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World Report 2013: Cambodge

Events of 2012

 

La situation des droits humains au Cambodge s’est considérablement détériorée en 2012, cette année ayant été marquée par une flambée d’incidents violents alors que le Parti du peuple cambodgien (PPC), au pouvoir, préparait les élections nationales prévues pour le 28 juillet 2013. Le 1er juin, cela faisait 10 000 jours que le Premier ministre Hun Sen était au pouvoir (soit plus de 27 ans) ; il est ainsi l’un des dix dirigeants les plus anciens au monde. Aujourd’hui âgé de 60 ans, il a déclaré vouloir rester en fonction jusqu’à son 90ème anniversaire.

Des violences impliquant les forces de sécurité nationales ont éclaté dans un climat caractérisé à la fois par une accélération des saisies foncières pour servir de puissants intérêts commerciaux et sécuritaires et par une hausse des conflits syndicaux. Ces derniers sont le résultat du mécontentement de la population face à la politique économique du gouvernement, laquelle s’appuie fortement sur la promotion, souvent corrompue, d’un investissement étranger effréné par les autorités de l’État, surtout par le biais de concessions économiques et d’autres permis fonciers, pratique qui s’est poursuivie malgré l’annonce par le gouvernement d’un moratoire en mai 2012.

Le chef du parti de l’opposition Sam Rainsy est resté en exil en France au lieu de s’exposer à une peine de prison d’une durée totale de 12 années imposée à l’issue de procès motivés par des considérations politiques et manifestement inéquitables. Au moins 35 autres militants politiques et sociaux et résidents œuvrant pour la défense des droits humains, l’élimination des saisies foncières et l’instauration de meilleures conditions de travail ont été tués, blessés, arrêtés de manière arbitraire, menacés d’arrestation ou maintenus en exil par les forces de sécurité dirigées par le PPC et le pouvoir judiciaire contrôlé par ce même parti.

Les officiers de justice cambodgiens qui travaillent pour les Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux cambodgiens (CETC) ont poursuivi la mise en œuvre des déclarations de Hun Sen en refusant d’enquêter sur de nouveaux suspects khmers rouges, y compris des acteurs du régime khmer rouge de Pol Pot, au pouvoir de 1975 à 1979, qui sont liés au PPC. Parallèlement, en tant que président de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), le gouvernement cambodgien a joué un rôle clé en paralysant les efforts des organisations de la société civile régionale en faveur de l’adoption d’un mécanisme crédible et efficace dans le secteur des droits humains.

Attaques, harcèlement et poursuites judiciaires à l’encontre de militants et de manifestants

Le 20 février, trois jeunes ouvrières ont été blessées par balles lors d’une importante manifestation pacifique pour la hausse des salaires et des allocations des employés d’entreprises étrangères implantées dans la municipalité de Bavet, dans la province de Svay Rieng, à l’est du Cambodge. Bien que certains éléments suggèrent que le maire PPC de la ville, Chhouk Bandit, aurait délibérément tiré sur la foule, un tribunal provincial s’est contenté de le mettre en examen pour blessure non intentionnelle, sans le traduire en justice.

Le 26 avril, un éminent défenseur de l’environnement, Chhut Wutthy, a été tué par balles après que la police militaire et des agents de la sécurité d’entreprises l’avaient empêché de rendre compte d’activités illégales menées dans le secteur de l’exploitation forestière dans la province de Kaoh Kong, au sud-ouest du Cambodge. Bien que les circonstances exactes de sa mort restent vagues, les enquêtes que le gouvernement et la justice ont menées sur son meurtre semblent avoir été conçues pour protéger les principaux responsables et dissimuler leurs activités économiques illégales. Ceux qui cherchaient à mettre en lumière des activités similaires ont été effrayés par ce meurtre.

Le 16 mai, des tirs des forces de sécurité ont tué une fillette de 14 ans, Heng Chantha, lors d’une opération militaire gouvernementale lancée contre des villageois de la province de Kratie, dans l’est du Cambodge, qui manifestaient contre la saisie de leurs terres par un concessionnaire étranger, saisie qu’ils considéraient illégale. Au lieu d’ouvrir une enquête pénale sur le comportement de la police, Hun Sen a accusé les manifestants d’avoir organisé un « mouvement sécessionniste » et ordonné l’arrestation de leurs dirigeants.

Le gouvernement s’est par ailleurs servi de cet incident pour accuser à tort Mom Sonando – propriétaire de la principale station de radio indépendante du Cambodge et fervent détracteur du gouvernement, âgé de 71 ans – d’être le chef de ce soi-disant mouvement de sécession. Sonando a été arrêté le 12 juillet puis condamné à 20 ans d’incarcération à l’issue d’un procès au cours duquel aucune preuve crédible n’a été présentée contre lui.

