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Vietnam : Brusque récidive contre la liberté de religion

Le gouvernement a brutalement réprimé les disciples du moine bouddhiste Thich Nhat Hanh

(New York, le 19 octobre 2009) - L'expulsion forcée et violente de plus de 300 disciples du moine bouddhiste Thich Nhat Hanh, chassés du monastère de Bat Nha à la fin du mois de septembre, met en lumière la répression par le gouvernement vietnamien de la liberté de religion, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Thich Nhat Hanh est un militant en faveur de la paix dont la renommée est mondiale.

En 2005, le gouvernement vitenamien a reçu Thich Nhat Hanh à bras ouverts lorsqu'il est revenu pour la première fois dans son pays natal après 39 ans passés en exil à l'étranger. Les autorités gouvernementales et religieuses l'ont ensuite invité à ouvrir un centre de méditation bouddhiste au monastère de Bat Nha dans la province de Lam Dong, qui a rapidement commencé à attirer un grand nombre de disciples.

Mais le 27 septembre 2009, des officiers de police ont cerné le monastère tandis que plus de 100 voyous et policiers en civil armés de gourdins et de marteaux fracassaient les portes et expulsaient par la force 150 moines - tous disciples de Thich Nhat Hanh - frappant certains des moines au cours de l'action. La police aurait arrêté deux moines aînés, Phap Hoi et Phap Sy, dont on ignore où ils se trouvent. Le lendemain, en réponse aux menaces et à la contrainte, plus de 200 moniales bouddhistes, également disciples de Thich Nhat Hanh, ont fui le monastère, trouvant un refuge temporaire auprès des moines d'une pagode à proximité.

« Une fois encore, le Vietnam a réprimé un groupe religieux pacifique - alors même que celui-ci avait été initialement bien accueilli par le gouvernement  », a remarqué Elaine Pearson, directrice adjointe pour l'Asie à Human Rights Watch. « Le gouvernement considère de nombreux groupes religieux, en particulier ceux qui sont populaires et qu'il craint de ne pas pouvoir contrôler, comme un défi à l'autorité du Parti communiste. »

On pense que la répression est liée en partie aux propositions faites par Thich Nhat Hanh au cours d'une rencontre privée avec le Président Nguyen Minh Triet en 2007 - et rendues publiques ultérieurement - exhortant le gouvernement à assouplir ses restrictions en matière de religion.

Tous les groupes religieux doivent être autorisés par le gouvernement et supervisés par des comités de gestion désignés par le gouvernement. Pour les bouddhistes - la majorité de la population - l'entité gestionnaire est l'Eglise bouddhiste du Vietnam (EBV), contrôlée par le gouvernement et parfois désignée sous le nom de Sangha bouddhiste du Vietnam.

L'EBV, qui est conçue pour présider sur toutes les organisations et « sectes » bouddhistes au Vietnam, supervise les pagodes et les instituts éducatifs. Son approbation est exigée pour les ordinations et cérémonies bouddhistes, les donations aux pagodes et les agrandissements de temples. Elle vérifie aussi le contenu des publications bouddhistes et les programmes d'études religieuses proposés dans les écoles des pagodes. En 2007, elle a autorisé l'installation du centre de formation et de méditation bouddhiste de Thich Nhat Hanh au monastère de Bat Nha.

D'autres organisations bouddhistes - par exemple l'Eglise bouddhique unifiée du Vietnam (EBUV) et certaines congrégations bouddhistes Hoa Hao et du groupe ethnique Khmer - sont interdites par le gouvernement parce qu'elles choisissent de fonctionner indépendamment des comités de gestion désignés par le gouvernement.

L'EBUV a été en butte depuis des décennies au harcèlement et à la répression pour avoir réclamé un statut indépendant et fait appel au gouvernement pour qu'il respecte les droits humains et cesse d'interférer dans les affaires religieuses. Ses dirigeants ont été menacés, détenus, assignés à résidence dans leurs pagodes, emprisonnés et soumis à de strictes restrictions de déplacement pendant de nombreuses années.

« Malheureusement, le harcèlement et l'expulsion de bouddhistes au Lam Dong n'est pas un incident isolé », a déploré Elaine Pearson. « Les bouddhistes au Vietnam sont depuis longtemps en butte à des traitements et des persécutions féroces. »

D'autres groupes religieux, notamment certains catholiques, des chrétiens appartenant à une minorité ethnique, des mennonites et des adeptes du culte Cao Dai, subissent la répression et des persécutions du fait de la pratique de leur culte ou de leur participation à des manifestations pacifiques appelant à la liberté religieuse et à la restitution des biens des églises confisqués par le gouvernement. (Pour plus d'informations, voir Contexte en matière de liberté religieuse, ci-dessous.)

