L'Algérie a continué de connaître des violations généralisées des droits humains en 2010. L'état d'urgence - imposé en 1992 et renouvelé pour une durée indéterminée par décret en 1993 - a créé un cadre propice à des restrictions généralisées pesant sur la liberté d'expression, d'association et de réunion. Les autorités justifient cette mesure comme une nécessité pour lutter contre le terrorisme.
Les membres des forces de sécurité et les groupes armés ont continué à bénéficier d'une impunité générale pour les atrocités commises au cours du violent conflit civil des années 1990. L'État a offert des indemnisations aux familles des victimes de disparitions forcées au cours de cette période, mais n'a apporté aucune réponse quant au sort de celles-ci. Les groupes armés ont continué à mener des attaques meurtrières visant principalement les forces de sécurité, quoiqu'à une moindre échelle qu'au cours des années précédentes.
Liberté d'expression et de réunion
Les médias audiovisuels sont contrôlés par l'État et proposent la retransmission en direct des sessions parlementaires. En revanche, ils ne diffusent presqu'aucune émission critique sur les politiques gouvernementales. Les journaux privés bénéficient d'un espace considérablement plus libre, mais les lois répressives sur la presse et leur dépendance vis-à-vis des revenus de la publicité du secteur public limitent leur liberté de critiquer le gouvernement et l'armée.
Les procureurs poursuivent régulièrement les journalistes et les publications indépendantes pour diffamation ou injures à l'encontre de représentants de l'État. Les tribunaux de première instance prononcent parfois des condamnations à des peines de prison ou à des amendes élevées que les cours d'appel annulent souvent, ou commuent en peines avec sursis.
Rabah Lemouchi, correspondant du quotidien national arabophone Ennahar à Tébessa, fait partie des journalistes qui ont été emprisonnés au cours de ces dernières années. Si la plupart sont restés en liberté provisoire en attendant leur procès, Lemouchi a été incarcéré dès son arrestation et ce jusqu'à la fin de sa peine, six mois plus tard. Un tribunal de première instance l'a condamné le 14 juillet 2009 pour diffamation et injures à l'encontre des institutions de l'État, principalement à cause d'une lettre personnelle qu'il avait adressé en 2006 au président Abdelaziz Bouteflika. Les détails de l'affaire indiquent que sa mise en accusation et son emprisonnement obéissaient à des motivations politiques.
Au cours du premier semestre 2010, au moins deux journalistes se sont vus infliger des peines de prison pour diffamation mais sont restés en liberté en attendant leur procès en appel. Le 13 mai, un tribunal de la ville de Mostaganem a condamné Belkacem Belhamideche, directeur et journaliste au quotidien francophone Réflexion , à six mois de prison pour avoir rendu compte d'une lettre écrite par un homme d'affaire qui accusait un maire d'avoir exigé de lui un pot-de-vin. Un tribunal de la ville d'Aïn Boucif dans la province de Médéa a condamné Saleh Souadi, journaliste àel-Khabar, le principal quotidien arabophone indépendant d'Algérie, à six mois de prison pour avoir diffamé le directeur d'un hôpital local, bien que ses articles soient parus avant que ledit directeur ne prenne ses fonctions et ne le citaient pas nommément.
Un décret de 2000 interdisant les manifestations à Alger demeure en vigueur. En dépit de cette interdiction, SOS Disparu(e)s - une organisation composée de proches de personnes victimes de disparition forcées - a organisé de petits rassemblements silencieux à Alger devant le siège de la Commission des droits de l'homme de l'État presque tous les mercredis depuis 1998, malgré un harcèlement policier régulier. En août, la police a dispersé le rassemblement et brièvement arrêté les manifestants, qui demandaient à l'État de leur donner des informations sur le sort des personnes enlevées par les forces de sécurité dans les années 1990 et qui n'ont plus donné signe de vie depuis.
