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La Syrie, État policier répressif gouverné depuis 1963 sous le régime de l'état d'urgence, n'a pas été à l'abri en 2011 de la contagion du mouvement pro-démocratie du Printemps arabe. Des manifestations anti-gouvernementales ont éclaté dans la province méridionale de Daraa à la mi-mars et se sont rapidement étendues à d'autres régions du pays. Les forces de sécurité ont répliqué avec brutalité, tuant au moins 3.500 manifestants et en arrêtant des milliers de manière arbitraire, y compris des enfants de moins de 18 ans, détenant la plupart d'entre eux au secret et en soumettant beaucoup à la torture. Les forces de sécurité ont également lancé des opérations militaires de grande ampleur dans toutes les villes turbulentes du pays.

Parallèlement, le gouvernement syrien a adopté un certain nombre de réformes, dans une tentative infructueuse d'étouffer le mouvement de protestation, levant l'état d'urgence, promulguant une nouvelle loi sur la presse et octroyant la nationalité syrienne à certains membres apatrides de la minorité kurde du pays. Mais à l'heure de la rédaction de ce rapport, la répression sanglante qui se poursuivait semblait signaler la détermination du gouvernement à écraser la contestation et à rejeter toute réforme susceptible de réduire son autorité.

Meurtres de manifestants et de passants

Les forces de sécurité et des groupes armés soutenus par le gouvernement ont recouru à la violence, souvent létale, pour attaquer et disperser des manifestants anti-gouvernementaux, dont l'immense majorité étaient pacifiques, à partir de la mi-mars. Le nombre exact des morts est impossible à vérifier en raison des difficultés d'accès mais au 15 novembre, les organisations humanitaires locales avaient compté 3.500 civils tués, documents à l'appui.

Un grand nombre de ces tueries ont eu lieu lorsque les forces de sécurité ont tiré sur des manifestants ou sur des convois funèbres, comme en avril dans la ville de Homs, dans le centre du pays, où au moins 15 personnes ont été tuées sur la place de la Nouvelle Tour-horloge lorsque des protestataires ont tenté d'organiser un sit-in, et dans la ville d'Izraa au sud, où au moins 34 manifestants ont été tués. Si dans certains cas, les forces de sécurité ont tout d'abord utilisé du gaz lacrymogène ou tiré en l'air pour disperser les foules, dans beaucoup d'autres cas, elles ont tiré directement et sans préavis sur les protestataires. De nombreuses victimes ont été atteintes à la tête, au cou ou à la poitrine, ce qui tend à indiquer qu'elles étaient directement visées. Dans plusieurs cas, les forces de sécurité ont poursuivi les manifestants et continué à tirer sur eux alors qu'ils s'enfuyaient.

Les autorités syriennes ont affirmé à maintes reprises que les forces de sécurité ne faisaient que riposter à des attaques de bandes terroristes armées. Dans la plupart des cas que Human Rights Watch a documentés, les témoins ont affirmé avec insistance que les personnes tuées ou blessées étaient sans armes et ne posaient aucune menace mortelle. Les manifestants ont utilisé la force létale contre les forces de sécurité en de rares occasions et c'était le plus souvent en riposte à l'usage de la force meurtrière par ces forces elles-mêmes.

Violations des droits humains lors d'opérations militaires de grande ampleur

Les forces de sécurité ont effectué plusieurs opérations militaires d'envergure dans des villes et agglomérations qui étaient des foyers de contestation, opérations qui se sont soldées par des meurtres, des arrestations et des incarcérations sur une large échelle, ainsi que par le recours à la torture. En avril, elles ont assiégé pendant 11 jours la ville de Daraa, tuant au moins 115 résidents, selon des activistes sur place. Des habitants de Daraa ont affirmé à Human Rights Watch que les forces de sécurité avaient quadrillé tous les quartiers de la ville, placé des tireurs sur le toit de nombreux immeubles et interdit tout déplacement aux riverains en tirant sur tous ceux qui tentaient de sortir de chez eux. Elles ont mené une campagne massive d'arrestations, détenant arbitrairement des centaines de personnes. D'anciens détenus libérés ont indiqué que les forces de sécurité leur avaient fait subir, ainsi qu'à des centaines d'autres personnes qu'ils avaient vues pendant leur détention, diverses formes de torture et de traitements dégradants.

