De modestes progrès dans la mise en application d'un accord de paix conclu en mars 2007 entre le gouvernement et les rebelles des Forces nouvelles, basés dans le Nord du pays, ont entraîné une timide amélioration du respect des droits humains en Côte d'Ivoire en 2009. L'impasse politique permanente, le retard grandissant qu'accuse la préparation d'élections et le désarmement des combattants, conflits continuels portant sur la terre et sur les droits des citoyens, sont une menace constante pour la stabilité sur le long terme.
Dans le Nord du pays, le redéploiement des représentants de la justice et le passage du pouvoir des autorités rebelles aux responsables civils ont ramené un certain espoir, même si les avancées concrètes vers l'État de droit sont restées peu nombreuses. Les forces gouvernementales et les rebelles des Forces nouvelles agissent en véritables prédateurs et se rendent coupables d'abus, en ayant largement recours à l'extorsion au niveau des postes de contrôle et à la violence sexuelle envers les femmes et les filles, dans une impunité quasi totale. Le système judiciaire reste marqué par la corruption et par un manque d'indépendance et de moyens.
Les critiques émises par les plus importants partenaires de la Côte d'Ivoire à l'encontre du gouvernement se sont faites de plus en plus insistantes face au retard pris dans l'organisation d'élections présidentielles (annulées pour la quatrième fois et désormais prévues début 2010). Ces partenaires, parmi lesquels les Nations Unies, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et la France, restent cependant peu enclins à émettre des critiques sur le dossier des droits humains en Côte d'Ivoire.
Impasse politique et militaire
Tout au long de l'année 2009, le gouvernement du président Laurent Gbabgo a accumulé un retard considérable dans le calendrier pour le rétablissement de l'autorité de l'État sur le Nord, contrôlé par les forces rebelles, et pour le désarmement et la démobilisation d'anciens combattants, comme le prévoyait l'accord complémentaire de décembre 2008 à l'Accord de Ouagadougou de mars 2007 (premier accord négocié par les belligérants du pays). En mai, le gouvernement avait bel et bien annoncé que des élections présidentielles, déjà annulées, se tiendraient le 29 novembre 2009, mais il a tout de même pris du retard dans le processus d'identification et d'enregistrement des votants. La publication des listes électorales a entraîné un nouveau report des élections pour le début de 2010. Plus de quatre ans après la date de fin de mandat du président Gbagbo, les Ivoiriens se sont vu refuser une nouvelle fois le droit d'élire librement leurs représentants.
Après des mois de retard, le redéploiement des autorités civiles dans le pays (dans le domaine de la justice, de la police et des finances) est resté incomplet et a été sapé par les commandants rebelles qui ont continué à exercer un contrôle presque total sur l'économie, la sécurité et, dans une moindre mesure, sur les affaires judiciaires, à l'intérieur des zones placées sous leur contrôle.
Pendant ce temps, la présence généralisée des armes, résultat de l'échec de la campagne de démobilisation et de désarmement menée tout au long de 2009, a représenté un sujet de préoccupation quant à la possibilité pour les citoyens d'exercer leur droit de se présenter aux élections et de voter sans être victimes de manœuvres d'intimidation ou de violences. Au moment où nous écrivons ces lignes, plus de 18 000 rebelles et 25 000 membres des milices pro-gouvernementales doivent encore être désarmés et démobilisés. Environ 12 000 rebelles ont participé à des programmes de démobilisation à partir d'octobre 2009, mais selon les estimations, une seule arme a été collectée pour deux à trois cent combattants désarmés. En outre, le groupe d'experts de l'ONU en charge du contrôle des sanctions contre la Côte d'Ivoire a indiqué en octobre dernier que le gouvernement et les commandants des forces rebelles du Nord importaient des armes supplémentaires, en violation de l'embargo sur les armes de l'ONU datant de 2004.
L'État de droit et les droits sur la terre
En janvier 2009, alors que les juges et les procureurs réinvestissaient le Nord du pays après sept années d'absence, marquant ainsi une première étape déterminante vers le retour de l'État de droit, le manque de moyens financiers et des retards continuels dans le redéploiement du personnel de la police, des établissements pénitentiaires et des tribunaux ont rendu inefficaces les structures judiciaires présentes dans le Nord. Partout dans le pays, et plus particulièrement dans le Sud, le système judicaire est resté empreint de corruption et de manque d'indépendance, ce qui a favorisé l'enracinement de la culture de l'impunité.
De violents conflits sur le droit à la terre, particulièrement dans le Nord et l'Ouest, ont été exacerbés par l'incapacité continuelle du système judiciaire à résoudre les conflits et par une xénophobie persistante envers les personnes considérées comme n'étant pas des ressortissants ivoiriens. Dans l'Ouest, les auteurs d'actes de violence ont souvent visé des personnes déplacées non natives qui retournaient vers leurs terres.
Extorsion et racket
En 2009, aucune action significative n'a été entreprise par le gouvernement contre le phénomène généralisé d'actes d'extorsion et de racket commis par les forces de sécurité gouvernementales (membres de la police, de la gendarmerie, de l'armée et des douanes), par les milices gouvernementales et par les rebelles des Forces nouvelles. Ceux qui ont refusé de payer des pots-de-vin aux représentants officiels ont souvent été passés à tabac ou détenus arbitrairement. Malgré la présence de postes de contrôle dans tout le pays, l'extorsion a été plus importante dans le Nord, où les rebelles des Forces nouvelles ont continué d'exercer un contrôle économique presque total, extorquant chaque année l'équivalent de millions de dollars US au niveau des postes de contrôle et grâce à d'autres formes de racket.
Violences politiques
La violence pour motif politique perpétrée par des groupes pro-gouvernementaux, par exemple la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire (FESCI), a reculé en comparaison avec les années précédentes, mais l'impunité continuelle vis-à-vis des crimes violents alimente la peur de voir des actes d'intimidation et de violence rester impunis au moment des élections. Le processus d'élaboration des listes électorales a été interrompu à plusieurs reprises par des attaques, particulièrement dans l'Ouest, où des hommes armés ont intimidé les personnes qui attendaient dans les centres d'enregistrement ou ont confisqué des porte-documents ou des formulaires d'enregistrement.
Les membres de la FESCI et d'autres groupes pro-gouvernementaux continuent de commettre en toute impunité et manière régulière des actes de racket, de vandalisme et d'intimidation envers des personnes qu'ils considèrent comme des opposants. En janvier, des dizaines de membres armés de la FESCI se sont rassemblés pour attaquer une association d'étudiants rivale. En août, ils ont été plusieurs centaines à causer des dégâts matériels dans des propriétés et à menacer un maire dans la banlieue d'Abidjan.
Les agences d'information, alliées du gouvernement ou des forces rebelles, ont publié des appels à l'intolérance et à la violence. Toutefois, le discours de haine qui prédominait largement a significativement perdu du terrain par rapport aux pires années de la crise.
Violences sexuelles
Comme au cours des années précédentes, les cas de violence sexuelle envers les femmes et les filles ont été fréquents, particulièrement dans le Nord et l'Ouest. Le harcèlement et le viol ont persisté au niveau des postes de contrôle gérés par les forces de sécurité du gouvernement et les rebelles. Les victimes n'ont pu bénéficier que d'un accès aux soins et d'une assistance juridique extrêmement limités. Les efforts menés pour enquêter et engager des poursuites dans les affaires de violence sexuelle sont entravés par le manque de volonté politique au sein des forces de police et du personnel des tribunaux et aggravés par de sévères lacunes du système judiciaire, en particulier dans le Nord du pays.
Début 2009, un plan d'action des Forces nouvelles pour lutter contre les actes de violence sexuelle perpétrés par leurs troupes dans leur région a été porteur d'espoir. Ce plan avait été développé en collaboration avec le Groupe de travail du Conseil de sécurité sur les enfants et les conflits armés. Cependant, les Forces nouvelles n'ont pas réussi à le mettre en application. Le gouvernement ivoirien, de son côté, n'a pas été en mesure d'adopter un plan d'action similaire au niveau national pour combattre la violence sexuelle dans les zones placées sous son contrôle, en dépit des pressions exercées par les Nations Unies et les autres acteurs.
