Le coup d'État perpétré sans effusion de sang par un groupe de jeunes militaires en décembre 2008, à la suite du décès du président Lansana Conté, qui dirigeait le pays d'une main de fer depuis de nombreuses années, a d'abord constitué un espoir pour l'amélioration des droits humains en Guinée. Cet espoir a cependant été de courte durée puisque le gouvernement militaire a bientôt consolidé son contrôle des affaires politiques du pays, n'a pas organisé les élections libres qu'il s'était engagé à tenir et a progressivement réduit l'opposition à néant, le point culminant de ce travail de sape étant le massacre à grande échelle de plus de 150 manifestants perpétré en septembre 2009 et dont les auteurs jouissent d'une impunité presque complète.
Les acteurs internationaux (y compris la France, les États-Unis, l'Union européenne, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), l'Union africaine et les Nations Unies) ont dénoncé en permanence les abus commis par le gouvernement au pouvoir, puis après les violences de septembre, ont pris des mesures concrètes pour isoler le gouvernement tout en faisant pression pour que les auteurs du massacre rendent des comptes, y compris par la formation d'une commission d'enquête mandatée par les Nations Unies.
Un coup d'État sans effusion de sang, des promesses non tenues
Un groupe d'officiers militaires s'étant baptisés le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) a pris le pouvoir quelques heures après la mort, le 22 décembre 2008, de Lansana Conté, président de la Guinée depuis 24 ans. Les leaders du coup d'État, menés par un président autoproclamé, le capitaine Moussa Dadis Camara, ont rapidement suspendu la constitution du pays et ont promis d'organiser des élections en 2009 et de passer la main à un gouvernement civil.
Le CNDD s'est engagé, rapidement soutenu en cela par la population, à mettre fin à la corruption généralisée et à l'implication de fonctionnaires dans le trafic de drogue qui ruinent le pays depuis des années. Le CNDD a pourtant pris bien peu de mesures concrètes pour organiser des élections. Sous la pression croissante de la communauté internationale, Dadis Camara a déclaré en août dernier que les élections présidentielles se tiendraient le 31 janvier 2010. Peu après, il est revenu sur son engagement de ne pas se présenter, en déclarant que « rien n'interdit à tout membre du CNDD et du gouvernement de faire acte de candidature à toutes les élections en Guinée ».
La candidature présumée de Dadis Camara, la nomination d'officiers militaires à tous les postes administratifs à travers le pays et le contrôle du CNDD sur la plupart des affaires politiques et économiques de l'État ont préoccupé les communautés nationale et internationale, qui doutent de la possibilité de tenir des élections libres et équitables.
Conduite des forces de sécurité
Tout au long de l'année, les soldats guinéens ont régulièrement été impliqués dans des vols, des extorsions et des actes de violence contre des hommes d'affaires et d'autres citoyens ordinaires guinéens. Les soldats, en groupes comptant jusqu'à 20 personnes, lourdement armés pour la plupart et portant les bérets rouges des unités d'élite, ont attaqué des magasins, des entrepôts, des cliniques médicales et des habitations, aussi bien en plein jour que la nuit. Ces soldats ont volé des voitures, des ordinateurs, des générateurs, des médicaments, des bijoux, des téléphones portables et de grandes quantités de marchandises en gros et au détail, entre autres biens. Des Guinéens et des étrangers figurent parmi les victimes. Les victimes ont également souvent été menacées ou agressées physiquement. Beaucoup de ces actes ont été commis dans le cadre de la lutte du CNDD contre les trafiquants de drogue et la corruption. À aucun moment le CNDD n'a pris une quelconque mesure pour enquêter sur les soldats impliqués dans ces abus, ou pour les traduire en justice.
Opposition politique et liberté d'expression
Lors de sa prise du pouvoir, Dadis Camara a rapidement suspendu la constitution du pays, dissous le parlement et le gouvernement et a interdit toute activité politique et syndicale. Alors que les partis d'opposition ont intensifié leurs activités de campagne en vue des élections, le CNDD a limité les libertés d'expression politique et de rassemblement par l'intimidation et l'agression. À plusieurs reprises au cours de l'année, Dadis Camara a levé puis réappliqué l'interdiction de mener des activités politiques et syndicales.
La suppression de militants de l'opposition par le CNDD s'est amplifiée au fur et à mesure de la montée, à partir d'août, d'une vague de critiques et d'appels à des manifestations de masse contre le gouvernement militaire. Au cours d'une conférence de presse le 19 août, Dadis Camara a averti les dirigeants politiques de ne pas protester publiquement, indiquant : « Tout chef politique qui troublera l'ordre public en organisant des grèves ou des manifestations ou toute autre forme de mobilisation de masse sera tout simplement retiré de la liste de candidats et poursuivi. » Les chefs de l'opposition qui ont continué à critiquer le CNDD ont été convoqués au camp militaire Alpha Yaya Diallo, siège provisoire du gouvernement, où ils reçurent l'ordre de ne plus se prononcer sur la candidature éventuelle du capitaine Camara. En outre, le président du CNDD a prononcé fin août l'interdiction d'envoyer des messages écrits à l'aide d'un téléphone portable et, en septembre, l'interdiction d'organiser des débats politiques dans les émissions de radio populaires. Face aux critiques nationales et internationales, ces deux interdictions ont été levées.