En mai, les forces de sécurité ont attaqué la ville côtière de Banyas, transformant le stade municipal en centre de détention, et la petite ville de Tal Kalakh, proche de la frontière libanaise, forçant plus de 3.000 Syriens à fuir au Liban. En juin, elles ont envoyé des chars à Jisr al-Shughur, une ville du nord de la Syrie, où des affrontements armés avaient eu lieu entre les forces de sécurité stationnées sur place et des résidents. En juillet, les forces de sécurité ont pris d'assaut la ville de Hama, qui avait été le théâtre des plus grandes manifestations anti-gouvernementales de toute la Syrie, tuant au moins 200 habitants en quatre jours, selon des listes de noms des personnes tuées fournies par des militants locaux. En août, des chars et des véhicules blindés sont entrés dans le quartier d'al-Ramel de la ville côtière de Lattaquieh. Les forces de sécurité ont également pris d'assaut à plusieurs reprises, entre mai et septembre, les quartiers de Bab Sba, Bab Amro et Bayyada de la ville de Homs.

Arrestations arbitraires, disparitions forcées et tortures

Des milliers de personnes ont été arrêtées arbitrairement par les forces de sécurité et torturées pendant leur détention. Leur nombre exact est impossible à établir mais selon des informations que Human Rights Watch a pu recueillir, les forces de sécurité ont arrêté plus de 20.000 personnes entre mars et septembre. Beaucoup de ces détenus étaient des hommes jeunes, âgés de 20 à 40 ans, mais des enfants, des femmes et des personnes âgées étaient aussi du nombre. Bien que le gouvernement en ait apparemment libéré la plupart au terme de plusieurs jours ou semaines de détention, plusieurs centaines de ces personnes étaient toujours portées disparues au moment de la rédaction de ce rapport.

Selon les témoignagesde certains détenus libérés, les méthodes de torture incluaient de longues séances de coups à l'aide de bâtons, de câbles torsadés et d'autres instruments; des électrochocs; l'utilisation d'"espaliers" de bois ou de métal; et dans au moins un cas, le viol d'un détenu de sexe masculin à l'aide d'un bâton. Les interrogateurs et les gardes ont également fait subir aux détenus diverses formes d'humiliation, les forçant par exemple à embrasser leurs chaussures et à déclarer que le président Bachar al-Assad était leur dieu. Plusieurs détenus ont raconté que leurs geôliers les avaient plusieurs fois menacés d'une exécution imminente et tous ont décrit des conditions de détention épouvantables, dans des cellules surpeuplées dans lesquelles parfois, les détenus ne pouvaient dormir qu'à tour de rôle.

Au moins 105 prisonniers sont morts en détention en 2011, selon des militants syriens. Dans les cas de morts en détention que Human Rights Watch a pu analyser, les corps portaient d'indéniables marques de torture, telles que des ecchymoses, des coupures et des brûlures. Les autorités n'ont donné aucune information aux familles sur les circonstances ayant entouré ces décès et à la connaissance de Human Rights Watch, aucune enquête n'a été ouverte. Dans certains cas, les familles des détenus décédés ont dû signer des documents selon lesquels leur proche avait été tué par "des bandes armées” et promettre de renoncer à des obsèques publiques, comme condition à la restitution du corps. Parmi ceux qui sont morts en détention, figurent certains chefs en vue du mouvement de protestation comme Ghiyath Mattar, âgé de 26 ans, un animateur de quartier de Daraya—une banlieue de Damas—dont le corps a été rendu à sa famille en septembre par les forces de sécurité, quatre jours après son arrestation.

Refus d'assistance médicale

Dans de nombreux cas, les autorités syriennes ont empêché les manifestants blessés de recevoir des soins médicaux. À plusieurs reprises, les forces de sécurité ont empêché des ambulances d'atteindre les blessés et, dans au moins trois cas documentés par Human Rights Watch, ont ouvert le feu sur des membres du personnel de santé, tuant notamment un médecin et une iinfirmière en mars à Daraa.