Le travail des enfants
Le gouvernement ivoirien n'a reconnu que récemment le problème de longue date qu'est celui du travail des enfants dans son industrie du cacao et a commencé à mettre en place, souvent en partenariat avec des organisations non gouvernementales, des programmes pour favoriser le retour à l'école des enfants. Ces derniers ne sont pas nombreux à en bénéficier et beaucoup continuent de travailler, parfois dans les pires conditions du travail infantile, ce qui va à l'encontre des engagements pris par la Côte d'Ivoire en vue de respecter le droit international.
Responsabilité des abus passés
Même s'ils ont été remis au Secrétaire général de l'ONU en novembre 2004, le Conseil de sécurité n'a toujours pas rendu publics les résultats de la Commission d'enquête sur les violations des droits humains et du droit humanitaire international en Côte d'Ivoire depuis septembre 2002. En 2003, le gouvernement ivoirien a consenti à ce que la Cour pénale internationale (CPI) exerce sa compétence pour les crimes graves. Lorsque les représentants de la CPI se sont rendus sur place en juillet 2009 sur l'invitation de la société civile, le gouvernement, tout comme les années précédentes, ne s'est pas montré disposé à les aider à évaluer les réels efforts existants ou en projet à l'échelle nationale pour faire en sorte que les coupables de tels crimes répondent de leurs actes.
La Commission nationale des droits de l'homme, qui a commencé son mandat en 2008, a soumis son premier rapport annuel en juin 2009. Cependant, la possibilité d'enquêter en profondeur et de faire état des graves abus commis ne lui a été accordée que dans une certaine limite, en raison de l'insuffisance du financement et du soutien accordés par le gouvernement.
Le mois d'avril a marqué le cinquième anniversaire de la disparition de Guy-André Kieffer, journaliste franco-canadien qui enquêtait sur de possibles pratiques illicites impliquant des représentants gouvernementaux ivoiriens et de l'industrie du cacao. Les enquêtes menées par la France sur la disparition de Kieffer ont été systématiquement entravées par le manque de coopération des plus hautes autorités ivoiriennes.
Acteurs internationaux clés
Nombre des partenaires les plus importants de la Côte d'Ivoire, parmi lesquels l'ONU, la CEDEAO et la France, ont été peu enclins à émettre ouvertement des critiques contre le gouvernement ivoirien sur la question des droits humains ou à exercer des pressions pour que les coupables de crimes de guerres ou de violence politique soient poursuivis en justice. Ils ont cependant fait part de leur frustration face au manque de volonté politique de la part du gouvernement et des dirigeants des mouvements rebelles d'organiser des élections libres et équitables. En janvier 2009, le Conseil de sécurité des Nations Unies a prié les dirigeants ivoiriens de définir un calendrier réaliste et, suite à de nombreux retards, a menacé d'imposer des sanctions ciblées contre les personnes coupables d'entraver la préparation des élections.
L'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI) a poursuivi son engagement pour la surveillance de la situation des droits humains, en se concentrant sur la protection de l'enfance et la violence sexuelle assistée de 8 400 membres des forces de police et de l'armée afin de garantir la sécurité jusqu'à la tenue d'élections. La France a poursuivi sa politique de retrait des troupes de soutien à l'ONUCI présentes en Côte d'Ivoire qui n'étaient plus constituées que de neuf cents hommes à la fin de l'année. Le nombre total maximum avait été atteint en 2006, avec quatre mille hommes.
Le Conseil de sécurité a prolongé jusqu'au 31 octobre 2010 un régime de sanctions comprenant un embargo sur les armes et l'interdiction de l'importation de diamants ivoiriens, une interdiction de déplacement et le gel des avoirs de trois personnes, dont deux ont été impliquées dans des attaques contre le personnel des Nations Unies en 2006.
Le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a évalué la situation de la Côte d'Ivoire dans le cadre de son nouveau mécanisme d'examen périodique universel en décembre 2009.