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Les violations des droits humains se sont accrues notablement au Yémen en 2011, alors que les autorités cherchaient à réprimer des manifestations généralement pacifiques contestant le régime du président Ali Abdallah Saleh, en place depuis 33 ans. Les forces de sécurité de l'État, agissant souvent de concert avec des assaillants armés en civil, ont répliqué aux manifestations anti-gouvernementales avec une force excessive et meurtrière, tuant au moins 250 personnes et en blessant plus de 1.000.

Des heurts qui ont éclaté sur plusieurs fronts entre les forces du gouvernement et divers groupes armés, ont causé la mort d'un grand nombre d'autres civils et en ont chassé plus de 100.000 de chez eux. Il est possible que les forces de sécurité de l'État, les combattants des groupes tribaux d'opposition et les militants islamistes aient commis des violations des lois de la guerre durant certains de ces affrontements.

Attaques contre les manifestants

En janvier, inspirés par les soulèvements populaires en Tunisie et en Égypte, des milliers de Yéménites ont commencé à manifester dans les grandes villes, pour contraindre le président Saleh à démissionner. Le mécontentement populaire, alimenté par un chômage et une corruption gouvernementale généralisés, a atteint des sommets à la fin de 2010 après que le parti au pouvoir eut proposé d'amender les lois électorales et la constitution, afin que M. Saleh puisse être de nouveau candidat à la présidence à l'expiration de son septième mandat en 2013.

Les forces de sécurité ont répondu aux manifestations, qui étaient essentiellement pacifiques, avec une force excessive, tirant souvent à balles réelles directement sur des manifestants non armés. Ces forces consistent en la Sécurité centrale, groupe paramilitaire commandé par le neveu du président Saleh, Yahya Saleh; la Garde républicaine, unité d'élite de l'armée dirigée par le fils du président, Ahmed Saleh; et la Sécurité générale. La Sécurité centrale comprend une unité anti-terroriste qui reçoit un entraînement de la part des États-Unis, mais Human Rights Watch n'a pas pu vérifier des allégations selon lesquelles cette unité aurait participé aux attaques contre les protestataires. Les forces de sécurité ont parfois attaqué les manifestants avec l'aide d'assaillants armés en civil ou sont restées à l'écart pendant des attaques menées par des bandes armées.

Au moins 250 civils et badauds sont morts dans ces attaques, la plupart à Sanaa, la capitale, ainsi qu'à Taizz et à Aden. Au moins 35 de ces morts étaient des enfants. Le 18 mars, des tireurs embusqués ont ouvert le feu sur une manifestation à Sanaa et tué au moins 45 personnes. Entre le 29 mai et le 3 juin, les forces de sécurité ont tué au moins 22 personnes à Taizz et ont rasé un campement de protestataires. Les 18 et 19 septembre, les hommes de la Sécurité centrale et d'autres forces gouvernementales ont tiré directement sur des manifestants qui lançaient des pierres à Sanaa, faisant une trentaine de morts. Au cours des jours suivants, les forces de sécurité ont tué des dizaines d'autres protestataires et d'autres civils, utilisant fusils, lance-grenades et mortiers.

A Sanaa, à Aden et à Taizz, les forces de sécurité ont empêché des manifestants blessés de recevoir des soins médicaux. Elles ont également effectué des raids dans des hôpitaux, qu'elles ont pillés, menaçant, détenant ou battant les membres du personnel de santé qui tentaient de soigner les manifestants blessés. En juin, des membres de la Garde républicaine ont commencé à occuper l'hôpital al-Thawrah à Taizz et à l'utiliser comme base, d'où ils pilonnaient les quartiers favorables à l'opposition. En septembre, les forces de la Sécurité centrale ont attaqué celles de l'opposition à partir de l'hôpital Jumhuri à Sanaa. En novembre, un obus tiré par les forces gouvernementales a atteint l'hôpital al-Rawdha, tuant au moins un patient.

Dans un rapport publié en septembre, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) a constaté que des éléments “cherchant à parvenir au pouvoir ou à s'y maintenir” étaient en train de “punir collectivement” la population en limitant l'accès à l'électricité, au carburant et à l'eau.

Les autorités n'ont pas traduit en justice un seul membre des forces de sécurité pour violations graves des droits humains.

Affrontements armés

En mai, après qu'Ali Abdallah Saleh eut renié pour la troisième fois sa promesse de signer un accord négocié par le Conseil de coopération du Golfe, aux termes duquel il devait abandonner le pouvoir, des dizaines de civils ont été tués dans des affrontements entre les forces gouvernementales et diverses factions armées.