Les autorités exigent des organisations qu'elles obtiennent l'autorisation du gouverneur local pour tenir des réunions publiques dans des salles et interdisent fréquemment les réunions des organisations de défense des droits humains ou des associations qui promeuvent les droits de la population kabyle d'Algérie. Les autorités ont refusé à la Ligue Algérienne de Défense des Droits de l'Homme (LADDH) l'autorisation de tenir son congrès national les 25 et 26 mars dans un lieu public de la banlieue d'Alger. Le gouvernorat d'Alger a annoncé ce refus la veille du congrès, bien que la LADDH ait demandé officiellement la permission un mois plus tôt. La LADDH a déplacé son congrès à la Maison des syndicats de Bachdjarrah, un lieu privé ; deux mois plus tard, les autorités ont fermé cette salle, l'une des rares de la capitale où les organisations controversées de la société civile pouvaient se réunir.
Le 23 juillet, dans la ville de Tizi-Ouzou, des policiers ont interrompu un séminaire sur les droits humains organisé par le Congrès Mondial Amazigh en collaboration avec deux organisations locales amazighes (berbères). Les policiers ont fait irruption dans la salle de réunion, ont confisqué des documents, interrogé les participants et expulsé du pays deux d'entre eux, des Français. Les autorités n'ont fourni aucune explication pour ces agissements.
Les autorités refusent fréquemment d'accorder des visas d'entrée aux journalistes et aux activistes des droits humains. Le 2 octobre 2010, l'ambassade algérienne de Washington a refusé à des membres de Human Rights Watch des visas pour mener des recherches d'ordre général, expliquant qu'ils pourraient seulement visiter les camps de réfugiés administrés par le Polisario près de Tindouf. Les autorités ont tenu le même discours à Amnesty international en 2010. Deux journalistes de l'hebdomadaire marocain Assahrae al-Ousbouiya ont été expulsés le 22 septembre.
Liberté de religion
La constitution algérienne fait de l'Islam la religion d'État et exige du Président qu'il soit musulman. Le droit algérien criminalise le prosélytisme des non-musulmans auprès des musulmans, mais pas le contraire, et interdit aux non-musulmans de se réunir pour prier, sauf dans des lieux approuvés par l'État. Dans la pratique, les autorités accordent rarement aux groupes de protestants algériens la permission d'utiliser des bâtiments pour leur culte et les fidèles risquent des poursuites. Un tribunal de Larbaâ Nath Irathen, dans la province de Tizi-Ouzou, a jugé Mahmoud Yahou et trois autres chrétiens pour avoir « pratiqué des rites religieux sans autorisation. » Le 22 juin, une cour d'appel de Jijel a reconnu coupable de tentative de conversion de musulmans un autre chrétien, Abdelhamid Bouamama, originaire de Grarem, dans la province de Mila, et l'a condamné à un an de prison avec sursis.
Impunité pour les violations du passé
Plus de 100 000 Algériens sont morts au cours des troubles politiques des années 1990. Des milliers d'autres ont « disparu » aux mains des forces de sécurité ou ont été enlevés par des groupes armés luttant contre le gouvernement et n'ont jamais été retrouvés. La loi de 2006, dite ‘Charte pour la paix et la réconciliation nationale', instaure un cadre légal pour l'impunité persistante dont bénéficient les auteurs des atrocités de cette période. La loi accorde une amnistie aux membres des forces de sécurité pour les actions qu'ils ont menées au nom de la lutte contre le terrorisme et aux membres de groupes armés non impliqués dans les actes les plus odieux.
La loi promet une compensation aux familles des personnes « disparues », mais en même temps elle érige en infraction pénale le fait de critiquer les institutions de l'État ou les forces de sécurité pour la façon dont elles se sont conduites au cours de la période des troubles politiques. Les organisations représentant les familles des personnes « disparues » ont condamné l'incapacité de l'État à fournir des informations précises sur le sort de leurs proches portés disparus.
Dans le cadre d'une affaire remontant au conflit civil des années 1990, Malik Mejnoun et Abdelkader Chenoui ont été maintenus en détention provisoire depuis 1999, en lien avec l'assassinat un an plus tôt du chanteur et activiste kabyle Lounes Matoub. Les deux hommes clament leur innocence et affirment avoir été torturés au cours de leur détention, privés de tout moyen de communication. Onze ans plus tard, ils attendent toujours leur procès.
