La situation des droits humains au Maroc présente un bilan décidément mitigé, puisque l’adoption, en 2011, d’une nouvelle constitution comprenant des dispositions très favorables aux droits humains ne s’est pas traduite par une amélioration des pratiques. Alors que des Marocains exerçaient leur droit à manifester dans les rues, la police les a souvent violemment dispersés. A l’issue de procès injustes, des meneurs du mouvement de protestation et des dissidents ont fait face à des peines d’emprisonnement, parfois basées sur les nombreuses lois réprimant la liberté d’expression, qui n’ont toujours pas été réformées à la lumière de la nouvelle constitution.
En janvier 2012, pour la première fois, un islamiste est devenu Premier ministre, après que le Parti Justiceet Développement(Hizb Al Adala Wal Tanmiya) a remporté le plus grand nombre de sièges aux élections législatives. Moustapha Ramid, un avocat connu qui défend les droits humains, est devenu ministre de la Justice. Le 31 juillet, Ramid a déclaré lors d’une interview télévisée que parmi les 65 000 prisonniers marocains ne figurait « aucun prisonnier d’opinion », une affirmation contredite par l’incarcération d’un rappeur, Al Haqed, et d’un étudiant, Abdessamad Haydour, pour leurs propos pacifiques.
Liberté d’assemblée, d’association et d’expression
Inspirés par les protestations populaires qui ont eu lieu ailleurs dans la région, des Marocains organisent régulièrement, depuis février 2011, des marches et des rassemblements pour exiger des réformes politiques d’envergure. La police a toléré nombre de ces manifestations, à la tête desquelles on trouve le Mouvement du 20-Février pour le changement, un groupe jeune et peu structuré, mais parfois elle a violemment attaqué et frappé les manifestants.
Seddik Kebbouri, président de la section de Bouarfa de l’Association marocaine des droits humains, une organisation indépendante, a passé huit mois en prison suite à sa condamnation lors d’un procès injuste pour le rôle qu’il aurait joué dans une manifestation de mai 2011 qui s’était soldée par des jets de pierre et des dégâts matériels. Une grâce royale a rendu la liberté à Kebbouri et à neuf autres accusés le 4 février 2012. Le 12 septembre, un tribunal de Casablanca a condamné cinq manifestants à des peines allant de huit à dix mois de prison au motif qu’ils avaient agressé des policiers lors d’une manifestation de rue le 22 juillet, alors que le tribunal se basait sur des aveux que les accusés ont dénoncés comme extorqués sous les coups.
Terrorisme et contreterrorisme
Des centaines d’extrémistes islamistes présumés, qui avaient été arrêtés suite aux attentats à la bombe de Casablanca en mai 2003, sont toujours en prison. Beaucoup d’entre eux avaient été condamnés lors de procès injustes, après avoir été détenus au secret et soumis à de mauvais traitements, voire torturés. Depuis une nouvelle vague d’attentats terroristes en 2007, la police a arrêté des centaines d’autres militants présumés, dont beaucoup ont été condamnés et emprisonnés, non pas pour avoir commis des actes de terrorisme, mais pour avoir appartenu à un « réseau terroriste » ou pour s’être préparés afin de rejoindre le djihad en Irak ou ailleurs.
Comportement policier, torture et système pénal
Les tribunaux marocains continuent à infliger la peine de mort, mais le Maroc n’a exécuté personne depuis le début des années 1990.
Le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, Juan Mendez, a déclaré qu’il avait joui d’un accès libre aux prisons et aux prisonniers. Il a noté de la part des autorités la « volonté politique (…) de bâtir une culture institutionnelle capable d’interdire et de prévenir la torture et les mauvais traitements ». Pourtant il a aussi affirmé avoir reçu « des rapports crédibles selon lesquels [des policiers] ont donné des coups (de poing et de matraque), appliqué des chocs électriques et des brûlures de cigarettes ». Et Mendez de conclure : « En pratique, les protections contre la torture ne fonctionnent pas réellement car ‘il n’y a de preuve’ qu’il y a eu torture, donc l’aveu ou la déclaration reste dans le dossier et aucun effort sérieux n’est fait pour enquêter, poursuivre ou punir les auteurs de ce crime ».
