Deux enfants talibés, aperçus dans un rétroviseur, mendient auprès d’automobilistes dans les rues de Dakar, au Sénégal, le 21 juin 2018.

« Il y a une souffrance énorme »

Graves abus contre des enfants talibés au Sénégal, 2017-2018

Deux enfants talibés, aperçus dans un rétroviseur, mendient auprès d’automobilistes dans les rues de Dakar, au Sénégal, le 21 juin 2018.  © 2018 Lauren Seibert/Human Rights Watch

 

Résumé

Ces garçons couverts de poussière et de crasse, souvent pieds nus, en train de mendier, une boîte de conserve de tomates vide ou un bol en plastique à la main, restent un spectacle courant dans les rues de Dakar, la capitale sénégalaise, ainsi que dans de nombreuses autres villes du pays. La plupart d’entre eux sont des talibés, actuels ou en fugue, autrement dit des étudiants du Coran que l’on a envoyés vivre et étudier dans une école coranique traditionnelle appelée daara. Bien que le gouvernement se penche de plus en plus sur leur sort, certes de manière irrégulière, le nombre d’enfants talibés assujettis à la mendicité et à d’autres abus graves par leurs maîtres coraniques reste stupéfiant.

D’après les données existantes, Human Rights Watch estime que plus de 100 000 talibés vivant en internat daara à travers le Sénégal sont contraints par leur maître coranique, ou marabout, de mendier de l’argent, de la nourriture, du riz ou du sucre. Des milliers de ces enfants vivent dans une misère abjecte, privés d’une nourriture suffisante et de soins médicaux. Un grand nombre d’entre eux font également l’objet d’abus physiques constituant un traitement inhumain et dégradant.

S’étant enfui de son daara en 2018 pour échapper à la violence, un talibé de neuf ans a confié à Human Rights Watch : « Le versement journalier [fixé par le marabout] était de 500 francs CFA [0,90 dollar US]… Je n’aimais pas le daara parce qu’on nous frappait tout le temps – si on ne mémorisait pas les versets du Coran ou si on ne rapportait pas d’argent. Au daara, on se fait battre jusqu’à ce qu’on croie mourir. »

Les agents du gouvernement se sont à maintes reprises engagés à se pencher sur ce problème au cours des dernières années, notamment en lançant un programme en deux phases centré sur Dakar visant le « retrait des enfants de la rue », en juin 2016 et mars 2018. Cependant, ces initiatives n’ont eu qu’un impact limité et n’ont pas réussi à atteindre les milliers de talibés qui mendient dans d’autres régions du pays. Un engagement durable de la part des autorités sénégalaises pour faire cesser la mendicité forcée et les abus, veiller à ce que justice soit faite et protéger les talibés s’est révélé difficile à concrétiser.

Le présent rapport document des dizaines d’abus graves perpétrés à l’encontre d’enfants talibés par des maîtres coraniques ou leurs assistants en 2017 et 2018, notamment des cas de morts d’enfants, de passages à tabac, d’abus sexuels, de talibés enchaînés ou emprisonnés, et de nombreuses formes d’actes de négligence et de mise en danger. Les abus ont été commis dans au moins huit des 14 régions administratives du Sénégal (Dakar, Diourbel, Fatick, Kaolack, Louga, Saint-Louis, Tambacounda et Thiès). Une chercheuse de Human Rights Watch s’est rendue dans quatre de ces régions : Dakar, Diourbel, Louga et Saint-Louis.

Ce rapport documente également la mendicité forcée, la traite des personnes et les problèmes liés à la migration des talibés, notamment le transport transrégional ou transfrontalier illicite de groupes de talibés ; des cas de talibés abandonnés par leur marabout ou leurs parents ; et des centaines de talibés qui finissent chaque année dans la rue ou dans un centre d’accueil pour enfants après s’être enfuis d’un daara où ils étaient soumis à des abus. Le rapport révèle le rôle que jouent certains parents dans la perpétuation de ces pratiques en fermant les yeux sur le problème, ou en renvoyant leur enfant dans un daara caractérisé par l'exploitation ou d’autres abus.

Principaux itinéraires migratoires des enfants talibés au Sénégal. De nombreux talibés sont originaires de pays voisins dont la Guinée-Bissau et la Gambie.

© 2010, rév. 2019 John Emerson / Human Rights Watch

Les conclusions de ce rapport s’appuient sur dix semaines de recherches de terrain menées au Sénégal entre juin 2018 et janvier 2019, des entretiens téléphoniques réalisés entre mai 2018 et mai 2019, et des informations provenant de sources secondaires fiables, notamment des documents juridiques et des articles de presse. Human Rights Watch a interrogé plus de 150 personnes, dont 88 talibés ou anciens talibés, 23 maîtres coraniques et des dizaines de travailleurs sociaux, d’experts de la protection de l’enfance, d’activistes et de représentants du gouvernement.

S’appuyant sur cinq précédents rapports de Human Rights Watch qui exposaient les abus perpétrés à l’encontre des enfants talibés depuis 2009, ce nouveau rapport démontre que les abus graves persistent malgré des initiatives lancées par le gouvernement en 2017 et 2018 pour protéger et aider les talibés.

Abus perpétrés en 2017 et 2018

Au cours des deux dernières années, Human Rights Watch et la Plateforme pour la promotion et la protection des droits humains (PPDH), une coalition sénégalaise d’organisations de défense des droits, ont constaté la présence de centaines d’enfants talibés en train de mendier dans de nombreuses villes du pays, notamment à Dakar, Diourbel, Louga, Touba et Saint-Louis. Les enfants mendiaient souvent devant des policiers et des gendarmes, près de bâtiments gouvernementaux, se faufilant entre des véhicules en mouvement et au bord de routes très fréquentées. Certains avaient à peine cinq ans, et un grand nombre d’entre eux souffraient de malnutrition ou d’infections cutanées.

Soixante-trois des 88 talibés interrogés par Human Rights Watch ont déclaré que leur maître coranique exigeait d’eux qu’ils rassemblent chaque jour une somme d’argent fixe, ou « versement », allant de 100 à 1 250 francs CFA (0,20-2,20 dollars US). Un talibé fugueur de 11 ou 12 ans a affirmé qu’un maître coranique à Dakar l’avait forcé à quémander de l’argent – ainsi que tous ses repas. « Le versement était de 500 francs CFA, et de 550 CFA le vendredi [le jour saint des musulmans] », a-t-il indiqué. « Si on ne rapportait pas cet argent, le marabout nous fouettait avec un câble. C’est comme ça qu’une fois, j’ai été blessé au ventre. »

Human Rights Watch a documenté les décès de 16 enfants talibés en 2017 et 2018 du fait d’abus, d’actes de négligence ou de mise en danger de la part de maîtres coraniques ou de leurs assistants. Ces incidents se sont produits dans les régions de Saint-Louis, Diourbel et Thiès. Parmi ces enfants, âgés de 5 à 15 ans, trois sont morts des suites de coups violents, quatre dans deux incendies de daaras, cinq dans des accidents de la route alors qu’ils mendiaient ou évitaient de rentrer au daara, et quatre de maladies non traitées. Neuf de ces décès ont eu lieu en 2018, dont deux suite à des passages à tabac, respectivement à  Touba (région de Diourbel) en avril 2018, et à Mpal (région de Saint-Louis) en mai 2018.

Human Rights Watch a également documenté 61 cas de passages à tabac ou d’abus physiques perpétrés à l’encontre de talibés en 2017 et 2018, 15 cas de viols, tentatives de viols ou abus sexuels, et 14 cas d’enfants emprisonnés, attachés ou enchaînés dans un daara. Ces abus auraient tous été commis par des maîtres coraniques ou leurs assistants. Human Rights Watch et la PPDH ont mené des recherches de terrain dans quatre des huit régions où des abus ont été documentés. En raison de la fréquence des déplacements et des mouvements migratoires des talibés – certains étant amenés par des parents ou un marabout d’une région à une autre, tandis que d’autres fuient un daara violent – un grand nombre des talibés interrogés dans une région avaient connu des abus dans une autre région.

Dans 43 des cas d’abus documentés, des enfants s’étaient fait battre par un marabout ou son assistant pour ne pas avoir rapporté le versement exigé après être sortis mendier. Parmi les 14 cas de talibés emprisonnés ou entravés, un grand nombre d’entre eux se retrouvant dans une salle comparable à une cellule avec des barreaux ou un grillage aux fenêtres, certains ont été séquestrés pendant des semaines voire des mois. « Si on essayait de s’enfuir, le marabout nous entravait les jambes avec une chaîne pour qu’on ne puisse plus bouger », a expliqué un talibé de 13 ans qui s’est enfui après avoir été enchaîné pendant trois semaines dans un daara à Touba.

Lors de visites de terrain dans 22 écoles coraniques dans les régions de Dakar, Diourbel, Louga et Saint-Louis, Human Rights Watch a également documenté plusieurs cas de négligence à l’égard d’enfants commis par des maîtres coraniques. De nombreux daaras hébergeaient des dizaines voire des centaines de talibés dans une saleté et une misère abjectes, souvent dans des bâtiments inachevés sans murs, sans sols ou sans fenêtres. Le sol était jonché de détritus et d’eaux souillées, l’air grouillait de mouches, et les enfants dormaient entassés, plusieurs dizaines par pièce, ou dehors, souvent sans moustiquaire. Des dizaines de talibés visiblement malades ou atteints d’une infection n’avaient pas reçu de traitement médical, et 13 des daaras visités ne donnaient que peu voire pas de nourriture aux enfants, d’après les enfants talibés et les maîtres coraniques interrogés.

Mesures prises par les instances judiciaires et le gouvernement pour protéger les talibés

Début 2019, malgré les abus, la négligence et l’exploitation subis par de nombreux enfants talibés, l’Assemblée nationale sénégalaise n’avait pas encore adopté le projet de loi portant statut du « daara », approuvé par le Conseil des ministres en juin 2018, et il était rare que les autorités fassent fermer les daaras qui exposaient les enfants à des risques sanitaires et sécuritaires.

Le Président sénégalais Macky Sall, réélu en février 2019 pour un second mandat, avait précédemment affirmé son souhait de mettre fin à la mendicité des enfants et de retirer les enfants des rues. Cependant, ce discours n’avait pas donné lieu à la prise de mesures cohérentes, résolues et ambitieuses pour protéger les enfants talibés victimes d’abus et d’une exploitation à travers le pays. La portée, la cohérence et l’impact des initiatives gouvernementales, notamment les projets d’aide sociale à l’attention des talibés et des daaras et le programme de « retrait des enfants de la rue » à Dakar, ont été limités. Les services publics de protection de l’enfance de toutes les régions sont peu nombreux et manquent de ressources.

D’après des experts locaux de la protection de l’enfance, seul un petit nombre de communautés a réussi à réduire le nombre de talibés qui mendient dans les rues depuis 2016, essentiellement grâce aux efforts de la société civile et du gouvernement local. Citons notamment les communes de Médina et de Gueule Tapée-Fass-Colobane à Dakar, où les maires ont promulgué des arrêtés municipaux en 2016 interdisant la mendicité au niveau local et exigeant des daaras qu’ils respectent des normes de santé et de sécurité. Avec l’appui de l'Agence américaine pour le développement international (USAID) et l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), les mairies ont ensuite œuvré en partenariat avec les membres des communautés pour mettre en application les décrets municipaux.

Bien que le Sénégal soit doté de lois nationales solides interdisant la maltraitance des enfants, la mise en danger d’autrui, la traite des personnes et « l’exploitation de la mendicité d’autrui » (voir la section I du présent rapport), l’application de ces lois à l’encontre des maîtres coraniques responsables de pratiques abusives a été inégale en 2017 et 2018. Les enquêtes sur ces pratiques et les condamnations ont été peu nombreuses et, dans un certain nombre de cas, les chefs d’accusation ont été abandonnés ou revus à la baisse par les juges ou les procureurs.

« Le peuple sénégalais en a assez que le gouvernement fasse un pas en avant sur cette question, puis un pas en arrière », a déclaré Mamadou Wane, coordinateur de la PPDH. « Tout le monde sait qu'il y a une souffrance énorme dans certains daaras. Il est temps que le gouvernement prenne des mesures concrètes pour protéger les enfants talibés et pour mettre fin aux abus. »

Urgence de mesures exhaustives

Étant donné l’ampleur et la gravité des abus documentés dans le présent rapport, le nouveau gouvernement sénégalais devrait de toute urgence s’engager à prendre des mesures exhaustives pour mettre fin aux abus, traduire en justice les auteurs de ces actes, renforcer les services de protection de l’enfance et inspecter et réglementer les daaras existants à l’échelle nationale.

Quiconque, y compris les maîtres coraniques, s’avère forcer des enfants à quémander de l’argent devrait faire l’objet d’une enquête et de poursuites en vertu de la loi sénégalaise relative à la lutte contre la traite des personnes promulguée en 2005. Les maîtres qui battent, enchaînent ou font subir des sévices physiques ou sexuels quels qu’ils soient aux talibés qui leur ont été confiés devraient également être poursuivis en justice. Les parents qui envoient intentionnellement leurs enfants dans des daaras caractérisés par l'exploitation ou d’autres abus, ou qui les forcent à y retourner, devraient faire l’objet de sanctions juridiques pour avoir sciemment exposé leurs enfants à des abus. Lors de la prise de décisions concernant de tels recours judiciaires, les autorités devraient envisager des mesures qui seraient dans l’intérêt supérieur de l’enfant, notamment en s’assurant qu’un membre de sa famille ou un tuteur désigné est disponible pour le prendre en charge.

Les programmes gouvernementaux de réduction de la mendicité des enfants devraient être déployés au-delà de Dakar afin d’atteindre les milliers de talibés qui mendient dans les autres régions du pays, et le gouvernement devrait mettre des fonds à la disposition des daaras qui accordent la priorité à l’éducation des enfants et respectent leurs droits. Dans le cadre de sa stratégie nationale de protection de l’enfant, le gouvernement devrait renforcer ses mécanismes de protection de l’enfance, notamment en octroyant des ressources suffisantes aux centres d’accueil pour enfants et aux services de protection de l’enfance à travers le pays.

Le gouvernement devrait également s’assurer que les travailleurs sociaux et les membres des Comités départementaux de protection de l’enfant (CDPE) avertissent immédiatement la police ou le procureur général s’ils soupçonnent que des talibés font l’objet d’abus, de négligence ou sont contraints à mendier. Il faudrait à ce titre inclure tous les cas d’enfants talibés qui déclarent avoir été battus pour ne pas avoir atteint leur quota de mendicité ; les cas où des maîtres coraniques ne veillent pas à ce qu’un enfant malade ou blessé reçoive rapidement des soins médicaux ; et les cas où des talibés ont été blessés ou tués dans un accident de la route alors qu’ils mendiaient ou dans l’incendie d’un daara pendant que le marabout était absent.

Les policiers de toutes les régions devraient mener rapidement des enquêtes sur les cas où des maîtres coraniques sont soupçonnés de maltraiter ou d’exploiter des enfants, notamment en assurant un suivi auprès des travailleurs sociaux et en se rendant dans les daaras en question.

Enfin, il est primordial que les daaras existants soient soumis à une réglementation et à des inspections. Les daaras qui mettent en danger la santé et la sécurité des enfants devraient être signalés à la mairie ou à la préfecture, lesquelles devraient activement inspecter et fermer les daaras en question, comme l’ont fait les communes de Médina et de Gueule Tapée-Fass-Colobane à Dakar. Afin de mettre en œuvre les normes nationales relatives au fonctionnement des daaras – et, dans l’idéal, de contribuer au développement de nouvelles politiques en matière de réglementation et d’inspection – l’Assemblée nationale devrait de toute urgence adopter le projet de loi portant statut du « daara ».

Méthodologie

Ce rapport s’appuie sur des recherches menées en 2018 et 2019, dont une mission de recherche de deux semaines dans les régions administratives sénégalaises de Dakar, Saint-Louis et Diourbel en juin 2018 ; deux mois de recherches dans les régions de Dakar, Diourbel, Louga et Saint-Louis en décembre 2018 et janvier 2019 ; et des entretiens téléphoniques et une correspondance électronique avec des sources dans les régions de Dakar, Saint-Louis, Diourbel, Louga, Thiès, Tambacounda et Kaolack de mai 2018 à mai 2019. Parmi les villes dans lesquelles s’est rendu Human Rights Watch figurent Dakar, Saint-Louis, Diourbel, Touba, Mbacke, Louga et Koki. Des membres de la Plateforme pour la promotion et la protection des droits humains (PPDH) au Sénégal ont aidé à organiser les visites de daaras, et ont facilité les entretiens avec des maîtres coraniques et des autorités locales dans les régions de Diourbel, Louga et Saint-Louis.

Human Rights Watch a interrogé plus de 150 personnes en tout, dont 88 talibés, actuels et anciens ; 85 d’entre eux étaient des enfants âgés de 5 à 17 ans et trois étaient de jeunes adultes âgés de 18 à 22 ans. Parmi les autres personnes interrogées, citons 23 maîtres coraniques et plus d’une cinquantaine d’experts de la protection de l’enfance, de travailleurs sociaux, d’activistes, de représentants des Nations Unies, et d’employés et agents du gouvernement sénégalais des ministères de la Justice, de l’Intérieur, et de la Bonne gouvernance et de la Protection de l’enfance (restructuré début 2019 et désormais appelé ministère de la Femme, de la Famille, du Genre et de la Protection des enfants).

Des renseignements sur plusieurs cas d’abus ont été obtenus à partir d’entretiens avec des travailleurs sociaux qui avaient travaillé avec des victimes, de dossiers et d’autres documents juridiques, et d’articles de presse fiables. De nombreux talibés interrogés dans une région avaient fui un daara d’une autre région où ils auraient fait l’objet d’abus.

Human Rights Watch s’est rendu en tout dans 22 écoles coraniques et 13 centres d’accueil ou refuges pour enfants dans quatre régions (Dakar, Saint-Louis, Diourbel et Louga) de juin 2018 à janvier 2019. Sur ces 22 écoles coraniques, quatre se trouvaient à Dakar, cinq à Diourbel, trois à Saint-Louis, cinq à Touba, quatre à Louga et une à Koki. Quinze d’entre elles étaient des daaras traditionnels pratiquant la mendicité des enfants, et sept étaient des daaras « modernes » ou « modernisés » (pour reprendre l’expression employée au Sénégal) qui ne pratiquaient plus la mendicité.

Sur les 13 centres d’accueil ou refuges pour enfants visités, sept se trouvaient à Dakar, quatre à Saint-Louis, un à Diourbel et un à Louga. Deux d’entre eux étaient des centres de jour et 11 des établissements pour des séjours de courte ou longue durée, y compris un orphelinat privé et quatre centres étatiques. Dix des 11 centres hébergeaient des enfants talibés au moment de la visite de Human Rights Watch.

Les entretiens ont été principalement menés à titre individuel ou en présence d’activistes de la société civile sénégalaise qui connaissaient les personnes interrogées et les ont présentées à Human Rights Watch. Tous les entretiens approfondis menés auprès des enfants talibés lors desquels leur expérience de pratiques abusives a été abordée ont été réalisés dans des centres d’accueil pour enfants en présence de travailleurs sociaux ou de membres du personnel. Certains entretiens très brefs ont également été menés auprès de talibés rencontrés dans la rue, et ont porté sur des questions simples concernant la localité d’origine de l’enfant et son expérience de la migration, l’emplacement de son daara et ce pour quoi il devait mendier au quotidien. Les entretiens ont été conduits en français, en wolof et en pulaar. Concernant les entretiens en wolof et en pulaar, ils ont été réalisés à l’aide d’interprètes, essentiellement des travailleurs sociaux et des experts de la protection de l’enfance.

Human Rights Watch n’a offert aucune mesure incitative aux personnes interrogées et leur a fait savoir qu’elles pouvaient à tout moment mettre fin à l’entretien. Dans tout le rapport, les noms et les éléments d’information permettant d’identifier certaines des personnes interrogées, y compris tous les talibés, actuels et anciens, ne sont pas communiqués afin de protéger leur vie privée et leur sécurité. Certaines personnes n’ont accepté de parler que sous couvert d’anonymat, par peur de représailles.

Ce travail s’appuie sur cinq rapports déjà publiés par Human Rights Watch. En 2010, le rapport intitulé « ‘Sur le dos des enfants’ : Mendicité forcée et autres mauvais traitements à l’encontre des talibés au Sénégal » donnait un compte rendu plus détaillé de l’histoire de l’éducation coranique au Sénégal, de l’augmentation du nombre de cas d’exploitation et d’abus dans certaines écoles, et des expériences des jeunes garçons dans ces écoles. Human Rights Watch a ensuite publié quatre rapports, en 2014, 2015, 2016 et 2017. Le rapport de 2017, intitulé « Je vois encore des talibés mendier » : Insuffisance du programme gouvernemental pour protéger les enfants talibés au Sénégal, a permis d’analyser la première phrase du programme gouvernemental, essentiellement peu concluant, qui visait à « retirer les enfants de la rue » à Dakar ; il rendait également compte des abus permanents perpétrés à l’encontre des talibés et de morts d’enfants en 2016 et début 2017. Les cas d’abus survenus début 2017 et documentés dans le rapport « Je vois encore des talibés mendier » ont été inclus dans les totaux relatifs à la période 2017-2018 dans le présent rapport.

I. Contexte et cadre juridique

Suivant une pratique séculaire ancrée dans la tradition religieuse et culturelle, des centaines de milliers d’enfants d’Afrique de l’Ouest sont envoyés par leurs parents pour étudier dans une école coranique. Désignés par différents noms selon le pays, les élèves coraniques au Sénégal s’appellent des talibés, et les écoles coraniques traditionnelles, des daaras.

Si certaines écoles coraniques sénégalaises ne sont fréquentées que pendant la journée (on les appelle alors des daaras externats) par les enfants de la communauté locale, des milliers d’autres servent de pension (daaras internats), hébergeant des enfants venus de villages, de villes, de régions voire de pays éloignés. Certains daaras « mixtes » acceptent aussi bien des élèves externes qu’internes. La grande majorité des talibés qui vivent et étudient dans un daara internat sont des garçons âgés de 5 à 15 ans, et peu d’entre eux reçoivent une éducation formelle de qualité outre l’apprentissage du Coran. Il arrive également que des filles fréquentent des daaras, mais en général seulement en tant qu’externes.

Les garçons talibés sont souvent envoyés par leurs parents ou amenés par des maîtres coraniques pour vivre dans un daara d’une grande ville sénégalaise comme Dakar, Saint-Louis ou Touba, même si un grand nombre de ces enfants sont originaires de villages situés dans d’autres régions du Sénégal, ou de pays voisins, notamment de la Guinée-Bissau, de la Guinée et de la Gambie. Dans un contexte de migration et de pauvreté, les garçons passent souvent plusieurs années sans voir leur famille, et certains perdent contact avec elle ou sont pour ainsi dire abandonnés.

De nombreux maîtres coraniques s’occupent correctement des enfants dont ils ont la charge et respectent leurs droits, en veillant à ce qu’ils ne mendient pas. Certains persistent à envoyer les enfants mendier pour se procurer de la nourriture, sans pour autant leur demander de ramener de l’argent. Cependant, de nombreux autres profitent du manque de réglementation du système pour exploiter leurs talibés au prétexte de leur enseigner le Coran, forçant les enfants à mendier un quota spécifique, une somme d’argent qu’ils doivent rassembler au quotidien.[1] Si les daaras externats ne pratiquent généralement pas la mendicité, de nombreux daaras internats et certains daaras mixtes le font.

Les passages à tabac et d’autres formes d’abus sont aussi légion. Même parmi les daaras qui n’exploitent pas les enfants, des châtiments corporels, souvent appelés « correction », sont souvent imposés par les marabouts ou les grands talibés – des talibés plus âgés, qui ont souvent au moins 17 ans et servent d’assistants au maître.

Des milliers de daaras opèrent sans aucune surveillance officielle, pour un grand nombre depuis le domicile du maître ou dans un bâtiment inachevé ou à l’abandon. Les conditions de vie dans les daaras traditionnels sont souvent exigües, crasseuses et insalubres. Les longues heures que les garçons passent dans la rue à mendier leur font courir le risque de se faire renverser par une voiture, agresser ou abuser sexuellement – de tels incidents étant régulièrement relatés dans les médias locaux. Faute de nourriture et de soins médicaux dans de nombreux daaras, les talibés sont souvent atteints de malnutrition et de maladies.

Plus de 100 000 talibés forcés à mendier

On ignore combien de daaras opèrent au Sénégal, de même que le nombre de talibés. Il n’existe aucune étude nationale exhaustive sur cette question, et pas de statistiques nationales officielles. Human Rights Watch a précédemment estimé à au moins 50 000 le nombre de talibés forcés à mendier au Sénégal.[2] Cependant, le nombre d’études qui tentent de quantifier le problème ayant lentement augmenté au cours des dernières années, Human Rights Watch estime désormais, d’après les chiffres tirés de plusieurs études récentes menées à l’échelle de régions et de villes (voir ci-après), que le nombre d’enfants talibés forcés à mendier au Sénégal dépasse les 100 000. Ce chiffre fait uniquement référence aux talibés contraints de quémander de la nourriture ou de l’argent ; des milliers d’autres enfants fréquentent une école coranique qui ne pratique pas la mendicité.

Ce chiffre s’appuie sur des études récentes, mais d’une portée limitée, ainsi que sur la cartographie des daaras réalisée dans plusieurs villes ou régions administratives par le gouvernement sénégalais et des organisations non gouvernementales (ONG). Aucune de ces études ne mesure la gravité des abus physiques, et la plupart n’établissent pas de distinction entre les enfants forcés de quémander de la nourriture, de l’argent, ou les deux.

Ne serait-ce que dans la région de Dakar, une carte dressée en 2014 par la Cellule nationale sénégalaise de lutte contre la traite des personnes (CNLTP) recensait 1 006 écoles coraniques et 54 837 talibés, dont plus de la moitié (30 160 enfants) étaient contraints de mendier au quotidien.[3] Une étude réalisée en 2018 par l’ONG américaine Global Solidarity Initiative (GSI) a dénombré 1 922 daaras et 183 385 talibés à Dakar, parmi lesquels, d’après l’ONG, 515 daaras (26,8 %) et 27 943 talibés (15,2 %) pratiquaient la mendicité.[4]

Dans la ville sainte de Touba, deuxième ville du Sénégal, située dans la région de Diourbel, l’étude de GSI de 2018 a recensé 1 524 daaras et 127 822 talibés, dont 1 016 daaras (66,7 %) et 85 000 talibés (66,5 %) pratiqueraient la mendicité.[5] Lors d’une visite à Touba en janvier 2019, des agents ont fait savoir à Human Rights Watch qu’environ 1 200 daaras étaient officiellement enregistrés en mairie,[6] mais un expert du secteur de l’éducation qui travaille pour la mairie a estimé qu’il y en avait en réalité plus du double à Touba, des milliers de daaras n’étant pas enregistrés.[7]

À Saint-Louis, ville du nord du Sénégal, une cartographie faite en 2017 par l’éminente organisation de défense des droits de l’enfant La Maison de la Gare a dénombré 197 daaras et 14 779 talibés qui mendiaient.[8]

Des milliers de talibés mendient également dans d’autres régions du pays, notamment à Louga, Diourbel, Thiès, Kaolack et Kolda. En 2018, la Fédération nationale des associations d’écoles coraniques, qui compte plus de 700 associations membres dans 45 départements du Sénégal, aurait affirmé regrouper plus de 16 000 daaras à l’échelle nationale.[9]

Lois protégeant les enfants talibés

Les engagements qu’a pris le Sénégal en vertu du droit international obligent le gouvernement à protéger les enfants de toute violence, d’abus physiques et sexuels, de négligence, d’actes d’exploitation et d’une traite des personnes ; à tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant ; et à veiller au respect d’un large éventail de droits de l’enfant, y compris des droits à bénéficier d’une nourriture, d’une bonne santé, de soins médicaux et d’une éducation ; le droit à un cadre de vie sûr et protecteur ; et le droit à vivre avec sa famille ou avec les personnes les mieux placées pour prendre soin de lui.[10] Le Sénégal n’a pas adopté de Code de l’enfant pour intégrer dans sa législation nationale la Convention de l’ONU sur les droits de l’enfance et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant.

Par ailleurs, des lois nationales puissantes interdisent au Sénégal la maltraitance des enfants et la négligence volontaire, les abus sexuels d’enfants, la séquestration illégale, la mise en danger d’autrui et la traite des personnes, notamment « l’exploitation de la mendicité d’autrui ». Ces lois sont présentées ci-après.

Maltraitance des enfants et négligence volontaire

Le Code pénal sénégalais stipule : « Quiconque aura volontairement fait des blessures ou porté des coups à un enfant au-dessous de l’âge de quinze ans accomplis, ou qui l’aura volontairement privé d’aliments ou de soins au point de compromettre sa santé ou qui aura commis à son encontre toute autre violence ou voie de fait, à l’exclusion des violences légères, sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 25.000 à 200.000 francs [40-340 dollars US]. »[11]

Si les violences ou privations imposées à l’enfant « ont été suivies de mutilation », d’« infirmités permanentes » ou si elles ont « occasionné la mort sans intention de la donner », la loi prévoit une peine de 10 à 20 ans de travaux forcés, cette peine passant à des travaux forcés à perpétuité si le coupable est une personne « ayant autorité sur l’enfant ». Si les violences contre l’enfant étaient « habituellement pratiquées » et « ont entraîné la mort même sans intention de la donner, la peine des travaux forcés à perpétuité sera toujours prononcée ».[12]

Viols et abus sexuels

La législation sénégalaise ne stipule pas spécifiquement d’âge minimum pour le consentement sexuel.[13] Le Code pénal du pays n'inclut pas d’infraction pénale spécifique pour quiconque a des relations sexuelles avec des enfants de moins de 18 ans. La plupart des infractions sexuelles couvrent les actes de violence sexuelle commis sur des enfants de moins de 16 ans, la peine maximale étant généralement imposée en cas d’abus visant des enfants de moins de 13 ans.

Viols : Le Code pénal sénégalais définit succinctement le viol ainsi : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. »[14] Le viol est « puni d’un emprisonnement de cinq à dix ans ». Si le viol ou la tentative de viol a été commis sur un enfant de moins de 13 ans, « le coupable subira le maximum de la peine ».[15]

Abus sexuels : Tout attentat à la pudeur consommé ou tenté sans violence sur un enfant âgé de moins de treize ans est puni d’une peine d’emprisonnement de deux à cinq ans.[16] Le Code pénal criminalise également « le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de gestes, de menaces, de paroles, d’écrits ou de contraintes dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions », délit qui sera puni d’une amende et d’un emprisonnement de six mois à trois ans. Si la victime a moins de 16 ans, le maximum de la peine de prison (trois ans) est prévu.[17] Les actes constituant de la « pédophilie » en vertu du droit sénégalais – définis comme « tout geste, attouchement, caresse, manipulation pornographique, utilisation d’images ou de sons […] à des fins sexuelles sur un enfant de moins de seize ans » – sont punis d’un emprisonnement de cinq à dix ans.[18]

Lorsque des actes ou tentatives d’actes de nature sexuelle sont perpétrés par des adultes ayant « autorité » sur le mineur ou qui sont « chargés de son éducation », la peine est fixée à un emprisonnement de dix ans.[19]

Séquestration illégale

En vertu du Code pénal sénégalais, toute personne qui détient ou séquestre illégalement une autre personne est punie par 10 à 20 ans de travaux forcés.[20]

Mise en danger de la personne

Le Code pénal sénégalais stipule : « Toute personne qui expose autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente, par la violation délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, est punie d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 250.000 francs à 1.000.000 de francs [430-1 700 dollars US]. »[21]

Traite des personnes et exploitation

En vertu du droit international et sénégalais, la pratique consistant à héberger des talibés dans un daara et à les exploiter pour se faire de l’argent en les forçant à mendier, ainsi que le recrutement, le transport ou le transfert d’enfants talibés à cette fin, peuvent être considérés comme une traite des personnes.[22]

Le Protocole de l’ONU sur la traite des personnes définit ainsi cet acte :

[…] le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend […] l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes […] Le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil d’un enfant aux fins d’exploitation sont considérés comme une « traite des personnes » même s’ils ne font appel à aucun des moyens énoncés [ci-dessus].[23]

Le Sénégal, qui est un État partie au Protocole de l’ONU sur la traite des personnes, a intégré cette définition pratiquement mot-pour-mot dans sa loi nationale de lutte contre la traite des personnes promulguée en 2005 :

Le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement [ou] l’accueil de personnes par menace ou recours à la violence, enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou de situation de vulnérabilité ou par l’offre ou l’acceptation de paiement d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant l’autorité sur une autre, aux fins d’exploitation sexuelle, de travail ou de services forcés, d’esclavage ou de pratiques analogues à l’esclavage [ou] de servitude est puni d’un emprisonnement de 5 à 10 ans et d’une amende de 5 à 20 millions de francs [8 640-34 500 dollars US]. […] L’infraction est constituée lorsque le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil concerne un mineur, même si aucun des moyens énumérés [ci-dessus] n’est utilisé.[24]

L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC) a indiqué que la traite des personnes comprenait « ce qui se produit à la fois au-delà des frontières et à l’intérieur d’un pays (pas uniquement au niveau transfrontalier) » et concerne « un large éventail de finalités d’exploitation (pas uniquement l’exploitation sexuelle) ».[25]

La loi sénégalaise de lutte contre la traite des personnes pénalise spécifiquement « l’exploitation de la mendicité » :

De l’exploitation de la mendicité d’autrui : Quiconque organise la mendicité d’autrui en vue d’en tirer profit embauche, entraîne ou détourne une personne en vue de la livrer à la mendicité ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle mendie ou continue de le faire est puni d’un emprisonnement de 2 à 5 ans et d’une amende de 500 000 francs à 2 000 000 francs [860-3 440 dollars US]. Il ne sera pas sursis à l’exécution de la peine lorsque le délit est commis à l’égard d’un mineur, […] de plusieurs personnes, de recours ou d’emploi de contrainte, de violences ou de manœuvres dolosives sur la personne qui se livre à la mendicité.[26]

Les cas où des enfants sont amenés « clandestinement » par un maître coranique ou son assistant d’un pays à un autre alors que l’enfant ne dispose pas de papiers d’identité ou d’une autorisation en règles peuvent également être considérés comme constituant un « trafic de migrants » en vertu de la loi sénégalaise contre la traite des personnes :

Du trafic des migrants : Est punie de 5 à 10 ans d’emprisonnement et d’une amende de 1.000.000 à 5.000.000 francs [1 730-8 640 dollars US] la migration clandestine organisée par terre, mer ou air ; que le territoire national serve de zone d’origine, de transit ou de destination.[27]

La gravité des actes constituant une traite des personnes qui impliquent des talibés est accentuée en vertu de ces lois par le fait que les victimes sont des enfants, donc vulnérables, et exacerbée lorsque le maître coranique ou son assistant recourt à la violence et à la contrainte pour faire respecter les quotas de mendicité. Si les enquêtes et les poursuites menées en vertu de la loi de 2005 à l’encontre des maîtres coraniques accusés d’« exploitation de la mendicité » ou de « trafic d’enfant » sont plus nombreuses depuis quelques années, ce type d’actions en justice reste rare.

II. Omniprésence de la mendicité forcée des enfants

De juin 2018 à janvier 2019, Human Rights Watch et la PPDH ont observé et parlé avec des dizaines de talibés qui mendiaient dans les rues des villes de Dakar, Saint-Louis, Diourbel, Touba et Louga. Certains n’avaient que quatre ou cinq ans. Un grand nombre d’entre eux souffraient de malnutrition, de la gale, d’infections cutanées ou d’autres maladies accompagnées de symptômes tels qu’une toux, une décoloration des yeux, un abcès ou un ventre gonflé. Souvent, les enfants mendiaient devant des policiers et des gendarmes, à proximité de bâtiments gouvernementaux ou de commissariats ou encore le long de routes très fréquentées.

Lors des deux phases d’un programme gouvernemental à Dakar appelé « initiative de retrait des enfants de la rue »[28] – la première menée de mi-2016 à mi-2017, et la seconde en 2018 – des équipes de policiers et de travailleurs sociaux ont retiré 1 800 enfants des rues, dont quelque 1 300 talibés.[29] Cependant, comme Human Rights Watch l’a signalé en juillet 2017, la première phase du programme s’est conclue par le retour d’un millier de talibés vers le maître coranique qui justement les avait envoyés mendier.[30] Si cette erreur ne s’est pas reproduite lors de la seconde phase, les enfants ayant pu retourner chez leurs parents, aucune des deux phases n’a donné lieu à des enquêtes judiciaires ou à des poursuites pour la mendicité forcée des enfants.[31]

Lancé uniquement à Dakar pendant les deux premières phases, ce programme n’a pas réussi à atteindre les dizaines de milliers d’enfants talibés assujettis à la mendicité forcée dans d’autres régions. À Dakar, plusieurs travailleurs sociaux et activistes de la protection de l’enfance – notamment ceux qui travaillent dans des centres pour enfants qui accueillent un grand nombre d’enfants retirés des rues – ont déclaré à Human Rights Watch n’avoir constaté aucune baisse du nombre de talibés qui mendient depuis le lancement du programme en 2016. « Rien n’a évolué. Les enfants sont toujours dans la rue », a affirmé Alassane Diagne, coordinateur de l’Empire des Enfants, un centre d’accueil pour enfants à Dakar.[32]

Danielle Huèges, directrice exécutive d’Unies Vers’elle Sénégal, qui gère le centre d’accueil Yakaaru Guneyi à Dakar, a commenté : « Sur la route de l’aéroport, à Yoff [une commune d'arrondissement de Dakar], aux grands carrefours – il y tellement d’enfants qui mendient, dans des conditions terribles. »[33]

De juin 2018 à janvier 2019, Human Rights Watch a interrogé 88 talibés, anciens ou actuels, à Dakar et Saint-Louis. Parmi eux, 83 étaient obligés de mendier de la nourriture ou de l’argent : 60 ont été observés en train de mendier dans la rue, et 23, interrogés dans des centres d’accueil pour enfants, ont affirmé avoir été forcés de mendier dans leur précédent daara. 63 talibés ont déclaré que leur maître coranique exigeait un versement journalier allant de 100 à 1 250 francs CFA (0,20-2,20 dollars US).[34] Un enfant à Saint-Louis a remarqué qu’en tant que fils du marabout, il ne mendiait pas, mais que les autres talibés du daara devaient rassembler 150 francs CFA (0,30 dollar US).[35]

« Tous les matins, nous mendiions jusqu’à 10 heures, puis nous rentrions étudier, puis nous repartions mendier le prochain repas », a expliqué un talibé guinéen de neuf ans qui s’était enfui de son daara à Dakar. « Le versement était de 500 CFA [0,90 dollar US]. Si on revenait sans rien, on nous battait – le marabout ou les grands talibés. »[36]

Un autre talibé, de huit ans, qui mendiait dans les rues de Dakar, a indiqué un quota encore plus élevé : « Le marabout nous demande 1 000 CFA [1,80 dollar US]. Si on n’y arrive pas, il nous bat. »[37]

Des travailleurs sociaux du Centre de jour de l’organisation non gouvernementale (ONG) Enda Jeunesse Action, un centre dédié aux enfants à risque à Dakar, ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils aidaient encore régulièrement des talibés fugueurs exploités par un maître coranique. Ils ont par ailleurs remarqué que les grands talibés, en tant qu’assistants du maître coranique, veillaient au respect du quota de mendicité imposé par le marabout et forçaient parfois les enfants plus jeunes à mendier de l’argent. « Il peut arriver que le marabout impose un versement de 200 CFA [0,35 dollar US], mais que les grands talibés y ajoutent 300 CFA [0,50 dollar US], que l’enfant doit se procurer », a commenté El Hadji Malick Diop, l’animateur du centre. « Les grands talibés ne mendient plus, mais ils ont leurs besoins, alors ils forcent les talibés plus jeunes à leur rapporter de l’argent », a déploré Modou Diop, le responsable du centre.[38]

Human Rights Watch s’est rendu dans 22 écoles coraniques dans les régions de Dakar, Diourbel, Saint-Louis et Louga en juin 2018 et janvier 2019. Sept d’entre elles étaient des daaras « modernes » ou « modernisés » qui ne pratiquaient plus la mendicité. Sur les 15 daaras traditionnels pratiquant la mendicité, au moins 13 exigeaient des enfants qu’ils mendient de l’argent. Les daaras hébergeaient des enfants originaires d’au moins neuf régions du Sénégal et d’au moins quatre pays voisins (Gambie, Guinée, Guinée-Bissau et Mali).

« J’aimerais qu’ils [les talibés] ne soient pas obligés de mendier, parce que cela augmente le temps qu’il leur faut pour apprendre le Coran », a commenté un maître coranique à Diourbel dont les talibés mendiaient leurs repas. « Il devrait leur falloir deux ans, mais ils peuvent mettre jusqu’à cinq ans. »[39]

Au moins dix des daaras visités se finançaient principalement par la mendicité, ainsi que par certains dons et programmes de parrainage communautaires. Les maîtres coraniques de ces daaras ont déclaré peiner sur le plan financier étant donné qu’aucun parent ne payait pour que l’on s’occupe de son enfant. Les maîtres ont néanmoins affirmé qu’ils ne pouvaient refuser aucun talibé qu’on leur confiait. Il s’est avéré au fil des entretiens que certains maîtres continuaient également de rechercher de nouveaux talibés en se mettant régulièrement en relation avec des parents dans d’autres régions ou à l’étranger.[40]

Qu’un maître coranique se serve de l’argent mendié par les enfants pour couvrir les dépenses du daara, pour s’enrichir personnellement – sa famille étant installée dans une autre maison tandis que les enfants talibés vivent dans une misère abjecte, comme Human Rights Watch l’a signalé en 2017[41] et 2018[42] – ou pour ces deux raisons, sa motivation est en réalité sans importance. La pratique consistant à contraindre des enfants de mendier jusqu’à ce qu’ils aient réuni une somme d’argent spécifique constitue une exploitation.

 

III. Abus physiques et négligence

Outre la mendicité forcée, Human Rights Watch a documenté des dizaines de cas d’abus physiques à l’encontre d’enfants talibés vivant dans des daaras en 2017 et 2018, généralement perpétrés au motif que ces enfants n’avaient pas rempli leur quota journalier de mendicité, qu’ils n’avaient pas réussi à mémoriser les versets du Coran, ou qu’ils avaient tenté de s’échapper du daara. Parmi les corrections figuraient des passages à tabac – qui ont entraîné la mort de plusieurs talibés – ainsi que la privation de nourriture, la pose de liens ou de chaînes ou la séquestration d’enfants dans les daaras. Ces pratiques pourraient constituer des formes de traitement inhumain et dégradant.

Des officiers de justice et des travailleurs sociaux de différentes régions ont déclaré à Human Rights Watch avoir traité sur cette période des dizaines de dossiers d’abus perpétrés contre des talibés. Un travailleur social dans la région de Louga a ainsi signalé qu’en 2018, il avait aidé jusqu’à 49 talibés fugueurs qui, d’après lui, avaient tous été forcés de mendier ou été passés à tabac.[43]

Human Rights Watch a aussi documenté des cas d’abus sexuels et de viols d’enfants talibés par des maîtres coraniques ou leurs assistants, ainsi que par des inconnus ou des agresseurs dans la rue, en 2017 et 2018. En outre, de nombreux maîtres coraniques n’assumaient pas leurs responsabilités envers la santé et la sécurité des enfants talibés dont ils avaient la charge, ce qui dans certains cas avait entraîné la mort de talibés.

Décès de talibés en 2017-2018

Human Rights Watch a documenté les décès de 16 enfants talibés en 2017 et 2018. Tous ces décès semblent avoir été le résultat direct d’abus, d’actes de négligence ou d’une mise en danger par des maîtres coraniques ou leurs assistants. Neuf morts ont été recensées en 2018, et pour deux d’entre elles, les talibés sont décédés des suites d’un passage à tabac ; sept morts ont été dénombrées en 2017, dont une attribuable à un passage à tabac.[44]

Les décès ont pu être documentés grâce à l’analyse de documents juridiques et sur la base d’entretiens menés auprès de témoins ou d’experts – travailleurs sociaux, officiers de justice, et un médecin – directement impliqués dans les dossiers ou informés par le biais de sources fiables. Les travailleurs sociaux de l’Action éducative en milieu ouvert (AEMO), agence de services sociaux et d’assistance juridique relevant du ministère de la Justice, sont chargés de gérer les cas d’urgence de protection des enfants dans leur localité ; ils sont généralement avertis immédiatement de tout incident grave de maltraitance, de blessure ou de mort d’enfant. Plusieurs cas ont également été relatés dans la presse locale.

Décès résultant de violents passages à tabac

En 2017 et 2018, trois enfants talibés sont morts après avoir été violemment passés à tabac par des maîtres coranique ou leurs assistants. Ces trois cas ont engendré des poursuites en justice et des condamnations, même si les chefs d’accusation et les peines ont été réduits dans chaque cas par rapport à ce que l’accusation avait requis.