La répression contre les disciples de Thich Nhat Hanh

Thich Nhat Hanh - l'un des moines bouddhistes de tout premier plan les plus influents au monde- s'est d'abord fait connaître au niveau international dans les années 60 comme dirigeant des bouddhistes sud-vietnamiens opposés à la guerre américaine au Vietnam, critiquant toutes les parties belligérantes. Il a poursuivi ses activités antiguerres depuis son exil en France après avoir quitté son pays en 1965. Le gouvernement lui a interdit l'entrée au Vietnam alors qu'il s'engageait de plus en plus sur les questions de droits humains, notamment le calvaire de milliers de boat people qui ont fui le Vietnam après la victoire communiste en 1975 et les persécutions contre le clergé et les patriarches bouddhistes.

En février 2005, Thich Nhat Hanh a été accueilli à bras ouverts par le gouvernement vietnamien lors de son retour d'exil, qui a bénéficié d'une large publicité. Des milliers de Vietnamiens ont assisté à des cérémonies, des sermons et des retraites monastiques bouddhistes dirigés par Thich Nhat Hanh durant ses trois visites au Vietnam.

Son retour a eu lieu au moment où le gouvernement voulait présenter une image moins répressive en matière de religion dans l'espoir que les Etats-Unis retireraient le Vietnam de leur liste noire de pays violant la liberté religieuse, un tremplin pour son entrée dans l'Organisation mondiale du commerce en 2007.

Au cours de la seconde visite de Thich Nhat Hanh au Vietnam en 2007, Thich Duc Nghi, l'abbé du monastère de Bat Nha et membre de l'EBV, l'a invité à ouvrir un centre bouddhiste au monastère. Thich Duc Nghi a fait donation du monastère à Thich Nhat Hanh, et ses disciples et supporters ont investi des fonds dans sa reconstruction.

Au cours de ce voyage, Thich Nhat Hanh a présenté une proposition en 10 points pour des réformes religieuses lors de son entrevue avec Triet. « Veuillez séparer la religion de la politique et la politique des affaires religieuses », demandait Thich Nhat Hanh. « Veuillez cesser toute surveillance de la part du gouvernement sur les activités religieuses, dissoudre la Commission gouvernementale aux affaires religieuses, mais avant tout dissoudre la police religieuse. Toutes les associations religieuses devraient pouvoir fonctionner librement en accord avec les lois et réglementations, tout comme n'importe quelle association culturelle, commerciale, industrielle et sociale. »

Des tensions avec les autorités à propos de ses appels à des réformes religieuses, de même que la popularité croissante de son centre de méditation, sont apparues en 2008. Son soutien public au Dalaï Lama et au Tibet, qui a probablement induit la Chine à faire pression sur Hanoï, a pu aussi jouer un rôle.

En octobre 2008, le Comité central du gouvernement pour les affaires religieuses a déclaré que Thich Nhat Hanh avait dénaturé les politiques religieuses du Vietnam et que certains de ses disciples n'avaient pas de droits légaux de vivre au monastère de Bat Nha. L'abbé de Bat Nha - agissant semble-t-il sous la pression de ses supérieurs - a donné l'ordre aux disciples de Thich Nhat Hanh de partir.

En juin 2009, l'eau courante, l'électricité et les lignes téléphoniques ont été coupées afin de forcer les moines et les nonnes à partir. Des civils locaux ont envahi le monastère en juin et juillet, vociférant et menaçant les moines et les nonnes, et s'emparant de nourriture, de meubles et autres biens. Les expulsions forcées ont suivi en septembre.

« L'expulsion des disciples de Thich Nhat Hanh est clairement liée à son appel en faveur de réformes religieuses, et non pas le prétexte que ses disciples n'auraient pas rempli les obligations locales de résidence et d'enregistrement », a expliqué Elaine Pearson. « Les groupes religieux devraient être autorisés à exercer librement des activités religieuses, à s'organiser et se gérer eux-mêmes, et à s'exprimer pacifiquement. »

Le gouvernement accuse les disciples de Thich Nhat Hanh de mener des « activités illégales » et de « porter atteinte aux réglementations religieuses du Parti communiste et du gouvernement, pour saboter le gouvernement et s'opposer à l'EBV », selon un document interne confidentiel du Comité populaire de district de Lam Dong, daté du 17 septembre 2009, et obtenu par Human Rights Watch. Cette directive ordonne aux fonctionnaires de faire pression sur les disciples de Thich Nhat Hanh pour qu'ils se réinstallent dans d'autres pagodes sous la gestion de l'EBV ou qu'ils retournent dans leurs villages d'origine.