L'Algérie a modifié son code pénal en 2004 pour qualifier la torture de crime. Le Comité international de la Croix-Rouge visite régulièrement les prisons ordinaires en Algérie, mais pas les lieux de détention gérés par le puissant Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), un service de renseignement de l'armée.
Les tribunaux algériens ont prononcé des condamnations à mort en 2010, notamment contre des accusés dans des affaires de terrorisme, la plupart d'entre elles par contumace. L'Algérie a observé un moratoire de fait sur l'application de la peine de mort depuis 1993.
Terrorisme et lutte contre le terrorisme
Les attaques commises par des groupes armés ont diminué de façon spectaculaire par rapport au milieu des années 1990, mais Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a continué de lancer des attaques mortelles, la plupart contre des cibles militaires et policières. Le 25 juin, des hommes armés - que les médias algériens ont associés aux terroristes - ont ouvert le feu lors d'un mariage dans la wilaya (province) de Tébessa dans l'est du pays, tuant le marié, un jeune soldat et quatre invités.
En juillet, les États-Unis ont pour la première fois renvoyé chez lui un Algérien qui avait été détenu à Guantanamo et qui s'opposait à son rapatriement, par crainte de persécutions. Le gouvernement américain a affirmé que l'Algérie avait donné « des garanties diplomatiques » qu'Abdul Aziz Naji serait traité avec humanité. Peu après son arrivée, Naji, comme d'autres Algériens revenus de Guantanamo avant lui, a comparu devant un juge d'instruction pour répondre à des accusations de participation à un groupe terroriste à l'étranger et a été relâché dans l'attente de son procès, qui est toujours en cours à l'heure où nous écrivons. Le 4 novembre, un tribunal d'Alger a acquitté un autre ancien détenu de Guantanamo revenu en Algérie un peu plus tôt, Sofiane Hadarbache, de chefs d'accusation similaires. Huit détenus algériens sont toujours à Guantanamo à l'heure actuelle, dont cinq au moins refuseraient un rapatriement, d'après nos informations.
Acteurs internationaux clés
L'Algérie n'a pas adressé d'invitations en 2010 aux cinq mandataires de procédures spéciales du Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies qui l'avaient demandées, parmi lesquels le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires et le Rapporteur spécial sur la torture et les droits de l'homme dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. L'Algérie a annoncé l'envoi d'invitations à visiter le pays courant 2011 à sept autres rapporteurs spéciaux, dont le Rapporteur spécial sur la violence contre les femmes et le Rapporteur spécial sur le droit à la liberté d'opinion et d'expression.
Un accord d'association entre l'Algérie et l'Union européenne est en vigueur depuis 2005. Les deux parties ont signé en juin un accord qui assure à l'Algérie 172 millions d'euros d'aide au développement sur la période 2011-2013. En 2009, l'Algérie et l'UE se sont mis d'accord sur la création d'un sous-comité du Conseil d'association sur « le Dialogue politique, la Sécurité et les Droits de l'Homme ».
Selon le gouvernement américain, l'Algérie « est un important partenaire dans la lutte contre l'extrémisme et les réseaux terroristes comme Al-Qaïda, et notre deuxième partenaire commercial dans le monde arabe ». Les États-Unis ne fournissent presqu'aucune aide financière à l'Algérie mais sont le principal client des exportations du pays, principalement du gaz et du pétrole. En dehors de leurs rapports annuels relatifs aux pratiques en matières de droits de humains (Country Reports on Human Rights Practices), les États-Unis n'ont pratiquement fait aucune déclaration publique sur le bilan de l'Algérie en termes de droits humains. Lors d'une visite en Algérie en octobre, la conseillère spéciale du Département d'État Judith E. Heumann a félicité le gouvernement pour avoir ratifié en décembre 2009 la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées.