Après 42 ans de dictature sous le régime de Mouammar Kadhafi, la Libye a tenu en juillet des élections pour former un Congrès national général (CNG) mais un gouvernement provisoire faible a été incapable de dissoudre les innombrables groupes armés existant dans le pays, de mettre fin aux arrestations arbitraires et à la torture des détenus ou de régler le problème des déplacements forcés de groupes réputés pro-Kadhafi.
Pendant toute l'année, les Libyens ont souffert d'un climat de violence continuel, caractérisé par des affrontements tribaux, des attaques meurtrières contre des missions diplomatiques étrangères et des organisations internationales, la destruction de sites religieux soufistes, des enlèvements crapuleux ou à but politique et les meurtres délibérés d'anciens agents de sécurité de Kadhafi. Des étrangers en provenance d'Afrique subsaharienne ont subi des arrestations, des passages à tabac et été mis au travail forcé.
Transition politique
Le Conseil national de transition (CNT), qui a gouverné la Libye pendant et après le conflit de 2011 ayant abouti à la chute de Kadhafi, a été dissout du fait de l'élection du CNG le 7 juillet 2012. Les observateurs internationaux ont généralement considéré cette élection comme équitable, malgré quelques cas de violence et des attaques de bureaux de vote. La passation du pouvoir à ce Congrès de 200 membres a constitué une première étape de gouvernance démocratique. Le CNG a pour mandat de former un gouvernement, de préparer une nouvelle loi électorale et d'organiser de nouvelles élections. La nomination d'un organe chargé de rédiger une constitution faisait initialement partie de son mandat mais ce pouvoir a été révoqué par le CNT juste avant les élections, dans le but de désamorcer la tension entre l'est et l'ouest de la Libye. Le mécanisme de préparation de la constitution est actuellement à l'étude.
Le premier gouvernement libyen élu a prêté serment dans un contexte de tension causée par l'exclusion, par la Commission Intégrité et Patriotisme, de quatre personnes proposées pour un poste de ministre, pour non-conformité aux normes établies pour tenir une fonction publique.
Sécurité et milices
Malgré quelques mesures positives, les autorités intérimaires ont eu de la peine à mettre sur pied une armée et une police opérationnelles et capables de faire respecter la loi et l'ordre. De nombreux groupes armés qui s'étaient formés pour combattre Kadhafi ont refusé de déposer les armes et ont rempli le vide sécuritaire qui s'était créé. Certains ont coopéré avec le gouvernement et ont fourni des services en matière de sécurité. D'autres ont opéré en dehors du contrôle de l'État; celui-ci s'est montré incapable de neutraliser ces groupes bien armés.
L'échec des autorités à démobiliser les groupes armés a contribué à une escalade de la violence dans les monts Nafusa, dans le nord-ouest de la Libye, dans les villes de Koufra et Sebah au sud, ainsi qu'à Sirte et à Bani Walid. Au mois d'octobre, un amalgame de forces gouvernementales et de milices de Misrata encerclait et assiégeait partiellement Bani Walid, exigeant l'arrestation de personnes recherchées soupçonnées de se trouver dans la ville.
L'armée nationale libyenne s'est déployée dans le sud à la suite d'affrontements tribaux entre Arabes et Tabus à propos de droits de propriété et du contrôle de la frontière et des itinéraires de contrebande. Sur-déployée, l'armée a parfois agi comme un intermédiaire entre régions et tribus en conflit.
La police est restée faible et pour maintenir la loi et l'ordre, elle a dû s'appuyer dans une marge mesure sur le Comité suprême de sécurité (CSS)—organe quasi-officiel formé d'anciens combattants anti-Kadhafi qui coopère avec le ministère de l'Intérieur. Le fait que le CSS manque de références en matière d'enquêtes de sécurité et n'ait reçu qu'une formation rudimentaire a contribué à la commission d'abus par ses membres.
Arrestations arbitraires, tortures et décès en détention
Au mois d'octobre, environ 8.000 personnes se trouvaient en détention. La majorité d'entre elles étaient en garde à vue depuis plus d'un an sans que des chefs d'accusation eussent été retenus contre elles et avaient été privées de leurs droits à une procédure légale, dont le contrôle judiciaire et l'accès à un avocat. Quelque 3.000 de ces personnes étaient détenues par le ministère de la Justice et environ 2.000 étaient aux mains du ministère de la Défense ou du CSS. Les autres étaient détenues illégalement par divers groupes armés.
