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(New York, le 1 avril 2003) — Les gouvernements d’Afrique de l’Ouest ne parviennent pas à endiguer le trafic des enfants exploités au travail, un phénomène qui pourrait s’augmenter à cause de la crise du SIDA, a dénoncé Human Rights Watch dans un nouveau rapport publié aujourd’hui.

Le rapport de 62 pages intitulé « Aux frontières de l’esclavage : traite des enfants au Togo », met en lumière la situation du Togo comme représentative de la traite dans la région. Le rapport apporte des informations sur la façon dont des enfants de trois ans seulement sont exploités dans des travaux domestiques ou agricoles, dans plusieurs pays. Les trafiquants persuadent les enfants de quitter leur domicile en leur promettant une scolarité de haute qualité et une formation professionnelle à l’étranger. Nombre de ces enfants sont orphelins, contraints d’assurer un revenu familial suite au décès de l’un de leurs parents des suites du SIDA ou pour d’autres raisons.

Un scandale lié au problème du travail des enfants en Afrique de l’Ouest a éclaté en 2002 lors qu’on a découvert que pratiquement la moitié du chocolat produit aux Etats Unis provenait de cacao récolté par des enfants travaillant en Côte d'Ivoire. Un grand nombre de ces enfants avaient été victimes de la traite en provenance de pays voisins comme le Mali et le Burkina Faso.

« Les plantations de cacao ne sont que le sommet de l’iceberg, » a déclaré Jonathan Cohen, chercheur à Human Rights Watch et auteur du rapport. « La traite des enfants emprunte de nombreuses voies en Afrique de l’Ouest et les gouvernements ne font pas assez pour y mettre un terme. »

Des filles interrogées par Human Rights Watch avaient reçu pour instruction d’embarquer sur des bateaux à destination du Gabon où elles ont travaillé comme domestiques ou sur les marchés. Dans un cas détaillé dans le rapport qui s’est produit en 2001, un bateau transportant des centaines de filles victimes de la traite a coulé au large du Cameroun tuant neuf d’entre elles. D’autres cas détaillés dans le rapport font état de filles traitées comme des quasi-esclaves, forcées de travailler jour et nuit, se déplaçant sur les marchés pour y vendre des marchandises, assurant la corvée d’eau et les soins à de jeunes enfants. La plupart ont été victimes de coups et d’abus psychologiques, dont des menaces de mort et des avertissements selon lesquels elles ne reverraient jamais leurs parents.

« Les orphelins sont confrontés à des atteintes aux droits humains, nombreuses et graves et la traite est certainement l’une des pires, » a déclaré Cohen. « Sans une action du gouvernement, les orphelins d’aujourd’hui sont menacés d’être échangés demain pour finir comme esclaves ou presque. »

Le rapport établit un lien entre traite des enfants, pauvreté extrême et gel de l’aide au développement au bénéfice du Togo, phénomènes encore aggravés par le refus du Président Gnassingbé Eyadéma d’organiser des élections libres et impartiales. L’Union Européenne a suspendu son aide bilatérale au Togo en 1993 après les premières élections du pays entachées par des actes d’intimidation et l’interdiction de certains partis d’opposition.

De jeunes garçons togolais ont raconté à Human Rights Watch qu’ils ne pouvaient payer leurs frais de scolarité et qu’ils avaient accepté d’accomplir des travaux agricoles au Nigeria. Ils ont évoqué des activités de défrichage, d’ensemencement et de labour, treize heures par jour parfois et les coups reçus s’ils se plaignaient de leur fatigue. Certains ont été contraints d’utiliser des machettes pour couper des branches d’arbres et se sont gravement blessés. Après des périodes variant de huit mois à deux ans, ils ont reçu une bicyclette et l’ordre de rentrer à vélo au Togo.

« Des garçons ont été volés par des bandits, contraints de payer des soldats et privés de nourriture au cours de leur voyage de retour chez eux, » a déclaré Cohen. « Certains sont décédés et ont été enterrés sur le bord de la route. »

Un projet de loi togolais interdit la traite des enfants et impose une amende de U.S.$1 500-$15 000 à toute personne qui « recrute, transporte, transfert, héberge ou accueille » un enfant à des fins d’exploitation sexuelle ou par le travail, le travail forcé ou l’esclavage. En 2001, le Togo a arrêté ou détenu dix trafiquants pour des délits liés à ce problème comme l’enlèvement ou la mise à disposition d’enfants. Peu de cas en été traduits en justice jusqu’à leur aboutissement.

