a publié des informations détaillées sur les crimes de guerre commis par des soldats de l'armée congolaise engagés dans l'opération Kimia II. Les enquêtes menées par l'ONU elle-même en 2009 ont aussi révélé que des crimes étaient régulièrement commis par des soldats du gouvernement. A la mi-2009, le personnel de maintien de la paix de l'ONU a établi une liste confidentielle de 15 officiers de l'armée congolaise ayant un passé reconnu de graves atteintes aux droits humains et censés être impliqués dans l'opération Kimia II. Cette liste a été présentée aux dirigeants de la mission.

Les fonctionnaires du maintien de la paix de l'ONU ont déclaré à Human Rights Watch en mai, juin et juillet que les préoccupations au sujet des violations des droits humains commises par des soldats de l'armée congolaise impliqués dans l'opération Kimia II faisaient l'objet de discussions en privé avec les autorités gouvernementales congolaises. En septembre, la mission de maintien de la paix a tardivement élaboré un projet de plan exposant les conditions de son soutien à l'opération Kimia II basées sur le respect des droits humains, projet qu'elle a soumis à l'appréciation du gouvernement congolais. Le 30 octobre, les soldats du maintien de la paix de l'ONU et l'armée congolaise ont mis en place un comité provincial conjoint au Nord Kivu pour enquêter sur les violations des droits humains commises par les soldats de l'armée et pour renvoyer les commandants auteurs d'exactions. La création d'un comité similaire est prévue au Sud Kivu.

Le 1er novembre, Alain Le Roy, directeur du Département des opérations de maintien de la paix de l'ONU, a annoncé au cours d'une visite au Congo que la MONUC allait  suspendre son soutien à la 213ème Brigade de l'armée congolaise en opération dans la région de Nyabiondo. Selon Alain Le Roy, les enquêtes menées par la MONUC elle-même ont révélé que des soldats de l'armée congolaise ont tué au moins 62 civils dans la région de Lukweti, juste au nord de Nyabiondo. La façon dont la suspension sera mise en œuvre n'est pas encore précisée.

« Les fonctionnaires du maintien de la paix savaient que des crimes de guerre étaient commis par les forces gouvernementales congolaises ; pourtant après huit mois dans l'opération Kimia II, ils ne suspendent que maintenant le soutien de l'ONU à l'une des unités de l'armée responsable de ces actes », a insisté Anneke Van Woudenberg. « Nyabiondo n'est pas la seule région où des soldats de l'armée congolaise commettent des exactions. La MONUC devrait cesser immédiatement son soutien à l'opération Kimia II dans sa totalité jusqu'à ce que les commandants auteurs d'exactions soient renvoyés et que des mesures efficaces soient mises en place pour protéger la population civile. »  

Le gouvernement congolais n'a pas non plus renvoyé des rangs de l'armée les auteurs déjà connus d'atteintes aux droits humains. Bosco Ntaganda, recherché après un mandat d'arrêt pour crimes de guerre émis par la Cour pénale internationale, est toujours général dans l'armée congolaise et joue un rôle important dans l'opération Kimia II, ce qui soulève des problèmes supplémentaires pour le soutien de la MONUC à cette opération.

Les opérations militaires menées depuis janvier, notamment l'opération Kimia II, ont entraîné le désarmement de 1 243 combattants FDLR sur un total estimé à 6 000, mais les FDLR continuent à recruter et leur capacité à attaquer des civils demeure intacte. Les soldats du maintien de la paix de l'ONU devraient développer une stratégie globale pour désarmer les FDLR, en faisant de la protection des civils une priorité. Leur mandat permet aux soldats du maintien de la paix d'utiliser la force pour désarmer les FDLR à eux seuls, sans joindre leurs forces à l'armée congolaise commettant des exactions. La note juridique du 1er avril émanant du Bureau des affaires juridiques expose cette option de façon spécifique.

« La poursuite de la participation de la MONUC à l'opération Kimia II, contre son mandat et l'avis juridique de l'ONU elle-même, implique les soldats de maintien de la paix de l'ONU dans les exactions commises », a conclu Anneke Van Woudenberg. « Il est urgent d'envisager d'autres options n'entraînant pas de nouvelles violences contre la population de l'est du Congo pour désarmer les milices FDLR. »

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