En mars 2017, un talibé de 10 ans est mort après avoir été passé à tabac par l’assistant (grand talibé) d’un maître coranique à Darou Salam, dans la région de Diourbel.[45] Au départ poursuivi pour « coups et blessures volontaires exercés habituellement sur un enfant en dessous de 15 ans ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner », le grand talibé a été condamné en novembre 2017 pour le délit moins grave de « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner » et a dû purger une peine de cinq ans de travaux forcés.[46]

En avril 2018, un talibé de 11 ans est mort des suites d’un violent passage à tabac dans la ville de Touba, dans la région de Diourbel. « [L’enfant] ne maîtrisait pas les versets coraniques … alors le maître s’est mis à le ‘corriger’ [frapper] avec un bâton », a expliqué un officier de justice à Diourbel. « Le talibé a tenté de s’enfuir, mais il est tombé, a percuté un poteau en fer et s’est blessé à la tête. Il est mort avant d’arriver à l’hôpital. » L’officier de justice a précisé que le maître avait été arrêté, jugé et condamné pour homicide involontaire – un chef d’inculpation moins grave que celui qui avait été retenu au départ, à savoir « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner » ; il avait écopé de six mois d’emprisonnement.[47]

Un autre enfant de 11 ans est mort après avoir été passé à tabac par son maître coranique en mai 2018 dans la ville de Mpal, dans la région de Saint-Louis. Le maître a été arrêté et poursuivi en justice. Human Rights Watch a vu une photographie du corps de l’enfant, qui présentait des marques du passage à tabac.[48] D’après un document du tribunal de Saint-Louis que Human Rights Watch a pu consulter, une autopsie a confirmé qu’il y avait eu un passage à tabac d’une grande violence : « L’examen du cadavre a révélé plusieurs marques de contusions crâniennes, faciales, thoraciques et abdominales faisant évoquer un poly traumatisme» Un officier de justice de Saint-Louis a expliqué à Human Rights Watch que le maître coranique avait déclaré soupçonner le talibé de voler, et il se peut également que l’enfant ait mal appris ses leçons. Après le passage à tabac, le maître coranique « l’a juste laissé mourir sur place, et il est parti », a précisé l’officier de justice.[49]

Bien que le Procureur de la République près le Tribunal de Saint Louis ait porté plainte pour « CBV [coups et blessures volontaires] sur un mineur de moins de 15 ans par une personne ayant autorité sur lui et ayant entraîné la mort sans intention de la donner »,[50] requérant une peine de 20 années d’emprisonnement, le Tribunal de Grande Instance de Saint-Louis a fini par réduire les chefs d’inculpation et condamné le maître coranique, Cheikh Tidiane Lô, pour « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner » en février 2019. Il a été condamné à deux années de prison.[51] Au moment de la rédaction de ce rapport, le procureur avait fait appel de la décision.[52]

Décès résultant d’actes de négligence ou d’une mise en danger

Human Rights Watch a documenté 13 décès de talibés, sept en 2018 et six en 2017, qui auraient été le résultat d’actes de négligence ou d’une mise en danger de la part de maîtres coraniques. Il s’agit plus précisément de quatre enfants morts des suites de blessures provoquées lorsqu’ils ont été pris au piège dans l’incendie de leur daara, le marabout étant absent ; de cinq enfants morts dans des accidents de la route alors qu’ils mendiaient ou refusaient de rentrer au daara ; et de quatre talibés morts des suites de maladies non traitées. Plusieurs autres enfants talibés ont également subi des brûlures lors de certains de ces incendies.

Décès résultant de maladies non traitées

En novembre 2018, cinq talibés ont contracté le paludisme dans le quartier de Cité Niakh à Saint-Louis pendant que leur marabout était en déplacement. D’après des travailleurs sociaux et un officier de justice, les enfants n’ont pas été amenés à l’hôpital à temps, et deux des enfants sont morts ; les trois autres se sont rétablis à l’hôpital.[53] Issa Kouyaté, membre de la Plateforme pour la promotion et la protection des droits humains (PPDH) et directeur de l’éminente organisation de défense des droits de l’enfant et refuge, la Maison de la Gare (MDLG), à Saint-Louis, a déclaré que le maître coranique propriétaire du daara vivait ailleurs avec sa famille et qu’il faisait souvent garder les enfants par un grand talibé ; c’est ce qui s’était produit ce jour-là. Kouyaté a appelé cela de la « négligence », précisant : « Nous avons donné des matériaux à ce daara par le passé, mais quand on y va, on ne les voit jamais. Tout ce que nous donnons au marabout pour les enfants, il l’emporte chez lui, pour sa propre famille, et les talibés vivent dans ce bâtiment à l’abandon, avec de l’eau par terre. »[54]

Une vidéo diffusée sur YouTube le 22 novembre 2018, le lendemain de la mort des deux enfants, semble montrer la misère dans laquelle ils vivaient : murs qui menacent de s’effondrer, gravats au sol et, par endroits, pas de plafond – les enfants étaient ainsi facilement exposés aux moustiques et aux maladies.[55] Les poursuites à l'encontre du maître coranique et de son assistant pour mise en danger et homicide involontaire étaient en cours au moment de la rédaction de ce rapport.[56]

Lors d’un autre incident survenu à Saint-Louis en novembre 2018, deux enfants talibés qui vivaient dans un daara du quartier de Pikine sont morts, l’un des séquelles d’un cas grave de paludisme et l’autre du tétanos qu’il avait contracté lors d’une circoncision rituelle en octobre ; le maître coranique se serait abstenu de les faire soigner rapidement. D’après les informations disponibles, ces enfants avaient entre 9 et 12 ans.[57] Issa Kouyaté, dont l’organisation (MDLG) avait conclu un partenariat avec une association locale de médecins pour apporter une aide médicale aux enfants de ce daara, a raconté :

C’est dû au laxisme du marabout… Dans ce daara, quelque 35 enfants ont été circoncis. Après, ce marabout a envoyé quelques talibés au centre [MDLG] pour se faire soigner. Mais nous ne savions pas qu’il y en avait d’autres qui n’étaient pas encore soignés. L’un des enfants du daara, sa plaie a été infectée par le tétanos. Il a eu des difficultés terribles, et a fini par mourir à l’hôpital... C’est à ce moment-là que l’équipe médicale a appris que d’autres talibés n’étaient pas encore soignés... C’est à la fois de la négligence et de l’exploitation – non seulement les enfants n’ont pas été traités, mais ils ont continué de sortir pour faire la mendicité. C’est plus que terrible.[58]

D’après un médecin qui exerce en cabinet privé à Saint-Louis, et qui avait contribué à apporter une aide médicale à ce daara, le second enfant est mort peu après le premier : l’équipe médicale a d’abord pensé que cet enfant avait lui aussi le tétanos, mais il s’est avéré que c’était une grave crise de paludisme, a expliqué le médecin. Quand il s’est rendu au daara pour soigner les autres talibés, « leurs pansements n’étaient pas propres – j’ignore depuis combien de temps ils ne se faisaient pas soigner », a affirmé le médecin. « Ce que les marabouts font d’habitude [après une circoncision], ils demandent aux enfants d’aller se faire soigner avant de mendier ou d’aller faire autre chose. Quand [le marabout] donne cet ordre, il y a des enfants qui viennent [se faire soigner], mais il y a d’autres qui ont peut-être peur et ne viennent pas… et chaque fois ce sont les enfants qui arrivent d’eux-mêmes. …Le marabout ne donne pas [d’argent pour le] transport. » Dans ce cas le marabout n’avait apparemment pas vérifié si les enfants étaient bien allés se faire soigner, selon le médecin.[59] Au moment de la rédaction de ce rapport, le maître coranique continuait d’opérer dans son daara.[60]

Enfants piégés dans des incendies de daaras : morts et blessures

Outre le risque sanitaire posé aux enfants, certains daaras sont si mal construits et contrôlés que les talibés y courent un risque plus élevé d’être blessés ou de mourir dans un incendie. Depuis l’incendie en 2013 d’un daara à Dakar dans lequel neuf enfants ont péri,[61] plusieurs autres incendies ont éclaté dans des daaras à travers le pays. Ainsi, de la mi-2017 à fin 2018, on en a recensé dans au moins quatre daaras de différentes régions, un seul d’entre eux n’ayant pas causé de blessures parmi les enfants. Deux incendies ont été mortels, entraînant au total le décès de quatre enfants talibés.

En juin 2017, un talibé de sept ans aurait fait tomber une allumette incandescente dans un daara de Thiès, provoquant un incendie dans lequel il a péri.[62] Un ancien travailleur social du gouvernement à Thiès a déclaré à Human Rights Watch que le maître coranique était absent du daara au moment de l’incendie. « C’était un problème de négligence », le travailleur social a commenté. « Il faut que les marabouts soient plus vigilants ; ils ne devraient pas se contenter de confier la responsabilité du daara aux grands talibés. En tant que responsable, le marabout devrait lui-même s’occuper des enfants, veiller sur eux, voir comment ils vivent et assumer ses responsabilités. »[63]

En décembre 2017, un incendie s’est déclaré dans un daara de Mbour, ville de la région de Thiès, tuant trois talibés qui, d’après les informations disponibles, étaient âgés de sept à 12 ans.[64] Le maître coranique ne se trouvait pas au daara lorsque l’incendie s’est déclaré. Une travailleuse sociale du gouvernement à Mbour a décrit ce qui s’était passé :

Le marabout était parti au village… Il avait demandé à un autre marabout du même quartier de surveiller les enfants… L’autre marabout a dit qu’il était passé au daara pour dire aux enfants d’éteindre les bougies, mais il n’est pas revenu vérifier s’ils l’avaient fait... la chambre a pris feu, et les enfants n’ont pas pu s’échapper. Les voisins ont été alertés par les cris des enfants et ont essayé de les aider… Deux enfants sont morts sur le lieu du drame, et un troisième est décédé plus tard à l’hôpital – il avait des brûlures au troisième degré.[65]

Des voisins tentent d’éteindre un incendie qui s’est déclaré dans un daara à Diourbel, au Sénégal, le 14 juillet 2018. Bien que personne ne semble avoir été blessé, les dégâts matériels ont été considérables. Certains daaras sont si mal construits et si mal supervisés que les enfants talibés risquent fort de périr ou d’être blessés dans un incendie. © 2018 Malick Sy
Ndèye Ramatoulaye Gueye Diop, qui à l’époque était ministre de la Bonne gouvernance et de la Protection de l’enfance, se serait rendue sur place après l’incendie du daara de Mbour et aurait demandé aux maîtres coraniques de mieux gérer leurs daaras. Elle a également lancé un appel général à la population, y compris aux parents de talibés, en faveur d’une amélioration des conditions de vie des enfants talibés.[66]

En 2018, au moins deux autres daaras se sont embrasés, sans faire de victimes. En février, la presse locale a signalé qu’un incendie s’était déclaré dans un daara qui hébergeait une trentaine d’enfants talibés dans le quartier dakarois d’Ouest-Foire, faisant deux blessés légers parmi les enfants.[67] En juillet, un daara de la ville de Diourbel a pris feu après l’explosion d’une bouteille de gaz. Si aucune victime n’a été à déplorer, les dégâts matériels ont été considérables.[68]

Décès de talibés et blessures du fait de leur exposition à la circulation routière

Human Rights Watch a documenté les décès d’au moins cinq enfants talibés dans des accidents de la route en 2017 et 2018, ainsi que d’un accident lors duquel un talibé a été grièvement blessé en janvier 2019. La mort de ces enfants semble être la conséquence de leur exposition pendant de longues heures à la mendicité forcée dans les rues. Les cinq morts d’enfants ont été documentées lors d’entretiens avec des témoins ou des travailleurs sociaux locaux.

Deux autres accidents de la route impliquant des enfants talibés – l’un à Dakar en mars 2018[69] et l’autre, mortel, à Touba en juillet 2018[70] – ont été signalés par les médias, mais Human Rights Watch n’a pas pu les vérifier.

En 2018 et début 2019, les chercheurs de Human Rights Watch ont observé que des dizaines d’enfants, dont certains n’avaient visiblement que quatre ou cinq ans, se déplaçaient à toute vitesse le long de routes très fréquentées et se faufilaient entre les voitures aux carrefours. Le danger est d’autant plus important pour les enfants qui s’attardent ou passent la nuit dans la rue s’ils n’ont pas réussi à rassembler suffisamment d’argent à remettre au marabout, cherchant ainsi à éviter de rentrer au daara où ils feront probablement l’objet d’abus pour non-respect de leur quota.

En avril 2017, un jeune talibé de six ou sept ans est mort après s’être fait renverser par un bus dans le quartier Pikine de Saint-Louis, d’après le directeur de la MDLG, Issa Kouyaté, que des témoins ont contacté après l’incident. Il a raconté ce que les témoins lui avaient décrit :

Un groupe de talibés avait fini de mendier, il était environ midi, ils traversaient la rue lorsqu’un bus a renversé l’un d’entre eux – le bus lui a roulé sur la tête, qui a été complètement écrasée. Ils ont dû l’enterrer le jour-même. Cela a été très dur pour les autres talibés… ils étaient bouleversés.[71]

En novembre 2017, un véhicule 4x4 a renversé un jeune talibé, qui avait entre cinq et sept ans, devant une gendarmerie à Mbour.[72] Une travailleuse sociale du gouvernement à Mbour, qui avait appris l’accident par la ndeye daara (une femme qui aide à subvenir aux besoins des talibés de sa communauté) de l’enfant, a affirmé à Human Rights Watch :

L’enfant est mort à l’hôpital… La ndeye daara a dit que l’enfant était sorti seul dans la rue… Ces cas de talibés fauchés par une voiture sont récurrents à Mbour. Je dis toujours, et je maintiens cette position : la place d’un enfant talibé n’est pas dans la rue… S’il y a de la maltraitance dans le daara, les enfants talibés préfèrent généralement rester dans la rue plutôt que de rentrer au daara où ils sont souvent battus, maltraités, privés de liberté, de droits… Au moins, dans la rue, il y a une solidarité avec les autres enfants, et il se peut que quelqu’un leur donne à manger… Franchement, soit ce sont les conditions de vie dans le daara qui expliquent la présence d’un enfant dans la rue, soit c’est le marabout qui l’envoie mendier et l’exploite.[73]

Cette travailleuse sociale a raconté à Human Rights Watch un autre accident qui s’était produit en 2018, également relaté dans la presse locale, lors duquel un bus avait heurté un talibé de cinq ans dans les rues de Mbour vers six heures du matin.[74] « Soit il était resté dans la rue [toute la nuit], soit on l’avait envoyé mendier », a-t-elle précisé. « C’est à cause de la négligence du marabout que l’enfant a été une victime… il avait été confié à un adulte qui aurait dû s’occuper de lui et assurer sa protection. »[75]

Le 19 novembre 2018, un enfant talibé est mort à Tivaouane, dans la région de Thiès, après s’est fait renverser par une voiture pendant qu’il mendiait, d’après un talibé fugueur du même daara que Human Rights Watch a interrogé et un membre du Comité départemental de protection de l’enfant qui a enquêté sur cet incident.[76] Le talibé qui a signalé l’incident a aussi déclaré que lorsqu’il vivait dans ce daara, lui et les autres enfants étaient forcés de mendier 250 francs CFA (0,40 dollar US) par jour et se faisaient battre.[77]

Le dernier décès d’un talibé documenté par Human Rights Watch s’est produit à Saint-Louis en décembre 2018, d’après un témoin oculaire qui a décrit l’incident ainsi : « L’enfant se reposait dehors vers midi ou 13 heures sous les grilles en fer qui clôturent le jardin, au bord du fleuve [près d’un rond-point très fréquenté]… Une conductrice a perdu le contrôle de son véhicule et a traversé les grilles, et l’enfant était sous la voiture… J’ai tout vu. Je n’ai pas pu dormir pendant trois jours – ça m'a tellement choqué. » Le témoin a expliqué que lorsqu’il s’était rendu dans le daara de la victime, le frère de l’enfant, également un talibé, lui avait dit que le marabout réclamait 250 CFA par jour (0,40 dollar), que les enfants devaient trouver en mendiant ou en faisant des petits boulots au marché ; l’enfant a indiqué que son frère se reposait dans le jardin après avoir rassemblé l’argent demandé. « Ces marabouts, tous les matins, ils envoient les talibés chercher de l’argent. S’ils ne trouvent pas l’argent demandé, ils sont forcés de rester dehors – dans le jardin, près du fleuve, dans les zones dangereuses », a précisé le témoin.[78]

La scène d'un accident survenu le 13 janvier 2019 à Louga, au Sénégal, au cours duquel un enfant talibé a été percuté dans la rue par une moto. Chaque matin, son maître coranique l'envoyait mendier avec d'autres talibés pour lui rapporter 250 francs CFA (US $0.40), selon l'un de ses camarades de la même école coranique. © 2019 Lauren Seibert / Human Rights Watch

Le 13 janvier 2019, Human Rights Watch et la PPDH sont arrivés sur les lieux d’un accident à Louga peu après qu’un talibé d’environ onze ans s’était fait renverser par une moto. L’enfant, allongé sur la route, sanglotait et se tenait la jambe qui avait l’air fracturée. Un talibé du même daara, qui avait assisté à l’accident, a affirmé que les enfants devaient rapporter au marabout 250 francs CFA par jour.[79] Ce témoin talibé avait à la main une blessure infectée non traitée. Après que la victime avait été emmenée à l’hôpital, Human Rights Watch et la PPDH ont trouvé le maître coranique endormi dans son daara, vers 10h30 du matin, tandis que tous ses talibés étaient en train de mendier dans la rue. Le maître a expliqué qu’il avait une vingtaine de talibés dans son daara, tous originaires de villages de la région de Louga.[80]

Passages à tabac

Human Rights Watch a documenté 61 cas d’enfants talibés qui auraient été battus par des maîtres coraniques ou leurs assistants en 2017 et 2018, d’après des entretiens menés auprès de victimes parmi les talibés, de travailleurs sociaux et de membres du personnel de centres d’accueil pour enfants. Les passages à tabac se sont produits dans des régions de tout le Sénégal, notamment Dakar, Saint-Louis, Diourbel, Louga et Thiès.[81]

Sur ces 61 cas, 43 talibés auraient été battus pour ne pas avoir réussi à rassembler leur quota d’argent, et 18 pour d’autres fautes, notamment pour une leçon mal apprise ou pour tentative de fugue. Les enfants ont expliqué avoir été battus à coups de bâton, de cravache ou de fouet fabriqué à partir de fils de fer, de cordons, de câbles ou de courroies de distribution provenant de moteurs de véhicules. Human Rights Watch a constaté la présence de cicatrices, de marques de coups ou de plaies ouvertes sur sept des enfants qui avaient signalé des abus.[82]

Dans de nombreux cas, les enfants ont affirmé que le marabout administrait lui-même la punition. Dans d’autres cas, un assistant du marabout (un « grand talibé ») donnait les coups, en présence du marabout ou non. Un talibé fugueur de 12 ans, qui avait été amené par sa tante depuis la Gambie à Kolda (une ville du sud du Sénégal) puis conduit par son maître coranique de Kolda à Dakar, a confié à Human Rights Watch :

Le versement était de 400 CFA [0,70 dollar US] les jours normaux et de 500 CFA [0,90 dollar US] le vendredi [le jour saint des musulmans]. Si on ne rapportait pas l’argent, les grands talibés nous battaient avec un fil électrique… Je ne sais pas ce que le marabout faisait de cet argent. Quand tu sors mendier, il faut rentrer au daara à une certaine heure. Si tu rentres en retard, on te frappe. Si tu ne rapportes pas l’argent, on te frappe. Et si tu ne réussis pas à réciter les versets du Coran, on te frappe.[83]

Plusieurs talibés ont expliqué avoir subi une forme de correction appelée « prendre par quatre » : au moins deux grands talibés tiennent l’enfant par les jambes tandis que d’autres le frappent.[84] Un ancien talibé âgé d’environ 15 ou 16 ans a ainsi décrit les abus qu’il avait subis pendant des années dans un daara de Touba, avant de finir par s’échapper en 2017 :

Au début, il y avait à peu près cinquante talibés au daara, mais avant mon départ il y en avait beaucoup moins parce que beaucoup ont fugué… Si on sortait mendier, le marabout nous demandait 500 CFA [0,90 dollar US], du riz, du café et du sucre. Si nous revenions au daara sans emmener ce qu’on nous avait demandé, le marabout lui-même ou les grands talibés nous battaient. Ils prenaient la cravache pour nous taper, et ils nous prenaient par quatre – deux nous tenaient les bras et d’autres nous retenaient les jambes pendant qu’on nous battait. J’ai été blessé plusieurs fois – j’ai des cicatrices de ces passages à tabac… Pendant les leçons, si on retenait mal, ils [le marabout ou les grands talibés] nous tapaient méchamment… c’est pour ça que certains talibés se sont enfuis, ils ne supportaient pas les passages à tabac.
… Ils avaient aussi pour habitude de nous forcer à nous agenouiller face au mur, sur des cailloux et des morceaux de briques, ce qui nous blessait aux genoux. À force de le faire souvent, j’ai eu des cicatrices… Parfois on se levait après le départ du marabout, mais s’il revenait, on reprenait vite place pour qu’il ne nous remarque pas.[85]

Un talibé de 13 ans qui s’était échappé de son daara à Touba, interrogé dans un centre d’accueil pour enfants à Dakar, a déclaré :

Si le grand marabout n’était pas là, les grands talibés nous maltraitaient… ils nous forçaient à aller mendier tous les jours. Si on ne rassemblait pas le versement journalier de 500 CFA [0,90 dollar US], ils nous prenaient par quatre et nous frappaient dans le dos. La semaine, on donnait l’argent aux aînés du daara, qui calculaient le total et le remettaient au marabout le samedi. Je ne sais pas ce qu’il faisait de cet argent.[86]

Un coordonnateur social qui travaille dans le centre d’accueil pour enfants d’une ONG à Dakar a confié à Human Rights Watch :

Il y a un daara qui se trouve à Keur Massar [une commune de Dakar] – nous avons reçu beaucoup de jeunes qui viennent de ce daara. …Les enfants mendient sept jours sur sept. Ils donnent 700 CFA [1,25 dollar US] par talibé chaque jour, et le vendredi c’est 1 000 CFA [1,80 dollar US]. Le marabout n’est jamais sur place dans le daara – il est tout le temps à Kolda. Il ne vient ici [à Dakar] que pour récupérer l’argent, avant de rentrer au village. Les enfants sont maltraités par les grands talibés – ceux-ci les bastonnent avec des courroies de véhicule. L’année dernière, nous avons reçu de nombreux enfants de ce daara, peut-être cinq ou six. Cette année, pour l’instant [en date de juin 2018], nous en avons reçu deux.[87]

Deux cas d’abus ont été décrits à Human Rights Watch par des travailleurs sociaux de l’AEMO dans les régions de Diourbel et Louga. À Mbacke, en janvier 2017, « deux talibés ont été maltraités sévèrement par le marabout… l’un [âgé de dix ans] a été envoyé au centre de santé pour se faire soigner parce qu’il avait été grièvement blessé lors d’un passage à tabac, et l’autre [âgé de 11 ans] avaient des menottes aux pieds – que la police a dû lui enlever », a affirmé un travailleur social de l’AEMO.[88]

À Louga, un travailleur social de l’AEMO a expliqué avoir aidé en novembre 2018 deux talibés âgés de 11 et 12 ans environ ; ils lui ont raconté qu’on les avait battus et séquestrés dans leur daara, dans la région de Louga. Le plus jeune des deux avait les jambes couvertes de cicatrices pouvant être le résultat des passages à tabac, a précisé le travailleur social.[89]

À Dakar, une agente de protection de l’enfance du Centre de premier accueil (CPA), établissement étatique, a déclaré qu’il était fréquent que les enfants talibés présents au centre aient subi des abus. [90] Elle a raconté deux cas remontant à 2017 :

En novembre ou décembre 2017, nous avons eu un cas de talibé, âgé de sept ou huit ans, à qui le maître avait demandé environ 500 CFA [0,90 dollar US]. Le talibé n’a pas pu rassembler cette somme et il a été bien bastonné, ce qui l’a poussé à s’enfuir…
Un autre enfant, âgé de 11 ans, de la région de Kolda, a été confié à son oncle, un maître coranique dont le daara se trouvait à Tivaouane [région de Thiès]… Il a été fouetté. Il s’est enfui du daara et est venu ici à Dakar au milieu de l’année 2017.[91]

Lors de la visite d’un daara à Saint-Louis par Human Rights Watch en juin 2018 en compagnie d’Issa Kouyaté, directeur du centre pour enfants MDLG, Kouyaté a déclaré avoir vu les grands talibés tenant des cravaches. Il a constaté que plusieurs des enfants plus jeunes étaient précédemment venus dans son centre avec des blessures et des marques indiquant des passages à tabac.[92]

Des enfants enchaînés, attachés ou séquestrés dans des daaras

Human Rights Watch a documenté 14 cas d’enfants talibés qui avaient été enchaînés, attachés ou séquestrés dans leur daara en 2017 et 2018. Les abus avaient souvent été commis pour punir le talibé d’avoir tenté de s’enfuir, certains enfants se retrouvant ainsi séquestrés pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois.

