Exploitation sous prétexte d’éducation
Progrès mitigés dans la lutte contre la mendicité force des enfants au Sénégal
Carte du Sénégal et de Guinée-Bissau
Résumé
Il y a un réseau social qui se tisse autour de l’enfant et qui fait que dans tout ça, c’est l’enfant qui perd... L’enfant qui est là, il travaille à amener la mendicité, en nature ou en argent, qui sera transporté vers les parents ou pris en partie par le maître coranique. Et l’enfant, cinq ans, dix ans plus tard, n’a même pas fini d’apprendre le Coran... Si l’État ne fait pas l’effort de prendre résolument la décision de prendre en charge ces enfants à bras-le-corps, et de régler le problème de l’éducation coranique de façon définitive, demain, dans dix ans on aura une bombe humaine qui sera là, parce qu’il faudra prendre en charge ces enfants-là.
—Militant de la société civile sénégalaise, Dakar, janvier 2014
Dans la nuit du 3 mars 2013, un incendie a éclaté dans le quartier de la Médina, à Dakar. Les flammes ont rapidement envahi une école coranique installée dans une baraque ; huit jeunes garçons, élèves de l’école, ont péri dans les flammes. Le maître coranique—et de facto gardien—était absent, étant rentré chez lui car, selon un voisin, « là où les enfants crèchent, c’est insalubre, c’est invivable ». De nombreux hauts responsables gouvernementaux ont visité les lieux dans les jours qui ont suivi l’incendie et ont promis : « plus jamais cela ».
Le président Macky Sall, arrivé au pouvoir en avril 2012, s’est engagé à mettre fin à la pratique de la mendicité forcée des enfants et aux conditions de vie inhumaines dans certaines écoles coraniques, promettant : « Des mesures très fortes seront prises pour mettre un terme à l’exploitation des enfants, sous prétexte qu’ils sont des talibés [élèves d’écoles coraniques]. Ce drame va nous obliger à intervenir et à identifier partout où des sites comme celui-ci existent. Qu’ils soient fermés et que les enfants soient récupérés… »
Un an plus tard, bien que certains progrès aient été accomplis, la promesse du président Sall n’a en grande partie pas été tenue. Après l’incendie de la Médina, les autorités ne sont intervenues qu’une seule fois pour fermer une école où la sécurité des enfants était menacée, bien que des militants sénégalais des droits humains affirment que des centaines d’autres existent et sont facilement identifiables. En conséquence du laxisme des autorités dans l’application des lois, des dizaines de milliers de garçons à travers le Sénégal continuent d’être soumis à la pratique de la mendicité forcée.
Ce travail fait suite à un rapport de Human Rights Watch publié en avril 2010 qui documentait le système d’exploitation et de maltraitance en vigueur dans de nombreuses écoles coraniques du Sénégal. Il examine les progrès mitigés réalisés par le gouvernement au cours de l’année qui a suivi la tragédie de la Médina pour remplir la promesse du président Sall. Des entretiens avec des garçons qui ont subi de tels abus et avec des militants de la société civile sénégalaise qui travaillent sur cette question, ainsi que des visites dans quelque 25 écoles coraniques en octobre 2013 et janvier 2014, ont révélé les graves conséquences de l’inaction gouvernementale.
Dans la ville de Saint-Louis, Human Rights Watch a visité deux écoles coraniques situés à une dizaine de mètres d’une décharge publique jonchée de carcasses d’animaux, de pièces d’automobiles usagées et d’ordures calcinées. Certains des garçons qui y habitent n’ont pas plus de 7 ans. À Guédiawaye, une banlieue de Dakar, au moins 150 jeunes garçons, dont certains ont à peine six ans, dorment dans un bâtiment de béton abandonné et envahi de moustiques. Ils n’ont ni électricité ni eau—à part des flaques d’eau lorsqu’il pleut—et le sol de terre battue où ils se lavent leur sert aussi de toilette. Des écoles semblables existent dans d’autres zones urbaines du pays. Beaucoup sont surpeuplées de manière affligeante, avec au moins 20 garçons qui se partagent le sol d’une petite pièce pendant la nuit—ou qui choisissent de dormir dehors, exposés aux éléments. Les maladies, telles des infections de la peau ou le paludisme, sont monnaie courante et les dirigeants de ces écoles négligent souvent d’obtenir un traitement pour les malades.
Des milliers de garçons qui fréquentent certaines écoles coraniques passent la majeure partie de leurs journées à mendier dans les rues des villes sénégalaises. Leurs maîtres exigent qu’ils rapportent chaque jour d’importantes sommes d’argent, ainsi que du riz cru et du sucre. L’argent va directement dans la poche de ces maîtres. Le riz et le sucre sont utilisés pour nourrir la famille de ces derniers—presque jamais les talibés, qui doivent mendier leur propre nourriture—ou sont mis en sacs et vendus, tirant ainsi encore plus de profits du travail des garçons. Quand les garçons ne rapportent pas les quantités journalières requises, leur châtiment est immédiat et sévère, consistant souvent en des sévices corporels infligés par le maître. Chaque année, des centaines de garçons finissent par fuir leur école.
Les mesures nécessaires pour mettre fin à l’exploitation et à la maltraitance des enfants dans certaines écoles coraniques ont été identifiées depuis longtemps par la société civile sénégalaise : tout d’abord, imposer des règles et une supervision gouvernementale aux écoles coraniques afin d’assurer qu’elles respectent les normes de protection des droits de l’enfant ; et deuxièmement, faire appliquer la loi de 2005 qui pénalise l’acte d’organiser la mendicité d’autrui afin d’en tirer un profit.
Quelques progrès encourageants de la part du gouvernement ont été constatés sur l’année écoulée, notamment en matière de création d’un cadre juridique visant à réglementer les écoles coraniques. Un projet de loi et plusieurs projets de décrets d’application qui instaureraient une supervision gouvernementale des écoles coraniques devraient être présentés à l’Assemblée nationale dans les mois qui viennent. S’ils sont adoptés, cette loi et ces décrets établiront d’importantes normes et critères concernant les conditions de vie dans les écoles et les qualifications des maîtres ; exigeront que les écoles se soumettent à des inspections menées par des représentants des ministères de la Santé et de l’Éducation nationale ; et mettront fin à la pratique de la mendicité dans toutes les écoles reconnues par le gouvernement. Un inspecteur du ministère de l’Éducation nationale a affirmé qu’une fois la loi adoptée, les autorités fermeraient les écoles qui fonctionnent principalement pour l’enrichissement du maître à travers l’exploitation des enfants. La cellule de lutte contre la traite des personnes au ministère de la Justice est en train de préparer le terrain pour l’application rapide et efficace du projet de loi en réalisant une cartographie de presque toutes les écoles coraniques de la région de Dakar, y compris ceux où les enfants sont soumis à l’exploitation et à la maltraitance. Cette cellule prévoit d’étendre ce travail de repérage à tout le pays.
Mais l’impact réel du projet de loi demeure incertain. Le risque existe que son adoption ne fasse qu’ajouter un nouveau texte aux nombreuses lois et dispositions fermes qui existent déjà au Sénégal. En février 2013, le gouvernement a mis en place un plan d’action détaillé pour éliminer la mendicité des enfants d’ici 2015 et en décembre 2013, il a validé une stratégie nationale de protection des enfants. Ces importantes initiatives ont toutes deux fait référence à la nécessité d’appliquer la loi de 2005 contre la mendicité forcée et la traite des enfants. Conçu en grand partie pour lutter contre l’exploitation et la maltraitance dans certaines écoles coraniques, la loi de 2005 a rarement été appliquée, même dans des cas flagrants, et ce dû principalement à un manque de volonté politique.
Au cours de la dernière décennie, la raison de l’incapacité du Sénégal à mettre fin à l’exploitation généralisée des enfants par la mendicité forcée n’a jamais été l’absence de lois. Sans le courage et la détermination nécessaires pour assurer le suivi et faire appliquer la future loi destinée à réglementer les écoles coraniques, le projet de loi finira comme la loi de 2005 contre la mendicité forcée : bonne sur le papier mais sans effet pour mettre fin aux exactions. En outre, le projet de loi de réglementation ne doit pas être considéré comme une substitution de la loi interdisant la mendicité forcée. Les deux lois peuvent et devraient avoir des effets combinés, habilitant les autorités à identifier et soutenir les milliers de maîtres coraniques qui éduquent et s’occupent réellement des enfants qui leur sont confiés ; à fermer les écoles insalubres où la santé et la sécurité des enfants est en danger ; et à arrêter et traduire en justice les personnes qui réalisent des profits en forçant de jeunes garçons à mendier et les traitent souvent avec une brutalité extrême pour protéger leur système d’exploitation.
