La politique et la pratique des droits humains en Syrie n'ont pas connu de changements significatifs en 2010. Les autorités ont continué à violer fréquemment les droits civils et politiques des citoyens, et notamment en arrêtant des militants politiques et des défenseurs des droits humains, en censurant des sites web, en plaçant en détention des blogueurs, et en imposant des interdictions de voyager.
L'état d'urgence décrété en 1963 demeure en vigueur, et les multiples agences de sécurité syriennes continuent à arrêter des personnes sans mandat d'arrêt et à les maintenir en détention sans contacts avec l'extérieur pendant des périodes prolongées. La Cour suprême de sûreté de l'État (CSSE), un tribunal d'exception dénué de presque toutes garanties de procédure, condamne régulièrement des activistes kurdes et des islamistes à de longues peines de prison.
L'adoption au mois de janvier d'une nouvelle loi contre le trafic d'êtres humains, a été une avancée positive en 2010.
Arrestations et procès de militants politiques
Douze leaders de la Déclaration de Damas, une coalition éminente de groupes d'opposition, ont fini de purger des peines de 30 mois d'emprisonnement imposées en octobre 2008 pour « affaiblissement du sentiment national » .Ils ont tous été libérés, à l'exception de l'écrivain Ali Al Abdallah, qui est sous le coup de nouvelles accusations pour « propagation de fausses informations » et « atteinte aux relations de la Syrie avec un autre pays » à cause d'articles qu'il a écrit lorsqu'il était en prison. Son procès est en cours à l'heure où nous écrivons.
En février, la police des frontières a emprisonné Raghda Said Al Hassan, une ancienne prisonnière politique membre du Parti de l'action communiste syrien. Trois jours plus tard, des individus non identifiés ont confisqué dans son appartement une copie d'un manuscrit qu'elle avait rédigé sur sa détention passée, ainsi que d'autres publications politiques. Elle est toujours emprisonnée à l'heure de la rédaction de ce chapitre.
En 2010 la CSSE a condamné à des peines de prison des dizaines de militants politiques kurdes, parmi lesquels des membres du parti politique PYD, affilié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). En avril, la CSSE a condamné quatre membres du parti kurde Yekiti -Yasha Kader, Dilghesh Mamo, Ahmad Darwish, et Nazmi Mohammad-à cinq ans de prison, pour tentative de « séparation d'une partie du territoire syrien ». Trois autres membres influents du Yekiti - Hassan Saleh, Muhammad Mustapha, et Maruf Mulla Ahmad- font l'objet de chefs d'accusations similaires dans leur procès actuellement en cours devant la CSSE.
En juin, un juge militaire a condamné Mahmoud Safo, un membre du Parti de gauche kurde, à un an de prison pour « incitation à des conflits sectaires » et appartenance à une organisation non autorisée.
Le docteur Kamal Al Labwani, médecin et fondateur du Rassemblement Libéral Démocratique, qui purge une peine de 15 ans d'emprisonnement pour avoir plaidé pour des réformes pacifiques, est toujours en prison.
Liberté d'expression et militantisme de la société civile
La loi syrienne relative à la presse donne au gouvernement une mainmise absolue sur les médias. Le gouvernement a étendu son contrôle aux médias en ligne. La censure des sites web politiques sur internet est généralisée et touche des sites populaires tels que Blogger (le système de publication de blogs de Google), Facebook, et YouTube.
En décembre 2009, les services de sûreté de l'État ont détenu Tal Al Mallohi, une blogueuse étudiante de 19 ans, apparemment à cause d'un poème critique qu'elle avait écrit. A l'heure où nous rédigeons ce rapport, les services de sécurité lui interdisent tout contact avec l'extérieur, et ne l'ont pas encore déférée devant la justice.
Le blogueur Karim Arbaji a été relâché en janvier à la suite d'une grâce présidentielle. La CSSE l'avait condamné en 2009 à trois ans de prison parce qu'il était le modérateur d'un forum en ligne populaire auprès des jeunes, akhawia.net, qui contenait des critiques à l'encontre du gouvernement.
En janvier, les forces de sécurité ont emprisonné le journaliste Ali Taha et le photographe Ali Ahmad, de la chaîne de télévision par satellite Rotana, qui traite principalement de sujets de la vie sociale. Ils ont été libérés en février, sans avoir fait l'objet d'aucune inculpation. En février les forces de sécurité ont également libéré Maen Akel, un journaliste du quotidien officiel Thawra, qui avait été placé en détention en novembre 2009 alors qu'il enquêtait sur la corruption au sein du gouvernement.
En mars, le renseignement militaire d'Alep a placé en détention Abdulhafez Abdul Rahman, membre du conseil d'administration du groupe kurde de défense des droits humains MAF (« droit » en langue kurde), une organisation interdite, ainsi qu'une autre membre du conseil de la MAF, Naderah Abdo. Les services de sécurité ont finalement relâché Abdo et ont déféré Abdul Rahman devant le juge pour « tentative de séparation d'une partie du territoire syrien ». Un juge militaire l'a libéré sous caution le 1er septembre. Son procès est en cours à l'heure où nous écrivons.
En avril, les autorités ont libéré sous caution Ahmed Mustafa Ben Mohamed (connu sous le nom de Pir Rostom), un militant politique et écrivain kurde, qui avait été détenu en novembre 2009 pour des articles qu'il avait publié en ligne.
Un tribunal pénal a condamné en juin Muhannad Al Hasani, avocat des droits humains et président de l'Organisation syrienne des droits humains (Swasiah) à trois ans de prison pour « affaiblissement du sentiment national », et « propagation d'informations fausses ou exagérées », dans le cadre de son travail de contrôle de la CSSE. En mai, Al Hasani a obtenu le prestigieux prix Martin Ennals pour ses activités en tant que défenseur des droits humains.
Un tribunal militaire a condamné en juillet Haytham Al Maleh, un éminent avocat des droits humains - et ancien juge - âgé de 80 ans, à trois ans de prison pour « affaiblissement du sentiment national » et « diffusion de fausses informations susceptibles de porter atteinte au moral de la nation ». Cette condamnation faisait suite à la diffusion par une chaîne de télévision d'opposition d'une interview téléphonique d'Al Maleh, dans laquelle il critiquait les autorités syriennes.
En juin, les gardes de sécurité des frontières ont placé en détention Kamal Sheikho, un membre des Comités de défense des libertés démocratiques et des droits de l'Homme en Syrie (CDF). Le 23 août, les forces de sécurité ont détenu un autre membre des CDF, Ismail Abdi, qui détient la double nationalité syrienne et allemande, vit en Allemagne depuis 1997, et était venu en Syrie en vacances. Un juge l'a interrogé en octobre, sur des accusations d' « affaiblissement du sentiment national » et d' « appartenance à un groupe interdit ».
Le gouvernement continue à empêcher de nombreux activistes, notamment le directeur du Comité Kurde des Droits de l'Homme Radeef Mustapha, de se rendre à l'étranger.
Tous les groupes syriens de défense des droits humains restent interdits, puisque les fonctionnaires rejettent systématiquement leurs demandes d'enregistrement.
Détention arbitraire, « disparitions » et torture
Les multiples services de sécurité de la Syrie continuent d'arrêter des personnes sans mandat d'arrestation et refusent fréquemment de révéler pendant des semaines et parfois des mois les lieux où elles sont détenues -ce qui revient de fait à leur disparition forcée. Le sort de Nabil Khlioui, un homme de la région de Deir Al Zawr détenu en 2008 à cause de liens supposés avec les islamistes, demeure inconnu. Les autorités ont aussi gardé le silence quant au sort d'au moins 20 Kurdes détenus depuis 2008 à cause de liens supposés avec un mouvement séparatiste kurde.
Human Rights Watch a reçu de nombreux signalements de mauvais traitements et d'actes de torture commis par des agences de sécurité. Le Comité contre la torture des Nations Unies a exprimé en mai sa « profonde préoccupation à propos des allégations nombreuses, persistantes et cohérentes relatives à l'utilisation systématique de la torture par des agents et des enquêteurs de la force publique ».
Au moins cinq prisonniers sont morts en détention en 2010, sans qu'il y ait eu d'enquête sérieuse sur leurs décès de la part des autorités. En juin, les services de sécurité ont rendu le corps de Muhammad Ali Rahman à sa famille. Selon des défenseurs syriens des droits humains, son corps présentait des signes de torture. Le droit syrien accorde aux services de sécurité du pays une large immunité pour les actes de torture.
Comme les années précédentes, le gouvernement n'a pas reconnu l'implication des forces de sécurité dans la « disparition » d'environ 17 000 personnes, membres pour la plupart de l'organisation des Frères musulmans, et d'autres militants syriens détenus par le gouvernement à la fin des années 70 et au début des années 80, ainsi que de centaines de Libanais et de Palestiniens détenus en Syrie ou enlevés au Liban.
Plus de deux ans après que les forces de sécurité ont ouvert le feu sur des détenus qui avaient participé à une émeute dans la prison de Sednaya, en tuant au moins neuf, le gouvernement n'a divulgué aucune information sur les victimes. Les autorités n'ont pas relâché Nizar Rastanawi, militant éminent des droits humains qui a fini de purger une peine de quatre ans d'emprisonnement à Sednaya le 18 avril 2009, et il n'y a aucune information quant à son état de santé.
Discrimination et répression contre les Kurdes
Les Kurdes, principale minorité ethnique non-arabe de Syrie, font toujours l'objet de discrimination systématique, notamment le refus arbitraire de la nationalité à environ 300 000 Kurdes nés en Syrie. Les autorités répriment les expressions de l'identité kurde et interdisent l'enseignement de la langue kurde dans les écoles.
En mars 2010, les forces de sécurité ont ouvert le feu pour les disperser sur des Kurdes qui célébraient le nouvel an kurde à Raqqa, ville située au nord du pays. Au moins une personne a été tuée. En juillet, un tribunal militaire a condamné neuf Kurdes accusés d'avoir participé aux célébrations de Raqqa à quatre mois de prison pour « incitation à des conflits sectaires ».
Droits des femmes et des filles
La constitution syrienne garantit l'égalité de genre, et de nombreuses femmes sont actives dans la vie publique, mais les lois relatives au statut de la personne ainsi que le code pénal comportent des dispositions discriminatoires à l'encontre des femmes et des filles. La loi sur la nationalité de 1969 prive notamment les femmes syriennes mariées avec des étrangers du droit de transmettre leur nationalité à leurs enfants ou à leur mari.
En janvier, le gouvernement a promulgué une loi contre le trafic d'êtres humains, le Décret législatif n°3, qui offre de nouvelles possibilités pour poursuivre les trafiquants et protéger les victimes, et prévoit une peine minimum de sept ans de prison pour ce type de crimes.
La Syrie a amendé son code pénal en 2009, pour imposer une peine de deux ans minimum pour les soi-disant « crimes d'honneur » ; les groupes syriens de défense des droits des femmes ont enquêté sur au moins 10 crimes d'honneur en 2010.
Les employées domestique migrantes, qui sont de plus en plus nombreuses en Syrie, sont confrontées d'après certaines informations à l'exploitation et à divers abus commis par leurs employeurs. Le gouvernement a promulgué deux décrets réglementant le travail des agences de recrutement pour mieux protéger les employées, mais il n'y a pas encore de mécanismes pour les appliquer.
Situation des réfugiés qui fuient l'Irak
La Syrie accueille plus de réfugiés irakiens que n'importe quel autre pays, avec 210 000 personnes enregistrées auprès du Haut Commissariat pour les Réfugiés (UNHCR) début 2010 ; les chiffres actuels sont probablement bien plus élevés encore. La Syrie accorde aux réfugiés irakiens, enregistrés ou non, l'accès aux hôpitaux publics et aux écoles, mais leur interdit de travailler.
En février, l'UNHCR a fermé le camp de réfugiés d' Al Tanf- situé dans le « no man's land » entre l'Irak et la Syrie, et qui accueillait les Palestiniens d'Irak depuis presque quatre ans - et a réinstallé les derniers réfugiés dans le camp d'Al Hol, à l'intérieur du territoire syrien. Cependant, les Palestiniens du camp d'Al Hol, dont le nombre dépasse 600, attendent toujours une solution plus durable.
Acteurs internationaux clés
Les interactions de la communauté internationale avec la Syrie ont concerné presqu'exclusivement son rôle au niveau régional. D‘importants représentants de l'Union européenne et des États-Unis ont condamné les arrestations et les procès des militants les plus connus, mais leurs interventions n'ont eu aucun impact sur les actions de la Syrie. En juillet, la Secrétaire d'État américaine Hillary Clinton ainsi que la Haute Représentante de l'UE Catherine Ashton ont toutes deux critiqué publiquement la détention et les procès de Haytham Al Maleh, Muhannad Al Hasani, et Ali Al Abdallah. En septembre, le Parlement européen a adopté une résolution condamnant la politique syrienne de répression contre les défenseurs des droits humains.