Quatre cas ont été décrits pas des talibés interrogés dans des centres d’accueil pour enfants à Dakar et Saint-Louis ; huit ont été relatés à Human Rights Watch par des membres du personnel de centres d’accueil pour enfants à Dakar, Saint-Louis et Diourbel ; et deux ont été signalés par la presse et confirmés par des entretiens menés par Human Rights Watch auprès d’un officier de justice et d’un travailleur social.

La majorité des cas – soit sept incidents – se seraient déroulés dans des daaras de la ville de Touba, dans la région de Diourbel ; quatre autres ont eu lieu dans la région de Saint-Louis, deux dans la région de Louga et un à Tambacounda. Human Rights Watch a documenté dans de précédents rapports des dizaines de cas similaires, dont les plus nombreux et les plus graves depuis 2016 se sont produits dans la région de Diourbel, suivie des régions de Saint-Louis et de Louga.[93]

Un talibé fugueur de 13 ans interrogé à Dakar, qui avait passé plusieurs années dans une école coranique de Touba, a expliqué avoir été enchaîné en 2017 et lors des années précédentes :

Si nous tentions de fuguer, le marabout nous enchaînait les jambes pour qu’on ne puisse plus bouger. Il a laissé quelques talibés comme ça pendant plusieurs mois. Pour moi, cela a duré environ trois semaines. J’ai réussi à enlever mes chaînes avec un fil de fer pour briser la serrure, et puis je me suis libéré et enfui… Je suis venu à Dakar, parce que si le marabout ou mes parents m’avaient vu à Touba, ils m’auraient renvoyé. Il valait donc mieux venir à Dakar.[94]

Un ancien talibé âgé d’environ 15 ou 16 ans qui s’était enfui de son daara à Touba a décrit les abus auxquels lui et d’autres enfants avaient été victimes pendant plusieurs années jusqu’en 2017, affirmant que les auteurs des faits étaient le marabout et les grands talibés :

Il y avait une chambre avec des grilles [aux fenêtres] – c’est là qu’on nous mettait pour la grande punition. Ils nous enchaînaient les jambes et nous laissaient là pendant une semaine. Il pouvait arriver qu’on vous laisse là jusqu’à l’arrivée de vos parents, ou jusqu’à ce que vous ayez suffisamment bien appris vos leçons. J’avais les pieds enflés à cause de ces chaînes. Si on vous enfermait et que vous n’aviez pas d’ami capable de vous apporter de la nourriture quand le marabout n’était pas là, vous risquiez de ne pas manger.[95]

Un talibé de 14 ans qui passait souvent l’après-midi dans un centre pour enfants à Saint-Louis a confié à Human Rights Watch que son marabout l’avait amené à Saint-Louis avec un groupe de talibés guinéens. Le marabout demandait aux talibés de lui apporter 250 francs CFA [0,40 dollar US] chaque jour, a expliqué l’enfant, et il les fouettait avec un fil de fer s’ils n’y parvenaient pas. Le garçon a montré à Human Rights Watch sa cicatrice au cou qui, a-t-il précisé, était le résultat de l’un de ces passages à tabac ; il a indiqué qu’il avait des marques dans le dos qui avaient déjà guéri, et d’ajouter : « Le marabout nous attache aussi les pieds avec une corde si on ne rapporte pas le versement, si on refuse de sortir mendier ou si on étudie mal. »[96]

Un talibé fugueur de sept ou huit ans interrogé par Human Rights Watch dans un autre centre d’accueil pour enfants à Saint-Louis a indiqué un quota de mendicité journalier de 500 francs CFA (0,90 dollar US). Originaire de Dakar, l’enfant avait été amené dans un daara du département de Dagana dans la région de Saint-Louis. « Si je n’apportais pas l’argent, ils me battaient avec un fil courant. Cela m’a blessé au bras », a-t-il confié en montrant à Human Rights Watch une large cicatrice. L’enfant a ajouté que le marabout attachait également les enfants avec une corde, en fixant leurs jambes à un poteau, s’ils ne rapportaient pas le versement requis.[97]

Sept cas de talibés attachés, enchaînés ou séquestrés ont été signalés par des membres du personnel de centres d’accueil pour enfants à Dakar, Saint-Louis et Diourbel. Le coordonnateur social du centre d’une ONG à Dakar a décrit trois de ces cas. Faisant référence à un enfant arrivé au centre en 2016 et de nouveau en 2017, il a expliqué :

Il y avait un garçon de 15 ans, présentement retourné en famille, qui avait été enchaîné avec des fers dans son daara à Touba. Il est venu ici [au centre] pour la première fois en 2016, quand il s’était enfui du daara à cause de la maltraitance. …Nous l’avons ramené dans sa famille en 2016, mais… ils l’ont reconduit dans le même daara. Comme il était un habitué des fugues, pour éviter qu’il fasse la même chose, on l’a enchaîné. …Lorsqu’on l’a libéré, il s’est enfui encore et il est revenu à Dakar.[98]

Il a décrit un autre cas similaire impliquant un talibé de 13 ans arrivé au centre en décembre 2017 après avoir fui son daara à Touba. « [L’enfant] aurait fait plusieurs fugues, et à chaque fois son père l’a ramené au daara », a déclaré le coordonnateur social du centre. « Il a été maltraité et enchaîné au pied à plusieurs reprises dans ce daara, et il était obligé de faire la mendicité. »[99]

Concernant le troisième cas, le coordonnateur social a raconté l’histoire d’un enfant talibé arrivé au centre en 2017 :

Il y avait un jeune Gambien de 16 ans – il a été placé dans un daara de Koki, à Louga [région du Sénégal], depuis 2010. Il avait peu de contacts avec sa famille. Il avait fugué de ce daara à cause de la maltraitance et est rentré en Gambie, mais son père l’a renvoyé dans le même daara. Lorsqu’il est revenu dans le daara, ils l’ont mis dans une chambre d’isolement, où il est resté enfermé pendant plusieurs mois. Il subissait des bastonnades s’il ne parvenait pas à apprendre les versets du Coran.[100]

À Saint-Louis, Issa Kouyaté a décrit à Human Rights Watch le cas d’un talibé fugueur dont il estimait qu’il avait entre 9 et 11 ans. L’enfant, que Kouyaté avait trouvé début juin 2018, a déclaré avoir été attaché dans le daara. Comptant mener enquête, Kouyaté a raccompagné l’enfant au daara, où la peur de l’enfant était manifeste. « En entrant dans le daara, j’ai vu des types louches qui surveillaient les enfants… Ils m’ont demandé de laisser l’enfant, mais le marabout responsable n’était pas là », a expliqué Kouyaté. « Le talibé s’agrippait tellement fort à moi, il tremblait tellement que je me suis dit : ‘Non, je ne vais pas laisser cet enfant ici’. »[101]

Dans un autre centre pour enfants de Saint-Louis, un membre du personnel a déclaré à Human Rights Watch qu’ils avaient accueilli un talibé de 17 ans en septembre 2017 après qu’il avait quitté son daara à Touba, où il avait été enchaîné suite à plusieurs tentatives de fugue.[102]

À Diourbel, une éducatrice spécialisée d’un centre étatique d’accueil pour enfants a déclaré qu’en 2017, le centre avait reçu trois talibés de 11 à 13 ans, qui disaient avoir fui leur daara à Koki, région de Louga ; l’un d’eux affirmait y avoir été enchaîné.[103]

À Dakar, une agente de protection de l’enfance du Centre de premier accueil (CPA) a déclaré à Human Rights Watch qu’un talibé d’environ 11 ou 12 ans qui s’était enfui de son daara à Touba mi-2018 avait été battu et enchaîné pour avoir fait plusieurs tentatives de fugue : « Il est arrivé à Pikine [quartier de Dakar] depuis un daara de Touba, mais il portait encore ses chaînes. Au commissariat de Pikine, ils ont dû lui couper ces chaînes, c’est là qu’ils nous ont appelés. »[104] Elle a également décrit un autre cas similaire : un talibé de 12 ans qui s’était enfui de son daara à Touba et était arrivé au centre début 2017 avait « des blessures un peu graves » à cause de ses passages à tabac et avait déclaré avoir été forcé de mendier et enchaîné dans son daara.[105]

Cet enfant talibé de huit ans a fugué de son daara à Saint-Louis, au Sénégal, en août 2017, les chaînes encore attachées à ses pieds. Photo originale prise en août 2017. Publiée avec l’autorisation du Tribunal de Grande Instance de Saint-Louis, Sénégal.

Un officier de justice a décrit un cas qui s’est produit à Saint-Louis en août 2017 : un marabout a été arrêté pour avoir enchaîné un talibé de 8 ans. La police a renvoyé l’affaire devant le Tribunal de Grande Instance de Saint-Louis. L’officier de justice a ainsi déclaré à Human Rights Watch : « L’enfant avait réussi à s’enfuir, les chaînes encore attachées à ses pieds… Le maître coranique a été poursuivi en justice, mais le tribunal l’a relâché. On a trouvé des chaînes dans l’école coranique, mais il a dit que c’était un de ses hommes de main qui le faisait… mais j’estime que si les chaînes sont là, c’est lui, en tant que responsable, qui les a apportées là-bas pour enchaîner les enfants. » Au moment de la rédaction de ce rapport, le procureur avait fait appel de la décision.[106]

Un autre cas signalé dans la presse locale et traité par un travailleur social de l’AEMO s’est déroulé en juin 2018 à Tambacounda, où un maître coranique a été arrêté et poursuivi en justice pour avoir emprisonné un talibé de 11 ans dans une pièce pendant plusieurs mois. Dan Boubou Cissokho, coordinateur de l’AEMO à Tambacounda, qui était chargé du dossier, a déclaré :

Le talibé n’arrêtait pas de s’enfuir, alors le marabout l’a enfermé pour le punir. Il a été obligé de rester dans une pièce pendant plusieurs mois… Je ne sais pas exactement combien de mois, mais il y a duré longtemps. Quand j’ai vu l’enfant, il était très, très faible. Peut-être même qu’il faisait de l’anémie – le marabout l’avait privé de nourriture. [L’enfant] présentait également des blessures dues à des châtiments corporels. J’ai moi-même vu ses blessures dans le dos – l’enfant a passé une semaine avec moi. Je ne sais pas exactement avec quoi le marabout le battait – peut-être un fil de courant.[107]

D’après un document provenant du parquet du Tribunal de Grande Instance de Tambacounda, « le prévenu admettait avoir, de manière épisodique, soumis son talibé à un enfermement dans un compartiment de son domicile ; mais, il alléguait un mobile éducatif en expliquant que c’était pour parer aux fugues de l’enfant ». Le maître coranique a fini par être reconnu coupable de « violences et voies de fait sur enfant de moins de 15 ans, commis avec préméditation et dont l’auteur a autorité sur ladite victime », mais condamné à seulement deux ans de prison assortis de sursis.[108]

Bien que des maîtres coraniques aient été arrêtés pour avoir enchaîné ou emprisonné des talibés au cours des dernières années, ce type de pratiques abusives persiste, comme le démontrent les cas exposés ci-dessus. Les preuves fournies par les enfants soulignent également l’existence dans de nombreuses régions du pays de daaras extrêmement abusifs où sont commises de nombreuses atteintes graves – qu’il s’agisse de forcer les talibés à mendier, de leur administrer un passage à tabac, de les attacher ou de les séquestrer.

Viols et abus sexuels

Human Rights Watch a documenté en tout 15 cas de viols, abus sexuels ou tentatives d’abus sexuels qu’auraient commis dix maîtres coraniques ou leurs assistants en 2017 et 2018, à l’encontre d’au moins dix garçons et cinq filles qui étudiaient tous le Coran. Six des auteurs de ces actes seraient des maîtres coraniques, impliqués dans des attaques contre neuf enfants, tandis que quatre seraient des assistants de maîtres coraniques (des « grands talibés ») impliqués dans des attaques contre six enfants.

Cinq de ces cas ont eu lieu en 2018 dans les régions de Thiès, Kaolack et Fatick ; huit en 2017 dans les régions de Saint-Louis, Dakar et Diourbel ; et deux en 2018, à une date indéterminée, dans la région de Diourbel. Cinq cas – commis début 2017 – ont déjà été documentés dans un rapport de Human Rights Watch publié en juillet 2017.[109] Sur les dix autres cas, deux ont été documentés dans un entretien avec un témoin talibé, deux ont été signalés par un officier de justice, un par les directeurs d’un centre d’accueil pour enfants, un est extrait d’un document juridique officiel et quatre ont été relatés dans la presse locale et confirmés par des officiers de justice ou des travailleurs sociaux du gouvernement.

Les 15 cas documentés par Human Rights Watch ne représentent pas une liste exhaustive. Les travailleurs spécialistes de la protection de l’enfance estiment qu’il y a certainement d’autres cas qui ne sont pas signalés par les victimes et leurs familles en raison de la stigmatisation associée aux abus sexuels ainsi que de la forte influence sociétale des chefs religieux.[110] En outre, certains officiers de justice et autres agents judiciaires régionaux n’ont pas répondu aux demandes de renseignements que leur ont adressées Human Rights Watch ou la Direction sénégalaise des Droits humains ; un procureur a indiqué avoir traité plusieurs dossiers de cas sexuels ou de viols commis par « une personne chargée de l’éducation de la victime », notamment des maîtres coraniques ou des grands talibés, sans pour autant fournir d’éléments de preuve ou d’informations spécifiques.[111]

Cas impliquant des garçons talibés

En juin 2018, un talibé fugueur d’environ 15 ou 16 ans a déclaré à Human Rights Watch avoir vu au moins deux garçons talibés dans son daara de Touba, région de Diourbel, se faire agresser sexuellement par des grands talibés. Il a précisé que cela s’était produit plus d’une fois mais n’a pas pu fournir de plus amples détails et semblait traumatisé par ce souvenir. « Parfois les plus grands talibés essayaient de ‘faire l’amour’ avec les plus petits », a-t-il déclaré. « Cela ne m’est pas arrivé, mais il y avait des talibés qui étaient forcés de le faire. S’ils refusaient, les grands talibés les tapaient. Les victimes avaient environ 11 ans. »[112]

Un autre cas d’abus sexuels a été signalé à Human Rights Watch par la directrice d’un centre d’accueil pour enfants à Dakar. « En mai ou juin 2017, nous avons accueilli un jeune d’environ 18 ans qui avait été victime d’abus sexuels commis par un grand talibé dans son daara du Fouta, quand il était jeune, quand il avait environ 13 ou 14 ans », a confié la directrice. « Dès son arrivée dans notre centre, on nous avait prévenus qu’il avait lui-même tenté de commettre ces actes sur d’autres enfants, alors nous l’avons suivi de près. Il a tenté d’agresser sexuellement un enfant [de 10 ou 11 ans] dans le centre à l’heure de la toilette matinale, mais grâce à la vigilance d’un collègue – qui l’avait suivi dans les toilettes et est intervenu – il ne s’est rien passé. »[113]

D’après un officier de justice de Diourbel et des rapports publiés dans la presse, un maître coranique du quartier Médinatoul de Diourbel a été reconnu responsable en décembre 2017 et condamné à dix années de prison pour avoir violé deux garçons âgés de 15 ans et de moins de 13 ans qui fréquentaient son daara. [114]

Cas impliquant des filles talibés

En mars 2018, dans la ville de Karang, département de Foundiougne, dans la région de Fatick, un maître coranique a été reconnu coupable et condamné à dix ans de prison pour avoir violé l’une de ses élèves, une fille de 13 ans.[115]

Lors d’un autre cas qui s’est également produit en mars 2018, dans le département de Nioro, région de Kaolack, un grand talibé qui avait presque 18 ans aurait violé trois filles âgées de 7 à 12 ans qui fréquentaient son école coranique. Ce grand talibé a été arrêté et une information judiciaire ouverte, mais un officier de justice à Kaolack a déclaré qu’il avait « bénéficié d’une liberté provisoire après six mois de détention comme le prévoit la loi si l’instruction n’est pas bouclée dans ce délai ».[116] Au moment de la rédaction de ce rapport, l’affaire n’avait pas été jugée.

En novembre 2018, les médias locaux ont signalé qu’un marabout de Mbour, région de Thiès, avait été arrêté pour avoir abusé sexuellement de l’un de ses talibés, une fille de sept ans, au mois d’octobre.[117] Une travailleuse sociale du gouvernement à Mbour a confirmé ce cas et signalé que le marabout était lui-même passé aux aveux.[118] Il a été acquitté en janvier 2019 « au bénéfice du doute ».[119]

Agressions sexuelles de talibés dans la rue

Human Rights Watch a également pris connaissance de deux incidents lors desquels des talibés se sont fait agresser sexuellement par des inconnus dans la rue. Les deux enfants seraient restés dans la rue jusqu’à une heure tardive de peur de regagner leur daara aux pratiques abusives.[120]

En novembre 2018, la presse locale a signalé qu’un marchand ambulant de Mbour aurait violé un talibé de 7 ans un soir très tard ou au petit matin.[121] Une travailleuse sociale du gouvernement à Mbour, qui a été informée de l’incident peu après qu’il s’était produit, a commenté :

Je ne sais pas s’il mendiait, mais j’ai entendu dire que cela s’était passé un soir très tard, on est donc en droit de se demander ce que faisait un enfant dans la rue à cette heure-là. Soit il avait peur de rentrer au daara parce qu’il n’avait pas rassemblé l’argent qu’il devait rapporter, soit il y était maltraité et avait fugué. …Nous rencontrons tout le temps ce genre d’incidents dans notre structure [des services sociaux].[122]

Bien que le marchand ambulant ait été poursuivi en justice, il n’y aurait eu aucune enquête sur le maître coranique afin de savoir pourquoi son talibé se trouvait encore dans la rue à une heure si tardive.[123]

Le 9 février 2019, lors d’une ronde de nuit visant à trouver des enfants dans les rues de Saint-Louis, un journaliste de Reuters et Issa Kouyaté, directeur de la MDLG, ont assisté au viol d’un garçon talibé de 8 ans dans un coin de la gare routière de Saint-Louis et réussi à intervenir pour y mettre fin.[124] Kouyaté a déclaré à Human Rights Watch que l’auteur de cet acte était un adolescent qui travaillait à la gare routière. Il a ainsi décrit la scène :

Nous sommes arrivés juste à temps. L’enfant [talibé] était par terre, retenu par le gars, qui avait enlevé son pantalon. Nous l’avons interrompu en plein acte – il n’avait pas pu pénétrer l’enfant. …L’enfant s’est levé, la tête couverte de saletés – il avait le pantalon baissé et était dans un état de choc total… Il n’arrivait pas à parler, il était terrifié.
…Plus tard, j’ai fait l’enquête avec le petit garçon. Il m’a dit qu’il dormait dehors. Il avait fugué de son daara [à Léona, Saint-Louis] parce qu’il n’avait pas l’argent pour donner le versement au marabout. Il avait peur qu’on le tape. J’ai vu qu’il avait des traces de cravache sur le dos – évidemment ils le battaient déjà.[125]

Kouyaté a expliqué qu’il avait signalé l’incident à la police, laquelle avait fait part de la situation aux services sociaux de l’AEMO. Il a cependant déclaré que le marabout de l’enfant ne s’était pas montré coopératif et avait refusé de donner les coordonnées des parents de l’enfant pour que l’on puisse renvoyer le garçon chez lui, au motif que cela lui « donnerait d’autres problèmes ».[126]

Négligence et mise en danger

Que cela soit dû à une pauvreté extrême ou à une négligence, de nombreux maîtres coraniques n’assument pas leur devoir de veiller à la santé et à la sécurité des enfants dont ils ont la charge. Les effets conjugués de la négligence et de la mise en danger revêtent différentes formes et, comme nous l’avons vu ci-dessus, ont entraîné la mort d’au moins 13 enfants talibés au cours des deux dernières années. Depuis le début 2018 jusqu’au début de 2019, lors de visites dans quatre régions – Dakar, Diourbel, Louga et Saint-Louis – Human Rights Watch a documenté des dizaines de cas de négligence et d’exposition à des risques visant des enfants qui vivent dans un daara traditionnel.