Au cours de l’année écoulée depuis l’incendie de la Médina, Human Rights Watch n’a eu connaissance que d’un seul cas de poursuites judiciaires engagées spécifiquement pour organisation de la mendicité d’enfants—malgré l’abondance d’indices selon lesquels de tels crimes étaient régulièrement commis, y compris la présence visible de milliers de garçons mendiant dans la rue, souvent à proximité d’agents de police ou de postes de police ; et des dizaines de garçons en contact avec des travailleurs sociaux de l’État après avoir fugué de leur école parce qu’ils étaient soumis à une exploitation et à une maltraitance extrêmes. Comme des gouvernements précédents, le président Sall semble avoir reculé après une vive protestation de la part de certains groupes de maîtres coraniques selon qui aucune école ne devrait être fermée et aucun maître traduit en justice. Et pourtant, on constate de plus en plus au Sénégal que la société civile, des imams et de nombreux maîtres coraniques sont prêts à s’allier aux efforts pour mettre fin aux abus. Une des plus hautes autorités religieuses de la ville sainte sénégalaise de Touba a déclaré à Human Rights Watch qu’appeler les personnes qui forcent des enfants à mendier « maîtres coraniques » ou appeler leurs établissements « écoles coraniques » était une « insulte » à l’égard de ceux et de celles qui sont authentiques.
Des milliers de garçons continuent d’endurer des conditions qui s’apparentent à de l’esclavage moderne. Pour les protéger de nouvelles exactions, le gouvernement devrait non seulement soutenir les milliers de bons maîtres coraniques qui exercent leur profession dans le pays, mais aussi fermer les écoles où la santé et la sécurité des enfants sont menacées, et réclamer des comptes à ceux qui exploitent et maltraitent les enfants qui leur ont été confiés dans l’attente qu’ils seraient éduqués et protégés.
Recommandations
À l’Assemblée nationale
- Adopter, en toute priorité, le projet de loi et tous les projets de décret d’application relatifs à la réglementation des écoles coraniques.
- Réviser l’article 245 du code pénal afin que l’acte de mendier ne soit plus considéré comme un crime, surtout lorsqu’il s’agit d’enfants.
Au gouvernement du président Sall
Sur l’application de la loi contre la mendicité forcée
-
Déclarer
publiquement un soutien sans réserves à l’application de la
Loi n° 2005-06, qui considère comme un crime le fait
d’organiser la mendicité d’autrui en vue d’en tirer profit.
- Émettre un décret ou une ordonnance affirmant que l’acte consistant à forcer des enfants à mendier, y compris par des maîtres coraniques, n’est pas couvert par l’exception définie à l’article 245 du code pénal.
- Émettre, de la part du président et des ministres clés, des instructions à l’adresse des autorités compétentes dans les ministères de l’Intérieur, de la Justice, de la Famille et de l’Éducation nationale, affirmant que l’application de cette loi est une priorité, conformément à la stratégie récemment adoptée par le gouvernement sur la protection de l’enfance.
-
Appliquer
immédiatement la loi contre la mendicité forcée aux
personnes qui exigent que des garçons rapportent chaque jour des sommes
fixes d’argent après avoir passé de longues heures à
mendier, et qui les soumettent souvent à des traitements d’une
brutalité extrême pour les forcer à remplir leurs quotas.
- Donner à la police l’instruction d’enquêter de manière proactive sur les conditions de vie des enfants surpris à mendier dans les rues et de dénoncer les cas d’exploitation et de maltraitance d’enfants aux autorités judiciaires appropriées, afin qu’elles entament des poursuites.
- Faire une priorité, dans le cadre des efforts déjà en cours au sein de la cellule de lutte contre la traite des personnes, des programmes de formation destinés aux policiers, aux gendarmes, aux procureurs et aux juges, sur la loi contre la mendicité forcée, sur les types de cas à rechercher particulièrement et sur la façon appropriée de mener des enquêtes dont les résultats peuvent être validés dans un tribunal.
- S’assurer que les procureurs et les juges d’instruction travaillent en pleine indépendance vis-à-vis de l’Exécutif et soient en mesure de poursuivre les auteurs d’exploitation et de maltraitance d’enfants sans ingérences ni conséquences.
-
Communiquer
de manière efficace avec les dirigeants religieux et la population sur
l’application de la loi, en soulignant clairement que les
autorités ne prendront pour cible que les personnes qui se livrent
à l’exploitation et à la maltraitance des enfants qui leur
ont été confiés.
- Publier des communiqués présentant les arguments ayant conduit à des verdicts de culpabilité dans des affaires de mendicité forcée, afin de mieux expliquer au public et aux autorités religieuses la nécessité de telles mesures.
- Envisager de modifier la loi de façon à d’établir une gamme plus large de peines autorisées, qui ne consistent actuellement qu’en peines de deux à cinq ans de prison, en prévoyant également des peines non privatives de liberté et des peines de prison inférieures à deux ans, afin que les sanctions puissent être mieux proportionnées à la gravité des faits.
- Publier tous les six mois, en s’appuyant sur l’accord récemment conclu entre les ministères de la Justice et de l’Intérieur, les statistiques relatives à la lutte contre la traite de personnes, y compris les arrestations, les inculpations et les condamnations. Rassembler et publier en particulier les statistiques relatives aux arrestations, aux inculpations et aux condamnations dans les affaires de mendicité forcée.
- Organiser une rencontre avec les autorités religieuses—notamment les califes, des imams éminents et des maîtres coraniques—dans le but d’émettre une déclaration conjointe soutenant l’application de la loi à l’encontre des personnes qui exploitent des enfants en les forçant à mendier.
Sur la réglementation des écoles coraniques
- Prendre des mesures immédiates pour retirer les enfants des écoles coraniques où leurs droits à la santé, à l’éducation et à une vie libre de toute exploitation et de toute violence physique ou psychologique sont violés. Coopérer avec la société civile pour placer temporairement ces enfants dans des centres d’accueil agréés par le ministère de la Famille, tout en cherchant à retrouver leurs familles d’origine afin de restituer les enfants à leurs parents.
- Promouvoir de manière publique la loi réglementant les écoles coraniques, dès son adoption par l’Assemblée nationale. Traduire les lois pertinentes et leurs décrets d’application dans les dialectes locaux et les diffuser largement dans les principaux médias, y compris les stations de radio locales dans tout le pays.
- Créer un numéro vert pour permettre aux personnes de dénoncer les écoles coraniques qui paraissent insalubres ou dangereuses ou dont les enfants sont souvent vus en train de mendier, ce qui facilitera les inspections par les responsables gouvernementaux compétents.
- Faire en sorte qu’il y ait un nombre suffisant d’inspecteurs chargés de s’assurer que les écoles coraniques remplissent les conditions minimales en matière de protection des droits des enfants à la santé, à l’éducation et à vivre à l’abri de toute exploitation et maltraitance. S’assurer que les inspecteurs effectuent régulièrement des visites impromptues dans les écoles et ferment celles qui ne remplissent pas les normes en matière de protection des intérêts de l’enfant.
- Rassembler et rendre public systématiquement les statistiques relatives au nombre de visites effectuées in situ par les inspecteurs ; le nombre d’écoles identifiées comme ne remplissant pas les critères de base ; et les mesures prises à leur égard.
- Fournir un soutien financier et logistique accru à la cellule de lutte contre la traite de personnes, afin qu’elle poursuive sa tâche de recensement exhaustif des écoles coraniques dans tout le pays.
Aux bailleurs de fonds internationaux
- Envisager d’accorder une aide budgétaire accrue à la cellule de lutte contre la traite des personnes du ministère de la Justice, en particulier au vu de ses efforts pour faire appliquer la loi contre la mendicité forcée et pour effectuer un recensement complet de toutes les écoles coraniques du pays.
- Envisager de fournir un appui budgétaire, technique et logistique aux autorités compétentes au sein du ministère de l’Éducation nationale qui sont chargées d’inspecter et de superviser les établissements scolaires, y compris les écoles coraniques.
Des recommandations supplémentaires sont décrites dans le rapport de Human Rights Watch d’avril 2010, « Sur le dos des enfants ».
Méthodologie
Ce rapport est essentiellement basé sur deux missions de recherche effectuées au Sénégal en octobre 2013 et janvier 2014, chacune d’une durée d’environ deux semaines. Les recherches ont été menées dans la capitale, Dakar, et dans ses banlieues ; dans les villes de Saint-Louis, Diourbel et Touba ; ainsi que dans plusieurs villages situés entre Diourbel et Touba. Human Rights Watch a interrogé plus de 60 personnes en tout, y compris des militants de la société civile sénégalaise ; des maîtres coraniques ; des enfants fréquentant ou ayant fréquenté aussi bien des écoles coraniques modèles que des écoles coraniques où l’exploitation et les abus sont répandus ; des autorités religieuses des confréries sénégalaises ; des universitaires sénégalais spécialisés dans l’étude de l’Islam et dans l’histoire de l’enseignement coranique ; des représentants des Nations Unies, de missions diplomatiques et d’organisations humanitaires ; et des responsables des ministères sénégalais de la Justice, de l’Éducation nationale et de la Famille. Le rapport examine le bilan mitigé du gouvernement du président Sall dans le traitement du problème de la mendicité forcée et des conditions de vie insalubres dans certains écoles coraniques—en particulier au cours de l’année écoulée depuis que huit jeunes garçons ont péri dans un incendie dans un de ces établissements.
Tous les entretiens ont été menés individuellement, parfois en présence de militants de la société civile sénégalaise qui connaissaient la personne et l’avaient présentée à Human Rights Watch. Les entretiens avec des enfants, des maîtres coraniques et certains dignitaires religieux ont eu lieu en présence d’un interprète, traduisant entre le français et une des principales langues pratiquées par les différents groupes ethniques du Sénégal, généralement le wolof ou le pulaar. Human Rights Watch n’a offert aux personnes interrogées aucune forme d’incitation et celles-ci étaient à tout moment en mesure de mettre fin à l’entretien. Tout au long du rapport, Human Rights Watch s’est abstenu de divulguer les noms de certaines personnes interrogées ainsi que les informations permettant de les identifier, de manière à protéger leur identité. Certaines personnes ont parlé sous couvert d’anonymat, de crainte de subir des représailles pour avoir formulé des critiques.
Ce travail s’appuie sur une précédente étude réalisée au cours de 11 semaines de travail de terrain par Human Rights Watch, en 2009 et 2010, qui a formé la base d’un rapport publié en avril 2010 et intitulé : « ‘Sur le dos des enfants’ : Mendicité forcée et autres mauvais traitements à l’encontre des talibés au Sénégal. » Ce rapport fournit une description beaucoup plus détaillée de l’histoire de l’enseignement coranique au Sénégal, de la montée de l’exploitation et des abus dans certaines écoles coraniques et des expériences vécues par les jeunes garçons dans ces écoles. Le rapport de 2010 est basé sur des entretiens réalisés avec 175 enfants qui étaient élèves ou anciens élèves d’écoles coraniques ; 33 maîtres coraniques et imams au Sénégal et en Guinée-Bissau ; 20 familles vivant dans des villages du Sénégal ou de Guinée-Bissau et qui avaient envoyé leurs enfants dans des villes pour qu’il y apprennent le Coran ; des représentants gouvernementaux du Sénégal et de Guinée-Bissau, aux niveaux national et local ; des universitaires et des historiens des religions ; et des représentants de missions diplomatiques ainsi que d’organisations nationales et internationales travaillant sur le problème de la mendicité forcée des enfants.
Le présent rapport est articulé autour des deux grandes questions que la société civile sénégalaise et de nombreux responsables gouvernementaux considèrent comme essentielles pour mettre fin au phénomène généralisé d’exploitation et de maltraitance de jeunes garçons dans certaines écoles coraniques. La section I examine les efforts du gouvernement pour remédier au problème persistant d’absence de réglementation des écoles coraniques, qui a permis à certains maîtres d’ouvrir des écoles dans des conditions insalubres et peu sûres. La section II décrit l’insuffisance de l’application de la loi contre la traite des personnes et la mendicité forcée, ce qui a permis à certains individus de détourner l’éducation traditionnelle pour en faire une entreprise basée sur le travail de jeunes garçons, qui sont forcés de mendier chaque jour pendant de longues heures.
Tout au long du rapport, Human Rights Watch mettra parfois entre guillemets les mots « école coranique » ou « maître coranique », afin de signaler que le vrai sens de ces termes ne peut guère s’appliquer lorsque des garçons passent la majeure partie de leur temps à mendier pour satisfaire la somme fixe d’argent exigée chaque jour par le « maître ». De nombreux militants de la société civile sénégalaise et dignitaires religieux font régulièrement allusion aux lieux où les élèves subissent cette exploitation en utilisant l’expression « présumées écoles coraniques » ou « soi-disant écoles coraniques »—afin de les distinguer des milliers de daaras, ou écoles coraniques, où les élèves ne mendient pas, sont bien traités par le marabout, ou maître coranique, et reçoivent une solide éducation religieuse et morale. Toutefois, du fait que ces établissements se présentent comme des « écoles coraniques »—et que les enfants y passent effectivement un certain temps à apprendre le Coran, même si ce temps ne représente qu’une fraction des longues heures durant lesquelles ils sont obligés à mendier dans les rues—cette terminologie demeure la plus appropriée.
I. Réglementation des écoles coraniques
Le projet de loi visant à réglementer les daaras [1] est une bonne chose mais dans le passé, le gouvernement s’est souvent empressé de dire qu’il allait faire quelque chose, après quoi [il ne donnait pas suite]… L’application de la loi pourrait poser un problème, comme ce fut le cas pour la loi [contre la mendicité forcée].
—Un militant de la société civile sénégalaise [2]
Dans son rapport de 2010, Human Rights Watch a documenté comment l’absence de réglementation des écoles coraniques—y compris celles où de jeunes garçons vivent, loin de leurs familles—avait facilité la prolifération d’écoles où les maîtres transformaient l’éducation religieuse en exploitation économique. Un militant de la société civile sénégalaise, spécialiste de la question des talibés, [3] ou étudiants du Coran, a expliqué en janvier que cela demeurait un problème fondamental :
Quand on laisse un espace éducatif sans mettre un dispositif de contrôle et de veille… il y a forcément des gens qui vont s’embrècher [sic]… [C]omme il n’y a pas de contrôle, n’importe qui peut ouvrir un daara n’importe où, n’importe comment—pourvu que simplement vous ayez les apparences. Moi, tel que vous me voyez, j’irais dans un quartier où on ne me connait pas, je peux être maître coranique, même si je sais que je n’ai pas lu le Coran. Tout simplement parce qu’il n’y a pas un dispositif de contrôle et de veille pour dénoncer ceux-là qui vont aller dans la dérive. Alors, qu’est-ce qui va se passer? Les maîtres coraniques sont là ; il y en a de bons qui ont été formés dans des grandes écoles, qui sont vraiment des érudits... Il y en a d’autres maintenant qui en profitent simplement pour exploiter les enfants dans le cas de la mendicité. C’est ce qui y a fait qu’aujourd’hui il y a, disons, une totale confusion…
Les enfants peuvent être là-bas dix ans, ils ne connaissent rien du Coran et ensuite, vous voyez le maître coranique, c’est lui qui s’enrichit. Et souvent il y en a qui s’enrichissent au point de sortir du pays et d’aller à l’étranger. Ou bien d’autres qui sont en train de faire travailler les enfants et de construire des bâtiments chez eux. Donc, c’est ça le problème. Le non-contrôle, l’insuffisance du contrôle par l’Etat de ce secteur-là. [4]
En général, les garçons qui vivent dans les écoles coraniques dans les villes du Sénégal sont originaires des régions rurales les plus pauvres du pays, ainsi que de pays voisins, notamment de Guinée-Bissau. [5] De nombreux parents qui envoient leurs enfants dans de telles écoles semblent motivés par le désir que l’enfant mémorise le Coran et reçoive une éducation morale. Pour certains parents, cependant, la décision a son origine dans une attitude de négligence ; confier un enfant à un maître coranique a pour effet de transférer à ce dernier la responsabilité de nourrir l’enfant, de l’abriter et de s’occuper de lui. [6] Beaucoup des maîtres coraniques qui commettent des abus sont eux-mêmes originaires de villages pauvres et ont profité de l’absence de réglementation pour ouvrir des « écoles » où ils s’enrichissent grâce au travail des enfants, comme le décrit le militant ci-dessus. Certains de ces « maîtres » rapportent de l’argent ou des sacs de riz aux familles qui leur ont confié un enfant, créant ainsi une filière d’exploitation basée sur la mendicité de l’enfant. [7]
Au cours de l’année écoulée depuis l’incendie de la Médina, le gouvernement du président Macky Sall a accompli des progrès notables vers l’instauration de normes de base pour les écoles coraniques et les maîtres coraniques. Un projet de loi et quatre projets de décret d’application, tous destinés à réglementer et superviser les écoles coraniques, sont actuellement en cours d’examen avant d’être soumis à l’Assemblée nationale. L’adoption de cette loi et de ces décrets constituerait un pas en avant.
En même temps, comme nous l’évoquons en détail dans la section II ci-dessous, le Sénégal dispose déjà d’un arsenal de lois et de politiques qui pourraient être utilisées pour mettre fin à la pratique de la mendicité forcée des enfants, mais ces lois ne sont presque jamais appliquées. Même si la future loi constituera un instrument différent et, à certains égards, potentiellement plus efficace, pour améliorer la situation de tous les enfants qui fréquentent les écoles coraniques, elle ne sera un succès que s’il existe une volonté politique et un soutien financier nécessaires pour la faire appliquer.
Conditions de vie insalubres dans certaines écoles coraniques
Le rapport de 2010 de Human Rights Watch décrit en détail comment certains maîtres coraniques ouvrent des écoles dans des baraques délabrées ou des maisons abandonnées qui sont totalement insalubres, en particulier pour de jeunes enfants. Les maladies—telles des infections de la peau ou le paludisme—sont monnaie courante du fait de l’insalubrité et de la surpopulation, et les garçons sont souvent livrés à eux-mêmes pour tenter de se faire soigner. Les recherches effectuées en octobre 2013 et janvier 2014 ont démontré que ceci demeurait un problème généralisé, même après l’incendie dans le daara de la Médina.
