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Rapport mondial 2016 : République centrafricaine

Événements de 2015

Le camp de déplacés de M'poko qui longe l’aéroport international à Bangui, la capitale de la République Centrafricaine. Le camp de M'poko est principalement contrôlé par des milices anti-balaka, et a connu une intensification des actes violents depuis la reprise de la violence sectaire en septembre dernier.

© 2015 Anthony Fouchard

Un gouvernement provisoire dirigé par la Présidente par intérim Catherine Samba-Panza s’est efforcé avec difficultés de restaurer la sécurité en République centrafricaine. Le Forum National de Bangui, organisé en mai, a mis le pays sur la voie d’élections, mais peu de progrès ont été réalisés en ce qui concerne la réconciliation, le désarmement et le rétablissement du contrôle de l’État.

Bien que la capitale, Bangui, ait connu un calme relatif pendant les six premiers mois de l’année, un regain de violences sectaires a paralysé la ville fin septembre. En 2015, au moins 100 personnes, dont au moins 45 civils, sont mortes abattues à bout portant, poignardées à mort ou égorgées. Plus de 400 personnes ont été blessées.

Les violences sectaires et les attaques contre les civils ont été généralisées dans les régions du centre du pays, en particulier dans la province de Ouaka où les rebelles principalement musulmans de la Séléka et les milices anti-balaka majoritairement chrétiens et animistes ont continué à s’affronter. A la fin 2015, des milliers de personnes avaient été tuées dans les deux camps, et des centaines de villages brûlés. Environ 456 000 personnes, pour la majeure partie musulmanes, sont toujours réfugiées. 447 000 autres restent déplacées à l’intérieur du pays.

La mission de maintien de la paix des Nations Unies, la MINUSCA, s’est déployée dans de nombreuses zones du pays, après avoir pris le relais des Casques bleus de l’Union africaine (UA) en 2014. Ils ont travaillé avec les soldats français de la paix, connus sous le nom de Sangaris, pour essayer de protéger les civils et de rétablir l’ordre. Leurs efforts ont été freinés par des accusations selon lesquelles les Casques bleus étrangers seraient impliqués dans des abus sexuels contre des civils, y compris des enfants. Le représentant spécial du Secrétaire général, Babacar Gaye, qui dirigeait la MINUSCA, a démissionné suite au scandale.

L’impunité est restée un grave problème, même si de nouveaux espoirs sont apparus avec des premières mesures prises pour aboutir à la création d’une Cour pénale spéciale au sein du système judiciaire national. Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a poursuivi l’enquête ouverte en septembre 2014.

Attaques perpétrées contre des civils

La Séléka (« alliance » en Sango, la principale langue du pays), un mouvement rebelle majoritairement musulman composé de différentes factions aux liens lâches, s’est disloquée en plusieurs groupes distincts après un conflit interne concernant la stratégie politique et les moyens. Les différentes factions ont continué à attaquer des civils, faisant des centaines de mort, souvent au prétexte d’opérations pour rechercher les anti-balaka et se protéger d’eux.

Les rebelles de la Séléka ont également brûlé ou détruit des villages, et ont commis de très nombreux pillages. Par exemple, fin 2014 et début 2016, les combattants de la Séléka de l’Union pour la Paix en Centrafrique, une ancienne faction de la Séléka, ont tué au moins 120 personnes et brûlé des centaines de maisons sur la route reliant Kouango à Bianga, dans la province de Ouaka.   

Les anti-balaka, un rassemblement de combattants armés principalement chrétiens et animistes qui cultivent une haine farouche des musulmans, ont combattu la Séléka et visé des civils musulmans, de même que, de plus en plus, d’autres personnes perçues comme trop proches des musulmans ou ne soutenant pas les anti-balaka. Dans les régions du centre, les anti-balaka ont tué des dizaines de personnes et brûlé des maisons. Par exemple, fin mars, les combattants anti-balaka ont tué au moins 14 bergers d’ethnie peule, près de Kaga Bandoro, alors que ceux-ci déplaçaient leur bétail. Dix des victimes était des enfants âgés de un à neuf ans, et trois étaient des femmes. Les Peuls se sont dispersés dans la brousse et de nombreux autres ont disparus, et sont présumés morts.