Des daaras sordides et dangereux

Un grand nombre des écoles coraniques traditionnelles les plus pauvres du pays continuent d’opérer dans des bâtiments délabrés et sordides dans des conditions insalubres ou dangereuses. Dans un grand nombre des daaras les plus pauvres ou dans le pire état de délabrement, plusieurs facteurs font courir aux enfants des risques sanitaires graves : absence de moustiquaires pour protéger les enfants des maladies ; manque de savon pour la toilette, d’eau courante ou de toilettes en bon état de fonctionnement ; eau stagnante ; latrines sales, endommagées ou inexistantes ; sol jonché d’ordures ou d’eaux usées à l’intérieur et à l’extérieur des daaras, qui grouillaient de mouches ; et des enfants entassés dans des pièces bondées la nuit. Les daaras qui occupent des structures en ruines ou mal construites posent également des risques sécuritaires et d’incendie.

De juin 2018 à janvier 2019, Human Rights Watch s’est rendu dans 22 écoles coraniques des villes de Dakar, Diourbel, Saint-Louis, Touba, Louga et Koki, dont 15 daaras traditionnels pratiquant la mendicité. Plusieurs de ces daaras hébergeaient des dizaines voire des centaines de talibés dans une misère abjecte, souvent dans des bâtiments inachevés ou à l’abandon, sans murs, sans sols ou sans fenêtres. Dans un grand nombre de daaras, certains talibés dormaient régulièrement dehors, s’exposant ainsi aux éléments et aux moustiques, vecteurs du paludisme. « Je ne saurais vous dire combien d’enfants dorment dans chaque chambre… Ils sont tellement nombreux qu’ici c’est complètement saturé… Parfois il faut qu’ils dorment dehors », a déclaré un maître coranique de Diourbel.[127] La plupart des maîtres coraniques interrogés ont constaté que le paludisme

était un problème récurrent parmi les enfants, notamment pendant la saison des pluies, mais aussi à d’autres moments.[128]

Un daara particulièrement sordide visité à Touba en janvier 2019 hébergeait plus d’une centaine de talibés très jeunes – un grand nombre d’entre eux avaient entre cinq et dix ans – dans un grand bâtiment inachevé sans sols ; les enfants dormaient sur des bâches ou des draps à même le sable, puisqu’il n’y avait pas assez de nattes, ou bien sur le toit-terrasse, s’exposant aux piqûres de moustiques. Le sol était recouvert de détritus. Le maître coranique, qui ignorait le nombre exact de talibés présents à son daara, a affirmé à Human Rights Watch que la plupart venaient de son village, dans la région de Kaolack. Il a expliqué qu’ayant lui-même été talibé à Touba, il était retourné dans son village pour y trouver des talibés à ramener à Touba. Aucun des parents ne contribuait au daara, dont les ressources financières provenaient exclusivement de la mendicité des enfants. Ces jeunes talibés – crasseux et pieds nus, vêtus de haillons et d’habits déchirés – devaient mendier leurs trois repas quotidiens, ainsi que de l’argent pour subvenir aux « besoins du daara ».

Lorsqu’ils rapportaient du riz non cuit, le maître leur disait qu’il l’avait vendu. Certains étaient sans nouvelles de leurs parents depuis trois ans, a-t-il commenté.[129]

Human Rights Watch s’est rendu en juin 2018 dans un daara de Saint-Louis qui hébergeait plus d’une centaine de talibés, mais le maître coranique n’a pas pu fournir un décompte exact. Il a expliqué que les talibés mendiaient tous leurs repas, ainsi que pour de l’argent.

Les mouches s’agitaient autour des enfants tandis qu’ils étudiaient assis sur des nattes usées, sur lesquelles ils passaient également la nuit. « Nous n’avons pas assez de nattes, et il n’y a pas assez de place sur les nattes, alors certains enfants doivent dormir entassés les uns sur les autres », a-t-il commenté.[130] Ce daara, qui occupait plusieurs vieux bâtiments en ruines devant bientôt être démolis, ne disposait pas de toilettes en état de

fonctionnement et, d’après les informations disponibles, était inondé à chaque saison des pluies. Human Rights Watch a constaté à l’intérieur de ce daara la présence de trois enfants talibés malades qui se reposaient, dont un avait une infection aux pieds ; aucun de ces enfants n’avait encore reçu de soins médicaux, d’après le maître coranique.[131]

Un autre daara de Saint-Louis, qui hébergeait une cinquantaine de talibés âgés de sept à 25 ans, se trouvait dans un marécage rempli d’ordures et d’eaux sales. « Je déplore cette zone marécageuse pleine d’ordures, pleine de maladies, avec nos murs qui s’effritent » a déclaré le maître coranique à Human Rights Watch. Il a signalé que les enfants tombaient souvent malades à cause du paludisme, de pneumonies ou d’autres maladies. « Il leur arrive de tousser toute la nuit », a-t-il précisé. [132] Pourtant, les talibés n’étaient pas tous de la région – certains venaient des régions de Kaolack, Mbour et Dakar, et d’autres de

Gambie – ce qui suggère que le maître coranique ou ses assistants continuaient de chercher à enrôler des enfants dans ce daara malgré les conditions déplorables qui y régnaient. Le maître coranique a expliqué que les talibés mendiaient leurs trois repas et quémandaient également de l’argent, du riz et du sucre pour le daara.[133]

Dans le cas d’un daara visité à Dakar, Human Rights Watch a constaté que le grand marabout responsable ne vivait pas lui-même sur place, résidant ailleurs à Dakar avec sa famille et confiant la garde de ses 55 talibés à un jeune maître majeur.[134] Les enfants, dont certains n’avaient que cinq ans, étaient sales et vêtus de haillons, et la plupart allaient pieds nus. Certains avaient des plaies aux pieds. Ils étudiaient tous les jours à même le sable sous un pavillon de fortune doté d’un léger toit en tôle, le sol jonché d’ordures et l’air grouillant de mouches. Le jeune maître coranique a expliqué à Human Rights Watch que les enfants mendiaient chaque jour tous leurs repas, et quémandaient également de l’argent, du riz et du sucre.[135]

À Louga, l’un des daaras que Human Rights Watch a pu visiter en janvier 2019 n’était guère plus qu’un groupe de paillottes de fortune à même le sable, des détritus éparpillés par terre. Il n’y avait pas de source d’eau, pas de latrines, pas d’électricité ni de moustiquaires. Les 40 talibés avaient été amenés à la ville de Louga depuis des villages des régions de Louga et de Thiès. Sans aucun soutien des parents, le marabout a affirmé que les enfants aidaient le daara en mendiant.[136]

Manque de nourriture et de soins médicaux

Un grand nombre des talibés interrogés par Human Rights Watch de 2018 au début de 2019, décrivant leur expérience au fil des ans, ont déclaré n’avoir reçu aucune nourriture dans leur daara et avoir dû mendier tous leurs repas.[137] Un talibé de 13 ans qui avait fugué de son daara à Touba a ainsi expliqué à Human Rights Watch : « Nous devions mendier la nourriture, et c’est le plus âgé d’entre nous qui mangeait en premier ce que nous avions rassemblé. S’il restait quelque chose, nous pouvions manger. S’il ne restait rien, nous devions de nouveau sortir mendier de la nourriture. »[138]

Treize maîtres coraniques interrogés se sont dit incapables de fournir des repas suffisants (voire même le moindre repas) à leurs talibés ; dans certains cas, des « marraines » de la communauté (ndeye daaras) leur donnaient à manger, mais la plupart du temps, il leur fallait quand même mendier.[139]

Human Rights Watch a également rencontré de nombreux talibés malades qui mendiaient dans les rues de Dakar – sous-alimentés ou souffrant d’infections cutanées ou d’autres maladies – et qui ont affirmé que leur marabout ne donnait pas de médicaments ou qu’il ne veillait pas à ce que les enfants se fassent soigner dans un centre médical.[140]

À Dakar, un talibé de 10 ans qui mendiait dans le quartier Hann Mariste en juin 2018 semblait gravement malade. La sueur perlait sur son front lorsqu’il s’est mis à parler d’une voix rauque, demandant de l’argent, les yeux mi-clos. On pouvait voir sur son corps des plaies ensanglantées. L’enfant a dit à Human Rights Watch qu’il lui fallait trouver 600 francs CFA (1 dollar US) par jour, faute de quoi le marabout le punissait. Concernant sa maladie, il a expliqué que le maître lui avait donné une espèce de médicament mais qu’il ne l’avait pas emmené chez un médecin.[141]

À Saint-Louis, en juin 2018, Human Rights Watch s’est entretenu avec un jeune talibé visiblement en très mauvaise santé physique, souffrant de gale partout sur son corps. L’enfant avait du mal à communiquer et semblait apathique.[142]

Certains maîtres coraniques ont affirmé à Human Rights Watch que les enfants recevaient des soins médicaux.[143] Un marabout a ainsi expliqué qu’il avait créé une « caisse » avec l’argent mendié par les enfants pour couvrir les frais médicaux.[144] D’autres ont reconnu ne pas avoir les moyens d’acheter des médicaments ou de payer les frais de santé.[145]

Dans de nombreux cas, les marabouts vivent loin du daara, confiant la garde des enfants à un grand talibé (souvent âgé de 16 à 22 ans) qui n’a pas reçu de formation ou n’a pas l’aptitude nécessaire pour s’assurer que des soins médicaux appropriés soient dispensés – comme cela a été le cas à Saint-Louis en novembre 2018 (voir ci-dessus) lorsque deux talibés sont morts d’une crise de paludisme qui n’avait pas été traitée à temps.

Talibés victimes d’abus et fugueurs dans les centres d’accueil pour enfants

Des membres du personnel de refuges et de centres d’accueil pour enfants aussi bien étatiques que non gouvernementaux de diverses villes ont déclaré à Human Rights Watch que les talibés représentaient une part élevée des enfants qu’ils accueillaient chaque année, notamment en 2017 et 2018. Ces centres aident généralement les enfants séparés, exposés à des risques, victimes d’abus ou en conflit avec la loi. La plupart des talibés qu’ils ont aidés étaient des fugueurs qui, d’après eux, fuyaient une situation caractérisée par une mendicité forcée, des abus ou des conditions de vie difficiles.[146]

De juin 2018 à janvier 2019, Human Rights Watch s’est rendu dans 13 centres d’accueil pour enfants – sept à Dakar, quatre à Saint-Louis, un à Diourbel et un à Louga. Deux étaient des centres de jour et 11 des centres fournissant un hébergement pour des séjours de plus ou moins longue durée. À une exception près, tous ces centres accueillaient des enfants talibés au moment de la visite.

À Dakar, en 2017, l’Empire des Enfants a accueilli 254 enfants, dont 174 talibés ; en 2018, ce centre a aidé 139 enfants, dont 84 talibés qui étaient « victimes d'exploitation par la mendicité forcée ».[147] En 2018, le centre Yakaaru Guneyi a accueilli 338 enfants, dont 162 talibés, parmi lesquels 139 auraient été « en fugue suite à des violences subies dans les daaras ».[148] Le Samu Social Sénégal, une organisation humanitaire qui offre un abri et une assistance médicale, sociale et psychologique « aux enfants en danger, qui sont des enfants des rues », a signalé que plus de la moitié des enfants pris en charge en 2017 (423 sur 811) sont des talibés ou anciens talibés, les chiffres pour 2018 étant similaires (832 enfants pris en charge, dont 417 talibés ou anciens talibés).[149] Le Centre Ginddi avait accueilli 35 enfants dont 21 talibés au moment de la visite de Human Rights Watch en janvier 2019.[150]

À Diourbel, une éducatrice spécialisée d’un centre étatique d’accueil pour enfants a expliqué les raisons pour lesquelles les talibés se retrouvaient au centre :

Nous constatons que ce sont les conditions de vie que les enfants talibés ne peuvent pas supporter, ainsi que la rupture totale avec leur famille. …La plupart du temps, ils sont traumatisés, non seulement par le marabout, mais aussi par les jeunes maîtres – ils subissent de nombreux abus. …Parfois d’anciens talibés se trouvent dans des petites délinquances pour éviter de retourner au daara.[151]

Le Centre de Premier Accueil (CPA) de Saint-Louis affichait la proportion de talibés la plus élevée, à savoir 13 des 15 garçons présents au moment de la visite de Human Rights Watch en juin 2018. Un agent de protection de l’enfance du centre a déclaré qu’un grand nombre d’entre eux avaient connu des abus ou une mendicité forcée. Il a ainsi expliqué :

Le constat est que près de 90 pour cent des garçons accueillis dans ce centre sont des talibés en fugue de leur daara. C’est une particularité de Saint-Louis qui enregistre beaucoup de daaras. …De nombreux enfants interrogés parlent d’un versement journalier de 150 francs CFA [0,30 dollar US] pour les petits et 300 francs [0,50 dollar US] pour les plus âgés. …Cette situation pousse certains enfants talibés à exercer des activités afin de rassembler la somme demandée par le maître. Ainsi, ils sont présents dans le secteur de la pêche, au marché, dans les maisons pour faire de petits travaux… Par contre d’autres enfants talibés vont jusqu’à commettre des délits [p. ex. des vols] qui les conduisent à la Police ou à la Gendarmerie, avant d’être référés au CPA. La mendicité forcée est un danger pour les enfants talibés, qui au lieu de recevoir un bon enseignement coranique risquent de dévier vers la délinquance. … Il y a certains daaras où les enfants n'apprennent même pas le Coran – ils sont 24 heures dans la rue.[152]
 

IV. Traite des personnes et dangers liés à la migration des talibés

Les recherches de Human Rights Watch suggèrent qu’en 2017 et 2018, des centaines d’enfants talibés ont été victimes de traite des personnes, qui comprend aux yeux du droit sénégalais le fait d’héberger des enfants dans un daara et de les exploiter pour obtenir de l’argent en les forçant à mendier, ainsi que le recrutement ou le transport d’enfants à cette fin.[153]

« Les études coraniques sont souvent la couverture – il y a pas mal d’enfants talibés qui sont victimes de traite », a déclaré Modou Diop, responsable du Centre de jour d’Enda Jeunesse Action à Dakar. « Les parents confient leur enfant à un marabout, qui emmène les enfants dans un autre pays, les installe dans un bâtiment, et les envoie mendier. Parfois des années passent, et les enfants n’ont aucune nouvelle de leurs parents. »[154]

Depuis 2010, Human Rights Watch a documenté la manière dont chaque année des dizaines de maîtres coraniques et des centaines d’enfants talibés migrent vers les grandes villes du Sénégal depuis d’autres villages et régions, ainsi que des pays limitrophes – dans la plupart des cas la Guinée-Bissau, la Guinée ou la Gambie, et parfois le Mali.[155] Les enfants parcourent souvent de longues distances pour venir fréquenter ces daaras urbains ; ils sont amenés par un membre de leur famille, envoyés seuls, ou encore acheminés en groupe avec d’autres enfants par un maître coranique ou ses assistants, dont un grand nombre se rendent régulièrement dans les villages et les zones rurales pour recruter des talibés.[156]

Ce type de « recrutement » consiste pour les maîtres coraniques ou leurs assistants à aborder des parents ou d’autres membres d’une famille, souvent en zone rurale, en leur proposant ou en leur ordonnant de confier au marabout un ou plusieurs enfants pour qu’il

leur enseigne le Coran.[157] Certains marabouts interrogés par Human Rights Watch ont évoqué plusieurs raisons pour lesquelles ils emmènent les enfants talibés en ville depuis des zones rurales : parce qu’ils ont eux-mêmes été amenés à la ville depuis leur village quand ils étaient enfants pour devenir talibés ; parce qu’ils considèrent que la ville est un centre dédié à l’éducation et à l’érudition religieuses ; et pour des raisons économiques.[158] Le fait de recruter des enfants talibés pour leur faire fréquenter un daara à des fins d’enseignement religieux n’est pas en soi un crime – mais cela devient un crime punissable en vertu du droit sénégalais si les enfants sont recrutés dans un daara à des fins d’« exploitation de la mendicité ».[159]

L’ONG Enda Jeunesse Action est habilitée par l’État sénégalais à coordonner le retour, la réunification et la réintégration des enfants séparés de leur famille dans d’autres pays, par le biais du Réseau Afrique de l’Ouest pour la protection des enfants (RAO) – un réseau transnational de gouvernements et d’organisations de la société civile reconnu comme étant « le mécanisme de référence pour la protection des enfants en situation de mobilité en Afrique de l’Ouest » par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).[160] L’antenne sénégalaise d’Enda Jeunesse Action a signalé à Human Rights Watch que les talibés représentaient un pourcentage extrêmement élevé des enfants dont elle assurait le retour chaque année. En 2017, Enda a retourné 124 enfants retrouvés dans différentes régions du Sénégal dans leur pays d’origine, notamment en Guinée, en Guinée-Bissau, en Gambie, en Mauritanie, au Mali et au Nigeria. Parmi eux, 118 étaient des talibés.[161] En 2018, 110 des 128 enfants dont Enda a assuré le retour étaient des talibés, dont 83 sont retournés en Guinée-Bissau, 17 en Gambie, six au Mali, trois au Libéria et un au Niger.[162]

Le Sénégal et d’autres pays de la CEDEAO ont pris des mesures au cours des dernières années pour résoudre les problèmes liés à la vulnérabilité des enfants en situation de mobilité en Afrique de l’Ouest, notamment en instaurant le Réseau Afrique de l’Ouest pour la protection des enfants (RAO), afin de coordonner le retour des enfants séparés, et en adoptant des standards de protection des enfants concernés par la mobilité (2016), un cadre stratégique sur la protection des enfants (2017), et « la Politique de l’enfant de la CEDEAO et son Plan d’action stratégique » (2019-2023).[163] Le Sénégal s’est aussi engagé à financer sur la période 2018-2020 un plan d’action national pour lutter contre la traite des personnes, et il augmente depuis quelques années le financement attribué à sa Cellule nationale de lutte contre la traite des personnes.[164] Il s’agit là de mesures toutes aussi importantes les unes que les autres. Cependant, comme le montrent les recherches effectuées par Human Rights Watch et la PPDH, les nombreux problèmes complexes et interdépendants liés au mouvement des enfants talibés – traite des personnes à l’intérieur des frontières sénégalaises et au-delà, abandons de ces enfants par leurs parents ou leur marabout, fugueurs qui finissent par vivre dans la rue, voire risque de recrutement des enfants par les groupes armés islamistes opérant dans la région – restent omniprésents.

Risques et dangers pour les enfants talibés en situation de migration

Au moins 18 des écoles coraniques visitées par Human Rights Watch en 2018 et 2019 (dans les villes de Dakar, Diourbel, Touba, Louga et Saint-Louis) regroupaient des enfants originaires de plusieurs régions du Sénégal au moment de la visite. En tout, les enfants présents dans ces écoles venaient d’au moins neuf régions (Dakar, Diourbel, Saint-Louis, Thiès, Kaffrine, Kaolack, Kolda, Fatick et Tambacounda) et d’au moins quatre autres pays (Gambie, Guinée, Guinée-Bissau et Mali). Au moins quatre des maîtres coraniques interrogés dans ces daaras n’ont pas pu indiquer le nombre précis de talibés dont ils avaient la charge, ni même celui des enfants originaires d’un pays autre que le Sénégal. À Saint-Louis, un maître a ainsi déclaré : « C’est un peu difficile de dire un chiffre »,[165] tandis qu’un autre a précisé : « Leur nombre change constamment à mesure qu’ils vont et qu’ils viennent. »[166]

À Diourbel, la situation est similaire. « Il y a de plus en plus de daaras qui s’installent ici, un grand nombre de talibés venant d’en dehors de Diourbel », a commenté Oumar Sy, coordinateur de l’ONG locale Ndeyi-Jirim. Il a ajouté que si les campagnes de sensibilisation menées par les ONG avaient contribué à une réduction de certaines « mauvaises pratiques » de mendicité forcée ou de châtiments corporels parmi les « daaras locaux », ces pratiques n’avaient d’après lui pas diminué dans les daaras nouvellement installés.[167]

À Kébémer, ville du nord du pays, dans la région de Louga, un groupe de cinq adultes – un maître coranique sénégalais, trois jeunes hommes guinéens et l’épouse de l’un des hommes – a été arrêté par la police en novembre 2017, soupçonné de traite de personnes et de trafic d’enfants alors qu’il transportait un groupe de neuf garçons vers le Nord pour qu’ils y suivent un enseignement coranique, à en croire les dires du groupe d’adultes. Les garçons avaient entre 6 et 17 ans et se composaient de sept Guinéens, d’un Sénégalais et d’un Libérien.[168] Les médias locaux ont signalé que les adultes « n’étaient pas en mesure de fournir des réponses claires et précises par rapport à certaines interpellations » de la police. Ils « en savaient peu sur l’identité des enfants », n’avaient pas assez d’argent pouvant leur permettre de se loger et ont donné des réponses contradictoires quant à leur destination : « Les uns disaient qu’ils se rendaient en Mauritanie et les autres soutenaient qu’ils faisaient mouvement vers le Fouta [une région du nord du Sénégal]. »[169] Les adultes ont été arrêtés et le dossier a été renvoyé devant le bureau du procureur général de Louga, tandis que les services de l’AEMO Louga prenaient les enfants en charge.[170]

Un document provenant de la police de Kébémer, que Human Rights Watch a pu consulter, contenait la transcription d’un entretien avec le garçon originaire du Libéria. Âgé de 16 ans, celui-ci a expliqué qu’en 2016, on l’avait envoyé du Libéria pour apprendre le Coran avec son oncle en Guinée, lequel avait alors demandé à son père la permission de l’envoyer étudier auprès d’un maître coranique au Sénégal. Le garçon a raconté :

Nous avons embarqué dans un véhicule à partir de Labé [Guinée] pour se rendre au Sénégal. Arrivés au niveau de Sambaydo [Guinée], nous avons subi un contrôle au niveau [du] poste [de frontière]... moi et trois autres garçons [avons] été transférés par les policiers au service de Coundara [Guinée] parce que nous ne dispos[i]ons pas de papiers d’identité. Arrivé au service de police de Coundara à bord du véhicule en compagnie du [maître coranique], ce dernier a négocié avec les policiers pour qu’ils nous laissent passer. Après les négociations les policiers nous ont laissé[s] retourner à Samboydo pour rejoindre les autres qui nous attendaient sur place. Nous avons embarqué à nouveau [à] destination du Sénégal. Nous avons passé les frontières sans difficulté. [171]

Cette capacité des maîtres coraniques, ou des soi-disant maîtres coraniques, à traverser la frontière sénégalaise en compagnie d’un groupe d’enfants sans papiers d’identité ni autorisations parentales – acte pouvant effectivement constituer une traite de personnes si l’objectif est d’instaurer un daara pratiquant l’exploitation de la mendicité – est un problème qui perdure depuis de nombreuses années et contribue à ce que des centaines d’enfants talibés franchissent régulièrement les frontières du Sénégal. Dans ce cas, il est aussi extrêmement problématique que des « négociations » avec la police des frontières guinéenne aient permis au groupe de repartir ensemble, alors même que certains des enfants n’avaient pas de papiers d’identité.