Le gouvernement togolais est également dans l’incapacité de fournir les protections fondamentales aux enfants qui fuient leurs trafiquants. Les filles qui se sont échappées ont décrit avoir passé des nuits dans la rue, à frapper aux portes des églises et à accepter l’offre d’un lit faite par de complets inconnus. Certaines ont été conduites à se prostituer dans un quartier de Lomé, capitale du Togo, baptisé le marché du petit vagin. Elles sont là bas confrontées à un risque accru de contracter le VIH ou d’autres infections sexuellement transmissibles.

« Certains enfants sont doublement victimes du SIDA : premièrement, lorsque leurs parents décèdent de la maladie puis deuxièmement, lorsqu’ils font l’objet d’un trafic et sont soumis à une possible infection par le VIH, » a déclaré Cohen. « Il appartient au gouvernement de rompre ce cercle vicieux. »

Human Rights Watch a appelé le gouvernement togolais à ratifier les traités internationaux interdisant la traite des enfants et a formulé des recommandations détaillées aux gouvernements du Togo, du Gabon, du Nigeria, du Bénin, du Niger, de la Côte d’Ivoire et du Ghana concernant la prévention et la répression de la traite ainsi que la protection des enfants victimes de ce trafic. Human Rights Watch a également appelé les Nations Unies et les bailleurs qui soutiennent ces gouvernements à mobiliser leurs ressources financières, techniques et diplomatiques pour veiller au bon aboutissement de ces efforts.

« Les trafiquants d’enfants se sont à chaque fois montrés plus malins que les gouvernements africains, » a déclaré Cohen. « Le Togo a adopté un plan national d’action relatif à la traite des enfants il y a six ans et le problème demeure inchangé. »


Témoignages d’enfants extraits de « Aux frontières de l’esclavage : traite des enfants au Togo »

Tous les noms ont été modifiés afin de préserver l’identité des témoins.

Sur le recrutement des enfants par des trafiquants :

Mon amie avait une tante au Gabon. Elle est venue et elle a vu les conditions dans lesquelles on vivait. Elle a dit qu’elle avait un bon travail au Gabon, que je devrais aller avec elle là-bas et travailler avec elle. Ma mère était très malade et la tante de mon amie a dit que quand on serait au Gabon, elle me trouverait un travail comme commerçante, comme ça je pourrais envoyer de l’argent à ma mère pour ses médicaments…. J’ai eu envie de partir à cause de la façon dont elle parlait de ça. Elle n’a jamais dit combien d’argent j’allais gagner.

—Dado K., vingt-neuf ans, victime de la traite à destination du Gabon lorsqu’elle avait seize ans.

J’allais à l’école ici mais ça n’allait pas bien. On était pauvre et on n’avait pas d’argent. Alors j’ai décidé que ce serait une bonne idée d’aller au Nigeria. La vie était dure et un ami m’a dit que je devrais y aller. Alors j’ai décidé d’y aller parce que je ne faisais rien ici. J’ai pensé que si je pouvais aller au Nigeria et devenir riche, je pourrais revenir et apprendre un métier. Je connaissais des gens qui y étaient allés et étaient revenus et ils avaient rapporté plein de choses : des vélos, des radios, des machines à coudre. Certains ont même rapporté des mobylettes d’occasion. Ils m’ont dit qu’ils avaient travaillé dans les champs et avaient gagné beaucoup d’argent mais pas un seul voulait y retourner. Ils ont dit que les trafiquants les avaient trompés – ils ont dit, quand tu y vas, tu ne fais pas de travail difficile, tu fais juste des petits travaux et tu gagnes beaucoup d’argent. J’ai pensé que je pouvais le faire.

—Etse N., dix-huit ans, victime de la traite à destination du Nigeria lorsqu’il avait dix-sept ans.

Sur leur voyage vers leur pays de destination :

Après cinq mois d’attente au Nigeria, un homme est venu et m’a conduite à un bateau. Sur le bateau, il y avait plus de 100 autres enfants, des Togolais, des Nigérians. Il y avait des adultes mais plus d’enfants que d’adultes. J’ai parlé à certains et toutes les filles allaient au Gabon pour travailler. Il a fallu trois jours de bateau pour arriver au Gabon. Ils nous ont donné du gari [une pâte faite de manioc] et des fois du pain à manger.