En mai et en juin, des combattants appartenant au clan d'opposition al-Ahmar se sont accrochés avec les forces gouvernementales à Sanaa. Le 3 juin, une explosion s'est produite dans la mosquée du palais présidentiel à Sanaa, tuant 11 personnes et blessant grièvement Ali Abdallah Saleh et plusieurs autres hauts responsables. M. Saleh a passé trois mois en Arabie saoudite pour suivre des traitements médicaux.

Vers le milieu de l'année, des affrontements ont commencé entre les forces du gouvernement et des combattants tribaux d'opposition à Arhab, près de Sanaa, et à Taizz. En septembre, les membres de la Sécurité centrale et les Gardes républicains de Sanaa ont entamé les hostilités avec des combattants du clan al-Ahmar et des soldats de la 1ère division blindée, unité militaire commandée par le général Ali Mohsen al-Ahmar—sans lien de parenté avec le clan al-Ahmar—qui était passé du côté de l'opposition en mars.

Selon des informations crédibles, des exécutions extrajudiciaires ont été commises par les forces de sécurité lors de ces affrontements armés, ainsi que des attaques aveugles sur des zones à forte densité de population. Le 22 juin, au point de contrôle d'al-Buraihi près de Taizz, un soldat des Gardes républicaines a ouvert le feu sur un minibus que son unité venait de fouiller et d'autoriser à repartir, tuant un garçon de 15 ans.

En mai, le gouvernement a également lancé une campagne militaire dans la province d'Abyan contre Ansar al-Sharia (les Partisans de la loi islamique), un groupe armé qui serait soutenu par l'organisation al Qaeda dans la péninsule arabique (AQPA), basée au Yémen. Ansar al-Sharia s'était auparavant emparée de deux villes de province, Zinjibar et Jaar. Le 20 mai, les forces de la Sécurité centrale ont tiré au fusil d'assaut dans un marché plein de monde à Zinjibar, tuant six commerçants et clients et en blessant plus d'une trentaine. Ces forces ont ouvert le feu après l'explosion d'une voiture piégée qui avait failli tuer quatre des leurs, mais il n'y avait aucune indication de la présence de militants ou d'autres suspects dans ce marché.

Des témoins ont affirmé que les combattants de l'opposition s'étaient déployés à plusieurs reprises dans des quartiers à forte densité de population à Taizz, et que les forces islamistes avaient fait de même à Abyan, exposant inutilement les civils à un risque d'attaque. Les forces du gouvernement et de l'opposition ont utilisé des enfants pour patrouiller les rues et garder des points de contrôle.

Liberté d'expression et d'opinion

Les forces gouvernementales et des membres de bandes armées ont attaqué, harcelé ou menacé un grand nombre de journalistes et de militants des droits humains yéménites, souvent pour avoir fait état des attaques contre les manifestants ou les avoir dénoncées.

Deux journalistes ont été tués en couvrant les manifestations à Sanaa. Jamal al-Sharabi, photojournaliste de l'hebdomadaire indépendant al-Masdar, a été tué pendant l'attaque du 18 mars. Hassan al-Wadhaf, de l'agence Arabic Media Agency, est mort cinq jours après avoir été touché au visage par la balle d'un tireur embusqué le 19 septembre; il a filmé son propre meurtre.

Lors d'une manifestation à Sanaa le 18 février, des hommes armés de bâtons ont passé à tabac le chef du bureau d'Al-Arabiya, Hamoud Munasser, et son caméraman, puis s'en sont pris à sa voiture sous les yeux du directeur de l'Unité yéménite de lutte contre le terrorisme, financée par les États-Unis, et d'un responsable du Département central de la sûreté, qui se sont tous deux gardés d'intervenir.

Les autorités ont expulsé plusieurs journalistes étrangers et ont confisqué des exemplaires de journaux yéménites indépendants, dont Al-Yaqeen, qui contenaient des informations sur les attaques des opposants du président Saleh par les forces de sécurité.

Le 25 mai, les forces pro-Saleh ont tiré à la mitrailleuse et au mortier sur la station de télévision par satellite Suhail TV, appartenant au clan d'opposition al-Ahmar. Le 12 août, les forces gouvernementales ont arrêté Ahmed Firas, un caméraman de Suhail TV, alors qu'il quittait Arhab, et ont confisqué son matériel. A l'heure de la rédaction de ce rapport, il était toujours détenu sans inculpation.