Le massacre du 28 septembre
Le 28 septembre 2009, des dizaines de milliers de manifestants se sont rassemblés dans le principal stade de la capitale, Conakry, pour protester contre le règne militaire permanent et la candidature présumée de Dadis Camara aux élections présidentielles de janvier 2010. En réponse aux manifestations pacifiques, les membres de la Garde présidentielle et certains gendarmes de l'Unité chargée de la lutte anti-drogue et du grand banditisme ont massacré les opposants, faisant 150 morts, par balles, par coups de baïonnette ou écrasés dans la foule paniquée qui s'est ensuivie. Il s'est rapidement avéré que ces actes de violence avaient été prémédités et organisés par des fonctionnaires haut placés du CNDD. Au cours de ces événements, la Garde présidentielle a ouvert le feu directement sur la foule des manifestants et a perpétré des viols et d'autres violences sexuelles sur des dizaines de filles et de femmes dans le stade et pendant les jours qui ont suivi, souvent d'une extrême brutalité que leurs victimes sont mortes des suites de leurs blessures. Les forces armées ont ensuite entrepris de cacher de manière systématique les preuves de leurs crimes, en enlevant de nombreux corps du stade et des morgues des hôpitaux, pour les jeter dans des fosses communes selon une hypothèse courante. Le CNDD a prétendu que les militants de l'opposition avaient volé des armes dans un commissariat et que les 57 morts officiels avaient, pour la plupart, été écrasés après une altercation avec les forces de sécurité.
État de droit
L'État de droit a subi de graves atteintes pendant l'année 2009. En témoignent le pouvoir judiciaire, qui s'est encore affaibli en raison de l'influence des militaires, l'appel à la création de milices contre les voleurs présumés et la tentative par le gouvernement de bâtir un système judiciaire parallèle non officiel géré par l'armée depuis le camp militaire d'Alpha Yaya Diallo. Rien n'est fait pour enquêter, encore moins poursuivre, les responsables des violations, présentes ou passées, encouragées par l'État, notamment lorsqu'il s'agit des membres des forces de sécurité. Ce refus d'agir, associé au faible pouvoir judiciaire, caractérisé par son manque d'indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif, ses ressources inadéquates et la corruption qui le gangrène, offre peu d'espoir des Guinéens ordinaires vis-à-vis la justice.
Conditions de détention et cas de détention arbitraire
Les prisons et les centres de détention guinéens restent gravement surpeuplés et ne répondent pas aux normes internationales. En 2009, la plus grande prison guinéenne abritait 1 000 prisonniers pour 300 places. La malnutrition, les soins médicaux et les conditions d'hygiène inadaptés ont conduit à de nombreux décès en détention. Les fonctionnaires pénitentiaires ne séparent pas les prisonniers condamnés de ceux en attente de jugement, voire dans certains centres, les enfants des adultes. Les gardiens de prison non payés extorquent régulièrement de l'argent aux prisonniers et à leur famille, aggravant les problèmes de faim et de malnutrition. Actuellement, plus de 80 pourcent des détenus de la plus grande prison de Guinée n'ont pas encore été jugés. Certains attendent leur procès depuis plus de cinq ans.
La détention arbitraire prolongée de ceux qui sont perçus comme des opposants du gouvernement du CNDD reste un aspect important des violations des droits humains. De fin décembre 2008 à octobre 2009, près de 20 militaires et un nombre inconnu d'individus considérés comme des militants de l'opposition ont été détenus sans être inculpés dans plusieurs centres de détention militaires de Conakry et des alentours. Beaucoup des officiers militaires emprisonnés faisaient partie de la Garde présidentielle du président Conté, alors que d'autres ont été arrêtés à la suite d'une prétendue tentative de coup d'État contre le CNDD. Les détenus ont été soumis à différentes formes de mauvais traitements, dont des actes de torture, et n'ont généralement pas pu recevoir de visite de leur famille.
Acteurs internationaux clés
Le coup d'État de décembre 2008, les retards accumulés dans l'organisation d‘élections et les abus continuels des militaires, notamment ceux associés aux événements de septembre ont été fortement et largement condamnés par les principaux acteurs de la scène internationale, y compris la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), l'Union africaine, la France, les États-Unis, l'Union européenne (UE) et les Nations Unies. La réaction internationale s'est organisée par le biais d'un Groupe international de contact sur la Guinée, qui a fait peser une pression constante sur le CNDD pour le respect des droits humains et l'organisation d'élections au plus vite.
Les violences du 28 septembre ont été fermement condamnées par les partenaires internationaux de la Guinée, notamment par le ministre des Affaires étrangères français Bernard Kouchner et la secrétaire d'État américaine Hillary Clinton. Ces dénonciations ont conduit à l'imposition d'embargos sur les armes par la CEDEAO et l'Union européenne, à des interdictions de déplacement et au gel des actifs des membres du CNDD par l'UE, les États-Unis et l'Union africaine et le retrait et l'annulation de toute assistance économique et militaire par l'UE, les États-Unis et la France.
La communauté internationale était tout aussi ferme sur le fait que les responsables des violences de septembre, y compris Dadis Camara lui-même, devaient rendre des comptes. Une commission d'enquête a donc été établie par le Conseil de sécurité des Nations Unies sous l'égide de l'Union africaine et de la CEDEAO. Le procureur de la Cour pénale international a également lancé un examen préliminaire (qui pourrait précéder l'ouverture d'une enquête) de la situation en Guinée, qui est un État partie au statut de la Cour.
Malheureusement, le soutien économique et diplomatique continu de la Libye, du Sénégal et de la Chine, qui a signé un gros accord portant sur les ressources naturelles quelques semaines après les violences de septembre menacent d'affaiblir la réponse internationale quasiment unanime en faveur du respect de l'État de droit et de l'obligation de rendre des comptes.