Human Rights Watch a visité en janvier 2014 une école coranique située dans le quartier Golf Sud d’une banlieue de Dakar. Plus de 150 talibés de Guinée-Bissau résident dans un bâtiment de béton inachevé et abandonné, s’entassant la nuit à 20 ou 30 par pièce. Les garçons qui y vivent ont déclaré qu’ils étaient forcés de mendier pour rapporter 500 francs CFA (un dollar) par jour. Le maître coranique vit confortablement avec sa famille dans une résidence à environ un kilomètre de là, confiant l’école—et des garçons parfois âgés d’à peine six ans—à la garde d’élèves adolescents ou âgés d’une vingtaine d’années. Il n’y a ni électricité ni eau courante et les garçons utilisent le même sol en terre battue à la fois comme latrine et comme douche. Ils dorment à même le sol ou sur de maigres nattes dans des pièces qui, même par un après-midi sans nuages, sont totalement obscures. Sauf en hiver, de nombreux talibés choisissent de dormir en plein air pour éviter la chaleur étouffante. Sans fenêtres ni portes, l’endroit est régulièrement inondé pendant la saison des pluies. Des dizaines de moustiques vrombissent dans chaque pièce. [8]
Human Rights Watch a visité des dizaines de tels bâtiments inachevés ou baraques qui servent d’écoles coraniques où vivent les enfants. À Saint-Louis, ville située à environ 250 kilomètres au nord de Dakar, Human Rights Watch a visité deux écoles coraniques installées à moins de dix mètres d’une grande décharge publique jonchée de batteries, de pièces de véhicules usagées et de carcasses d’animaux. Des talibés de Saint-Louis ont décrit comment ils fouillaient dans les immondices pour trouver des morceaux de métal ou des bouteilles en plastique qu’ils peuvent vendre pour remplir leur quota de mendicité. Lors d’une ronde de nuit avec un militant de la cause des talibés à Saint-Louis en janvier 2014, Human Rights Watch est tombé sur un petit daara—d’à peine 5 mètres sur 3—dans lequel à peu près 25 garçons étaient entassés. Les plus âgés avaient tracé des lignes sur le sol que les plus jeunes ne devaient pas franchir—cela permettait aux garçons les plus âgés de s’allonger complètement, mais cela contraignait les plus jeunes à s’entasser les uns sur les autres en une pyramide de bras et de jambes.
Un militant à Saint-Louis, qui fournit des soins médicaux aux garçons des daaras et essaie d’y améliorer les conditions de vie, a décrit une réalité quotidienne souvent déplorable dans certains daaras :
Mais parlant vraiment de [certains] daara traditionnels, ces daara sont vraiment à la porte de la risée. C’est-à-dire que ce sont des daara qui sont vraiment dans les décombres, complètement en déphase avec ce que l’on appelle daara… Si le marabout vivait avec eux, là, on aurait bien compris, mais c’est un marabout ou bien un maître coranique qui a sa maison à côté et qui fait vivre les enfants dans une maison abandonnée, ou bien qui construit à côté une baraque qui lui permet de faire vivre une trentaine d’enfants. Donc quand nous voyons dans deux chambres quelques cinquante enfants, ça, on ne peut plus parler de daara mais on parle d’exploitation. Et c’est là où vient l’idée de dire que bon, certaines personnes qui sont des marabouts ou bien des maîtres coraniques sont en train d’exploiter certains enfants. Comme quoi, ils leur font mendier... Ce sont ces enfants qui s’habillent eux-mêmes. Ce sont ces enfants qui se nourrissent eux-mêmes. Ce sont ces enfants qui se rendent propres eux-mêmes… Beaucoup d’enfants qui viennent ici pour faire des soins ont la peau complètement en déphase… avec des ascarides, des poux. On fait des soins sur la gale…
Nous sommes même partis dans certains daaras, proposer aux marabouts d’enlever tous les habits qui sont dans les daaras et de les brûler parce qu’il y a des poux, il y a des puces qui sont aux alentours du daara qui font que chaque fois qu’on soigne des enfants et qu’ils guérissent, la maladie revient. Pourquoi? Parce que c’est le daara qui est abominable. Donc, nous sommes obligés d’aller là-bas avec notre machine à désinfecter pour désinfecter tout le daara… Aussi nous proposons au marabout souvent des nattes au moins pour qu’ils puissent dormir sur des nattes. Mais certains marabouts n’utilisent pas ces nattes-là. Ils les prennent pour amener dans leurs villages ou bien ils les prennent pour amener ça dans leurs propres maisons. On a été voir des marabouts [à qui] nous-mêmes on a donné des nattes. Je me suis assis sur une natte que nous avons donnée pour les enfants et qui était chez le marabout. Donc, du coup, on sent que le marabout ne s’occupe pas trop bien même de l’hygiène de l’enfant, ni même de sa santé ni même de son milieu de vie. Ce qui l’anime ce marabout, c’est surtout que l’enfant lui amène [de l’argent]. [9]
Si le projet de loi visant à réglementer les daaras doit avoir un véritable sens, il devra marquer la fin d’une situation où des milliers de garçons vivent dans des bâtiments où leur santé et leur sécurité sont menacées. De telles écoles rappellent tristement l’incendie tragique de la Médina, dans lequel huit jeunes garçons sont morts. Selon des témoins interrogés par Human Rights Watch, le maître coranique était absent quand l’incendie a éclaté vers 10h00 du soir le 3 mars 2013, dans la petite baraque où environ 50 garçons étaient entassés dans deux pièces. [10] Un voisin du daara a déclaré à Human Rights Watch :
[Le maître coranique] venait peut-être le soir pour récupérer ce que [les enfants] ont mendié, récupérer l’argent, et retourner [chez lui] parce qu’il était locataire quelque part ailleurs… Les maîtres coraniques [dans ce type de daaras], ils ne dorment pas avec les enfants, la plupart… parce que là où les enfants crèchent, c’est insalubre, c’est invivable… Des choses comme [l’incendie], c’est à ne plus revoir, vraiment. Et malheureusement, il y a des daaras même [à] Dakar qui ressemblent à ce daara-là, jusqu’à présent… Les daaras… qui sont dans les taudis, qui sont dans les baraques, qu’ils les suppriment, qu’ils ne font que des daaras modernes, habitables… Sinon, ça va se répéter, ça va se perpétuer partout. [11]
Un membre de la société civile sénégalaise, qui s’occupe de la question des talibés, a décrit les conditions de vie déplorables dans une école coranique qu’il a récemment visitée et a appelé le gouvernement à remplir ses promesses :
Juste ici à côté… dans les marécages aux HLM, il y a un daara qui compte plus de 250 enfants, qui habitent à côté [dans] un immeuble qui est en délabrement, avec des enfants qui sont dans les marécages, qui boivent même souvent dans les marécages, à côté des lézards et autres. [Ils] se lavent dans ces marécages-là, et personne ne dit rien. Pourquoi? Parce que simplement, quelque part, il y a que souvent l’Etat est frileux, frileux parce que quand tu touches à la religion, tu touches à une corde sensible et qui fait que, souvent, les gens ont peur.
Les gens ont peur. Mais rien ne se tait ici au Sénégal. Quand l’Etat a reculé par rapport aux dispositions qui ont été prises, le bruit qui courait, c’est que les maîtres coraniques avaient dit, “On va prendre nos chapelets, et on va faire ce qu’on va faire, et comme ça, le Président va s’en aller, il ne va pas rester.” Oui… En fait, je ne suis rien et je n’ai pas un poste qui est en jeu, mais ce que je crois, c’est qu’au-delà de toutes ces croyances, il faut
qu’on s’arrête sur l’essentiel. De quoi demain sera fait ? Si c’est ce Sénégal-
là, il faut le construire ensemble… Aujourd’hui on devrait focaliser l’essentiel de nos interventions—la plus grande partie, la plus importante—sur l’avenir de ces enfants-là… Et aujourd’hui, c’est à ça que j’appelle l’Etat… qu’il respecte ses engagements, qu’il prenne des mesures. [12]
Telles qu’elles sont décrites par Human Rights Watch dans son rapport de 2010 et documentées à nouveau dans celui-ci, les conditions de vie dans certaines écoles coraniques contreviennent aux obligations du gouvernement découlant de la Convention relative aux droits de l’enfant et de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, en ce qui concerne les droits des garçons à la vie, à la santé, au développement physique et intellectuel, à l’éducation et aux loisirs. [13]
Efforts du gouvernement pour imposer des règles et des normes minimales
Pendant plus d’une décennie, les gouvernements du Sénégal ont promis de moderniser les écoles coraniques afin qu’elles remplissent des critères minimaux en matière de protection des droits des enfants et qu’elles dispensent une éducation de qualité. Au cours de l’année écoulée, le gouvernement du président Sall s’est plus approché de la réalisation de cette promesse que tous les gouvernements précédents. Un projet de loi qui donnerait un statut juridique aux écoles coraniques du pays et leur imposerait une réglementation et une supervision est à un stade avancé d’examen au parlement.
Human Rights Watch a consulté une version du projet de loi et des projets de décrets d’application, datés du 23 octobre 2013. Les projets de décrets d’application contenaient des articles concernant les conditions d’ouverture d’une école coranique, les qualifications requises pour être maître coranique, le nombre d’heures à consacrer à l’enseignement et la qualité de celui-ci, ainsi que l’obligation de se soumettre à des inspections effectuées par les ministères de l’Éducation nationale et de la Santé. L’un des projets de décret d’application exige notamment que les écoles coraniques « renonc[ent] à la mendicité ». [14] Les écoles coraniques qui rempliraient ces normes minimales seraient officiellement reconnues par le ministère de l’Éducation nationale, ce qui leur donnerait la possibilité de recevoir des subventions et d’autres formes d’incitations financières.
Un responsable de l’Inspection des daaras au ministère de l’Éducation nationale a déclaré à Human Rights Watch que tous les ministères et directorats compétents avaient eu l’occasion d’examiner le projet de loi et de le commenter. Il a ajouté que le gouvernement le présenterait prochainement à l’Assemblée nationale, où il espère qu’il sera rapidement adopté. [15] Ce responsable a précisé qu’une fois la loi adoptée, « certains daaras seront fermés, ceux qu’on appelle ‘daaras’ mais qui en réalité ne servent pas à dispenser une vraie éducation religieuse. Ils ne servent qu’à l’enrichissement personnel [du maître coranique] ». [16]
La cellule de lutte contre la traite des personnes au ministère de la Justice est également en train de préparer le terrain pour l’application rapide et efficace du projet de loi, y compris en identifiant les « écoles » où les enfants sont exploités ou vivent dans des conditions dangereuses. [17] Cette cellule supervise actuellement une opération de recensement exhaustif des daaras dans la région de Dakar, identifiant et recueillant des informations sur plus de 1 000 daaras. [18] Elle envisage d’étendre ce travail sur l’intégralité du territoire sénégalais afin d’identifier les daaras où les droits des élèves semblent bien respectés, ceux où des abus sont commis mais où la situation peut être remédiée grâce à un soutien approprié, et ceux où les conditions sont tellement déplorables que ces « écoles » doivent être fermées sans délai. [19] Un responsable de haut rang du ministère de la Justice a expliqué :
C’est très simple. Nous savons où se trouvent les daaras [abusifs à Dakar, grâce à la cartographie], donc une fois que la loi sera votée, nous appliquerons la loi. Le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Justice et la cellule de lutte contre la traite des personnes n’existent pas pour rien. Au lieu d’avoir des adultes qui s’occupent d’enfants, dans ces écoles—ou ces prétendues écoles—vous avez de jeunes enfants qui nourrissent—qui enrichissent—les adultes. Dans un pays respectueux de l’état de droit, cela ne peut pas être toléré. [20]
Enfin, le gouvernement, grâce à un important soutien financier de la part de la Banque islamique de développement, a entrepris de construire 64 « daaras modèles », dont le programme scolaire comprendra l’enseignement du Coran ainsi que des matières de base enseignées dans les écoles publiques comme la lecture, l’arithmétique et le français. [21] Ces daaras modèles seront construits dans sept régions administratives du pays ; la moitié des écoles seront gérées par l’État, l’autre moitié par les communautés, le gouvernement ayant la responsabilité de les inspecter toutes pour y vérifier les conditions de vie et superviser les programmes. [22] Un responsable du ministère de l’Éducation nationale a déclaré que chaque école devra pouvoir accueillir au moins 320 enfants répartis sur huit niveaux de classe. [23] Le gouvernement devra s’assurer que ces écoles soient ouvertes non seulement aux Sénégalais aisés et pour la plupart urbains, mais aussi aux populations rurales démunies, d’où proviennent la majorité des garçons qui peinent actuellement dans les daaras où ils sont constamment victimes d’exploitation et d’exactions. Les régions du Sénégal d’où est originaire le plus grand nombre de ces garçons devraient être spécialement ciblées pour la construction de daaras modèles. Un militant de la société civile sénégalaise a également souligné combien il importe de soutenir les daaras de village, de sorte que les enfants puissent rester et vivre avec leurs parents tout en combinant la fréquentation d’une école primaire villageoise et l’étude du Coran. [24]
Facteurs qui menacent les progrès vers l’imposition de normes minimales
Comme le fait remarquer un militant de la société civile cité au début de cette section, si l’Assemblée nationale adopte la loi et ses décrets d’application afin d’instaurer une réglementation et une supervision des écoles coraniques, cela constituera un grand pas en avant. Toutefois, cette loi ne permettra de protéger les enfants des sévices et de l’exploitation que si elle est effectivement appliquée et débouche sur la fermeture des écoles qui violent les droits des enfants à la santé, à la nourriture, au développement physique et intellectuel et à vivre à l’abri de l’exploitation. Des responsables du ministère de l’Éducation nationale devront régulièrement surveiller ces écoles pour s’assurer qu’elles remplissent les normes fixées par la loi et, lorsque ce n’est pas le cas, travailler en coopération avec leurs homologues dans les ministères de la Famille, de l’Intérieur et de la Justice pour fermer ces écoles, placer temporairement les enfants dans un environnement sûr, et les restituer à leurs familles. L’imposition et le respect de normes minimales afin d’assurer la protection des droits des enfants exigera une volonté politique de la part du président et des ministres compétents, ainsi que les moyens financiers nécessaires à l’application de la loi—deux domaines dans lesquels les précédents gouvernements ont constamment échoué quand il s’agissait de questions relatives aux écoles coraniques.
Besoin de volonté et de courage politiques
Construire des daaras modèles et soutenir les maîtres coraniques qui dirigent des écoles exemplaires est louable, mais le véritable test de la détermination du gouvernement à protéger les enfants de l’exploitation et de la maltraitance ne sera concluant que si le gouvernement donne à la loi un bon accompagnement et ferme les « écoles » où les violations des droits des enfants ne sont pas immédiatement remédiables. Dans une large mesure, le cadre juridique permettant de prendre une telle mesure existe déjà, grâce à la loi de 2005 interdisant la mendicité forcée (cf. section II pour de plus amples détails). Et pourtant les autorités n’ont appliqué cette loi qu’en de très rares occasions, ce qui revenait à permettre la prolifération d’écoles où les garçons sont exploités et vivent dans des conditions déplorables.
Plusieurs responsables gouvernementaux ont déclaré à Human Rights Watch que les maîtres coraniques et la société sénégalaise en général seraient plus disposés à accepter le projet de loi car il implique la fermeture d’écoles où les conditions de vie sont inhumaines—dans le contexte plus large d’un soutien aux bonnes écoles coraniques—plutôt que l’engagement de poursuites contre des hommes qui sont encore considérés par certains comme étant des autorités religieuses. [25] Mais il y a des raisons d’être sceptique.