Certains combattants anti-balaka ont également retenus des Peuls en otage pour leur extorquer des rançons, ont violé des femmes et des petites filles peules, et dans certains cas, les ont détenues comme esclaves sexuelles. La MINUSCA a aidé au sauvetage de plus de 90 Peuls retenus en otage dans le sud-ouest pendant de nombreux mois.

Réfugiés et personnes déplacées à l’intérieur du pays

La situation des déplacés internes et des réfugiés est restée difficile, et peu d’entre eux ont pu rentrer chez eux. Après les violences de septembre à Bangui, 37 000 personnes de plus ont été déplacées dans la capitale. Beaucoup de personnes déplacées, comme celles des provinces de Ouaka et de Ouham, n’ont pas reçu d’aide humanitaire, ou très peu. Human Rights Watch a rassemblé des informations sur la mort de 142 personnes qui avaient cherché refuge dans des forêts isolées ou dans la savane, et qui ont fini par mourir de malnutrition et de maladie. Elles ne représentent qu’une fraction du nombre total de victimes.

Dans les régions de l’ouest du pays, il y a eu quelques améliorations pour les 36 000 musulmans qui vivaient dans des enclaves protégées par les Casques bleus internationaux, depuis les violences de 2013 et 2014. Des centaines de musulmans de l’enclave de Yaloké, qui subsistaient dans des conditions terribles et que le gouvernement provisoire et les Casques bleus de l’ONU empêchaient de partir, ont reçu une aide humanitaire plus adaptée et ont finalement été autorisés en avril à partir pour rejoindre des camps de réfugiés au Cameroun ou ailleurs. Pendant les 16 mois passés à Yaloké, 53 personnes sont mortes de malnutrition et de maladie, pour la plupart des enfants. Les musulmans des autres enclaves ont obtenu un peu plus de liberté pour se déplacer en sécurité, même si les violences sectaires de Bangui fin septembre ont entraîné un sérieux retour en arrière.

Élections

En juin, le parlement provisoire a voté l’interdiction aux réfugiés vivant en dehors du pays de voter dans les élections nationales à venir, ce qui aurait eu un impact disproportionné sur la population musulmane, dont une grande partie est toujours réfugiée. Cette décision a été annulée par la cour constitutionnelle provisoire en juillet. L’enregistrement des réfugiés a commencé en septembre.

Un référendum sur la constitution, prévu le 4 octobre, a été reporté à cause des violences à Bangui et reprogrammé pour le 13 décembre. Le 8 octobre, le président de l’Autorité nationale des élections a démissionné, affirmant que des élections crédibles ne pourraient pas se tenir avant la fin de l’année 2015. Le premier tour des élections était programmé le 27 décembre. L’ancien président, François Bozizé, à qui l’ONU a infligé des sanctions pour son rôle dans les violences de 2013-2014, ainsi que Patrice Edouard Ngaissona, l’un des chefs des anti-balaka, faisaient partie des 44 candidats à la fonction présidentielle. Le 8 décembre, la cour constitutionnelle provisoire a jugé que Bozizé et Ngaissona ne pouvaient pas se présenter, comme 12 autres candidats.

Violations commises par des soldats de maintien de la paix

En mai, des révélations sur des abus sexuels commis sur des enfants par des Casques bleus français et d’autres pays ont mis à rude épreuve les efforts de maintien de la paix. Ces révélations s’appuyaient sur la fuite d’un rapport de l’ONU daté de 2014, qui détaillait des cas d’abus sexuels commis par des soldats de la paix, sur des enfants dès l’âge de neuf ans. Les autorités françaises ont affirmé avoir délégué une équipe à Bangui tout de suite après avoir eu connaissance de ces allégations, mais n’avoir pas pu terminer leur enquête en raison d’un manque d’informations. Suite aux pressions de l’opinion publique, les autorités françaises ont ordonné l’ouverture d’une nouvelle enquête.