Les bouddhistes au Vietnam et dans le monde entier, ainsi que des ambassades étrangères à Hanoï, ont condamné le harcèlement et l'expulsion des disciples de Thich Nhat Hanh. Le 5 octobre, 180 universitaires, poètes, enseignants et scientifiques vietnamiens, y compris des membres du Parti communiste vietnamien, ont adressé une pétition au gouvernement demandant une enquête sur cet incident. Même le conseil de gestion de l'EBV au Lam Dong a déploré la répression dans un rapport confidentiel au conseil de gestion exécutif de l'EBV daté du 6 octobre 2009.

Human Rights Watch a appelé le gouvernement vietnamien à libérer toute personne emprisonnée pour des activités religieuses ou politiques pacifiques, et à mettre un terme aux restrictions imposées aux groupes religieux, qu'ils soient affiliés ou non aux organisations religieuses autorisées. Human Rights Watch a aussi exhorté les Etats-Unis à rétablir le Vietnam sur leur liste noire de pays qui violent la liberté de religion.

« Le respect des droits humains et de la liberté religieuse par le Vietnam s'est profondément détérioré depuis que les Etats-Unis ont retiré ce pays de leur liste noire et que le Vietnam a été accepté au sein de l'Organisation mondiale du commerce », a indiqué Elaine Pearson. « Le gouvernement vietnamien devrait cesser de traiter la liberté de  religion comme un privilège devant être accordé par le gouvernement, et non comme un droit inaliénable. »

Contexte en matière de liberté religieuse

L'Ordonnance sur les croyances et les religions promulguée au Vietnam en 2004 affirme le droit à la liberté de religion. Cependant, elle exige que tous les groupes religieux soient enregistrés auprès du gouvernement, et interdit toute activité religieuse susceptible de provoquer un trouble à l'ordre public, de porter atteinte à la sécurité nationale, ou de « semer des divisions ». Les membres de certaines groupes religieux qui ne sont pas reconnus officiellement par le gouvernement sont persécutés. Des officiers de sécurité dispersent leurs rassemblements religieux, confisquent les brochures religieuses et convoquent les dirigeants religieux à des interrogatoires dans les locaux de la police. Dans certains cas, la police détruit les lieux de culte de groupes religieux non autorisés et place en détention ou emprisonne leurs membres sur des accusations de violation de la sécurité nationale.

Les membres de l'Eglise bouddhique unifiée du Vietnam (EBUV), autrefois l'organisation de bouddhistes la plus nombreuse dans le sud et le centre du Vietnam, ont été menacés, détenus, assignés à résidence dans les pagodes, emprisonnés et soumis à des restrictions strictes de déplacement pendant de nombreuses années. En juillet 2009, par exemple, la police a encerclé de nombreuses pagodes de l'EBUV dans le sud et le centre du Vietnam pour empêcher les moines - y compris le patriarche actuel, Thich Quang Do - d'assister à une cérémonie à la mémoire du patriarche de l'EBUV Thich Huyen Quang, décédé en 2008.

Si le bouddhisme Hoa Hao et le culte Cao Dai sont des religions officiellement reconnues, de nombreux membres résistent vigoureusement aux pressions officielles pour s'affilier aux comités désignés par le gouvernement qui supervisent leurs affaires religieuses. Deux bouddhistes Hoa Hao se sont immolés par le feu en 2005 en signe de protestation contre la répression religieuse et l'emprisonnement de leurs dirigeants. En  2005, neuf membres du Cao Dai ont été condamnés à des peines allant jusqu'à 13 ans de prison sur des accusations d'atteinte à la sécurité nationale après qu'ils ont tenté de remettre une pétition appelant à la liberté religieuse à des délégués participant à une conférence internationale au Cambodge.

Le gouvernement persécute d'autres groupes religieux non officiels, par exemple des membres des églises chrétiennes non enregistrées auprès de l'Eglise évangélique du Vietnam (EEV) autorisée par le gouvernement, notamment les congrégations mennonites indépendantes affiliées au Pasteur Nguyen Hong Quang, un ancien prisonnier de conscience ; et les chrétiens appartenant à une minorité ethnique dans le nord et le centre du Vietnam.

Les membres chrétiens des groupes indigènes de minorités ethniques dans la région centrale des Hauts Plateaux, communément appelés les Montagnards, subissent actuellement des persécutions et des restrictions, particulièrement dans les villages où la population refuse d'entrer dans l'Eglise évangélique du Vietnam, ou sont soupçonnés de  pratiquer « Tin Lanh Dega » (Chrétienté Dega), une religion non autorisée considérée comme subversive par le gouvernement .