À la suite de l’incendie à la Médina en mars 2013, les événements dans la banlieue dakaroise de Guédiawaye ont démontré à la fois comment les choses devraient idéalement évoluer et comment le progrès est bloqué. Des voisins et des militants de la société civile ont identifié quatre daaras où prévalaient des conditions dangereuses qui « auraient pu conduire à une nouvelle catastrophe comme à la Médina ». [26] Avec l’aide de responsables gouvernementaux locaux, une école a été fermée ; les enfants ont passé une semaine dans des centres d’accueil, avant d’être renvoyés dans leurs villages, situés essentiellement dans le centre du Sénégal. Un militant impliqué dans ce processus a déclaré qu’il y avait « une vraie synergie, tout le monde travaillait main dans la main—la société civile, la population, le comité local de protection de l’enfant et [les responsables gouvernementaux locaux]. Les représentants de la société civile ont écarté tous les obstacles, s’assurant que des centres d’accueil et d’autres sites étaient prêts à héberger les enfants. Mais c’est alors que nous avons rencontré des problèmes. » [27]
Après avoir réuni les garçons du premier daara avec leurs familles, les mêmes acteurs s’apprêtaient à fermer le deuxième daara identifié. Mais selon les informations disponibles, des responsables du gouvernement central les en ont empêché. Une personne impliquée dans le processus a indiqué que le comité local de protection de l’enfant avait épuisé ses fonds et que ni le gouvernement central ni les principaux bailleurs de fonds internationaux n’étaient désireux de fournir les fonds nécessaires pour fermer les trois autres daaras. [28] Une autre personne a affirmé que le problème était dû principalement au manque de volonté du gouvernement, indiquant que des responsables gouvernementaux locaux avaient dit que les responsables au plus haut niveau à Dakar « n’avaient pas encore décidé d’aller de l’avant avec la fermeture des daaras [abusifs]. Ils nous ont dit que nous ne pouvions pas continuer car il n’y avait pas de soutien politique [pour des telles mesures] ». [29] Les trois autres daaras qui avaient été identifiés continuent de fonctionner à Guédiawaye dans les mêmes conditions abusives, caractérisées par de longues heures de mendicité forcée et des conditions de vie qui constituent une menace pour la santé et la sécurité des garçons qui y vivent. [30]
Besoin de soutien financier pour faire applique la réglementation
Outre la volonté politique, une réglementation efficace des écoles coraniques exigera des ressources financières et humaines pour effectuer des inspections régulières ; pour sanctionner et, si nécessaire, fermer les établissements qui sont en contravention avec la loi ; pour placer les garçons dans un environnement où leurs droits fondamentaux sont protégés ; et, dans de nombreux cas, retrouver et les réunir avec leurs parents. À présent, les organes compétents du gouvernement sont en sous-effectifs et sous-financés dans une mesure telle que toute tentative d’application complète de la loi serait gravement compromise. [31]
L’Inspection des daaras du ministère de l’Éducation nationale compte huit employés à plein temps, dont deux inspecteurs. [32] Pour tenter de superviser les dizaines de milliers de daaras existant dans tout le Sénégal—les villes de Dakar et de Touba en comptent plus de 1 000 chacune—l’Inspection s’appuie localement sur des inspecteurs de l’enseignement en langue arabe qui, en plus des écoles coraniques, ont la responsabilité d’inspecter les classes d’arabe dans les écoles publiques, ainsi que dans les écoles franco-arabes privées. [33] À présent, il n’y a même pas un inspecteur de l’enseignement en langue arabe pour chaque département administratif du pays. [34] Même si c’était le cas, l’idée qu’on puisse garantir le respect des normes dans toutes ces écoles avec des effectifs à leurs niveaux actuels est fantaisiste, comme l’a indiqué un responsable de l’Inspection des daaras : « Si nous devons effectuer des inspections ou même superviser des inspections dans tout le Sénégal, nous avons besoin de davantage de personnel et d’équipement. De nombreux inspecteurs n’ont pas de voiture. » [35] Il a précisé que, pour le moment, il était prévu que chaque inspecteur accomplisse au moins une mission de de terrain par mois, les inspecteurs en chef de Dakar en effectuant une tous les trois mois. [36] Bien que constituant une amélioration par rapport à la situation actuelle, un tel niveau de supervision ne ferait qu’effleurer la surface du problème de l’identification des écoles qui posent une sérieuse menace au bien-être des enfants.
Un soutien plus ferme à l’application de la loi actuellement en projet sera essentiel, bien qu’il faille reconnaître les contraintes budgétaires du Sénégal—un problème qui affecte les politiques en matière de droits des enfants de façon générale. En décembre 2013, le gouvernement sénégalais a pris une mesure positive en validant une stratégie nationale de protection des enfants, la présentant comme la base d’actions futures. Cette stratégie met en relief le problème spécifique de la mendicité des enfants et appelle le gouvernement à appliquer les lois et les politiques conçues pour protéger les enfants de tels abus. Elle devrait également favoriser la coordination entre les différents ministères qui s’occupent de questions relatives aux droits de l’enfant, dont les ministères de la Justice, de la Famille, de l’Éducation nationale, de la Santé et de l’Intérieur. Un représentant d’une mission diplomatique a déclaré que cette stratégie nationale était « très bien conçue, mais qu’il n’y avait pas les moyens dotés » pour la réaliser complètement. [37]
Le gouvernement devrait rechercher des moyens
efficaces mais peu coûteux de faciliter la mise en œuvre de la
future loi et de ses décrets d’application. Par exemple, le
gouvernement devrait envisager de créer un numéro vert au sein de
l’Inspection des daaras et de la Division de l’enseignement arabe
du ministère de l’Éducation nationale, permettant aux
représentants de la société civile et à la
population en général d’appeler et de dénoncer les
daaras dont les talibés mendient ou dans lesquels ils sont soumis
à des conditions insatisfaisantes qui menacent leur santé et leur
sécurité.
Alliés potentiels : des dirigeants religieux et de nombreux enseignants du CoranDes militants de la société civile sénégalaise et certains responsables gouvernementaux de rang intermédiaire ont affirmé que le précédent gouvernement du président Abdoulaye Wade et l’actuel gouvernement du président Macky Sall avaient reculé, à des degrés divers, par rapport à leurs promesses d’éliminer la mendicité forcée des enfants, après que certains maîtres coraniques ont accusé le gouvernement de s’attaquer à l’Islam et à l’éducation coranique. [38] Mais en revenant sur leurs engagements, les deux gouvernements n’ont pas compris que des grands dignitaires religieux du pays, ainsi que de nombreux maîtres coraniques représentaient en réalité des alliés potentiels, plutôt que des adversaires. Un fonctionnaire du ministère de la Justice a déclaré : « Le paradoxe est que la majeure partie de la population est contre ces pratiques, même la plupart des dirigeants religieux sont contre—ils veulent l’application de la loi [contre la mendicité forcée]. Le gouvernement recule souvent quand il y a des protestations de la part de certains groupes de maîtres coraniques, mais ceux-ci ne sont qu’une minorité. » [39] À la suite de l’incendie de la Médina, l’Association des imams du Sénégal a exprimé fermement son soutien aux efforts du gouvernement pour mettre fin à la mendicité des enfants, affirmant, selon les médias locaux, que la pratique consistant à forcer les talibés à mendier pour de l’argent leur « inculque… le mensonge et le vol, qui sont des attitudes bannies par la religion musulmane ». [40] Human Rights Watch a interrogé plus d’une dizaine de maîtres coraniques à Touba, Diourbel, Saint-Louis et Dakar, qui ont tous exprimé un soutien similaire à l’action du gouvernement en vue de faire cesser l’exploitation d’enfants par la mendicité. Une grande autorité religieuse à Diourbel, qui préside une association de maîtres coraniques, a déclaré que les récits concernant des talibés qui sont forcés de mendier pour rapporter chaque jour une somme fixe d’argent le mettaient « vraiment en colère ». Il a poursuivi : Entendre dire si souvent que ces soi-disant maîtres coraniques exploitent les enfants de la sorte, ce n’est pas du tout acceptable. Ce sont ces mauvais maîtres coraniques qui créent le problème des enfants des rues, qui poussent ces enfants à voler [pour réunir la somme exigée]. Les autorités devraient se rendre sur le terrain, identifier ceux qui se livrent à cette pratique et prendre des mesures pour régler le problème pour de bon. [41] Un autre maître coranique, d’un village situé entre Diourbel et Touba, a dit : Bien trop souvent, on voit de soi-disant maîtres coraniques s’installer dans les villes à la recherche d’argent. Un vrai daara est dédié à l’éducation morale, le Coran, pas à l’argent… Nous sommes à l’ère des ‘droits’, cette pratique de la mendicité n’est pas acceptable… Le gouvernement devrait intervenir et réglementer les écoles coraniques. Cela lui permettrait de se débarrasser de [ceux qui commettent des abus]. [42] De nombreux maîtres coraniques font plus que leur devoir en matière de soutien aux enfants qui leur sont confiés. Human Rights Watch a visité plusieurs écoles coraniques à Diourbel, où les maîtres inscrivent