Les forces de sécurité ont aussi arrêté de nombreux manifestants blessés dans des hôpitaux, ce qui a par la suite forcé beaucoup de blessés à aller se faire soigner dans des dispensaires de fortune—installés dans des habitations privées ou dans des mosquées—de crainte d'être arrêtés dans un véritable hôpital. Des membres du personnel hospitalier ont affirmé à Human Rights Watch qu'en septembre, les forces de sécurité avaient évacué de force 18 blessés de l'hôpital al-Barr à Homs, dont cinq se trouvaient encore en salle d'opération.

Arrestations d'activistes et de journalistes

Les forces de sécurité syriennes ont arrêté des centaines d'activistes depuis le début du mouvement de protestation à la mi-mars, souvent au seul motif d'avoir communiqué avec les médias ou d'avoir participé à l'organisation de manifestations. En avril, elles ont arrêté Rasem al-Atassi, âgé de 66 ans, ancien président de l'Organisation arabe des droits de l'homme en Syrie, et membre du comité directeur de l'Organisation arabe des droits de l'homme à l'échelon régional. Un juge d'instruction militaire a ordonné sa mise en détention pour 15 jours, afin d'enquêter sur le rôle qu'il avait joué en termes de soutien aux manifestations. En mai, les forces de sécurité ont arrêté Mohammed Najati Tayyara, un militant des droits humains de Homs qui avait parlé à la presse internationale au sujet de la répression menée par le gouvernement. Il était toujours détenu à l'heure de la rédaction de ce rapport.

Des femmes militantes ont également été la cible des forces de sécurité. En mai, celles-ci ont arrêté la journaliste et activiste Dana al-Jawabra devant son domicile à Damas. Mme Al-Jawabra, qui est originaire de Daraa, s'était impliquée dans des tentatives de briser le siège de la ville en essayant de mettre sur pied un convoi humanitaire. Également en mai, les forces de sécurité ont arrêté à Damas l'avocate spécialisée dans les affaires de droits humains Catherine al-Talli, âgée de 32 ans, et l'ont détenue au secret pendant deux jours.

Dans certains cas, quand les forces de sécurité n'étaient pas en mesure de localiser un activiste qu'elles recherchaient, elles arrêtaient les membres de sa famille. Ainsi en mai, elles ont arrêté dans son bureau Wael Hamadeh, militant politique et mari d'une avocate en vue des droits humains, Razan Zeitouneh. Les agents de la sécurité, qui étaient à leur recherche, s'étaient rendus au domicile du couple le 30 avril et, ne les y trouvant pas, avaient alors arrêté le jeune frère de M. Hamadeh, Abdel Rahman, âgé de 20 ans. Wael et Abdel Rahman Hamadeh ont été relâchés plusieurs mois plus tard.

Le gouvernement a également fait arrêter des journalistes qui essayaient de couvrir la répression en Syrie. En mars, les services syriens de sécurité ont arrêté un journaliste de l'agence Reuters, Suleiman al-Khalidi, de nationalité jordanienne, pour avoir couvert les violences à Daraa. Ils l'ont expulsé du pays après l'avoir détenu au secret pendant quatre jours. En avril, les services de sécurité ont arrêté Khaled Sid Mohand, un journaliste franco-algérien indépendant, et l'ont maintenu au secret pendant près d'un mois. Les services de sécurité ont également arrêté Dorothy Parvaz—détentrice de la triple nationalité américaine, canadienne et iranienne—à son arrivée en Syrie en avril et l'ont détenue au secret pendant six jours, ainsi que deux journalistes libanais, Ghadi Frances et Ghassan Saoud, qu'ils ont détenus pour de courtes périodes.

Réformes

Dans une tentative d'étouffer la contestation, les autorités syriennes ont adopté un certain nombre de réformes, mais la répression ininterrompue en a diminué l'effet et a rendu impossible d'évaluer la volonté du gouvernement de les mettre en oeuvre. Le 4 avril, le président Assad a émis un décret accordant la nationalité syrienne à un certain nombre de Kurdes nés en Syrie mais apatrides. Le 21 avril, il a levé l'état d'urgence qui était en vigueur depuis 1963 et a aboli la Cour de sûreté de l'État, juridiction d'exception qui n'offrait pratiquement aucune garantie d'une procédure régulière. En mai et en juin, Bachar al-Assad a également décrété deux amnisties générales, dont a bénéficié un petit groupe de prisonniers politiques.