Les autorités ont continué de poursuivre en justice des journalistes devant des cour pénales spéciales qui ne remplissent pas les critères internationaux en matière de garanties d'une procédure régulière. Le 19 janvier, la Cour pénale spéciale de Sanaa a condamné Abdulelah Haidar Shae’, de l'agence gouvernementale Saba News Agency, à cinq ans de prison après l'avoir déclaré coupable d'appartenance à un groupe terroriste, lors d'un procès entaché d'irrégularités de procédure. Shae’ avait critiqué l'approche du gouvernement en matière de lutte contre al Qaeda.

De nombreux défenseurs des droits humains ont été battus ou ont reçu fréquemment des menaces anonymes. En janvier, certains défenseurs des droits humains qui participaient aux manifestations ont été arrêtés et brièvement détenus, dont Tawakkol Karman de l'organisation Women Journalists Without Chains (Femmes journalistes sans entraves), et un avocat spécialisé dans les droits humains, Khaled al-Anisi. Le 24 février, cinq assaillants armés ont poignardé un garde posté devant les bureaux de l'Observatoire yéménite des droits humains à Sanaa, à la suite de l'envoi de menaces anonymes contre ce groupe, pour avoir diffusé des informations sur la répression des manifestations.

Personnes déplacées à l'intérieur du pays

Les affrontements armés ont forcé environ 100.000 personnes à abandonner leur habitation, la plupart fuyant Abyan pour se diriger vers Aden. Quelque 300.000 personnes avaient déjà été déplacées auparavant, lors du conflit armé intermittent de six ans dans le nord du Yémen entre les forces gouvernementales et les rebelles Huthi, qui malgré un cessez-le-feu ont repris la province de Sa’da en mars. Parmi ces personnes déplacées, un maximum de 100.000 ont pu retourner chez elles, selon les informations disponibles. Les organisations humanitaires étaient dans l'impossibilité de porter secours à un grand nombre de personnes déplacées en raison de l'insécurité, de ressources financières inadéquates et de l'absence d'autorisation du gouvernement.

Terrorisme et lutte anti-terrorisme

En 2011, les responsables américains ont déterminé que l'organisation al Qaeda dans la péninsule arabique (AQPA) constituait une plus grande menace pour la sécurité des États-Unis que le noyau du groupe al Qaeda au Pakistan.

AQPA a revendiqué la responsabilité d'avoir placé des bombes à bord de deux avions cargos en partance pour les États-Unis en octobre 2010. Le groupe aurait également apporté un appui à Ansar al-Sharia, le groupe armé qui s'est emparé de Jaar et de Zinjibar, dans la province d'Abyan. Des dizaines de civils ont été tués pendant les affrontements entre les forces gouvernementales et Ansar al-Sharia dans cette région.

Les États-Unis auraient effectué plus d'une dizaine de frappes à l'aide de drones, ainsi que des attaques aériennes classiques, contre des militants présumés d'AQPA au Yémen, dont une en septembre dans laquelle ont été tués le prédicateur religieux Anwar al-Awlaki et Samir Khan, rédacteur en chef d'Inspire, le magazine en langue anglaise d'AQPA. Une autre attaque attribuée à un engin sans pilote, menée en octobre, a causé la mort de neuf personnes, dont le fils d'al-Awlaki, Abderrahman, âgé de 16 ans. Awlaki père et fils, ainsi que Samir Khan, avaient la nationalité américaine. Le président Barack Obama a qualifié Awlaki de “chef des opérations extérieures” d'AQPA, mais l'élimination physique de trois Américains hors du cadre d'un champ de bataille traditionnel, a fait rebondir la controverse sur la politique d'assassinats ciblés pratiquée par le gouvernement des États-Unis.

Des responsables américains et yéménites, qui s'exprimaient sous couvert de l'anonymat, ont affirmé que les drones et les autres frappes aériennes avaient permis d'éliminer des dizaines de militants. Les responsables locaux ont fait état de victimes parmi les civils mais le manque d'accès aux zones visées a rendu impossible toute vérification indépendante.