systématiquement les élèves de leurs daaras dans les écoles publiques locales—afin que les enfants suivent les programmes d’enseignement de l’école publique en même temps qu’ils mémorisent le Coran au daara. Sans aucune aide financière de la part des parents, ces maîtres hébergent et nourrissent les garçons et font fonctionner des daaras où règne la propreté. L’un de ces maîtres a déclaré au sujet de sa décision d’inscrire les garçons à l’école publique : « C’est absolument nécessaire pour que les garçons puissent prospérer dans le monde. Même avant que le gouvernement ne commence à parler de modernisation, nous nous sommes modernisés nous-mêmes . » [43] En plus des maîtres coraniques, le gouvernement pourrait aussi s’allier avec les plus hautes autorités religieuses du Sénégal. En 2010 et de nouveau en janvier 2014, Human Rights Watch a rencontré des membres éminents des familles religieuses Tidjane et Mouride, les deux confréries les plus importantes et influentes du Sénégal. Ils ont exprimé de façon unanime leur opposition à la pratique de la mendicité dans les rues par les élèves des écoles coraniques. Sokhna Mame Issa Mbacké, descendante du frère du fondateur de la confrérie des mourides, Cheikh Amadou Bamba, soutient 13 daaras modernes où les élèves apprennent, en plus du Coran, le français, l’arabe, les sciences et les techniques informatiques. Elle a déclaré à Human Rights Watch : « Comparer ceux qui exploitent les enfants par la mendicité forcée à de vrais maîtres coraniques est une insulte à l’égard des vrais maîtres. » [44] Sokhna Maï Mbacké, fille du troisième calife mouride, Serigne Abdoul Ahad Mbacké, a exprimé une indignation similaire au sujet de ceux « qui disent qu’ils amènent des enfants à Touba pour qu’ils apprennent [le Coran] mais qui en fait, les forcent à travailler, à mendier. Ensuite, le soi-disant maître coranique retourne dans son village à la saison de récolte et apporte de l’argent, des sacs de riz et du sucre, provenant du travail de ces enfants. Cette pratique doit être dénoncée ». [45] Plusieurs dirigeants religieux de Touba ont déclaré à Human Rights Watch que certains maîtres coraniques abusifs avaient fui Dakar pour s’installer à Touba, après que les autorités eurent poursuivi en justice plusieurs maîtres coraniques à Dakar en septembre 2010. En conséquence, selon ces dirigeants religieux, le problème de la mendicité des enfants s’est accru dans la ville sainte, où des « maîtres » abusifs exigent désormais que les garçons rapportent entre 400 et 750 francs CFA (0,80 à 1,50 dollar) par jour. Idrissa Cissé N’Diaye, un responsable renommé du Conseil rural de Touba-Mosquée, la plus haute autorité politique et morale de cette ville sainte semi-autonome, a indiqué à Human Rights Watch qu’il avait supervisé un recensement des daaras de Touba. Sur les 1 274 daaras identifiés, a-t-il affirmé, « moins de 700 fonctionnent selon des critères appropriés ». [46] Il a ajouté : Certains individus arrivent et s’installent dans une baraque ou dans un bâtiment inachevé, disant qu’ils ont maitrisé le Coran mais en fait ils ne l’avaient pas [maitrisé]. [Beaucoup d’entre eux] n’ont que 25 à 50 enfants. Ces établissements ne sont pas des ‘daaras.’… Ce sont des hommes qui n’ont aucune source de revenus, alors ils utilisent—ils exploitent—ces enfants pour leur gagne-pain… Ces ‘écoles’ ne méritent pas de rester en place… Nous disons à ceux qui les dirigent qu’ils doivent s’en aller et que nous nous chargerons de placer les enfants dans de vrais daaras. La place d’un enfant est à l’école, pas dans la rue. [47] Le président de la commission de l’éducation et des affaires religieuses du Conseil Rural, Serigne Moustapha Diattara, a indiqué que le conseil préparait son propre plan pour mettre fin au problème de la mendicité forcée à Touba. Il a précisé qu’un comité serait créé pour réglementer tous les daaras de Touba, y compris en contrôlant les connaissances des maîtres coraniques avant de les autoriser à ouvrir des écoles, en fixant un programme d’études bien défini et en s’assurant que les écoles remplissent les normes fondamentales de protection des droits de l’enfant. Il a indiqué que cette proposition était en instance de validation par le calife avant d’entrer en vigueur. Il a également souligné : « De la première à la dernière page du Coran, il n’y a rien [qui autorise] la mendicité ou la maltraitance des enfants… Le Coran parle de sainteté et de piété, cette pratique de la mendicité ne vient pas du Coran. Ceux qui se livrent à cette pratique devraient eux-mêmes apprendre le Coran. Ils s’emparent d’enfants et les exploitent. » [48] Plusieurs militants locaux et fonctionnaires de rang intermédiaire ont suggéré que le président Sall réunisse les chefs des confréries religieuses du Sénégal, ainsi que des imams influents et les dirigeants d’associations progressistes de maîtres coraniques, afin d’émettre une déclaration commune de soutien à la fermeture des écoles où les enfants vivent dans des conditions insalubres, et à la pleine application de la loi envers les individus qui exploitent de jeunes garçons par la mendicité forcée (cf. section II, ci-dessous). Au minimum, le gouvernement devrait cesser de reculer à chaque fois que certains groupes de maîtres coraniques—qui sont souvent ceux qui profitent largement du maintien du statu quo—provoquent un tollé. De nombreuses autres autorités religieuses soutiennent les efforts du gouvernement visant à mettre fin à la mendicité forcée des enfants. |
II. Application de la loi interdisant la mendicité forcée
Alors que nous nous efforçons de créer des daaras modernes, nous devons également punir ceux qui exploitent des enfants dans de prétendues écoles coraniques. Ceux qui forcent des enfants à leur apporter de l’argent chaque jour ne sont pas des enseignants mais des exploiteurs—ce sont des esclavagistes des temps modernes.
—Alioune Tine, président de la Comité sénégalais des droits de l’homme [49]
Ainsi que Human Rights Watch l’a décrit en détail dans son rapport de 2010, des milliers de jeunes garçons sont forcés de passer de longues heures chaque jour dans les rues des villes sénégalaises à mendier pour de l’argent, du riz cru et du sucre, qu’ils doivent ensuite rapporter à la personne qui gère leur école coranique. Dans les pires de ces « écoles », les garçons sont systématiquement battus s’ils ne reviennent pas avec une somme fixe d’argent, dont le « maître » et sa famille finissent par bénéficier de manière quasi-exclusive. Certains « maîtres » infligent à ces jeunes garçons des punitions qui s’apparentent à de la torture, notamment en les frappant violemment, en les brûlant avec des substances caustiques, comme de la sève de noix de cajou, et en les forçant à rester longtemps dans des positions douloureuses. [50]
En 2005, l’Assemblée nationale a adopté une loi contre la traite des personnes qui considérait comme un crime grave le fait « d’organiser la mendicité d’autrui afin d’en tirer profit » [51] Cette loi visait directement à régler le problème de la mendicité forcée dans certaines écoles coraniques mais elle a été très peu appliquée pendant la décennie qui a suivi son adoption, sauf pendant une brève période en septembre 2010, sous le gouvernement Wade. Sous la pression des partenaires internationaux du Sénégal, neuf maîtres coraniques ont été condamnés en l’espace de quelques semaines, ce qui a provoqué un exode d’enfants mendiants des rues de Dakar. [52] Cependant, lors d’une réunion du Conseil des ministres en octobre 2010, Wade a déclaré qu’il désapprouvait ces mesures. [53] Les poursuites en justice ont cessé et des milliers d’enfants sont rapidement revenus dans les rues et ont recommencé à mendier pour recueillir leur quota d’argent quotidien.
À la suite de l’incendie dans la Médina, le gouvernement du président Sall a promis une application rapide et résolue de la loi contre la mendicité forcée. [54] Des militants de la société civile ont déclaré à Human Rights Watch que de nouveau, les rues se sont considérablement vidées. Mais lorsque la détermination à appliquer la loi a semblé faiblir, certains maîtres coraniques ont renvoyé les enfants mendier dans les rues. Un an plus tard, à de rares exceptions près—dont un cas notable en janvier 2014—la loi reste inappliquée et, selon des représentants de la société civile sénégalaise et de certains responsables gouvernementaux, cette défaillance est essentiellement due à un manque de courage politique. Il existe cependant des signes encourageants que cette situation est peut-être en train de changer, en particulier grâce aux qualités de dirigeant dont font preuve certains hauts fonctionnaires du ministère de la Justice, dont le chef de la cellule de lutte contre la traite des personnes.
Exploitation et maltraitance liées à la mendicité forcée
Chaque jour dans les banlieues défavorisées de Dakar, des garçons sautent à bord de véhicules de transport public pour se rendre dans le centre-ville, où ils mendient toute la journée pour de l’argent, du riz cru et du sucre—ainsi que pour leurs propres repas. Chaque soir, beaucoup d’entre eux retournent d’où ils sont venus pour apporter les gains du jour à leur « maître » coranique. [55] Certains garçons restent dans la rue et y dorment, car ils craignent les châtiments corporels qu’ils recevront s’ils ne rapportent pas la somme quotidienne exigée. D’autres se résignent à être battus à coups de fouet ou de fil électrique, plutôt que dormir dans la rue. Chaque jour, ce scénario se répète dans les principales villes du pays.