Dans certaines affaires à connotation politique, les tribunaux ont privé les accusés du droit à un procès équitable, et dans plusieurs cas, ils ont ignoré les demandes d’examen médical suite à leurs allégations de torture, refusé de faire comparaître des témoins susceptibles de les disculper, ou encore prononcé des condamnations sur la base d’aveux apparemment extorqués.
Vingt-cinq civils sahraouis devaient être jugés par un tribunal militaire de Rabat pour leur rôle présumé dans des accrochages qui avaient éclaté en novembre 2010 entre les forces de sécurité et des Sahraouis, à Laayoune et dans les environs, et qui avaient fait des morts dans chaque camp. Au moment de la rédaction de ce rapport, le procès n’avait toujours pas commencé, alors que 22 de ces accusés ont déjà passé presque deux ans en détention préventive.
Les conditions de vie dans les prisons seraient très dures, surtout en raison de la forte surpopulation, un problème aggravé du fait que les juges ont souvent recours à la détention provisoire, comme l’ont montré des rapports récents sur les conditions pénitentiaires. Les conditions de vie des détenus islamistes dans la prison de haute sécurité de Salé 2 se sont améliorées, comparées aux conditions inhumaines et aux restrictions sévères qu’ils subissaient en 2011, ont déclaré d’anciens prisonniers à Human Rights Watch.
Le Conseil national des droits de l’Homme, un organisme financé par l’État placé sous l’autorité du roi, a publié en septembre un rapport novateur sur les hôpitaux psychiatriques, critiquant les insuffisances des établissements existants. En novembre, le conseil a publié un rapport sur les conditions des prisons, qui mentionnait la récurrence des passages à tabac, les politiques abusives dans les sanctions et les transferts, ainsi que l’utilisation excessive de la détention préventive par les juges.
En 2012, de nombreux témoignages ont été fournis sur des abus policiers contre des migrants d’Afrique subsaharienne, dont beaucoup vivent dans des conditions précaires le long de la côte méditerranéenne. Par exemple, le 24 août, les policiers auraient fait une descente dans une maison abandonnée occupée par des migrants dans la banlieue de Nador. Ils ont apparemment détruit ou confisqué les biens des migrants, les ont fait monter dans des bus et ont abandonné beaucoup d’entre eux à la frontière algérienne, sans même vérifier formellement leur statut. De façon générale, le Maroc s’est abstenu d’expulser des migrants munis de documents prouvant qu’ils avaient demandé ou obtenu la reconnaissance de leur statut de réfugiés auprès du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations Unies (UNHCR).
Liberté d’association
La constitution de 2011 protège pour la première fois le droit de créer une association. Cependant, les fonctionnaires ont continué à entraver arbitrairement la reconnaissance légale de nombreuses associations, réduisant ainsi leur liberté d’action. Parmi les groupes affectés, se trouvent ceux qui défendent les droits des Sahraouis, des Amazighs (Berbères), des migrants en provenance d’Afrique subsaharienne et des diplômés chômeurs, mais aussi des associations caritatives, culturelles et éducatives dont la direction comprend des membres d’Al Adl Wal Ihsan (Justice et Spiritualité). Ce mouvement bien implanté dans tout le pays milite pour l’instauration d’un État islamique et conteste l’autorité spirituelle du roi. Le gouvernement, qui ne reconnaît pas Justice et Spiritualité comme une association légale, a toléré beaucoup de ses activités mais en a interdit d’autres. Au Sahara occidental, les autorités ont refusé de reconnaître légalement toutes les organisations locales de défense des droits humains dont les dirigeants soutiennent l’indépendance de ce territoire, y compris des associations ayant obtenu gain de cause à travers des décisions de tribunaux administratifs qui ont jugé qu’on leur avait injustement refusé la légalisation.