En août, les Casques bleus de la MINUSCA et des membres du personnel civil de l’ONU ont également été accusés de plusieurs cas d’abus sexuels dans le pays, y compris le viol présumé d’une petite fille de 12 ans par un Casque bleu de l’ONU. Le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon a demandé la démission de Babacar Gaye, qui dirigeait alors la MINUSCA, et a réaffirmé la politique de tolérance zéro de l’ONU. En juin, il a également créé un panel pour examiner la réaction de l’ONU face à l’exploitation sexuelle, aux abus et aux autres crimes graves commis par les soldats de maintien de la paix qui ne sont pas sous le commandement de l’ONU en République centrafricaine. Après un retard, le panel devait publier son rapport le 17 décembre.

En juin, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies a conclu que des soldats de la paix de l’UA, originaires de République du Congo, étaient responsables de la disparition forcée d’au moins 11 personnes à Boali en mars 2014. En décembre 2013, les Casques bleus de l’UA auraient battu à mort deux combattants anti-balaka qu’ils avaient emprisonnés à Bossangoa. A l’heure où nous écrivons, aucune mesure n’a été prise suite à ces constats.

Efforts nationaux et internationaux pour la justice

L’impunité est toujours l’un des principaux problèmes, pour pouvoir faire face à un passé d’horreur et à des atrocités qui se perpétuent. En septembre, près de 600 prisonniers se sont évadés de la prison principale de Bangui, avec l’aide de soldats du gouvernement. D’autres évasions ont également eu lieu dans diverses parties du pays.

En juin 2015, la présidente Samba-Panza a promulgué une loi créant une Cour pénale spéciale, un tribunal hybride au sein du système judiciaire national qui se concentrera sur les graves crimes internationaux commis depuis 2003, et comprendra à la fois des juges et des procureurs nationaux et internationaux. Les autorités gouvernementales et l’ONU ont commencé les préparatifs pour lui assurer des financements, une aide technique et l’appui d’experts internationaux. 

La CPI a continué son enquête sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis depuis 2012. Le dossier monté par la CPI contre l’Armée de résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army -LRA), un mouvement rebelle ougandais actif dans plusieurs pays de la région, a pris un nouvel élan en janvier quand le commandant Dominic Ongwen s’est rendu à Obo, au sud-est du pays. La LRA était en activité dans le pays depuis 2008. Ongwen est accusé de 67 chefs d’inculpation pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, commis en Ouganda. La LRA continue à menacer et kidnapper des civils dans l’est du pays, même si cela s’avère moins fréquent que dans les années passées.

Le procès devant la CPI de Jean-Pierre Bemba Gombo, un Congolais, ancien vice-président de la République démocratique du Congo et accusé de n’avoir pas su contrôler sa milice – soupçonnée d’être impliquée dans des meurtres, des viols et des pillages à Bangui en 2002 et 2003 – s’est conclu fin 2014, et en 2015 les juges ont délibéré sur les preuves. A l’heure où nous écrivons, ils n’avaient pas encore rendu leur jugement. Un second procès devant la CPI, contre Bemba et trois complices pour corruption de témoins, s’est ouvert en septembre 2015.

Principaux acteurs internationaux

Les acteurs internationaux ont accordé moins d’attention à la crise que les années précédentes, bien que le Conseil de sécurité de l’ONU ait renouvelé le mandat de la MINUSCA, augmenté le plafond des troupes, et demandé expressément à la mission de contrôler les abus des droits humains contre les personnes porteuses de handicaps. La France a réduit le nombre de ses soldats de la paix, passant de 2 000 à 900 hommes, et a appelé à tenir des élections avant la fin de l’année. L’Union européenne, le bailleur principal, a fourni 22 millions d’euros (24 millions de dollars US) d’aide humanitaire et 141,6 millions d’euros (154 millions de dollars US) d’aide au développement. Les États-Unis ont financé les opérations de maintien de la paix et l’aide humanitaire à hauteur de 116 millions de dollars US.

La République du Congo a continué à jouer le rôle de médiateur en chef dans la crise, sous les auspices de la Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique centrale.