Le fait qu’ici le groupe ait été arrêté par la police à Kébémer et détenu pendant une semaine, le temps qu’une enquête soit menée, est encourageant et révèle la vigilance accrue suscitée par le trafic d’enfants au Sénégal. Les enfants n’ont pas été rendus aux trafiquants présumés mais placés dans des centres ou d’autres infrastructures en attendant que leur retour dans leur famille puisse s’effectuer.

Cependant, les adultes ont fini par être libérés sans être inculpés, ce qui signifie que le soi-disant maître coranique pourrait retenter ce même voyage avec d’autres enfants.[172] « Ils ont dit que l’objectif était d’établir un daara dans le Nord… mais de notre niveau, il n’était pas normal d’amener ces talibés d’un endroit à un autre », a déclaré un travailleur social de l’AEMO à Louga impliqué dans l’affaire. « Quoi qu’il en soit, le daara ne serait probablement pas dans de bonnes conditions. » Interrogé sur la fréquence à laquelle le bureau de l’AEMO à Louga traitait de cas de trafic et d’exploitation d’enfants talibés, il a répondu : « Du matin au soir, nous sommes en train de lutter contre cette pratique-là. »[173]

Non seulement certains soi-disant maîtres coraniques maltraitent et exploitent les enfants dont ils ont la charge pour se faire de l’argent, mais il arrive parfois que les enfants soient emmenés d’une ville à une autre sans que leurs parents en soient informés, comme l’indiquent les déclarations de parents dont les enfants ont été récupérés lors de la seconde phase du programme gouvernemental de « retrait des enfants de la rue » à Dakar.[174] Un responsable du programme dans l’ancien ministère de la Bonne gouvernance et de la Protection de l’enfance, (nom du ministère durant cette période), impliqué dans le programme en 2018, a déclaré à Human Rights Watch :

On a constaté que… [certains] parents, quand tu leur dis ‘où es ton enfant ?’, ils te disent ‘il est à Touba, je l’ai donné à un marabout à Kaolack, à Diourbel’…. Ils ne savent même pas que leurs enfants sont à Dakar. Et ça justifie que la traite est en train d’être faite.[175]

Certains enfants talibés ont pour ainsi dire été abandonnés par des maîtres coraniques qui n’ont pas pris en charge leur transport. Fin 2017, par exemple, un maître coranique a abandonné à leur sort quelque 17 enfants talibés âgés de 12 à 15 ans à Saint-Louis après avoir décidé d’installer son daara dans une autre ville. Issa Kouyaté, qui a accueilli les enfants dans le centre de la Maison de la Gare, a décrit ce qui s’était passé :

Le marabout est parti s’installer à Mbour, parce que le propriétaire de la maison où il vivait [à Saint-Louis] lui avait dit : « Je veux récupérer ma maison et tu dois partir »… Alors le marabout a pris sa famille et les plus jeunes des talibés du daara, et il a laissé les autres talibés ici, tout seuls, en leur disant qu’ils devraient trouver leur propre argent pour se rendre à Mbour ! Ils sont tous arrivés ensemble un jour, ici à la Maison de la Gare, en groupe de 17 ou 18 jeunes, parce qu’il leur fallait de l’argent pour aller à Mbour. Ils ne savaient pas où aller, et ils n’avaient plus d’endroit où dormir. Ce marabout – chaque fois qu’il avait un problème, il m’appelait, mais maintenant que c’était moi qui l’appelais, il n’a même pas décroché son téléphone.[176]

En outre, des centaines d’enfants talibés qui fuguent chaque année de leur daara au Sénégal finissent par vivre dans la rue ou par migrer vers une autre ville ou une autre région, ce qui contribue au flux permanent d’enfants non accompagnés à travers le Sénégal.[177]

Différents facteurs entrant en jeu – séparation de la famille, exposition limitée à une éducation autre que l’enseignement coranique et style de vie migratoire – de nombreux enfants talibés risquent également de se faire recruter ou exploiter par les groupes armés islamistes qui opèrent en Afrique de l’Ouest et au Sahel, notamment au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Des cas de talibés recrutés par des groupes armés au Mali, pays voisin, ont été documentés par l’ONU et signalés par d’autres experts de la protection de l’enfance dans le centre du Mali.[178]

Rôle des parents et de la famille

De nombreux parents, notamment dans les zones rurales et les villages reculés, n’ont pas conscience de la mendicité forcée, des abus ou des conditions de vie terribles auxquels est soumis l’enfant qu’ils ont confié à un maître coranique, et certains ignorent également où se trouve leur enfant lorsqu’un maître coranique déplace son daara vers un nouveau quartier ou une nouvelle ville.

Cependant, les parents jouent aussi un rôle en perpétuant ces pratiques. Que ce soit à cause de la pauvreté ou pour d’autres raisons, de nombreux parents envoient leurs enfants dans un daara sans fournir aucun appui pour couvrir les frais de leurs enfants, et sans vérifier que les enfants y sont bien traités. Dans de nombreux cas, les talibés perdent contact avec leurs parents pendant plusieurs années ; certains se retrouvent pour ainsi dire abandonnés. Si certains marabouts conservent les coordonnées des parents de

l’enfant et facilitent les communications entre eux, d’autres ne font aucun effort à cet égard.[179]

Dans un centre étatique d’accueil des enfants à Diourbel qui accepte parfois des talibés fugueurs, une éducatrice spécialisée a déclaré à Human Rights Watch : « Certaines familles envoient des talibés dans un daara pour s’en débarrasser… Après les y avoir envoyés, ils n’appellent plus. »[180]

Samba Diouf, un maître coranique de Diourbel, a confié : « Certains enfants restent jusqu’à ce qu’ils aient mémorisé le Coran et n’ont jamais de nouvelles de leurs parents, pendant peut-être cinq à sept années… souvent ceux du Fouta [nord du Sénégal]. »[181]

À Dakar, trois enfants talibés originaires de Guinée-Bissau retirés de la rue lors d’une opération de lutte contre le trafic d’enfants menée en novembre 2017 par la police sénégalaise et Interpol, qui ont ensuite été placés au centre Yakaaru Guneyi, ont expliqué aux travailleurs sociaux qu’ils étaient sans nouvelles de leurs parents depuis plusieurs années. D’après la transcription des entretiens de ces enfants, un talibé de 12 ans a affirmé être sans nouvelles de ses parents depuis 2014. Un autre, également âgé de 12 ans, aurait déclaré avoir quitté la Guinée-Bissau environ deux ans plus tôt : « Je n’ai pas de nouvelles de mes parents depuis très longtemps. En effet, ils ne m’appellent pas et ils ne viennent pas me rendre visite. » Le troisième, âgé de 13 ans, a expliqué : « Je suis venu au daara [en] 2016. Mes parents sont décédés, c’est mon oncle qui m’a envoyé au daara, et je n’ai plus ses nouvelles depuis que je suis au Sénégal. »[182]

Plusieurs talibés, actuels ou anciens, que Human Rights Watch a interrogés en 2018 et 2019 ont affirmé être en contact avec leurs parents, s’être plaints auprès d’eux de devoir mendier et leur avoir dit qu’ils voulaient rentrer chez eux, mais leurs parents n’ont rien fait.[183]

Plusieurs experts de la protection de l’enfance et de la traite des personnes au Sénégal ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils avaient connaissance de certains cas où des parents auraient reçu de l’argent du maître coranique pour lui avoir confié un enfant.[184] « Avec des maîtres coraniques, il y a une certaine complicité des parents », a commenté Souleymane Diagne, assistant du projet de lutte contre l’exploitation et la mendicité forcé des enfants talibés dans la commune de Médina, Dakar.[185]

Dans d’autres cas, lorsque des talibés forcés de mendier ou victimes d’abus physiques ont été ramenés à leurs parents par des travailleurs sociaux – soit après une fugue, soit après avoir été retirés de la rue (notamment dans le cadre du programme gouvernemental de « retrait des enfants de la rue » à Dakar) ou d’un daara suite à un incident de maltraitance – les parents ont ensuite ramené l’enfant dans le même daara, et le cycle a repris. Plusieurs talibés interrogés par Human Rights Watch dans des centres d’accueil pour enfants ont signalé avoir fugué du daara à plusieurs reprises après que leurs familles les y avaient ramenés.[186]

À Saint-Louis, un officier du Tribunal pour Enfants a déclaré à Human Rights Watch qu’elle avait ordonné le retour chez leurs parents de plusieurs enfants talibés qui avaient fugué de leur daara en 2018. « Je fais mon possible pour ne pas renvoyer les enfants au daara – le problème est que les parents les y remettent », a-t-elle précisé, notant que ceux qui avaient été ramenés dans leurs familles en Guinée et en Guinée-Bissau « reviennent souvent ici [à Saint-Louis] par la suite ».[187]

En 2018 et 2019, plusieurs travailleurs sociaux de l’AEMO et membres du personnel de centres d’accueil pour enfants – dont Ginddi et l’Empire des Enfants – ont expliqué que certains talibés qu’ils avaient précédemment aidés et ramenés chez leurs parents avaient fini par revenir dans la rue, et dans certains cas par être ramenés dans le même centre d’accueil pour enfants une seconde fois.[188] D’après Alassane Diagne, coordinateur du centre d’accueil l’Empire des Enfants, cette situation est exacerbée par « l’influence que les marabouts peuvent avoir sur les parents », les maîtres coraniques réussissant à convaincre certains parents de leur rendre l’enfant. « Nous l’avons rencontré dans certaines familles, où des marabouts ont plus d’autorité sur les enfants que les parents », a précisé Diagne.[189]

Dans un cas qui s’est produit en janvier 2017 à Mbacke, signalé à Human Rights Watch par un travailleur social de l’AEMO dans la région de Diourbel, un enfant de dix ans victime des « châtiments violents de la part du marabout » a fugué et a été aidé par l’AEMO. « Devant le procureur, le père a dit : ‘Même si vous me rendez mon enfant, je le renverrai chez le marabout, qu’il le batte ou pas’ », a expliqué le travailleur social. Dans ce cas, d’après AEMO, le père et le maître coranique ont tous les deux passé cinq jours en prison.[190]

Une agente de protection de l’enfance du Centre de premier accueil (CPA) de Dakar a signalé que fin 2017, après le retour dans sa famille d’un talibé que le centre avait aidé, alors qu’il disait avoir été contraint de mendier un quota de 500 francs CFA (0,90 dollar US) et violemment battu, « ses parents n’ont pas respecté leur parole [et] ils l’ont replacé dans le daara [à Dakar] ». Quant à un autre talibé fugueur qui avait également déclaré au milieu de l’année 2017 avoir été battu au daara : « Il nous a donné un faux nom parce qu’il ne voulait pas que ses parents le trouvent et le ramènent [au daara] », a déclaré l’agente.[191]

L’État devrait placer l’intérêt supérieur de l’enfant au centre de toutes ses initiatives de protection de l’enfance. Il faudrait pour cela enquêter sur les parents et les autres personnes et éventuellement les poursuivre en justice en cas de négligence ou de mise en danger de l’enfant, ou de complicité dans l’exploitation en vertu de la loi régissant la traite des personnes promulguée en 2005, lorsqu’il y va de l’intérêt de l’enfant de procéder ainsi, y compris quand les parents envoient ou renvoient sciemment leur enfant dans un daara où ils subissent des abus ou sont exploités, ou quand ils ont reçu de l’argent pour confier leur enfant à un daara pratiquant la mendicité forcée, le parent ayant connaissance de cette pratique.

Lorsqu’il n’est pas dans l’intérêt de l’enfant talibé de le reconduire dans sa famille, notamment quand les parents ont renvoyé l’enfant à plusieurs reprises dans un ou plusieurs daaras dont les maîtres sont responsables d’exploitation ou d’autres abus, les services de protection de l’enfance devraient s’assurer que l’enfant soit pris en charge par des membres de sa famille ou par un tuteur désigné, conformément au Cadre de protection de l’enfance promulgué par la CEDEAO en 2017.[192]

Recommandations

Human Rights Watch et la PPDH proposent les recommandations suivantes pour veiller à ce que les enfants talibés soient protégés des abus, de l’exploitation et des actes de négligence, que leurs droits soient pleinement respectés et que les auteurs des atteintes aux droits humains dont les enfants talibés sont victimes soient tenus de rendre compte de leurs actes.

Au gouvernement sénégalais

  • Veiller à faire appliquer les dispositions relatives à la lutte contre la traite des personnes en vertu de la loi n° 2005-06 – qui criminalise le recrutement, le transport, le transfert ou l’hébergement de personnes aux fins d’exploitation – notamment en menant des enquêtes et en exigeant des comptes, conformément aux normes internationales d’équité, aux maîtres coraniques et à toute autre personne forçant des enfants à mendier ou les transportant d’un lieu à un autre sans autorisation parentale légitime.
  • Veiller à faire appliquer les dispositions pertinentes du Code pénal pour tous les cas impliquant des enfants talibés, notamment :
    • les articles 298-299, qui criminalisent les abus physiques ou la négligence volontaire des enfants ;
    • les articles 319, 319(bis) et 320(bis), qui criminalisent les actes d’attentat à la pudeur, la pédophilie et le harcèlement sexuel à l’encontre d’enfants ;
    • l’article 334, qui interdit les emprisonnements et les séquestrations illégaux ; et
    • l’article 307(bis), qui criminalise la mise en danger d’autrui par une exposition à un risque de mort ou de blessure.
  • Il devrait notamment s’agir d’enquêter et d’exiger des comptes, conformément aux normes internationales d’équité, aux maîtres coraniques ou à toute personne soumettant des enfants talibés à des abus physiques ou sexuels, les privant de nourriture, ne veillant pas à ce que des soins médicaux leur soient prodigués, ou les exposant sciemment à des risques sanitaires ou sécuritaires dans le daara, dans la rue ou en tout autre lieu.
  • Veiller à ce que les parents qui envoient ou renvoient volontairement un enfant dans un daara caractérisé par l'exploitation ou d’autres abus fassent l’objet de sanctions pénales lorsqu’il y va de l’intérêt de l’enfant, et à ce que l’enfant ne soit pas renvoyé de force dans sa famille s’il n’y va pas de l’intérêt de l’enfant ; dans de tels cas, l’enfant devrait être confié à d’autres membres de sa famille ou à un tuteur désigné.
  • Étendre les services de protection de l’enfance à toutes les régions du Sénégal et accroître le financement, les ressources et les effectifs des refuges et des centres d’accueil pour enfants, des services de l’AEMO et des Comités départementaux de protection de l’enfant.
  • Mettre une aide juridique à la disposition de tous les enfants séparés tels que les talibés victimes d’abus ou d’exploitation, que ce soit en augmentant le financement et les effectifs des services de l’AEMO et d’autres agences gouvernementales à cette fin, ou en instaurant des services d’aide juridique dans chaque région administrative.
  • Mettre en œuvre le plan d’action national 2018-2020 pour lutter contre la traite des personnes, notamment en attribuant un financement adéquat à la Cellule nationale de lutte contre la traite des personnes.
  • Instaurer un cadre juridique afin de réglementer les daaras conformément aux normes de santé, de sécurité et de protection de l’enfant, et charger des inspecteurs de la mise en œuvre de ce cadre.

À l’Assemblée nationale

  • Adopter de toute urgence le projet de loi portant statut du daara, afin de doter les daaras d’un cadre structurel et institutionnel.
  • Examiner dans de brefs délais et adopter le projet de Code de l’enfant.

Au ministère de la Justice

  • Demander à tous les juges et procureurs de veiller à l’application totale des lois en vigueur, sans atténuation arbitraire des peines, à l’encontre des maîtres coraniques accusés d’exploitation, d’abus, de négligence ou de mise en danger visant des enfants talibés, ainsi qu’à l’encontre des parents qui renvoient sciemment des enfants talibés dans des daaras caractérisés par des abus, par l’exploitation et par des conditions dangereuses.
  • Lorsqu’un maître coranique est reconnu coupable de l’un quelconque des abus susmentionnés, demander aux juges d’inclure dans leur jugement un ordre visant à retirer tous les enfants talibés du daara impliqué, en s’assurant qu’un dispositif soit en place auprès des services de protection de l’enfance pour garantir le retour sécurisé des enfants chez leurs parents.
  • Demander à tous les procureurs généraux de prendre des mesures afin d’enquêter sur les cas d’enfants talibés tués dans des accidents de la route afin de déterminer si la victime se trouvait dans la rue à cause de la mendicité forcée qui lui était imposée, ou par peur de rentrer dans un daara violent, afin de poursuivre aussi en justice les maîtres coraniques responsables, au lieu de se concentrer uniquement sur le conducteur du véhicule impliqué dans l’accident.
  • Demander aux procureurs généraux d’enquêter et de poursuivre en justice les maîtres coraniques chargés de daaras lorsqu’au moins un enfant talibé a été tué ou blessé après avoir été pris au piège dans l’incendie d’un daara dont le maître coranique était absent.
  • Envisager d’accroître les ressources accordées aux services régionaux de l’AEMO, aux refuges et aux centres d’accueil pour enfants et à la Cellule nationale de lutte contre la traite des personnes.

Au ministère de l’Intérieur

  • Demander explicitement à tous les officiers de police de procéder à des enquêtes sur les cas susceptibles de constituer une « exploitation de la mendicité » (telle qu’interdite par la loi 2005 de lutte contre la traite des personnes) d’enfants talibés par des maîtres coraniques, dans le but de renvoyer ces dossiers devant le procureur. Ces enquêtes devraient inclure des visites obligatoires des écoles coraniques en question.
  • Appliquer une politique stricte, sans avertissement ni possibilité de négociation, à l’encontre des maîtres coraniques dont il s’avère qu’ils ont forcé des talibés à mendier jusqu’à l’obtention d’un certain quota d’argent, ou commis d’autres abus ; veiller à ce que l’ensemble des effectifs de police ait connaissance de cette politique et l’applique sans exceptions, et que tous les dossiers de cet ordre soient renvoyés devant le procureur général.
  • Ordonner à tous les officiers de police de l’ensemble des régions qui sont impliqués dans les dossiers de protection de l’enfant, lorsqu’un enfant est renvoyé auprès des services sociaux de l’AEMO ou placé dans un refuge ou un centre d’accueil, d’effectuer un suivi actif auprès des travailleurs sociaux et d’enquêter sur tout cas susceptible de relever d’une mendicité forcée ou d’un abus, y compris les cas impliquant des maîtres coraniques.
  • Ordonner à tous les agents administratifs locaux, tels que les préfets et les maires, d’organiser des inspections dans les daaras opérant dans leur zone administrative afin de s’assurer que soit fermé tout daara qui ne remplirait pas les normes adéquates de santé et de sécurité ou qui exploiterait les enfants en les forçant à mendier.
  • Ordonner à tous les agents frontaliers de s’assurer que chaque individu, y compris les maîtres coraniques, qui tente d’entrer sur le territoire sénégalais en compagnie d’un enfant ou d’un groupe d’enfants soit en mesure de présenter une autorisation parentale et un papier d’identité en règle pour chaque enfant ; et veiller à ce que tous les agents frontaliers soient formés à la mise en œuvre de la loi n° 2005-06 relative à la traite des personnes.
  • Envisager d’accroître les ressources accordées à la Brigade spéciale des mineurs de la Police nationale à Dakar, ainsi qu’à la formation et à l’instauration d’officiers de police spécialisés dans la protection de l’enfance dans tous les commissariats de police régionaux.

Au ministère de la Santé et de l’Action sociale

  • Ordonner aux Services de l’hygiène régionaux et locaux d’effectuer des inspections régulières dans les daaras de leur zone administrative, dans le but de signaler aux autorités locales tout daara qui ne remplirait pas des normes satisfaisantes de santé et de sécurité et de prononcer une injonction de fermeture si cela s’avérait nécessaire.

À tous les refuges et centres d’accueil pour enfants étatiques et privés

  • Veiller à ce que tous les cas d’abus physiques ou de mendicité forcée dénoncés par les enfants talibés aux travailleurs sociaux soient documentés et signalés à la police, au bureau du procureur, et/ou aux services de l’AEMO de la localité sénégalaise où l’abus ou l’exploitation en question a eu lieu.

Aux partenaires internationaux

  • Accroître le financement et le soutien accordés aux organisations à même de fournir une aide juridique aux enfants séparés et vulnérables tels que les talibés victimes d’abus ou d’exploitation.
  • Accroître le financement et le soutien accordés aux actuels centres d’accueil pour enfants qui fournissent un hébergement d’urgence et des services aux enfants fugueurs ou victimes d’abus ; envisager d’élaborer ou de soutenir des projets visant à construire ou financer des centres d’accueil d’urgence pour enfants qui font cruellement défaut dans certaines régions, notamment à Diourbel et Louga.
  • Envisager d’ajouter dans les accords de coopération avec le gouvernement sénégalais des clauses et des exigences relatives à la protection de l’enfance, notamment des clauses visant à lutter contre la mendicité forcée, l’exploitation, la traite des personnes ou d’autres abus commis à l’encontre d’enfants par les personnes chargées de leur éducation, y compris les enseignants des écoles publiques et les maîtres coraniques.
 

Remerciements

Ce rapport a été préparé et rédigé par Lauren Seibert, chercheuse adjointe sur l’Afrique de l’Ouest auprès de la division Afrique à Human Rights Watch.

Des membres de la Plateforme pour la promotion et la protection des droits humains (PPDH), une coalition sénégalaise d’organisations de défense des droits humains, ont aidé Human Rights Watch à organiser des visites de daaras et à faciliter des entretiens avec des maîtres coraniques et des représentants des autorités locales.

Le rapport a été révisé par Corinne Dufka, directrice adjointe auprès de la division Afrique. Elin Martinez, chercheuse auprès de la division des Droits de l’Enfant ; Clive Baldwin, conseiller juridique senior ; et Babatunde Olugboji, Directeur adjoint des programmes, en ont respectivement révisé les aspects thématiques, juridiques et programmatiques. L’aide à la production a été assurée par Fitzroy Hepkins, Directeur administratif. La traduction en français a été réalisée par Catherine Dauvergne-Newman et révisée par Lauren Seibert et Peter Huvos, responsable du site web en français de Human Rights Watch.