Le gouvernement a également cherché à poursuivre en justice les principaux enquêteurs d’ADHOC, une importante organisation cambodgienne de défense des droits humains, vraisemblablement pour les punir d’œuvrer dans ce secteur. Un tribunal de Phnom Penh, la capitale, a ordonné à Chan Sovet de se présenter le 24 août en relation avec les manifestations de Kratie évoquées ci-dessus visant des revendications foncières. Il a ainsi été sommé de répondre à des allégations selon lesquelles il aurait apporté une aide humanitaire minime à un organisateur communautaire qui s’était échappé de l’opération gouvernementale visant à étouffer les manifestations, au motif que cette aide constituait une assistance délibérée apportée à l’auteur avéré d’une infraction grave. Un tribunal local de la province de Ratanakiri, au nord-est du Cambodge, a convoqué Pen Bonnar le 1er octobre en relation avec les litiges fonciers qui avaient éclaté dans cette région.

Le 24 mai, un éminent moine bouddhiste, Luon Sovath, qui avait à plusieurs reprises fait part de sa compassion et de son soutien aux victimes des saisies de terres, a été brièvement placé en détention alors qu’il allait observer le procès de 13 militantes (le « Boeung Kak 13 ») opposées à des expulsions à Phnom Penh. Le 14 février, il avait été secrètement mis en examen pour des raisons futiles d’« incitation à commettre une infraction grave », l’exposant au risque d’être arrêté à tout moment. En octobre, Sovath a reçu le prestigieux prix Martin Ennals qui récompense les défenseurs des droits humains.

Toujours le 24 mai, le tribunal a condamné les 13 femmes, dont une âgée de 72 ans, à deux ans et demi de prison pour avoir participé à une campagne de protestation contre les expulsions et réclamé une réinstallation appropriée des personnes déplacées par un projet de développement appartenant à un proche de Hun Sen et un investisseur chinois dans le quartier de Boeung Kak, à Phnom Penh. Suite aux pressions exercées tant au niveau national qu’international, une cour d’appel a libéré les 13 femmes le 27 juin, mais tout en confirmant la légalité de leur condamnation.

En août et septembre, un tribunal provincial a sommé à plusieurs reprises Rong Chhun, le président de la Confédération des syndicats cambodgiens, largement considéré comme le plus déterminé des dirigeants syndicalistes, de répondre à des allégations selon lesquelles il aurait encouragé l’organisation d’une grève soi-disant illégale des ouvriers d’une usine de textile située près de Phnom Penh, courant ainsi également lui-même le risque d’être emprisonné.

Début septembre, deux autres chefs de mouvements de protestation contre les expulsions urbaines, Yorm Bopha et Tim Sakmony, ont été arrêtés après que des allégations apparemment motivées par des considérations politiques avaient été présentées devant le tribunal de Phnom Penh. Ils ont été placés en détention en attendant d’être jugés et s’exposent à des peines de prison s’ils sont déclarés coupables.

Tribunal chargé de juger les khmers rouges (CETC)

L’ingérence politique du PPC mise en place par le biais de juges, de procureurs et d’autres membres des CETC désignés par le gouvernement ont précipité la démission – entrée en vigueur le 4 mai – de Laurent Kasper-Ansermet, un juge d’instruction nommé par le Secrétaire général des Nations Unies. M. Kasper-Ansermet a affirmé qu’il était incapable de faire son travail en raison de l’ingérence du gouvernement et d’un manque de coopération. Il a dénoncé dans le détail la manière dont cette ingérence l’avait empêché d’enquêter sur cinq suspects que le Premier ministre Hun Sen n’avait pas approuvés.

La stratégie employée de longue date par le PPC, qui consiste à tenter de contrôler le tribunal par des manœuvres dilatoires et une non-coopération passive, a contribué à réduire les poursuites pénales de Nuon Chea, Ieng Sary et Khieu Samphan – trois inculpés autorisés par Hun Sen, d’anciens dirigeants khmers rouges – à un « mini-procès » au cours duquel seules quelques-unes des charges pour crimes contre l’humanité seraient jugées. Il semble peu probable qu’ils soient jamais poursuivis pour les charges supplémentaires de génocide et de crimes de guerre portées contre eux en décembre 2009, et ce, bien que le tribunal soit l’instance pénale internationale ou hybride la plus onéreuse qui ait jamais existé, si l’on se base sur le coût associé à chaque accusé jugé.