Les autorités syriennes ont aussi adopté certaines réformes dont elles affirment qu'elles contribueront à rendre le système politique plus ouvert et élargiront le champ de liberté des médias. Le 28 juillet, Bachar al-Assad a approuvé par décret une nouvelle loi sur les partis politiques. En août, il a pris un décret instaurant une Loi électorale générale et a approuvé une nouvelle législation sur les médias visant à faire respecter la liberté d'expression, bien que cette loi exige toujours des médias qu'ils “respectent cette liberté d'expression” en “l'exerçant avec sensibilité et responsabilité.”

Droits des femmes et des filles

La constitution syrienne garantit l'égalité entre les sexes et de nombreuses femmes prennent une part active à la vie publique. Toutefois, les lois relatives au statut personnel et le code pénal contiennent des provisions discriminatoires à l'égard des femmes et des filles, notamment en matière de mariage, de divorce, de garde des enfants et d'héritage. Si le code pénal n'exonère plus totalement les auteurs de prétendus crimes d'honneur, il laisse encore aux juges une certaine latitude pour infliger des peines réduites si un crime a été commis avec une intention “honorable”. La loi sur la nationalité de 1969 interdit aux femmes syriennes ayant épousé un étranger la possibilité de transmettre leur nationalité à leurs enfants ou à leur conjoint.

Acteurs internationaux clés

En réaction à la répression, les États-Unis et l'Union européenne (UE) ont pris des sanctions à l'encontre de particuliers et d'entités en Syrie, comprenant une interdiction de voyager et un gel des avoirs financiers à l'étranger à l'égard de responsables de haut rang du gouvernement et des forces de sécurité, de membres des milieux d'affaires ayant bénéficié de la politique répressive du gouvernement ou l'ayant favorisée, et de nombreuses entités. Les États-Unis et l'UE ont gelé les avoirs d'entreprises et de banques syriennes ayant des liens avec le gouvernement ou avec ses partisans, et le gouvernement américain a interdit aux entités et aux citoyens américains de conclure des affaires avec ces compagnies et ces banques. En septembre, l'UE, qui achète 95 % des exportations syriennes de pétrole, a décrété un embargo sur le pétrole syrien et interdit aux entreprises européennes d'investir dans le secteur pétrolier syrien.

Un certain nombre d'États arabes se sont unis pour condamner la répression en Syrie. En août, l'Arabie saoudite, Bahreïn, le Koweït et la Tunisie ont rappelé leurs ambassadeurs à Damas pour consultations. En novembre, la Ligue arabe a décidé par un vote de suspendre l'appartenance au groupe de la Syrie, après que celle-ci eut manqué à son engagement de mettre en œuvre un plan qui avait été convenu afin de mettre fin aux violences.

La Turquie, qui était jusque récemment un proche allié et un important partenaire commercial de la Syrie, a condamné à plusieurs reprises la répression et a stoppé au moins deux cargaisons d'armes destinées à la Syrie. Elle a également été l'hôte d'un certain nombre de réunions de l'opposition syrienne.

En août, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté à l'unanimité une déclaration qui a été lue en séance par son président et dans laquelle le Conseil condamnait "les violations généralisées des droits de l'homme et l'emploi de la force contre des civils par les autorités syriennes.” Cependant en octobre, la Russie et la Chine, ainsi que l'Inde, le Brésil et l'Afrique du sud, ont refusé d'approuver un projet de résolution du Conseil de sécurité qui visait à exercer de fortes pressions sur le gouvernement syrien.

En avril, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a « condamné sans équivoque l'emploi de la force létale contre des manifestants pacifiques ».En août, dans un rapport, le Haut Commissariat des Nations Unies aux doits de l'homme a « constaté des violations systématiques des droits de l'homme … qui pourraient constituer des crimes contre l'humanité », et le Conseil a de nouveau condamné les « violations graves et systématiques des droits de l'homme commises par les autorités syriennes » et a créé « une commission d'enquête internationale et indépendante chargée de faire la lumière sur toutes les violations présumées commises depuis mars 2011 ». Cette commission a été nommée en septembre et devait remettre ses conclusions fin novembre, mais elle n'avait pas reçu l'autorisation d'entrer en Syrie au moment de la rédaction de ce rapport. Lors d'un compte-rendu de situation devant le Conseil de sécurité en août, Navi Pillay, la Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, a recommandé au Conseil de soumettre le cas de la Syrie à la Cour pénale internationale.