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France : Les autorités ne doivent pas expulser les migrants de Calais vers la Grèce

Les disparités en matière d'asile au sein de l’UE exposent les personnes expulsées à des risques de mauvais traitements

(Paris, le 25 septembre 2009) - De nombreuses personnes parmi les centaines de migrants arrêtés par les autorités françaises suite à la destruction de leur camp de fortune à Calais risquent d'être expulsées vers la Grèce, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

Le 22 septembre 2009, la police française a procédé à l'arrestation de 276 migrants dont 125 enfants avant de détruire le camp de fortune où ils logeaient. Il y a quelques mois, le ministre français de l'immigration avait déclaré que de nombreux demandeurs d'asile sont entrés en France par la Grèce, et qu'ils devraient être expulsés vers ce pays. Le New York Times qui a fait état de cette situation, a également confirmé ces propos des autorités françaises dans l'une de ses éditions. Le ministre britannique de l'Intérieur, dont les propos ont été relayés par The Guardian, a pour sa part exprimé sa « satisfaction » concernant l'opération de Calais et déclaré que les migrants qui se trouvaient dans cette zone pourraient demander l'asile dans leur premier pays d'entrée, ce qui signifie que beaucoup risquent d'être expulsés vers la Grèce.

« La France, le Royaume-Uni, et le reste de l'Europe agissent comme si tout allait parfaitement bien en Grèce », a déclaré Bill Frelick, directeur chargé de la politique des réfugiés à Human Rights. « Or non seulement la Grèce rejette 99,5 pour cent de toutes les demandes d'asile, mais ce pays vient de supprimer la procédure de recours et continue de détenir les migrants dans des conditions déplorables. »

Human Rights Watch a déclaré que la France et le Royaume-Uni doivent veiller à ce que tout enfant expulsé ayant des membres de sa famille au Royaume-Uni, dont des parents proches comme un frère ou une sœur, puissent les rejoindre ne serait-ce que pour des raisons humanitaires.

En vertu du Règlement Dublin II de l'Union européenne, le premier pays où une personne est passée pour entrer dans l'espace de l'UE est généralement responsable de l'examen de la demande d'asile de cette personne, et ce, indépendamment du fait qu'elle y ait présenté sa demande ou non. Les États européens prennent les empreintes digitales de tous les migrants interpellés et celles-ci sont enregistrées dans une base de données européenne. Ce fichier leur permet de déterminer le premier pays d'entrée d'un migrant dans l'espace de l'UE et de l'expulser vers cet État.

Cependant, le Règlement Dublin II est fondé sur l'idée que tous les États membres de l'UE ont les mêmes pratiques en matière d'asile et d'immigration ; or il existe de grandes disparités au sein de l'UE, puisque certains pays comme la Grèce n'offrent pratiquement aucune protection. Ces différences soulignent la nécessité de réformer le système de Dublin et de veiller à ce que les États membres de l'UE soient tenus pour responsables en cas de violations de leurs obligations en vertu de la législation européenne sur l'accès à l'asile.

Dans deux rapports publiés en 2008, Human Rights Watch avait demandé aux gouvernements européens de cesser les expulsions vers la Grèce de migrants et de demandeurs d'asile dont des enfants non accompagnés, conformément au Règlement Dublin II. Ainsi que l'ont décrit ces rapports, les demandes d'asile ne sont pas évaluées de façon équitable par la Grèce qui continue non seulement à détenir les migrants et les demandeurs d'asile dans des conditions parfois inhumaines voire dégradantes, mais aussi à les priver de conditions d'accueil adéquates sans offrir une protection spéciale aux personnes particulièrement vulnérables comme les enfants migrants non accompagnés. En outre, la Grèce a adopté en juillet dernier une loi annulant la procédure d'appel existante. Cette nouvelle loi prive les demandeurs d'asile du droit d'appel ou de recours contre les risques d'expulsion, de traitements inhumains ou dégradants ; or ces droits sont garantis en principe par l'article 39 de la directive relative aux procédures de l'UE et par les articles 13 et 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. Les réfugiés dont la demande d'asile a été rejetée risquent d'être immédiatement expulsés.

Human Rights Watch a exprimé ses vives préoccupations concernant les récentes arrestations en Grèce d'un grand nombre de demandeurs d'asile et leur transfert vers des centres de détention au nord du pays près de la Turquie où certains auraient été expulsés à la frontière vers ce pays. La Grèce a dans le passé renvoyé de façon systématique vers la Turquie des migrants, y compris ceux qui nécessitaient une protection.

Le 5 août 2009, Human Rights Watch a écrit au ministre de l'Intérieur grec afin de lui demander de prendre des mesures immédiates pour faire cesser cette pratique et traiter les migrants appréhendés sur son territoire de manière humaine et décente.

Dans un rapport daté de novembre 2008 intitulé «  Stuck in a Revolving Door: Iraqis and Other Asylum Seekers and Migrants at the Greece/Turkey Entrance to the European Union » (« Prisonniers d'une porte tournante : Irakiens et autres demandeurs d'asile et migrants arrivant par la frontière turco-grecque de l'Union européenne »), Human Rights Watch relatait la façon dont les autorités grecques ont systématiquement et illégalement expulsé les migrants à la frontière entre ces deux pays en violation du droit international. Ces « expulsions » qui nécessitent une grande préparation logistique ont généralement lieu la nuit à partir des centres de rétention du nord du pays. À l'époque, Human Rights Watch avait mené des entrevues privées et confidentielles avec 41 demandeurs d'asile et réfugiés dans divers endroits en Grèce et en Turquie. Ils ont tous soutenu la même version, à savoir que les autorités grecques les ont emmenés sur les rives du fleuve Evros la nuit avant de les forcer à le traverser.

La France et les autres États membres de l'UE sont liés par la Convention européenne des droits de l'homme qui interdit le renvoi d'une personne vers un pays où elle risque de subir des traitements inhumains et dégradants (article 3) et assujettis également au principe du droit international sur le non-refoulement. En vertu de l'article 3.2 (clause relative à la souveraineté) de la Convention de Dublin, les États parties peuvent exercer leur pouvoir discrétionnaire et renoncer à l'expulsion de demandeurs d'asile afin de procéder eux-mêmes à l'examen des demandes.

«  Les gouvernements européens semblent pleinement satisfaits de cette situation dans laquelle la Grèce fait le sale boulot à leur place, leur permettant ainsi de se débarrasser à bon compte de migrants  parmi lesquels figurent des réfugiés potentiels », a observé M. Frelick. « Au lieu de les expulser vers la Grèce, les autorités françaises devraient offrir à ces migrants la possibilité de demander l'asile en France. »

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