Les conditions de détention dans les lieux contrôlés par les milices étaient variables, certains détenus faisant état de tortures régulières et de décès en détention. Les conditions dans les institutions contrôlées par l'État ont semblé s'améliorer, bien que des violations des droits humains se soient encore produites, ainsi que des décès en détention.
Les étrangers originaires d'Afrique subsaharienne, pour la plupart des travailleurs migrants, sont particulièrement vulnérables aux mauvais traitements en Libye, où ils risquent d'être harcelés, arrêtés, maltraités en détention, mis au travail forcé et privés d'un accès réglementaire au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).
Manquement au devoir d’enquêter sur des meurtres
Des assassinats qui semblent avoir été ciblés ont été commis tout au long de l'année, visant tout particulièrement d'anciens membres des services de renseignement et de sécurité de Kadhafi. Au moment de la rédaction de ce rapport, au moins 15 anciens officiers avaient été tués dans des circonstances ressemblant à des assassinats ciblés, à Benghazi. Les autorités n'ont pas annoncé la moindre enquête sur ces meurtres, ni arrêté le moindre suspect.
Système judiciaire et justice de transition
Le système judiciaire est demeuré faible, en particulier en ce qui concerne la capacité de poursuivre des criminels affiliés à des milices anti-Kadhafi. Des menaces et des agressions physiques contre des procureurs et des juges ont sapé encore davantage l'état de droit.
Le 2 mai, le CNT a adopté la loi 38, qui accorde une amnistie aux personnes ayant commis des crimes si leurs actes visaient à “promouvoir ou protéger la révolution” contre Kadhafi.
Au moment de la rédaction de ce rapport, personne n'a été inculpé ou arrêté pour l'apparente exécution de 53 partisans de Kadhafi à Sirte en octobre 2011, ou pour l'apparente exécution de Mouammar Kadhafi et de son fils Mouatassim. Une commission formée par le CNT pour enquêter sur la mort de Kadhafi n'a publié aucun résultat.
À l'inverse, les autorités judiciaires ont entamé des procédures à l'encontre de plusieurs anciens responsables du régime Kadhafi. Certains de ces responsables, qui sont en détention, se sont plaints de ne pas avoir accès à un avocat et de ne pas connaître les chefs d'accusation retenus contre eux.
Abuzaid Dorda, l'ancien Premier ministre et chef des services de renseignement extérieurs, s'est blessé en sautant d'un immeuble de deux étages alors qu'il était aux mains d'une milice. Il a affirmé avoir sauté afin d'éviter les mauvais traitements.
Justice internationale et Cour pénale internationale
Un autre fils de Mouammar Kadhafi, Saïf al-Islam, et l'ancien chef des services de renseignement intérieurs, Abdullah Sanussi—tous deux détenus en Libye—font toujours l'objet de mandats d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), pour crimes contre l'humanité pour leur rôle dans des attaques perpétrées contre des civils, notamment contre des manifestants pacifiques, à Tripoli, Benghazi, Misrata et dans d'autres villes et bourgs de Libye après le déclenchement des manifestations anti-gouvernementales dans l'est du pays le 15 février 2011.
La Libye affirme que Saïf al-Islam Kadhafi fait l'objet d'une enquête pour corruption et exactions commises en temps de guerre, et Abdullah Sanussi pour de graves crimes commis avant et pendant le conflit, y compris pour son implication présumée dans le meurtre en 1996 d'environ 1.200 détenus à la prison Abu Salim à Tripoli. Kadhafi est détenu par une milice à Zintan; Sanussi est entre les mains de l'État libyen depuis son extradition de Mauritanie en septembre. Le gouvernement libyen a contesté officiellement la recevabilité des chefs d'accusation formulés contre Kadhafi à la CPI et cette procédure suit son cours. En attendant le résultat de cette contestation, les juges de la CPI ont autorisé la Libye à surseoir à la remise de Kadhafi à la Cour à La Haye. Cependant, à l'heure de la rédaction de ce rapport, la Libye est toujours légalement tenue de remettre Sanussi à la CPI, en vertu de la résolution 1970 du Conseil de sécurité de l'ONU.
Du 7 juin au 2 juillet, la milice qui détient Kadhafi à Zintan a retenu arbitrairement des membres du personnel de la CPI, qui s'étaient rendus en Libye pour rencontrer Kadhafi, dans le cadre d'une visite autorisée par les juges de la CPI et à laquelle la Libye avait donné son accord.