—Dansi D., seize ans, victime de la traite à destination du Gabon lorsqu’elle avait treize ans.

Le bateau était très plein… Il n’y avait pas de toilettes. Il y avait des filles qui faisaient leurs besoins les unes sur les autres et qui vomissaient dans le bateau. C’était impossible de vomir par-dessus bord sans tomber du bateau.

—Atsoupé S., quatorze ans, victime de la traite à destination du Gabon lorsqu’elle avait treize ans.

On est parti très tôt le matin, dans une voiture. On est allé à Kambolé pour trois jours et puis à Tchamba. A Kambolé, il y avait sept garçons dans la maison où on est resté. L’homme cherchait un véhicule pour nous transporter. Quand on est parti, on était neuf. Les autres étaient plus vieux que moi. C’était un camion avec de la place pour les bagages. On devait sortir du camion à la frontière. Le passage a été difficile. On était presque dans la brousse. Il a fallu une semaine pour aller à Iseyin parce qu’on a eu une panne pendant le voyage.

—Mawuena W., dix-neuf ans, victime de la traite à destination du Nigeria lorsqu’il avait onze ans.

Sur leur accueil et l’exploitation dont ils ont été victimes :

La femme nous a emmenées à sa fille et au mari de sa fille. Notre travail, c’était de vendre du pain. Il y avait deux autres filles qui vivaient dans la maison et qui faisaient des travaux domestiques. On vendait du pain sur le marché, on marchait de 6 ou 7 heures du matin jusqu’à la nuit. A la fin de chaque journée, on donnait tout notre argent à notre patronne. On recevait 75 francs CFA (environ U.S. 10 cents) par jour pour notre déjeuner. La nuit, on faisait le pain pour le lendemain. Quand on arrivait à la maison, notre patronne nous donnait la farine pour le pain du lendemain. Elle nous montrait comment faire le pain et on le faisait avec elle et avec les deux autres filles. La patronne n’était pas gentille avec nous. Si on ne vendait pas tout le pain en une journée, elle nous battait avec un bâton… Le four brûlait nos pieds. Une fois j’ai cru que le feu était éteint alors j’ai marché dessus et je me suis brûlée.

—Afi A. et Ama D., âgées de onze et douze ans, victimes de la traite à destination de Anié, au Togo lorsqu’elles avaient dix et onze ans.

Si quelqu’un ne travaillait pas bien, ils criaient. Si on disait qu’on était malade, ils ne le croyaient pas et on devait continuer de travailler. C’est juste quand quelqu’un avait une coupure à la jambe à cause d’un coup de machette ou de quelque chose d’autre et qu’ils pouvaient voir du sang couler qu’ils nous laissaient nous arrêter de travailler. On est resté là-bas pendant onze mois. A la fin, on a eu des vélos. On a dû trouver notre route pour rentrer chez nous et le type qui nous a montré, on a dû le payer. Il a fallu neuf jours pour rentrer chez nous et on ne mangeait que quand on rencontrait des gens qui voulaient bien nous aider comme au Bénin.

—Yawo S., dix-sept ans, victime de la traite à destination du Nigeria lorsqu’il avait neuf ans.

Sur leur retour dans leur pays d’origine :

J’ai décidé de parler aux clients qui venaient [au marché] pour voir s’ils pouvaient m’aider. Pour finir un garçon m’a dit qu’il allait me ramener au Togo si je me mariais avec lui. J’étais désespérée alors j’ai dit oui juste pour partir. Maintenant mes frères travaillent dur aux champs pour rembourser ce garçon et que je n’aie pas à me marier avec lui. Je suis revenue habiter avec eux et je suis de nouveau en apprentissage pour devenir coiffeuse. Le patron me laisser gagner de l’argent des fois en pilant et vendant du fufu [une pâte faite d’igname ou de manioc].

—Sogbossi K., seize ans, victime de la traite à destination du Nigeria lorsqu’elle avait quinze ans.

Après neuf mois, ils nous ont donné un vélo et une radio. Quelqu’un nous a montré la route pour rentrer à la maison et on a dû le payer aussi. Il nous a laissés au Bénin. On est rentré sur nos vélos, il nous a fallu neuf jours. On a du payer 500 francs CFA [environ U.S. 75 cents] pour traverser chacune des deux rivières. Après cinq jours, tout le gari qu’on avait au début avait été mangé.

—Koudjo N., dix-neuf ans, victime de la traite à destination du Nigeria lorsqu’il avait quinze ans.

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