Le Rwanda a réalisé d'importants progrès économiques ainsi qu’en matière de développement, mais le gouvernement a continué à imposer des restrictions sévères sur la liberté d'expression et d'association. Les partis d'opposition sont dans l’incapacité de fonctionner. Deux dirigeants de l'opposition sont toujours en prison, et d'autres membres de leurs partis ont été menacés. Deux journalistes arrêtées en 2010 demeurent également en prison, et plusieurs autres ont été arrêtés. Les lois relatives à l’« idéologie du génocide » et aux médias ont été révisées, mais n'avaient pas encore été adoptées au moment de la rédaction de ce rapport.
Les tribunaux communautaires gacaca mis en place pour juger les affaires liées au génocide de 1994 ont pris fin en juin 2012. Le procès de Jean Bosco Uwinkindi, la première affaire transférée au Rwanda par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), a débuté à Kigali.
Plusieurs gouvernements ont suspendu une partie de leur aide au Rwanda en réponse au soutien militaire rwandais apporté au groupe rebelle M23 en République démocratique du Congo (RDC).
Les opposants politiques
Bernard Ntaganda, président fondateur du parti d'opposition PS-Imberakuri, est resté en prison après que la Cour suprême a maintenu en avril des accusations d’atteinte à la sûreté de l'État et de divisionnisme, et a confirmé sa peine de quatre ans d’emprisonnement prononcée en 2011. Les accusations étaient liées uniquement à ses critiques publiques à l’égard du gouvernement.
Plusieurs autres membres du PS-Imberakuri ont été victimes de menaces et d’actes d’intimidation, et ont été interrogés par la police au sujet de leurs activités politiques. Le 5 septembre, Alexis Bakunzibake, vice-président du parti, a été enlevé dans la capitale, Kigali, par des hommes armés qui lui ont bandé les yeux et l’ont placé en détention jusqu'au lendemain dans un endroit qu'il n'a pas pu identifier. Ses ravisseurs l'ont interrogé à propos des activités du PS-Imberakuri, de ses adhérents et de son financement, et au sujet de ses liens présumés avec d’autres groupes d'opposition. Ils ont essayé de le convaincre d'abandonner ses activités au sein du parti, puis l'ont conduit vers une destination inconnue avant de l’abandonner de l’autre côté de la frontière, en Ouganda.
Le procès de Victoire Ingabire, présidente du parti FDU-Inkingi, qui a débuté en septembre 2011, a pris fin en avril. Elle a été accusée de six infractions, dont trois ont été liées à des « actes terroristes » ainsi qu’à la création d'un groupe armé. Les trois autres chefs d’accusation — « idéologie du génocide », divisionnisme et propagation de rumeurs visant à inciter le public à se soulever contre l'État — étaient liées à ses critiques publiques à l’égard du gouvernement. Le 30 octobre, après un procès entaché d'irrégularités, elle a été reconnue coupable de complot visantà porter atteinte au pouvoir établi ainsi que de négation du génocide, et condamnée à huit ans de prison. Il y a eu des doutes quant à la fiabilité de certains éléments de preuve après qu’un témoin cité par la défense a jeté le doute sur la crédibilité de l'un des co-accusés de Victoire Ingabire. Il se peut que ce co-accusé ait été contraint à incriminer Victoire Ingabire alors qu’il se trouvait en détention militaire. Le témoin (un prisonnier) a fait l'objet d'intimidations après avoir fait sa déposition. Les autorités pénitentiaires ont fouillé sa cellule sur ordre du ministère public et ont saisi ses documents personnels, notamment des notes qu'il avait préparées pour sa déclaration devant la cour. Au tribunal, le procureur a confirmé la fouille en produisant les notes en question.
En septembre, huit membres des FDU-Inkingi ont été arrêtés à Kibuye et accusés de tenir des réunions illégales. Ils ont été inculpés d'incitation à l'insurrection ou de troubles à l’ordre public et placés en détention préventive. Toujours en septembre, Sylvain Sibomana, secrétaire général des FDU-Inkingi et Martin Ntavuka, le représentant des FDU-Inkingi à Kigali, ont passé la nuit en détention policière près de Gitarama après avoir exprimé des commentaires critiques sur les politiques gouvernementales au cours d'une conversation informelle dans un bus. Ils ont été libérés sans inculpation.