Durant 2009, 40 chrétiens Montagnards au moins ont été arrêtés dans la seule province de Gia Lai pour participation à des églises de maison « Tin Lanh Dega » non enregistrées. Le 14 août, par exemple, la police a attaqué une réunion de prière dans une maison du district de Chu Se, rouant de coups huit chrétiens Montagnards, dont l'un a du être hospitalisé. Lors d'une autre attaque en février, la police a arrêté 11 chrétiens Montagnards de plusieurs villages, les frappant à coups de matraques électriques quand ils refusaient de signer des documents promettant d'entrer dans l'Eglise évangélique du Vietnam. Au cours de l'année denière, les autorités ont détruit au moins deux églises dans la province de Dak Lak, dans la partie centrale des Hauts Plateaux.

Des centaines de personnes sont actuellement emprisonnées au Vietnam pour leurs croyances religieuses ou leurs opinions politiques, ou les deux à la fois. Il s'agit d'au moins 300 chrétiens Montagnards ; Nguyen Van Ly, un prêtre catholique ; Nguyen Thi Hong, un pasteur mennonite ; des membres du culte Cao Dai, et au moins cinq bouddhistes Hoa Hao.

Dans certains cas, les chefs religieux qui se sont avérés des défenseurs des droits civils sont accusés de crimes envers la sécurité nationale et envoyés en prison. C'est le cas du Père Father Nguyen Van Ly, qui a appelé pacifiquement le gouvernement à montrer plus de respect et de tolérance envers les droits humains, la liberté religieuse et les principes démocratiques. Arrêté en 2006, il purge actuellement une peine de huit ans d'emprisonnement.

D'autres personnalités religieuses éminentes qui plaident en faveur de la liberté religieuse et de réformes démocratiques, comme le Patriarche suprême de l'EBUV, Thich Quang Do, et un autre prêtre catholique, Phan Van Loi, ont été assignés à résidence dans une pagode ou à leur domicile depuis des années.

« Dans un pays tel que le Vietnam, où le gouvernement interdit les organisations des droits humains indépendantes, les chefs religieux sont souvent les principaux porte-paroles en faveur des droits fondamentaux à la libre expression et à la liberté religieuse», a remarqué Elaine Pearson. « Tandis que le gouvernement vietnamien se plait à rendre visite aux dignitaires dans des églises bondées et des pagodes modèles, il essaie de nier la répression qui frappe chaque jour des croyants. »

Les conflits portant sur la confiscation par le gouvernement de propriétés des églises vont souvent de pair avec une répression accrue de certaines confessions, par exemple la violente répression exercée en 2008 par la police et par des voyous à la solde du gouvernement contre des veillées de prière pacifiques organisées par des catholiques demandant la restitution de biens appartenant à l'église à Hanoï. En juillet 2009, quelques 200 000 catholiques ont manifesté pacifiquement dans la province de Quang Binh après la destruction par la police d'un édifice religieux temporaire érigé près des ruines de l'église historique Tam Toa dans le diocèse de Vinh. La police a utilisé des gaz lacrymogènes et des matraques électriques pour frapper les paroissiens qui résistaient, arrêtant 19 d'entre eux, dont sept ont été mis en accusation pour troubles de l'ordre public.

Levée des restrictions par les Etats-Unis

En tant qu'Etat partie à la Convention internationale sur les droits civils et politiques et à d'autres conventions en matière de droits humains, le Vietnam a l'obligation de respecter la liberté d'expression, de croyance et de culte religieux.

En 2004, le Département d'Etat des Etats-Unis a désigné le Vietnam comme un « pays particulièrement préoccupant » (country of particular concern - CPC) à cause de ce qu'il a appelé des « violations particulièrement graves de la liberté religieuse ». En 2006, le Département d'Etat a retiré le Vietnam de la liste, invoquant la libération de prisonniers religieux et d'une législation moins restrictive encadrant la religion. Deux mois plus tard, les Etats-Unis accordaient au Vietnam un statut commercial normal permanent, ce qui a conduit à l'entrée du Vietnam dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

La levée du statut du Vietnam comme CPC par les Etats-Unis a été jugée prématurée par la Commission américaine sur la liberté religieuse dans le monde, et par de nombreux groupes internationaux de défense des droits humains et de la liberté religieuse. Après s'être rendue au Vietnam en mai 2009, la commission a recommandé une nouvelle fois que les Etats-Unis rétablissent le Vietnam sur la liste, affirmant que « le bilan global du Vietnam en matière de droits humains demeure médiocre, et s'est déterioré depuis que le Vietnam est entré à l'OMC en janvier 2007 ».

Correction - 20 octobre 2009

L'invitation faite à Thich Nhat Hanh d'ouvrir un centre bouddhiste au monastère de Bat Nha a eu lieu en 2005, et non en 2007. En mai et juillet 2006, respectivement, l'Eglise bouddhiste vietnamienne officielle et le gouvernement central ont délivré des documents autorisant les moines, les nonnes ainsi que d'autres aspirants à pratiquer au monastère de Bat Nha selon les enseignements de Thich Nhat Hanh.

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