Human Rights Watch est particulièrement reconnaissant à tous les enfants talibés, anciens et actuels, qui ont courageusement accepté d’être interrogés pour ce rapport. Human Rights Watch remercie également toutes les personnes et organisations qui ont contribué à cette enquête, notamment : Issa Kouyaté et les membres du personnel de la Maison de la Gare ; Abdou Fodé Sow de Yakaaru Guneyi ; Isabelle de Guillebon, Isabelle Diouf, Antoine Gomis et les autres personnes qui travaillent au Samu Social Sénégal ; Alassane Diagne, Anta Mbow et les autres personnes qui travaillent à l’Empire des Enfants ; Oumar Sy et les autres personnes qui travaillent à l’ONG Ndeyi-Jirim ; Magatte Mbaye, consultante en droits humains ; et les représentants des Comités départementaux de protection de l’enfant à travers le Sénégal. Human Rights Watch est particulièrement sensible à l’ouverture dont ont su faire preuve les dirigeants et enseignants religieux de Saint-Louis, Dakar, Diourbel, Touba, Louga et Koki. Abdourahmane Kane, Issa Kouyaté, Yahya Sidibe de SOS Talibés, Mamadou Ndiaye de la PPDH, Abdou Sylla de l’Association RIEPP, et Moctar Sow du Centre Inclusif de Formation, qui ont rendu possible l’organisation de réunions et de visites dans les écoles coraniques, méritent de recevoir nos chaleureux remerciements.

Human Rights Watch souhaite également exprimer sa reconnaissance à l’égard de l’esprit d’ouverture et de la coopération du gouvernement sénégalais pendant toute la durée de cette enquête, et plus particulièrement du soutien apporté par les responsables de l’ancien ministère de la Bonne gouvernance et de la Protection de l’enfance ; du Centre Ginddi ; de la Brigade spéciale des mineurs de la Police nationale ; de la Cellule nationale de lutte contre la traite des personnes ; du ministère de la Justice, notamment la direction des Droits humains et la direction de l'Éducation surveillée et de la Protection sociale, y compris ses services de l’AEMO et ses centres d’accueil pour enfants ; de la direction générale de l’Action sociale du ministère de la Santé et de l’Action sociale ; et de l’Inspection des daaras du ministère de l’Éducation nationale.

 

Terminologie

Élèves étudiant le Coran

Talibé

« Disciple » ou étudiant du Coran. Les talibés peuvent être des adultes ou des enfants de tous âges, mais au Sénégal, la grande majorité d’entre eux sont des garçons âgés de 5 à 15 ans, notamment ceux qui vivent dans les daaras internats. Certains enfants talibés vivent avec des membres de leur famille et fréquentent l’école coranique pendant la journée. La plupart des filles talibés sont des externes qui ne vivent pas dans l’école coranique.

Grand talibé

Un talibé plus âgé, ayant généralement 17 ans ou plus, qui sert souvent d’assistant au maître coranique. Parfois appelé « jeune marabout ».

Écoles coraniques

Daara

Les termes « daara » et « école coranique » sont utilisés indifféremment pour désigner l’école musulmane traditionnelle dans laquelle les enfants talibés étudient et parfois vivent. Un grand nombre d’entre eux sont hébergés chez le maître coranique ou dans un bâtiment inachevé ou à l’abandon ; certains maîtres opèrent depuis des bâtiments plus récents dotés de salles de classe. Selon l’infrastructure et la réputation du marabout, les daaras peuvent accueillir de moins d’une dizaine à plusieurs centaines voire plusieurs milliers de talibés. La plupart des daaras ne sont toujours pas réglementés.

Beaucoup de militants de la société civile et nombre d’autorités religieuses du Sénégal qualifient régulièrement les daaras qui exploitent ou maltraitent les talibés d’« écoles soi-disant coraniques » ou d’« écoles coraniques autoproclamées », afin de les distinguer des milliers de daaras où les enfants ne mendient pas et sont bien soignés par un maître coranique voué à leur éducation religieuse. Mais comme ces endroits se présentent comme des « écoles coraniques » – et que les enfants y passent un certain temps à étudier le Coran, même si le temps qu’ils y consacrent est bien inférieur à celui passé à mendier – ces termes restent la terminologie la plus appropriée pour ce rapport.

Daara internat

Une pension coranique, qui héberge souvent des talibés venus d’autres régions ou pays. Beaucoup de ces internats pratiquent la mendicité des enfants.

Daara externat

École coranique « de jour », que fréquentent les enfants de la communauté locale. Ces daaras ne pratiquent généralement pas la mendicité des enfants.

Daara mixte

École coranique qui accepte aussi bien des étudiants externes (pendant la journée) qu’internes (pensionnaires). Certains pratiquent la mendicité.

Daara moderne

École coranique conforme aux normes de santé et de sécurité établies par le gouvernement, qui ne pratique pas la mendicité des enfants et qui intègre souvent des matières supplémentaires au programme (français, mathématiques, sciences, etc.).

Maîtres coraniques

Marabout

Les termes « marabout » et « maître coranique » sont utilisés indifféremment dans ce rapport pour refléter le langage courant employé au Sénégal, même s’il convient de noter que certains maîtres coraniques ne se considèrent pas comme des marabouts (le marabout faisant traditionnellement référence à un chef, un enseignant ou un saint musulman).

Bénévoles communautaires

Ndeye daara

Femme bénévole communautaire qui soutient un daara en donnant de la nourriture ou d’autres formes d’assistance à plusieurs enfants talibés.

Programme gouvernemental

Retrait /

Retrait de la rue

Forme abrégée du programme lancé en 2016 par le gouvernement sénégalais, connu officiellement sous le nom de « retrait des enfants de la rue ».

 

Sigles

AEMO

Agence de l’Action éducative en milieu ouvert – agence de services sociaux, de protection des enfants et d’aide juridique relevant du ministère de la Justice, sous la tutelle de la Direction de l'Éducation surveillée et de la Protection sociale (DESPS) ; les services de l’AEMO sont mis en place auprès de chaque tribunal régional ou départemental.

CDPE

Comité départemental de protection de l’enfant

CEDEAO

Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest 

CPA

Centre de premier accueil – centre d’accueil pour enfants géré par l’État prévu pour des situations d’urgence et de courte durée.

PPDH

Plateforme pour la promotion et la protection des Droits humains – une coalition sénégalaise d’organisations de défense des droits humains et de protection de l’enfant.

RAO

Réseau Afrique de l’Ouest pour la protection de l’enfance – un réseau transnational de gouvernements et d’organisations non gouvernementales reconnu par la CEDEAO comme étant le mécanisme de référence pour la protection des enfants en situation de mobilité en Afrique de l’Ouest.

       

 

 

 

[1] Pour de plus amples renseignements sur l’évolution de la pratique de mendicité des enfants parmi les daaras, voir Human Rights Watch, « Sur le dos des enfants » : Mendicité forcée et autres mauvais traitements à l’encontre des talibés au Sénégal, 15 avril 2010, https://www.hrw.org/report/2010/04/15/backs-children/forced-begging-and-other-abuses-against-talibes-senegal#, p. 14-23.

[2] Human Rights Watch, « Sur le dos des enfants » (2010), p. 2 ; « Je vois encore des talibés mendier » : Insuffisance du programme gouvernemental pour protéger les enfants talibés au Sénégal, 11 juillet 2017, https://www.hrw.org/fr/report/2010/04/15/sur-le-dos-des-enfants/mendicite-forcee-et-autres-mauvais-traitements-lencontre, p. 1.

[3] Cellule nationale de lutte contre la traite des personnes (CNLTP), « Cartographie des écoles coraniques de la région de Dakar », juin 2014, http://cnltp.org/rapport/cartographieaimprimerJuin%202014.pdf (consulté le 27 mars 2019).

[4] Global Solidarity Initiative (GSI), « Résultats de la cartographie géolocalisée des daaras de Dakar », 2018 (document dans les archives de Human Rights Watch) ; voir également Global Solidarity Initiative, « Atelier de partage des résultats de la cartographie géolocalisée des daaras de Touba et de la région de Dakar », 12 juin 2018, http://www.globalsinitiative.org/en/2018/06/12/atelier-de-partage-des-resultats-de-la-cartographie-geolocalisee-des-daaras-de-touba-et-de-la-region-de-dakar/ (consulté le 2 décembre 2018).

[5] GSI, « Résultats de la cartographie géolocalisée des daaras de Touba », 2018 (document dans les archives de Human Rights Watch) ; GSI, « Atelier de partage des résultats de la cartographie géolocalisée des daaras de Touba et de la région de Dakar ».

[6] Entretien de Human Rights Watch avec un agent du conseil municipal à Touba, Sénégal, 10 janvier 2019.

[7] Entretien de Human Rights Watch avec un expert du secteur de l’éducation, mairie de Touba, Touba, Sénégal, 8 janvier 2019.

[8] Maison de la Gare, « 14 779 enfants talibés mendiants à Saint-Louis », mars 2017, http://www.mdgsl.com/actualites/mar201714779.html (consulté le 1er décembre 2018).

[9] Manon Laplace, « Pourquoi le Sénégal veut encadrer les écoles coraniques », Jeune Afrique, 10 juin 2018, http://www.jeuneafrique.com/575577/societe/pourquoi-le-senegal-veut-encadrer-les-ecoles-coraniques/ (consulté le 20 novembre 2018).

[10] Voir Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfance (adoptée en 1989, entrée en vigueur en 1990) ; Organisation de l’unité africaine (OAU), Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (adoptée en 1990, entrée en vigueur en 1999) ; Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (2000) ; entre autres.

[11] République du Sénégal, « Code pénal », Loi n° 65-60 du 21 juillet 1965, article 298.

[12] Ibid, article 299.

[13] Le Comité des droits de l’enfant a recommandé aux États de fixer un âge minimal du consentement sexuel acceptable. Comité des droits de l’enfant, « Observation générale n° 20 (2016) sur la mise en œuvre des droits de l’enfant pendant l’adolescence », CRC/C/GC/20, 6 décembre 2016, paragr. 39 - 40.

[14] République du Sénégal, « Code pénal », Loi n° 99-05 du 29 janvier 1999 modifiant certaines dispositions du Code pénal, article 320. Human Rights Watch estime que les États devraient élargir la définition juridique du viol pour inclure « toute invasion physique de nature sexuelle sans consentement ou dans des circonstances coercitives ». Une « invasion physique » se produit lorsqu'il y a pénétration, même légère, de toute partie du corps de la victime (ou de l’agresseur par la victime) avec un organe sexuel, ou de l'ouverture anale ou génitale de la victime avec un objet quelconque ou toute autre partie du corps ».

[15] République du Sénégal, « Code pénal », Loi n° 99-05 du 29 janvier 1999, article 320.

[16] Ibid, article 319.

[17] Ibid, article 319 bis.

[18] Ibid., article 320 bis.

[19] République du Sénégal, « Code pénal », Loi n° 65-60 du 21 juillet 1965, article 321).

[20] Ibid, article 334.

[21] République du Sénégal, « Code pénal », Loi n° 2016-29 du 8 novembre 2016 modifiant la loi n° 65-60 du 21 juillet 1965 portant Code pénal, article 307 bis.

[22] Assemblée générale de l’ONU, Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (« Protocole de l’ONU relatif à la traite des personnes »), adopté le 15 novembre 2000, G.A. Rés. 55/25, annexe II, 55 U.N. GAOR Supp. (No. 49) at 60, Doc. ONU A/45/49 (Vol. I) (2001), entré en vigueur le 25 décembre 2003, articles 3(a) et 3(c) ; République du Sénégal, Loi n° 2005-06 du 10 Mai 2005 relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes, articles 1-4.

[23] Protocole de l’ONU sur la traite des personnes, articles 3(a) et 3(c).

[24] République du Sénégal, Loi n° 2005-06 du 10 Mai 2005 relative à la lutte contre la traite des personnes, article 1.

[25] Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC), « Human Trafficking », https://www.unodc.org/unodc/en/human-trafficking/what-is-human-trafficking.html (consulté le 5 janvier 2019).

[26] République du Sénégal, Loi n° 2005-06 du 10 Mai 2005 relative à la lutte contre la traite des personnes, article 3.

[27] Ibid, article 4.

[28] Ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance, « État des lieux des initiatives de lutte contre la mendicité des enfants talibés au Sénégal », mars 2017 (document dans les archives de Human Rights Watch).

[29] Human Rights Watch, « Je vois encore des talibés mendier » ; et Agence de presse sénégalaise, « Sénégal : Plus de 1 700 enfants retirés des rues de Dakar en deux ans (tutelle) », All Africa, 6 juillet 2018, https://fr.allafrica.com/stories/201807070066.html (consulté le 29 mars 2019) ; Abdoul Baba, « Deuxième phase de retrait des enfants de la rue à Dakar : 339 mômes retirés des rues en trois mois », La Vie Sénégalaise, 10 juillet 2018, https://www.laviesenegalaise.com/deuxieme-phase-de-retrait-des-enfants-de-la-rue-a-dakar-339-momes-retires-des-rues-en-trois-mois (consulté le 5 avril 2019).

[30] Human Rights Watch, « Je vois encore des talibés mendier ».

[31] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable du programme dans l’ancien ministère de la Bonne gouvernance et de la Protection de l’enfance, 21 juin 2018.

[32] Entretien de Human Rights Watch avec Alassane Diagne, coordinateur, centre d’accueil l’Empire des Enfants, Dakar, Sénégal, 18 juin 2018.

[33] Entretien de Human Rights Watch avec Danielle Huèges, directrice exécutive, Unies Vers’elle Sénégal, Dakar, Sénégal, 21 juin 2018.

[34] Entretiens de Human Rights Watch avec des enfants talibés, Dakar et Saint-Louis, Sénégal, juin 2018, décembre 2018 et janvier 2019.

[35] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de 8 ou 9 ans, Saint-Louis, Sénégal, 28 juin 2018.

[36] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé fugueur de 9 ans, Dakar, Sénégal, 21 juin 2018.

[37] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de 8 ans, Dakar, Sénégal, 19 juin 2018.

[38] Entretien de Human Rights Watch avec El Hadji Malick Diop et Modou Diop, respectivement animateur et responsable, Centre de jour d’Enda Jeunesse Action, Pikine, Dakar, 21 juin 2018.

[39] Entretien de Human Rights Watch avec un maître coranique à Diourbel, Sénégal, 24 juin 2018.

[40] Entretiens de Human Rights Watch avec des maîtres coraniques à Dakar, Saint-Louis, Diourbel et Touba, juin 2018 - janvier 2019.

[41] Voir Human Rights Watch, « Je vois encore des talibés mendier », 2017, p. 35-37.

[42] Entretien de Human Rights Watch avec un maître coranique à Dakar, Sénégal, 23 juin 2018.

[43] Entretien de Human Rights Watch avec un travailleur social de l’AEMO, région de Louga, Sénégal, 11 janvier 2019.

[44] En tout, Human Rights Watch a documenté 39 morts de talibés du fait d’abus, d’actes de négligence ou de mise en danger commis par des maîtres coraniques depuis 2013, dont neuf enfants tués lors de l’incendie d’un daara en 2013 à Dakar, sept morts entre 2014 et 2015, et 23 morts entre 2015 et 2018. Ce chiffre comprend les 16 cas documentés en 2017 et 2018.

[45] Ce cas a été documenté précédemment dans : Human Rights Watch, « Je vois encore des talibés mendier », p. 30.

[46] Correspondance électronique de Human Rights Watch avec Malick Sy, coordinateur de la région de Diourbel, RADDHO, 28 juin 2018 ; entretiens avec un officier de justice, Tribunal de Grande Instance de Diourbel, juin 2017. Voir « Je vois encore des talibés mendier », p. 30.

[47] Entretien de Human Rights Watch avec un officier de justice, Tribunal de Grande Instance de Diourbel, Sénégal, 25 juin 2018, et correspondance électronique, 29 juin 2018.

[48] Entretien de Human Rights Watch avec un officier de justice, Tribunal de Grande Instance de Saint-Louis, Sénégal, 28 juin 2018.

[49] Ibid.

[50] Cour d’appel de Saint-Louis, Parquet de Saint-Louis, « État Traite des Personnes », 2018 (dans les archives de Human Rights Watch).

[51] Entretien de Human Rights Watch avec un officier de justice, Tribunal de Grande Instance de Saint-Louis, Sénégal, 20 mars 2019. Voir également Aminata Diouf, « Mort d’un talibé à Saint-Louis : 2 ans de prison pour le marabout Cheikh T. Lô », Press Afrik, 21 février 2019, https://www.pressafrik.com/Mort-d-un-talibe-a-Saint-Louis-2-ans-de-prison-pour-le-marabout-Cheikh-T-Lo_a196464.html (consulté le 22 février 2019). 

[52] Entretiens de Human Rights Watch avec un officier de justice, Tribunal de Grande Instance de Saint-Louis, Sénégal, 20 mars 2019 et 5 juin 2019. 

[53] Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Baye Modou Diop, coordinateur des services de l’AEMO à Saint-Louis, Sénégal, 27 décembre 2018 ; entretien avec Issa Kouyaté, directeur du centre d’accueil pour enfants la Maison de la Gare à Saint-Louis, 11 décembre 2018 ; entretien avec un officier de justice, Tribunal de Grande Instance de Saint-Louis, Sénégal, 26 décembre 2018. Voir également « Mort de deux talibés à CITÉ NIAKH : Ce que révèlent les analyses », Senegal7, 23 novembre 2018, https://www.senegal7.com/mort-de-deux-talibes-a-cite-niakh-ce-que-revelent-les-analyses/ (consulté le 26 novembre 2018) ; « Drame – Décès de deux talibés : la thèse du paludisme avancée », MetroDakar, 22 novembre 2018, https://www.metrodakar.net/societe/drame-deces-de-deux-talibes-la-these-du-paludisme-avancee/ (consulté le 26 novembre 2018).

[54] Entretien de Human Rights Watch avec Issa Kouyaté, directeur du centre d’accueil pour enfants la Maison de la Gare à Saint-Louis, 11 décembre 2018.

[55] Ndar Buzz, « Décès de Deux Talibés à Cite Niakh DE SL », vidéo YouTube, 22 novembre 2018, https://www.youtube.com/watch?v=Ckg3nJo3Kqo (consultée le 11 décembre 2018).

[56] Entretiens de Human Rights Watch avec un officier de justice, Tribunal de Grande Instance de Saint-Louis, Sénégal, 20 mars 2019 et 5 juin 2019.

[57] Entretiens de Human Rights Watch avec Issa Kouyaté, directeur de la Maison de la Gare, Saint-Louis, Sénégal, 20 et 26 décembre 2018 ; entretien avec un médecin en cabinet privé, Saint-Louis, Sénégal, 15 janvier 2019.

[58] Entretiens de Human Rights Watch avec Issa Kouyaté, directeur de la Maison de la Gare, Saint-Louis, Sénégal, 20 décembre 2018.

[59] Entretien de Human Rights Watch avec un médecin privé, Saint-Louis, Sénégal, 15 janvier 2019.

[60] Entretiens de Human Rights Watch avec Issa Kouyaté, directeur de la Maison de la Gare, Saint-Louis, Sénégal, 10 mars 2019 et 3 juin 2019.

[61] Human Rights Watch, Exploitation sous prétexte d’éducation : Progrès mitigés dans la lutte contre la mendicité forcée des enfants au Sénégal, 19 mars 2014, https://www.hrw.org/fr/report/2014/03/19/exploitation-sous-pretexte-deducation/progres-mitiges-dans-la-lutte-contre-la.

[62] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien travailleur social du gouvernement, Thiès, Sénégal, 11 décembre 2018. Voir également « Thiès : Un talibé meurt calciné dans son internat », 13 juin 2017, Setal.net, http://www.setal.net/Thies-Un-talibe-meurt-calcine-dans-son-internat_a56334.html (consulté le 9 décembre 2018).

[63] Entretien de Human Rights Watch avec un travailleur social du gouvernement, Thiès, Sénégal, 11 décembre 2018.

[64] Entretien de Human Rights Watch avec une travailleuse sociale du gouvernement, Mbour, Sénégal, 12 décembre 2018. Voir également « INCENDIE – Talibés décédés à Mbour : Le ministre de la Famille plaide pour des daara sains », Le Quotidien, 26 décembre 2017, http://www.lequotidien.sn/incendie-talibes-decedes-a-mbour-le-ministre-de-la-famille-plaide-pour-des-daara-sains/ (consulté le 9 décembre 2018).

[65] Entretiens de Human Rights Watch avec une travailleuse sociale du gouvernement, Mbour, Sénégal, 12 décembre 2018 et 25 janvier 2019.

[66] « Incendie – Talibés décédés à Mbour : Le ministre de la Famille plaide pour des daara sains », Le Quotidien, 26 décembre 2017, http://www.lequotidien.sn/incendie-talibes-decedes-a-mbour-le-ministre-de-la-famille-plaide-pour-des-daara-sains/ (consulté le 9 décembre 2018).

[67] « Ouest-Foire : incendie dans un ‘daara’ regroupant une trentaine de talibés », 24 février 2017, Senegal Direct, https://www.senegaldirect.net/ouest-foire-incendie-daara-regroupant-trentaine-de-talibes/ (consulté le 10 décembre 2018).

[68] Entretien de Human Rights Watch avec Malick Ciré Sy, coordinateur de la région de Diourbel, RADDHO, Diourbel, Sénégal, 15 juillet 2018.

[69] Voir « Accident aux Parcelles assainies U26 : un talibé renversé par une moto », SeneNews, 15 mars 2018, https://www.senenews.com/actualites/accident-aux-parcelles-assainies-u26-un-talibe-renverse-par-une-moto_224408.html (consulté le 4 janvier 2019).

[70] Ousmane Samb, « Touba : Un Taxi Macké-Touba dérape et tue un talibé », Senegal7, 7 juillet 2018, http://www.senegal7.com/touba-un-taxi-macke-touba-derape-et-tue-un-talibe/ (consulté le 4 janvier 2019).

[71] Entretien de Human Rights Watch avec Issa Kouyaté, directeur de la Maison de la Gare, Saint-Louis, Sénégal, juin 2017.

[72] Voir Cheikh Adama Gueye, « Mbour : Accident mortel très triste à la sortie de Mbour », SenePeople, 21 novembre 2017, https://senepeople.com/2017/11/11/mbour-accident-mortel-tres-triste-a-sortie-de-mbour/ (consulté le 4 janvier 2019).

[73] Entretien de Human Rights Watch avec une travailleuse sociale du gouvernement, Mbour, Sénégal, 12 décembre 2018.