Frank Habineza, président du Parti vert démocratique du Rwanda qui avait fui le pays en 2010 après l’assassinat du vice-président du parti, est retourné au Rwanda en septembre pour relancer son parti et l'enregistrer avant les élections législatives en 2013. Le parti a dû reporter son congrès prévu pour novembre parce que le gouvernement n'a pas accordé l'autorisation nécessaire.
Le procès de six hommes accusés d'avoir tenté d'assassiner le général Kayumba Nyamwasa, un ancien haut gradé de l'armée qui est devenu un détracteur ouvertement critique à l’égard du gouvernement, à Johannesburg en 2010, s'est poursuivi en Afrique du Sud.
Les journalistes
Le Parlement a approuvé de nouvelles lois sur les médias, qui en théorie pourraient accroître la portée d'un journalisme indépendant. Les lois étaient en attente d'adoption au moment de la rédaction de ce document. Dans la pratique, les journalistes continuent d'être pris pour cible en raison d’articles perçus comme critiques envers le gouvernement.
Agnès Uwimana et Saidati Mukakibibi, deux journalistes d’Umurabyo qui ont été arrêtées en 2010, sont restées en prison. Après avoir été condamnées en 2011 respectivement à 17 ans et 7 ans d’emprisonnement, en lien avec des articles publiés dans leur journal, elles ont fait appel du verdict. Le 5 avril, la Cour suprême a réduit leur peine à quatre et trois ans, respectivement. La Cour a maintenu les accusations d’atteinte à la sûreté de l’État contre les deux femmes, ainsi qu’un chef d’accusation de diffamation contre Agnès Uwimana. La Cour a abandonné les accusations de minimisation du génocide de 1994 et de divisionnisme contre Agnès Uwimana.
En août, Stanley Gatera, rédacteur en chef du journal Umusingi, a été arrêté et accusé de discrimination et de sectarisme en lien avec un article d'opinion publié dans son journal à propos de la stabilité conjugale et des problèmes posés, d’après l'auteur, par l'attrait supposé des femmes tutsies. Il a été condamné à un an de prison en novembre.
En avril, Epaphrodite Habarugira, un présentateur de Radio Huguka, a été arrêté et accusé d'idéologie du génocide après avoir apparemment par mégarde, au cours d'un journal d’informations, confondu des termes en se référant aux rescapés du génocide. Il a passé trois mois en prison avant d'être acquitté en juillet. Le procureur de la République a fait appel de son acquittement.
Idriss Gasana Byringiro, reporter au journal The Chronicles, a été enlevé le 15 juin, interrogé à propos de son travail et de son journal, et libéré le lendemain. Au cours des jours suivants, il a reçu des menaces anonymes, le sommant de renoncer au journalisme. Il a signalé son enlèvement et les menaces à la police. Le 17 juillet, la police l'a arrêté. Deux jours plus tard, il a été présenté lors d'une conférence de presse où il est revenu sur ses déclarations antérieures et a affirmé qu'il avait feint son propre enlèvement. Les premières informations indiquent qu'il a peut-être été contraint à faire cet « aveu ». Il a été libéré sous caution et, au moment de la rédaction de ce rapport, il était toujours en attente de son procès pour avoir soi-disant fait une fausse déclaration à la police.
En juin, Tusiime Annonciata, un journaliste de Flash FM, a été battu jusqu'à perdre connaissance par des personnels de police et de la sécurité devant le Parlement, après que ceux-ci l’aient accusé d'avoir tenté de s’introduire dans une session d’une commission parlementaire sans autorisation.
Charles Ingabire, rédacteur en chef du journal en ligne Inyenyeri News et un critique virulent du gouvernement, a été abattu dans la capitale ougandaise, Kampala, le 30 novembre 2011. Il avait reçu des menaces dans les mois qui ont précédé sa mort. La police ougandaise a déclaré qu'elle enquêtait sur l'affaire, mais personne n'a été poursuivi pour le meurtre d’Ingabire.
Société civile
Les organisations indépendantes de la société civile sont restées faibles en raison d’années d'intimidation de la part de l'État. Peu d'organisations rwandaises ont dénoncé publiquement les violations de droits humains. Le gouvernement rwandais et les médias pro-gouvernementaux ont réagi de manière hostile à l'égard des organisations internationales de défense des droits humains et ont tenté de discréditer leur travail.