Impunité pour les auteurs d’atteintes aux droits humains

Hun Sen, en protégeant les auteurs des crimes commis sous le régime khmer rouge, et en s’abstenant en 2012 d’enquêter de manière crédible sur des meurtres impliquant les forces de sécurité, a entériné une pratique consistant à accorder systématiquement l’impunité aux auteurs d’atteintes aux droits humains commises pendant ses nombreuses années au pouvoir.Parmi ces atteintes, citons des actes de torture et de travail forcé dans les années 1980, des assassinats politiques lorsque l’ONU a tenté d’instaurer une transition démocratique au début des années 1990, et toute une série d’exécutions extrajudiciaires, d’assassinats et de tentatives d’assassinat entre le début des années 1990 et 2011.

Ces crimes ont ciblé des journalistes, des organisateurs des partis de l’opposition, des dirigeants syndicalistes, des militants et des intellectuels et fait plusieurs centaines de morts. Ce type de délits et l’impunité qui les caractérise sont le symbole de l’ascension de Hun Sen et de sa main haute sur le pouvoir ; la multiplication des atteintes aux droits humains constatée en 2012 confirme qu’il considère que leur perpétration est fondamentale pour son régime et pour empêcher toute remise en question de son pouvoir par les voies populaires et démocratiques.

Centres de détention pour toxicomanes

En décembre 2011, des révisions apportées à la loi cambodgienne sur les narcotiques ont permis à des toxicomanes d’être placés en détention pour y suivre un « traitement » obligatoire d’une durée pouvant aller jusqu’à deux ans. Malgré un appel lancé en mars 2012 par 12 agences de l’ONU réclamant la fermeture de ces centres de détention, différents organes gouvernementaux – dont les forces de sécurité – ont continué d’en exploiter dix dans différentes régions du pays. D’anciens détenus ont signalé avoir été maintenus sans procédure équitable et avoir été assujettis à des exercices militaires épuisants, maltraités et même torturés par le personnel de ces centres.

Travailleurs migrants

Le moratoire prononcé par le gouvernement en 2011 sur la migration provisoire de Cambodgiens vers la Malaisie pour y travailler en tant qu’employés domestiques, annoncé après qu’il avait été révélé que de graves abus étaient commis lors du processus de recrutement au Cambodge et sur le lieu de travail en Malaisie, reste en vigueur. Des fonctionnaires ont émis des déclarations sur la levée de l’interdiction, malgré des perspectives incertaines quant à la signature d’un accord entre le Cambodge et la Malaisie visant à conférer des garanties minimales à ces migrants, et en dépit de la parution de nouveaux articles soulignant les mauvais traitements dont les employés domestiques cambodgiens font l’objet en Malaisie. D’après les statistiques disponibles, le trafic international de travailleurs cambodgiens semble être en hausse, nombre d’entre eux travaillant dans des conditions constituant un travail forcé.

Principaux acteurs internationaux

Les États-Unis, la Chine et le Vietnam ont apporté une aide sécuritaire au Cambodge dans les domaines de la formation et/ou de la fourniture d’équipements. Bien que la législation américaine exige des bénéficiaires de cette formation qu’ils aient été approuvés afin de garantir qu’ils n’ont pas commis d’atteintes aux droits humains, le processus d’évaluation est resté extrêmement défectueux. L’aide sécuritaire de la Chine et du Vietnam n’était assortie d’aucune garantie relative aux droits humains.

Le Japon reste un prestataire majeur d’assistance économique sans conditions effectives. Les vastes programmes d’aide et d’investissements publics et privés chinois, vietnamiens et sud-coréens ont été dénués de tout mécanisme visant à faire participer les communautés aux décisions relatives au foncier ou à l’environnement local. Inversement, la Banque mondiale a continué de retenir des fonds destinés à de nouveaux projets en attendant que le gouvernement trouve une solution satisfaisante pour réinstaller les personnes expulsées par le projet de développement de Boeung Kak, à Phnom Penh. Quant à la Banque asiatique de développement, elle a convenu de passer en revue sa performance en se penchant sur la détérioration des conditions de vie des personnes affectées par un projet ferroviaire qu’elle finance.

Les États-Unis ont entrepris un certain nombre de démarches publiques et privées auprès du gouvernement sur des questions touchant spécifiquement aux droits humains, y compris sur le procès des 13 femmes de Boeung Kak. Cependant, une conférence des donateurs qui s’est tenue en septembre à Phnom Penh a pratiquement passé sous silence la détérioration de la situation des droits humains.

Le gouvernement a réagi avec colère aux conclusions du rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits humains au Cambodge qui recommandaient que soient réformés les systèmes régissant les procédures électorales et l’octroi de concessions foncières.