Campagne contre les séparatistes sudistes

Les forces de sécurité ont pris pour cible les activistes du Mouvement sudiste, organisation qui rassemble des groupes militant pour l'indépendance ou pour une plus grande autonomie du Yémen du Sud, qui était un État séparé jusqu'en 1990. Après que le Mouvement sudiste eut rejoint les manifestations anti-Saleh en février, les forces de sécurité ont arrêté et brièvement détenu des dizaines de ses membres, faisant disparaître de force au moins huit d'entre eux pendant plusieurs jours ou semaines. Parmi ces huit personnes, se trouvaient un chef du Mouvement, Hassan Baoum, âgé de 68 ans, et son fils Fawaz, 34 ans. Des membres des forces de sécurité portant des masques ont enlevé les deux hommes le 20 février dans un hôpital d'Aden, où Hassan Baoum suivait un traitement médical. Ils ont été détenus au secret jusqu'en juillet et à l'heure de la rédaction de ce rapport, ils étaient toujours détenus sans inculpation.

En juin à Aden, des soldats ont tué Jiyab Ali Muhammad al-Saadi, âgé de 35 ans, fils d'un dirigeant du Mouvement du Sud, alors qu'il leur demandait de cesser de bloquer une procession funéraire pour Ahmad al-Darwish qui, selon des activistes locaux, avait été torturé à mort alors qu'il était aux mains de la police en 2010. Les autorités ont muté à Taizz en mars le chef de la Sécurité générale d'Aden, Abdullah Qairan, après qu'il eut été accusé par un tribunal local d'implication dans la mort d'al-Darwish.

Droits des femmes et des filles

Au Yémen, les femmes ont généralement un statut social inférieur à celui des hommes et sont exclues de la vie publique.

Les mariages d'enfants et les unions forcées restent très répandues, ce qui expose de très jeunes filles à la violence familiale et à la mortalité maternelle et écourte leur scolarité. Les juges ne sont pas tenus de s'assurer du consentement libre des filles avant d'acter un contrat de mariage. En août à Hudeida, une jeune mariée âgée de 12 ans aurait été blessée après avoir été droguée et violée par son mari de 50 ans. En dépit de telles affaires, les conservateurs ont réussi à bloquer un projet de loi qui aurait relevé à 17 ans l'âge minimal requis pour le mariage.

Les femmes ont joué un rôle important dans le mouvement de protestation anti-Saleh, bravant les passages à tabac, les tracasseries et, dans certains cas, la honte que leurs familles éprouvaient à leur égard. En avril, le président Saleh a réprimandé les femmes qui manifestaient, déclarant que “la loi divine ne permet pas” le brassage des sexes en public. Les femmes ont répliqué par de nouvelles manifestations. La journaliste Tawakkol Karman est devenue en octobre l'une des co-lauréates du prix Nobel de la Paix 2011, pour son rôle dans les manifestations.

Le Yémen a un taux de mortalité maternelle élevé, de 370 décès pour 100.000 naissances viables. Sept à huit femmes meurent chaque jour de complications après un accouchement.

Acteurs internationaux clés

L'Arabie saoudite, le Qatar et d'autres États du Golfe ont fourni en 2011 une aide importante au gouvernement du Yémen, à ses chefs tribaux et à ses institutions religieuses. Les États-Unis ont été le principal bailleur de fonds extérieur à la région. Les États membres de l'Union européenne ont également apporté une aide dans les domaines humanitaire et du développement.

Aux termes d'une initiative du Conseil de coopération du Golfe, soutenue par le Conseil de sécurité des Nations Unies, l'immunité a été offerte au président Saleh et à certains hauts responsables, à condition qu'il abandonne le pouvoir.

En mai, la plupart des États occidentaux et du Golfe avaient retiré leur soutien public au président Saleh et suspendu de manière informelle leur aide militaire et leurs ventes d'armes, mais avaient en revanche ignoré les appels à geler les avoirs du président à l'étranger. Les États-Unis ont retardé la fourniture d'une assistance pour la lutte contre le terrorisme au Yémen à cause de l'agitation politique, alors qu'ils lui avaient fourni une somme estimée à 172 millions de dollars pour l'année fiscale 2010.

En septembre, le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a condamné les violations des droits humains au Yémen, mais n'a pas été capable d'autoriser une enquête internationale et indépendante sur ces violations, ni d'établir une antenne du HCDH dans le pays, malgré les appels en ce sens du HCDH.

En octobre, pour la seconde année consécutive, le président Obama a émis une dérogation permettant au Yémen de recevoir des États-Unis une aide militaire en principe interdite par la Loi sur la prévention et la répression de l'utilisation d'enfants soldats de 2008, malgré l'existence de preuves de l'utilisation d'enfants soldats par les forces du gouvernement et les milices qui sont ses alliées.