Déplacements forcés
Environ 35.000 personnes de la ville de Tawergha sont toujours déplacées sur tout le territoire libyen et empêchées de retourner chez elles. Les habitants de Tawergha sont accusés de s'être rangés du côté des forces de Mouammar Kadhafi pendant le conflit de 2011 et d'avoir commis de graves crimes, notamment des viols et des actes de torture, à l'encontre des résidents de la ville proche de Misrata. Des miliciens de Misrata ont harcelé, battu, arrêté et tué des habitants de Tawergha pendant leur détention.
Parmi les autres groupes de personnes déplacées, se trouvent des habitants de Tamina et de Kararim, également accusés d'avoir pris parti pour les forces pro-Kadhafi. Des groupes armés ont empêché les membres de la tribu Mashashiya de retourner dans leurs villages dans les monts Nafusa, en raison de conflits tribaux et politiques.
Liberté de parole et d'expression
En mai, le CNT a adopté la loi 37, aux termes de laquelle il était considéré comme un crime de tenir toutes sortes de discours politiques, visant à « glorifier le tyran [Mouammar Kadhafi] », « porter atteinte à la Révolution du 17 février », ou insulter les institutions de la Libye. Un groupe de juristes libyens a contesté cette loi et en juin, la Cour Suprême l'a déclarée anticonstitutionnelle.
La fragilité de la situation sur le plan de la sécurité a constitué un handicap pour la liberté d'expression et des journalistes, des militants des droits humains et des membres du CGN ont fait l'objet de menaces de la part de groupes armés. L'incapacité du gouvernement à mettre en place un système cohérent de gestion de visas a rendu difficile pour les médias internationaux et les organisations non gouvernementales de se rendre en Libye.
Liberté religieuse
Les attaques contre des minorités religieuses ont commencé en octobre 2011 et se sont intensifiées en 2012. Des groupes armés motivés par leurs opinions religieuses ont attaqué des sites religieux soufis à travers le pays, détruisant plusieurs mosquées et les tombes de dignitaires du soufisme. Des groupes armés s'en sont pris à des églises à au moins deux reprises à Tripoli, en mai et en septembre. Les forces de sécurité du gouvernement n'ont pas fait cesser ces attaques et n'ont procédé à aucune arrestation significative.
Droits des femmes
Les élections de 2012 pour constituer le CGN ont marqué une évolution positive pour la participation politique des femmes; 33 femmes ont été élues (sur un total de 200 sièges) après que le CNT eut adopté une loi électorale exigeant que chaque parti présente un nombre égal de candidats des deux sexes.
Le code pénal libyen considère la violence sexuelle comme un crime à l'égard de « l'honneur » d'une femme, plutôt qu'à l'égard de sa personne. Certaines dispositions permettent une réduction de peine pour un homme qui tue une épouse, une mère, une fille ou une sœur qu'il soupçonne d'avoir des relations sexuelles en dehors du mariage. La loi n'interdit pas spécifiquement la violence conjugale et il n'existe pas en Libye d'endroit où les victimes de violences peuvent se réfugier volontairement.
Principaux acteurs internationaux
Les États-Unis, l'Union européenne (UE) et les Nations Unies ont joué des rôles importants en Libye tout au long de l'année. L'UE a essayé de développer les accords existants de coopération en matière de migration avec la Libye. Les États-Unis ont élargi leur coopération dans les secteurs économique et sécuritaire, en particulier après l'attaque de leur consulat à Benghazi le 11 septembre 2012, dans laquelle l'ambassadeur américain en Libye, Christopher Stevens, et trois employés d'ambassade ont été tués. La Mission d'appui des Nations Unies en Libye (MANUL) a continué de concentrer ses efforts sur les élections et sur la justice transitionnelle.
Jusqu'à présent, l'OTAN, qui a mené l'offensive aérienne contre les forces de Kadhafi, s'est abstenue d'enquêter de manière appropriée sur les décès d'au moins 72 victimes civiles de ses frappes aériennes.
Les membres du Conseil de sécurité qui s'étaient faits les champions de la résolution 1970, qui saisissait la CPI du dossier libyen, sont restés dans une large mesure silencieux sur l'obligation faite par cette résolution à la Libye de coopérer avec la Cour.
La Commission d'enquête sur la Libye (COI) a exprimé sa préoccupation du fait que des violations des droits humains continuent d'être commises, en particulier par les milices armées, et a recommandé une surveillance continue de la part du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, pour assurer la mise en œuvre de ses recommandations. Et pourtant, la résolution que le Conseil a adoptée le 23 mars 2012, lors de sa 19ème session, n'identifiait aucune violation spécifique, ne reconnaissait ni l'étendue ni la gravité des violations qui se poursuivent, et ne comportait pas de mécanisme pour assurer une surveillance de la situation en matière de droits humains par le Conseil.