[74] Entretien de Human Rights Watch avec une travailleuse sociale du gouvernement, Mbour, Sénégal, 12 décembre 2018 ; Ousmane Demba Kane, « Encore un drame à Mbour : un bus fauche mortellement un talibé », PressAfrik, 22 mars 2018, https://www.pressafrik.com/Encore-un-drame-a-Mbour-un-bus-fauche-mortellement-un-talibe_a180167.html (consulté le 4 janvier 2019) ; « Accident à Mbour : Un talibé de 5 ans mortellement fauché par un bus », SeneNews, 22 mars 2018, https://www.senenews.com/actualites/accident-a-mbour-un-talibe-de-5-ans-mortellement-fauche-par-un-bus_225399.html (consulté le 4 janvier 2019).

[75] Entretien de Human Rights Watch avec une travailleuse sociale du gouvernement, Mbour, Sénégal, 12 décembre 2018.

[76] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé fugueur de 10 ou 11 ans, Dakar, Sénégal, 3 janvier 2019 ; entretien avec un membre du Comité départemental de protection de l’enfant à Tivaouane, Sénégal, 17 janvier 2019.

[77] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé fugueur de 10 ou 11 ans, Dakar, Sénégal, 3 janvier 2019.

[78] Entretiens de Human Rights Watch avec un témoin, Saint-Louis, Sénégal, 14-21 janvier 2019.

[79] Entretien de Human Rights Watch avec un témoin talibé, Louga, Sénégal, 13 janvier 2019.

[80] Entretien de Human Rights Watch avec un maître coranique, Louga, Sénégal, 13 janvier 2019.

[81] Onze de ces cas ont été précédemment documentés dans un rapport de Human Rights Watch publié en juillet 2017 ; Human Rights Watch, « Je vois encore des talibés mendier », p. 30-32.

[82] Deux de ces cas ont été précédemment documentés dans le rapport « Je vois encore des talibés mendier », p. 30-32.

[83] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé fugueur de 12 ans, Dakar, Sénégal, 19 juin 2018.

[84] Entretiens de Human Rights Watch avec des enfants talibés fugueurs à Dakar, Sénégal, juin 2018 et janvier 2019.

[85] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé fugueur de 15 ou 16 ans, Dakar, Sénégal, 26 juin 2018.

[86] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé fugueur de 13 ans, Dakar, Sénégal, 19 juin 2018.

[87] Entretien de Human Rights Watch avec un coordonnateur social d’un centre d’accueil pour enfants à Dakar, Sénégal, 22 juin 2018.

[88] Entretien de Human Rights Watch avec un travailleur social de l’AEMO, région de Diourbel, Sénégal, 9 janvier 2019.

[89] Entretien de Human Rights Watch avec un travailleur social de l’AEMO, région de Louga, Sénégal, 11 janvier 2019.

[90] Entretien de Human Rights Watch avec une agente de protection de l’enfance, CPA de Dakar, Sénégal, 27 juin 2018.

[91] Ibid.

[92] Entretien de Human Rights Watch avec Issa Kouyaté, directeur de la Maison de la Gare, Saint-Louis, Sénégal, 30 juin 2018.

[93] Human Rights Watch, « Je vois encore des talibés mendier », p. 32-34; « Nouvelles mesures pour protéger les talibés et les enfants de la rue », communiqué de presse de Human Rights Watch, 28 juillet 2016, https://www.hrw.org/news/2016/07/28/senegal-new-steps-protect-talibes-street-children.

[94] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé fugueur de 13 ans, Dakar, Sénégal, 19 juin 2018.

[95] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé fugueur de 15 ou 16 ans, Dakar, Sénégal, 26 juin 2018.

[96] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de 14 ans, Saint-Louis, Sénégal, 28 juin 2018.

[97] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé fugueur de 7 ou 8 ans, Saint-Louis, Sénégal, 29 juin 2018.

[98] Entretien de Human Rights Watch avec un coordonnateur social d’un centre d’accueil pour enfants à Dakar, Sénégal, 22 juin 2018.

[99] Ibid.

[100] Entretien de Human Rights Watch avec un coordonnateur social d’un centre d’accueil pour enfants à Dakar, Sénégal, 22 juin 2018.

[101] Entretien de Human Rights Watch avec Issa Kouyaté, directeur de la Maison de la Gare, Saint-Louis, Sénégal, 30 juin 2018.

[102] Entretien de Human Rights Watch avec un membre du personnel d’un centre pour enfants à Saint-Louis, Sénégal, 29 juin 2018.

[103] Entretien de Human Rights Watch avec une éducatrice spécialisée travaillant dans un centre étatique d’accueil pour enfants, Diourbel, Sénégal, 25 juin 2018.

[104] Entretien de Human Rights Watch avec une agente de protection de l’enfance, CPA de Dakar, Sénégal, 6 avril 2019.

[105] Ibid, 27 juin 2018.

[106] Entretien de Human Rights Watch avec un officier de justice, Tribunal de Grande Instance de Saint-Louis, Sénégal, 28 juin 2018 et 5 juin 2019. Voir également Aminata Diouf, « Mort d’un talibé à Saint-Louis : 2 ans de prison pour le marabout Cheikh T. Lô », Press Afrik, 21 février 2019, https://www.pressafrik.com/Mort-d-un-talibe-a-Saint-Louis-2-ans-de-prison-pour-le-marabout-Cheikh-T-Lo_a196464.html (consulté le 22 février 2019). 

[107] Entretien de Human Rights Watch avec Dan Boubou Cissokho, coordinateur de l’AEMO de Tambacounda, Tambacounda, Sénégal, 2 août 2018.

[108] Tribunal de Grande Instance de Tambacounda, Parquet du Procureur de la République, Cour d’Appel de Kaolack, « Informations et données statistiques sur des cas de violences ou abus ou trafic de migrants à l’égard de mineurs commis par leurs maîtres coraniques ou enseignants » : 2012-2018 (document dans les archives de Human Rights Watch).

[109] Voir Human Rights Watch, « Je vois encore des talibés mendier », p. 34-35.

[110] Entretiens de Human Rights Watch avec des travailleurs sociaux et des experts de la protection de l’enfance, régions de Dakar, Diourbel et Saint-Louis, juin 2018 à janvier 2019.

[111] Entretien de Human Rights Watch avec un procureur général, Louga, Sénégal, 11 janvier 2019.

[112] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé fugueur de 15 ou 16 ans, Dakar, Sénégal, 26 juin 2018.

[113] Entretiens de Human Rights Watch avec la directrice d’un centre d’accueil pour enfants à Dakar, Sénégal, 27 juin 2018 et 6 avril 2019.

[114] Entretien de Human Rights Watch avec un officier de justice, Tribunal de Grande Instance de Diourbel, Sénégal, 25 juin 2018, et correspondance électronique, 29 juin 2018 ; voir également « Diourbel - 10 ans ferme pour le maître coranique qui violait son ‘Talibé’ », SeneWeb, 28 décembre 2017, http://www.seneweb.com/news/Justice/diourbel-10-ans-ferme-pour-le-maitre-cor_n_234536.html (consulté le 9 juin 2018).

[115] Tribunal de Grande Instance de Fatick, Parquet du Procureur de la République, Cour d’Appel de Kaolack, « État des poursuites concernant les maîtres coraniques pour exploitation sous forme de traite des personnes, violences de tout genre ou homicides commis sur leurs élèves appelés ‘talibés’ : Courant année 2018 », (document dans les archives de Human Rights Watch).

[116] Correspondance électronique de Human Rights Watch avec un officier de justice, Tribunal de Grande Instance de Kaolack, Sénégal, 25 janvier 2019 ; entretien avec un travailleur social du gouvernement, Kaolack, Sénégal, 17 décembre 2018.

[117] « Mbour : un maître coranique, accusé d’attouchement sexuel… accuse Satan », SeneNews, 24 novembre 2018, https://www.senenews.com/actualites/mbour-un-imam-accuse-dattouchement-sexuel-invoque-satan_254106.html (consulté le 1er décembre 2018).

[118] Entretien de Human Rights Watch avec une travailleuse sociale du gouvernement, Mbour, Sénégal, 12 décembre 2018 et 6 avril 2019.

[119] Tribunal de Grande Instance de Mbour, Cour d’Appel de Thiès, « État des affaires jugées dont les victimes sont des talibés », 2019 (dans les archives de Human Rights Watch).

[120] Entretien de Human Rights Watch avec Issa Kouyaté, directeur de la Maison de la Gare, Saint-Louis, Sénégal, 10 mars 2019 ; entretien avec une travailleuse sociale du gouvernement, Mbour, Sénégal, 12 décembre 2018.

[121] « Mbour : Un marchand ambulant surpris sur un talibé de 7 ans », Senegal7, 5 novembre 2018, http://www.senegal7.com/mbour-un-marchand-ambulant-surpris-sur-un-talibe-de-7-ans/ (consulté le 20 novembre 2018).

[122] Entretien de Human Rights Watch avec une travailleuse sociale du gouvernement, Mbour, Sénégal, 12 décembre 2018.

[123] Entretien de Human Rights Watch avec un officier de justice, Tribunal de Grande Instance de Mbour, région de Thiès, Sénégal, 10 avril 2019 ; entretien avec une travailleuse sociale du gouvernement, Mbour, Sénégal, 6 avril 2019.

[124] Zohra Bensemra et Juliette Jabkhiro, « Forced to beg, Senegal's 'talibes' face exploitation and abuse », Reuters, 23 février 2019, https://www.reuters.com/article/us-senegal-election-child-beggars/forced-to-beg-senegals-talibes-face-exploitation-and-abuse-idUSKCN1QB1QA (consulté le 23 février 2019) ; entretien de Human Rights Watch avec Issa Kouyaté, directeur de la Maison de la Gare, Saint-Louis, Sénégal, 10 mars 2019.

[125] Entretien de Human Rights Watch avec Issa Kouyaté, directeur de la Maison de la Gare, Saint-Louis, Sénégal, 10 mars 2019.

[126] Ibid.

[127] Entretien de Human Rights Watch avec un maître coranique, Diourbel, Sénégal, 24 juin 2018.

[128] Entretiens de Human Rights Watch avec des maîtres coraniques à Diourbel, Saint-Louis, Dakar, Touba et Louga, Sénégal, juin 2018 et décembre 2019.

[129] Entretien de Human Rights Watch avec un maître coranique, Touba, Sénégal, 8 janvier 2019.

[130] Entretien de Human Rights Watch avec un maître coranique (a), Saint-Louis, Sénégal, 30 juin 2018.

[131] Entretien de Human Rights Watch avec un maître coranique (a), Saint-Louis, Sénégal, 30 juin 2018.

[132] Entretien de Human Rights Watch avec un maître coranique (b), Saint-Louis, Sénégal, 30 juin 2018.

[133] Entretien de Human Rights Watch avec un maître coranique (b), Saint-Louis, Sénégal, 30 juin 2018.

[134] Entretien de Human Rights Watch avec l’assistant d’un maître coranique, Dakar, Sénégal, 23 juin 2018.

[135] Entretien de Human Rights Watch avec l’assistant d’un maître coranique, Dakar, Sénégal, 23 juin 2018.

[136] Entretien de Human Rights Watch avec un maître coranique, Louga, Sénégal, 12 janvier 2019.

[137] Entretiens de Human Rights Watch avec des enfants talibés, actuels et anciens, à Dakar et Saint-Louis, Sénégal, juin 2018 et janvier 2019.

[138] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé fugueur de 13 ans, Dakar, Sénégal, 19 juin 2018.

[139] Entretiens de Human Rights Watch avec des maîtres coraniques à Diourbel, Saint-Louis, Dakar, Touba et Louga, Sénégal, juin 2018 et janvier 2019.

[140] Entretien de Human Rights Watch avec des talibés dans les rues de Dakar, Sénégal, juin 2018.

[141] Entretien de Human Rights Watch avec un enfant talibé de 10 ans, Hann Mariste, Dakar, Sénégal, 19 juin 2018.

[142] Entretien de Human Rights Watch avec Issa Kouyaté, directeur de la Maison de la Gare, 28 juin 2018.

[143] Entretiens de Human Rights Watch avec des maîtres coraniques à Diourbel, Saint-Louis, Dakar, Touba et Louga, Sénégal, juin 2018 et janvier 2019.

[144] Entretien de Human Rights Watch avec un maître coranique, Diourbel, Sénégal, 24 juin 2018.

[145] Entretiens de Human Rights Watch avec des maîtres coraniques à Diourbel, Saint-Louis, Dakar, Touba et Louga, Sénégal, juin 2018 et janvier 2019.

[146] Entretiens de Human Rights Watch avec des travailleurs sociaux et des membres du personnel de centres d’accueil pour enfants à Dakar, Diourbel et Saint-Louis, juin 2018 et janvier 2019.

[147] Entretien de Human Rights Watch avec Alassane Diagne, coordinateur de l’Empire des Enfants, Dakar, Sénégal, 18 juin 2018.

[148] Entretien de Human Rights Watch avec un membre du personnel, Yakaaru Guneyi, Dakar, Sénégal, 21 juin 2018 ; correspondance électronique avec Danielle Huèges, directrice exécutive, Unies Vers’elle Sénégal, Dakar, Sénégal, 5 juin 2019.

[149] Correspondance électronique de Human Rights Watch avec le Samu Social Sénégal, 26 juin 2018 et 17 avril 2019.

[150] Entretien de Human Rights Watch avec un travailleur social du Centre Ginddi, Dakar, Sénégal, 4 janvier 2019.

[151] Entretien de Human Rights Watch avec une éducatrice spécialisée travaillant dans un centre étatique d’accueil pour enfants, Diourbel, Sénégal, 25 juin 2018.

[152] Entretien de Human Rights Watch avec un agent de protection de l’enfance, CPA de Saint-Louis, Sénégal, 29 juin 2018.

[153] République du Sénégal, Loi n° 2005-06 du 10 Mai 2005 relative à la lutte contre la traite des personnes, articles 1 et 3.

[154] Entretien de Human Rights Watch avec Modou Diop, responsable du Centre de jour d’Enda Jeunesse Action, Pikine, Dakar, 21 juin 2018.

[155] Human Rights Watch, « Je vois encore des talibés mendier » (2017) ; « Sur le dos des enfants » (2010) ; entretiens avec des maîtres coraniques, des enfants talibés, des travailleurs sociaux et des experts de la protection de l’enfance, 2016-2019.

[156] Ibid.

[157] Entretiens de Human Rights Watch avec des maîtres coraniques, Dakar, Diourbel, Touba, Louga et Saint-Louis, Sénégal, juin 2018 et janvier 2019.

[158] Ibid.

[159] République du Sénégal, Loi n° 2005-06 du 10 Mai 2005 relative à la lutte contre la traite des personnes, articles 1 et 3.

[160] CEDEAO, « Procédures de Prise en charge et Standards de la CEDEAO pour la Protection et la Réintégration des Enfants Vulnérables concernés par la Mobilité et des Jeunes Migrants », 2016, p. 3.

[161] Correspondance électronique de Human Rights Watch avec Mbagnick Birame Ndiaye, coordinateur adjoint, Enda Jeunesse Action - Dakar, Sénégal, 13 juillet 2018.

[162] Enda Jeunesse Action, « Coordination nationale du RAO Sénégal : du 1er janvier au 31 décembre 2018 » (document dans les archives de Human Rights Watch).

[163] CEDEAO, « Launch of the Project to Support Member States in the Eradication of the ‘Children in the Street’ Phenomenon », 2015 (document dans les archives de Human Rights Watch) ; CEDEAO, « Procédures de Prise en charge et Standards de la CEDEAO pour la Protection et la Réintégration des Enfants Vulnérables concernés par la Mobilité et des Jeunes Migrants », 2016 ; CEDEAO, « Cadre Stratégique de la CEDEAO pour le Renforcement des Systèmes Nationaux de Protection de l’Enfant afin de prévenir et de répondre aux Violences, Abus et Exploitations des Enfants en Afrique de l’Ouest », 2017 ; CEDEAO, « ECOWAS moves to protect Child rights and prevent Child marriage in the region », 28 janvier 2019, https://www.ecowas.int/ecowas-moves-to-protect-child-rights-and-prevent-child-marriage-in-the-regio/ (consulté le 2 mai 2019).

[164] Samba Niébé Ba, « Sénégal : Lutte contre la traite des personnes - Un nouveau plan triennal en gestation », All Africa, 7 décembre 2017, https://fr.allafrica.com/stories/201712070726.html (consulté le 2 mai 2019) ; Département d'État des États-Unis, « Senegal: Tier 2 Watch List, » 2018 Trafficking in Persons Report, 28 juin 2018, https://www.state.gov/reports/2018-trafficking-in-persons-report/senegal/ (consulté le 28 mai 2019).

[165] Entretien de Human Rights Watch avec un maître coranique à Saint-Louis (quartier de Médina Cours), Sénégal, 30 juin 2018.

[166] Entretien de Human Rights Watch avec un maître coranique à Saint-Louis (quartier de Pikine), Sénégal, 30 juin 2018.

[167] Entretien de Human Rights Watch avec Oumar Sy, coordinateur, Ndeyi-Jirim, Diourbel, Sénégal, 24 juin 2018.

[168] Coordination Régional de l’AEMO de Louga, « Rapport d’activités de l’affaire de dix (10) mineurs ressortissants de la Guinée Conakry », 4 décembre 2017 (document dans les archives de Human Rights Watch).

[169] « Kébémer [Région de Louga] : Démantèlement d’un réseau de trafic d’enfants », SeneMedia, 4 décembre 2017, http://www.senemedia.com/article-9508-kbmer-dmantlement-dun-rseau-de-trafic-denfants.html (consulté le 15 décembre 2017) ; « Trafic d’enfants : une bande de ressortissants guinéens démantelée à Kébémer avec 8 mineurs », SeneNews, 4 décembre 2017, https://www.senenews.com/actualites/trafic-denfants-une-bande-de-ressortissants-guineens-demantelee-a-kebemer-avec-8-mineurs_212136.html (consulté le 15 décembre 2017).

[170] Coordination Régionale de l’AEMO de Louga, « Rapport d’activités de l’affaire de dix (10) mineurs ressortissants de la Guinée Conakry », 4 décembre 2017 (document dans les archives de Human Rights Watch).

[171] Commissariat urbain de Kébémer, direction générale de la Police nationale, « Procès-verbal », 29 novembre 2017 (document dans les archives de Human Rights Watch).

[172] Entretien de Human Rights Watch avec un travailleur social de l’AEMO, région de Louga, Sénégal, 17 juillet 2018 ; entretien de Human Rights Watch avec un officier de justice, Tribunal de Grande Instance de Louga, Louga, Sénégal, 11 janvier 2019.

[173] Entretien de Human Rights Watch avec un travailleur social de l’AEMO, région de Louga, Sénégal, 17 juillet 2018.

[174] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable du programme dans l’ancien ministère de la Bonne gouvernance et de la Protection de l’enfance, 21 juin 2018.

[175] Ibid.

[176] Entretien de Human Rights Watch avec Issa Kouyaté, directeur de la Maison de la Gare, Saint-Louis, Sénégal, 30 juin 2018.

[177] Human Rights Watch, « Je vois encore des talibés mendier » (2017) ; « Sur le dos des enfants » (2010) ; entretiens avec des maîtres coraniques, des enfants talibés, des travailleurs sociaux et des experts de la protection de l’enfance, 2016–2019.

[178] Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, « L’ONUDC renforce les capacités des acteurs municipaux de la région de Dakar sur la mendicité forcée des enfants », 24 mai 2018, https://www.unodc.org/westandcentralafrica/fr/2018-05-24---unodc-builds-the-capacities-of-municipal-actors-in-the-dakar-region-on-forced-child-begging.html (consulté le 30 décembre 2018) ; entretien de Human Rights Watch avec Moussa Sylla, Chargé d’éducation, protection et formation professionnelle, Enda- Mopti, Sevaré, Mali, 18 août 2016 ; entretien avec des agents du ministère de promotion de la Femme, de l’Enfant et de la Famille, Bamako, Mali, 25 mars 2016.

[179] Entretiens de Human Rights Watch avec des maîtres coraniques, des enfants talibés, des travailleurs sociaux, des experts de la protection de l’enfance et des agents du gouvernement, juin 2018 – janvier 2019.

[180] Entretien de Human Rights Watch avec une éducatrice spécialisée travaillant dans un centre étatique d’accueil d’enfants, Diourbel, Sénégal, 25 juin 2018.

[181] Entretien de Human Rights Watch avec un maître coranique à Diourbel, Sénégal, 24 juin 2018.

[182] Centre Yakaaru Guneyi, « Opération Visant à Lutter Contre la Traite des Êtres Humains au Sahel, Confiage Dic du 7 Novembre 2017, Rapports Circonstanciés Enfants », 9 mai 2017 (documents dans les archives de Human Rights Watch).

[183] Entretiens de Human Rights Watch avec des enfants talibés, actuels et anciens, Dakar, Sénégal, juin 2018 et janvier 2019.

[184] Entretien de Human Rights Watch avec un expert onusien de la traite des personnes, Dakar, Sénégal, 30 décembre 2018 ; entretien de Human Rights Watch avec Modou Diop, responsable du Centre de jour d’Enda Jeunesse Action à Pikine, Dakar, Sénégal, 21 juin 2018.

[185] Entretien de Human Rights Watch avec Souleymane Diagne, assistant du coordinateur chargé de suivi et évaluation du Projet de lutte contre l’exploitation et la mendicité forcé des enfants talibés dans la commune de Médina, Dakar, Sénégal, 28 décembre 2018.

[186] Entretiens de Human Rights Watch avec des enfants talibés fugueurs à Dakar et Saint-Louis, juin 2018.

[187] Entretien de Human Rights Watch avec un officier de justice, Tribunal pour Enfants de Saint-Louis, Saint-Louis, Sénégal, 14 janvier 2019.

[188] Entretiens de Human Rights Watch avec Etienne Dieng, gestionnaire du Centre Ginddi, Dakar, Sénégal, 26 juin 2018 et 3 janvier 2019.

[189] Entretien de Human Rights Watch avec Alassane Diagne, coordinateur du centre l’Empire des Enfants, Dakar, Sénégal, 18 juin 2018.

[190] Entretien de Human Rights Watch avec un travailleur social de l’AEMO, région de Diourbel, Sénégal, 9 janvier 2019.

[191] Entretien de Human Rights Watch avec une agente de protection de l’enfance, CPA de Dakar, Sénégal, 27 juin 2018.

[192] CEDEAO, « Cadre Stratégique de la CEDEAO pour le Renforcement des Systèmes Nationaux de Protection de l’Enfant afin de prévenir et de répondre aux Violences, Abus et Exploitations des Enfants en Afrique de l’Ouest », 2017, Stratégie 5, Section 3.5.4 (document en anglais dans les archives de Human Rights Watch).

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