Loi sur l’idéologie du génocide
En juin, le Conseil des ministres a approuvé une version amendée de la loi de 2008 concernant l'idéologie du génocide, qui a été utilisée pour faire taire les critiques. Au moment de la rédaction du présent document, la loi révisée était soumise au Parlement. La loi révisée contient des améliorations, en particulier une définition plus précise de l'infraction et une réduction des peines de prison. Toutefois, cette loi a conservé la notion d’« idéologie du génocide » comme une infraction pénale passible d'emprisonnement et elle comporte des termes vagues qui pourraient être utilisés pour criminaliser la liberté d'expression.
Justice pour le génocide
Les tribunaux communautaires gacaca, qui ont été mis en place pour traiter les affaires liées au génocide, ont pris fin en juin, après avoir jugé presque deux millions d’affaires, selon les statistiques gouvernementales.
Dans le cadre de la première affaire à être transférée par le TPIR, Jean Bosco Uwinkindi a été envoyé d'Arusha, en Tanzanie, au Rwanda en avril afin d’être traduit en justice pour génocide. Les audiences préliminaires ont eu lieu à Kigali. Le TPIR a accepté de transférer sept autres affaires au Rwanda.
En janvier, l’universitaire et ancien responsable gouvernemental Léon Mugesera a été renvoyé au Rwanda depuis le Canada pour faire face à des accusations de planification et d'incitation au génocide. Les audiences préliminaires ont eu lieu à Kigali.
Des poursuites judiciaires contre des suspects du génocide rwandais ont eu lieu dans plusieurs autres pays, dont le Canada, la Norvège, la Suède, l'Allemagne et les Pays-Bas.
Détention illégale et torture
Le 13 janvier, la Haute cour de Kigali, statuant dans le procès de 30 personnes accusées d'implication dans des attaques à la grenade en 2010, a condamné 22 accusés à des peines d’emprisonnement allant de cinq ans jusqu’à la perpétuité, et a acquitté huit accusés. Les juges n'ont pas tenu compte des déclarations de plusieurs accusés indiquant qu’ils auraient été détenus au secret dans un centre de détention militaire et torturés.
Le frère du général Kayumba Nyamwasa, le lieutenant-colonel Rugigana Ngabo, qui a été arrêté en 2010 et détenu au secret dans une prison militaire pendant cinq mois, a été jugé par un tribunal militaire à huis clos et condamné en juillet à neuf ans d'emprisonnement pour atteinte à la sûreté de l'État et incitation à la violence. En réponse à une demande d'habeas corpus faite par sa sœur en 2010, la Cour de justice de l'Afrique de l'Est (East African Court of Justice, EACJ) a statué en décembre 2011 que la détention au secret sans jugement de Ngabo avait été illégale. Le gouvernement rwandais a fait appel de cette décision, mais elle a été confirmée par la division d'appel de l’EACJ en juin.
Implication de l’armée rwandaise en RDC
L'armée rwandaise a fourni un soutien au groupe rebelle congolais M23, qui a déclenché une mutinerie contre l'armée congolaise en mars. Le M23 a commis de graves exactions dans l'est de la RD Congo, notamment des meurtres de civils, des exécutions sommaires, des viols et du recrutement forcé (voir le chapitre sur la RDC). En violation de l'embargo sur les armes des Nations Unies sur les acteurs non étatiques dans l'est de la RD Congo, des responsables militaires rwandais ont fourni au M23 des armes, des munitions et de nouvelles recrues, notamment des enfants. Des troupes rwandaises ont traversé la frontière de la RD Congo pour assister le M23 dans des opérations militaires, notamment une offensive en novembre au cours de laquelle le M23 s’est emparé de la ville de Goma. Le gouvernement rwandais a nié toute implication dans le soutien au M23.
Principaux acteurs internationaux
Plusieurs gouvernements — notamment les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Suède, les Pays-Bas, la Belgique et l'Union européenne — ont suspendu ou retardé une partie de leurs programmes d'assistance au Rwanda en réponse au soutien militaire rwandais apporté au M23. En septembre, le gouvernement britannique a repris la moitié de l'aide qu'il avait suspendue en juillet, en dépit du soutien militaire rwandais persistant au M23. Les expressions de préoccupation diplomatique se sont intensifiées en novembre lorsque le M23 s’est emparé de Goma.
En octobre, le Rwanda a été élu au Conseil de sécurité des Nations Unies, soulevant des inquiétudes au sujet d'un conflit d'intérêts en raison des violations par le Rwanda de l'embargo sur les armes des Nations Unies et de l'implication de ses troupes en RD Congo.