Droits des femmes
La nouvelle constitution garantit aux femmes l’égalité « dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume ». D’importantes réformes du Code de la famille en 2004 ont relevé l’âge minimum requis pour le mariage de 15 à 18 ans et ont amélioré les droits des femmes en matière de divorce et de garde des enfants. Mais le nouveau code a conservé des dispositions discriminatoires dans le domaine de l’héritage, ainsi que le droit des maris de répudier leur femme unilatéralement.
Le 10 mars, Amina Filali, 16 ans, s’est apparemment ôté la vie après avoir enduré les coups de son mari, d’après sa famille. Les parents de Filali, qui vivent près de Larache, dans le Nord du Maroc, avaient déposé une plainte en 2011 déclarant que le futur mari de leur fille l’avait violée ; mais plus tard ils ont déposé une requête auprès du tribunal, qui a été accordée, pour permettre que l’un et l’autre se marient. Cette affaire a attiré l’attention sur l’article 475 du code pénal, qui prévoit une peine de prison pour qui « enlève ou détourne » un(e) mineur(e), mais empêche le procureur de poursuivre le ravisseur si par la suite il épouse la mineure. Cette clause, affirment les militants des droits des femmes, permet effectivement à des violeurs d’échapper aux poursuites judiciaires.
Employé(e)s domestiques
Malgré les lois interdisant d’employer des enfants de moins de 15 ans, on pense qu’ils sont des milliers d’enfants en-dessous de cet âge – avec une prédominance de filles – à travailler comme employé(e)s de maison. Selon des sources de l’ONU, d’organisations non gouvernementales, et du gouvernement, le nombre d’enfants employés domestiques a diminué ces dernières années, mais des petites filles qui n’ont pas plus de 8 ans continuent à travailler dans des foyers, jusqu’à 12 heures par jour et parfois pour seulement 11 US$ par mois. Dans certains cas, les employeurs frappent les filles et les agressent verbalement, les empêchent de recevoir une éducation et ne les nourrissent pas correctement. En 2012, une cour d’appel a condamné une femme à dix ans de prison pour avoir battu à mort une enfant de 10 ans employée de maison.
Le code du travail marocain exclut les travailleurs domestiques des protections qu’il prévoit, notamment le salaire minimum, la limitation du temps de travail quotidien et le jour de congé hebdomadaire. En 2006, les autorités ont présenté une ébauche de loi pour réglementer le travail domestique et renforcer les interdictions existant contre l’emploi des moins de 15 ans. Le texte a été modifié mais au moment de la rédaction de ce rapport, il n’avait toujours pas été adopté.
Liberté d’expression
Les médias indépendants marocains, que ce soit de la presse écrite ou électronique, peuvent enquêter sur les responsables et les politiques du gouvernement et les critiquer, mais ils s’exposent aux poursuites et au harcèlement dès qu’ils franchissent certaines limites. Le Code de la presse prévoit des peines de prison pour la diffusion « de mauvaise foi » d’une « nouvelle fausse » susceptible de troubler l’ordre public, ou de discours diffamatoires ou insultants envers les membres de la famille royale ; ou encore qui portent atteinte « à la religion islamique, au régime monarchique ou à l’intégrité territoriale », c’est-à-dire à la revendication de souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental.
La télévision publique marocaine accorde une certaine la place au reportage d’investigation, mais permet très peu de critiquer directement le gouvernement ou d’exprimer un désaccord sur des questions clés. En avril, Rachid Nini, un éditorialiste populaire, rédacteur en chef du quotidien Al Masa’, a fini de purger sa peine d’un an de prison. Il avait été reconnu coupable, sur la base de ses articles, de tenter de faire pression sur les décisions des magistrats, de discréditer des jugements et d’accuser à tort de crimes des fonctionnaires publics.
Le 5 octobre, le Maroc a annulé l’accréditation d’un journaliste de l’Agence France-Presse, Omar Brouksy, à cause d’un article où il décrivait un parti politique, en lice dans les élections partielles qui avaient lieu ce jour-là, comme un parti proche du Palais. En novembre, les autorités ont annoncé qu’elles autoriseraient Al Jazeera à rouvrir son bureau, deux ans après l’avoir fermé, après avoir critiqué sa façon de couvrir le conflit du Sahara occidental.
En mai, un tribunal de Casblanca a condamné à un an de prison le rappeur Mouad Belghouat (alias Al Haqed, « l’indigné ») pour avoir insulté la police à travers les paroles d’une de ses chansons. La condamnation et la peine ont été maintenues lors du procès en appel en juillet.
Un tribunal de Taza a condamné en février Abdelsamad Haydour, 24 ans, originaire de Taza, à trois ans de prison, pour s’être attaqué au roi en le traitant de « chien », d’« assassin » et de « dictateur » dans une vidéo postée sur YouTube ; le code pénal criminalise l’« offense envers le Roi ».
Principaux acteurs internationaux
En 2008, l’Union européenne a accordé au Maroc un « statut avancé » qui le place un cran au-dessus des autres membres de la Politique européenne de voisinage (PEV). Le Maroc est le premier bénéficiaire de l’aide européenne au Proche-Orient après les Territoires palestiniens occupés, avec 580 millions € (757 millions US$) alloués pour la période 2011-2013. Dans son rapport 2012 sur la PEV, l’UE a exhorté le Maroc à protéger la liberté d’expression, entre autres en adoptant un nouveau Code de la presse, et à « mettre en œuvre les principes inscrits dans la nouvelle Constitution, notamment par l’adoption de lois organiques (…) et formuler un plan stratégique pour la réforme du secteur de la justice en vue de consolider son indépendance ».
La France est le premier partenaire commercial du Maroc et sa principale source d’aide publique au développement et d’investissement privé. Elle a augmenté son Aide au développement international, qui est passée à 600 millions € (783 millions US$) pour la période 2010-2012. La France a rarement critiqué publiquement les pratiques du Maroc en matière de droits humains et a ouvertement soutenu son plan d’autonomie pour le Sahara occidental. Le 9 mars, Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères, a salué la progression « exemplaire » du Maroc vers la démocratie et l’a qualifié de « modèle » pendant le Printemps arabe. Le 24 mai, le roi Mohammed VI est devenu le premier chef d’État à être reçu par François Hollande, récemment élu président de la République française.
Les États-Unis a fourni une aide financière au Maroc, un de leurs proches alliés, y compris une subvention de 697 millions US$ sur cinq ans à compter de 2008, octroyée par la Millennium Challenge Corporation, et destinée à réduire la pauvreté et à stimuler la croissance économique. Sur le plan des droits humains, les États-Unis ont continué à louer publiquement les efforts de réforme du Maroc. La secrétaire d’État Hillary Clinton, qui s’exprimait sur le Maroc lors du premier « dialogue stratégique » bilatéral le 13 septembre, n’a émis aucune réserve sur la situation des droits humains.
La résolution de 2012 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui renouvelait le mandat de la force de maintien de la paix au Sahara occidental (MINURSO), n’a pas élargi le mandat de la MINURSO pour y inclure la tâche de surveiller la situation des droits humains, une mesure souhaitée par le Front Polisario mais à laquelle le Maroc est opposé. La MINURSO est la seule mission de maintien de la paix créée depuis 1990 qui soit dépourvue d’une composante d’observation des droits humains. La résolution 2044 s’est réjouie des « mesures que le Maroc a prises pour remplir l’engagement qu’il a pris d’assurer un accès sans réserves ni restrictions [au Sahara occidental] à tous les titulaires de mandats relevant des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies » en visite au Maroc. En septembre, le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture a mené une mission au Maroc et au Sahara occidental (voir ci-dessus).