Dans les « écoles » gérées par des maîtres coraniques abusifs, l’accent n’est pas mis sur l’éducation, religieuse ou autre, mais sur l’accumulation d’argent pour le « maître ». Un militant de la société civile sénégalaise a expliqué :
Ces enfants sont des enfants sénégalais qui sont victimes de parents ou de présumés maîtres coraniques véreux qui [vont] dans le sens de les exploiter rien que pour leur propre intérêt… Le maître coranique, lui, il n’a pas de qualifications... Et qu’est-ce qu’il fait ? Il reste dans une situation où maintenant il attend qu’on l’entretient. C’est ça le problème. Qui l’entretient ? L’enfant. Qui fait quoi ? C’est l’enfant qui devient un outil de travail. Donc, c’est l’inversement des principes. [56]
Dans une récente cartographie des daaras dans la région de Dakar, des enquêteurs provenant de la société civile ont constaté que les élèves d’écoles coraniques où les maîtres les forcent à mendier passent une moyenne d’au moins six heures par jour dans la rue, à la recherche d’argent et de nourriture. [57] Comme Human Rights Watch l’a démontré dans son rapport de 2010, des jeunes garçons à Dakar doivent souvent rapporter entre 300 et 1 000 francs CFA (0,60 à 2 dollars) par jour à leur « maître » coranique. Dans les autres grandes villes, la somme exigée est souvent plus petite, se situant entre 150 et 500 francs CFA (0,35 à 1 dollar). Avec des dizaines de garçons travaillant pour eux sept jours par semaine, ces exploiteurs amassent des gains bien supérieurs au salaire d’un fonctionnaire de rang intermédiaire—et encore plus comparés aux revenus du Sénégalais moyen. [58]
En plus de l’argent, de nombreux « maîtres » exigent que les garçons leur rapportent des quotas de riz cru et de sucre en morceaux. [59] Dans ces écoles qui fonctionnent pour le profit du maître, cette nourriture n’est pas destinée aux garçons mais lui sert plutôt de source de revenus supplémentaire. [60] Un militant de la société civile de Saint-Louis a témoigné avoir vu des garçons de plusieurs écoles empiler leurs morceaux de sucre dans des boîtes et verser leur riz dans des sacs aux domiciles des maîtres, qui les vendaient ensuite dans de petites boutiques qu’ils gèrent. [61] Human Rights Watch a vu plusieurs de ces boutiques et lors de sa mission de recherche en 2010, a interrogé de nombreux talibés ou ex-talibés qui ont affirmé que le riz et le sucre n’étaient jamais pour eux—mais toujours empaquetés pour la famille du maître, qui le consommaient ou le vendaient. [62]
De nombreux garçons décrivent leur sentiment dominant comme étant la peur—peur de la punition qu’ils subiront s’ils ne parviennent pas à recueillir la somme d’argent exigée. Certains « maîtres » donnent un ou deux avertissements mais ensuite, tout autre échec dans la tentative de remplir le quota imposé est puni par des sévices physiques d’une violence souvent extrême—afin d’assurer qu’à l’avenir, le garçon restera encore plus longtemps dans les rues à mendier. Un garçon de 8 ans interrogé en janvier 2014, qui a indiqué qu’il devait rapporter à son maître coranique 200 francs CFA (0,40 dollar), 500 grammes de riz (d’une valeur de 150 francs CFA, soit 0,35 dollar) et dix morceaux de sucre par jour, a déclaré : « Je travaille et je transpire jusqu’à ce que je parvienne à faire mon versement… Parfois, je retourne [dans la rue] après 17h00 pour y parvenir… Si je l’ai, [le maître coranique] ne me bat pas. Mais si je ne l’ai pas, il me bat. » [63]
Un garçon de 10 ans interrogé en janvier 2014 a lui aussi expliqué :
Nous nous réveillons à 7h00 et nous allons mendier dans la rue. Nous y restons jusque vers 9h00. Nous revenons et nous donnons 25 francs CFA (0,05 dollar) et [500 grammes de] riz [cru au maître coranique]… Nous restons [à l’école] pour étudier le Coran jusqu’à 10h00. Après cela, nous retournons au marché [pour mendier]… jusqu’à 15h00, puis nous étudions jusqu’à 17h00. Et nous retournons au marché [pour mendier] encore un peu… Quand nous avons fini, nous devons tous donner 200 francs CFA (0,40 dollar)… Si tu n’as pas le versement, tu lui dis : “ Je n’ai pas mon quota, je l’apporterai demain. ” Alors, le lendemain, tu dois rapporter 400 CFA (0,80 dollar)… [Si tu ne peux pas recueillir les 400 CFA le lendemain], alors il te bat. Il nous bat avec un fouet… [Quand il te frappe,] tu repenses à ta famille… Quand ils nous battent [à l’école coranique], c’est douloureux. Mais quand tu étais chez toi, personne ne te frappe. [64]
Un militant de Saint-Louis qui s’occupe de talibés et d’anciens talibés a ainsi décrit des cas typiques et certains cas plus extrêmes qu’il a récemment observés :
Donc, ces marabouts qui ont ces techniques de faire mal, c’est déjà une torture pour l’enfant qui a à peine sept ans, huit ans, ou bien douze ans maximum et à qui on fait mal, pourquoi ? Parce qu’il n’a pas voulu donner de l’argent ou bien il n’a pas [suivi] le Saint Coran... On leur tape avec des chaînes, des pneus, des bordures de pneu qu’on détache et qu’on leur tape derrière. Ou bien on leur tape aussi avec des cordes mouillées. Et ces cordes-là, c’est souvent des cordes de 12 centimètres, c’est-à-dire les gros cordes qu’on attache pour les vaches, qu’on met dans de l’eau jusqu’à ce que ce soit mouillé pour les taper, parce que ils disent que ça ne va pas faire mal là-haut mais ça va détacher à l’intérieur… Beaucoup d’enfants qui ont fait la rue… quand je les amène le plus souvent à la maison, la première des choses à faire c’est de voir son corps, qu’est-ce qui se passe. Mais quand on regarde le dos de ces enfants, c’est incroyable ce qui se passe…
Il y a quelque chose qui s’appelle djingue. Djingue, c’est comme quand il y avait des esclaves. Ça me rappelle le temps de l’esclavage-là. Pourquoi? Parce que le mot djingue, c’est vraiment t’attacher jusqu’à ce que tu ne puisses pas bouger. C’est-à-dire, il y a des daaras qui ont créé dans leurs propres daara une salle de punition. Dans cette salle de punition il y a souvent un objet qui s’appelle djingue. Parce que l’enfant, il fugue beaucoup trop, donc ils sont obligés de l’attacher… Il y a un bâton qui est de travers et à l’intérieur de ce bâton il est créé une chaîne qui entre d’un côté et de l’autre côté. Et avec cette chaîne-là, on fait le tour de ton poignet pour mettre un cadenas… Donc l’enfant, il ne peut plus bouger parce qu’on met les quatre [membres], c’est-à-dire, les deux poignets et les deux tours de cheville qu’on met ensemble pour qu’il s’assoie là-dessus… Même une heure de temps, tu souffres, mais ils sont obligés des fois de les laisser une seule journée… C’est pour le faire mal [pour] que si on le détache, il ne va plus fuir parce que si on le rattrape, il sait ce qui va se passer encore une fois. [65]
De peur d’être sévèrement châtiés, de nombreux garçons qui ne parviennent pas à recueillir leurs quotas journaliers passent la nuit dans la rue, plutôt que de retourner à l’école. En janvier 2014, Human Rights Watch a rencontré un garçon de 6 ans qui dormait dans la rue en face de la gare routière de Saint-Louis. Dans le froid hivernal, le garçon était recroquevillé en boule, son t-shirt trop grand tendu comme un drap au-dessus de lui d’une façon qui rendait difficile de déterminer de prime abord qu’il s’agissait bien d’une personne. Interrogé pour savoir pourquoi il se trouvait là à 2h00 du matin, il a répondu qu’il lui manquait 100 francs CFA (0,20 dollar) et qu’il ne voulait pas être battu. [66] Selon des militants locaux de Dakar et de Saint-Louis, de très nombreux garçons qui fréquentent des écoles coraniques supervisées par des « maîtres » abusifs prennent une décision similaire chaque jour. [67]
Las de subir des sévices physiques et de dormir dans la rue, de nombreux garçons décident de fuguer définitivement. S’ils sont attrapés et ramenés à l’école, ils sont souvent soumis à des formes particulièrement brutales de sévices physiques, telles que décrites par le militant ci-dessus et par cet ancien talibé âgé de 9 ans :
Je suis allé dans [une pièce] et ils m’ont enfermé. Plus tard, l’homme a appelé un autre garçon pour qu’il ouvre la porte. Alors, le serigne [un terme wolof qui désigne un maître coranique] m’a enchaîné les jambes… Ils m’ont attaché les bras et les jambes avec des chaînes… puis ont verrouillé [la porte]. [Cela a duré] une journée entière… J’ai demandé au serigne de me pardonner mais il a refusé… Le serigne m’a dit que je ne reverrais jamais plus mon père, que je mourrais là, que je serais enterré là. [68]
Suite à plusieurs semaines de sévices, le garçon s’est de nouveau enfui. Cette fois il a réussi et a été ramené à sa famille. D’autres fugueurs deviennent des enfants de la rue de façon semi-permanente. Un talibé âgé de 16 ans a décrit à Human Rights Watch en janvier 2014 comment plusieurs garçons de son daara s’étaient enfuis, n’ayant pas réussi plusieurs fois à recueillir leur quota journalier de 500 francs CFA (un dollar). Vivant dans la rue, ces anciens talibés se sont mis à voler pour survivre. [69] Plusieurs militants de la société civile ont déclaré que la situation de nombreux enfants qui vivent dans la rue de manière semi-permanente est la conséquence directe des abus commis dans certaines écoles coraniques. [70]
Certains garçons qui fuient l’exploitation et les sévices finissent par se retrouver dans des centres d’accueil, comme le Samusocial et l’Empire des Enfants. Le principal éducateur spécialisé à l’Empire des Enfants, Cheikh Sall, a ainsi décrit pourquoi de nombreux garçons s’enfuient et l’impact des sévices subis sur ces garçons :
Pour la plupart des enfants que nous accueillons ici, ils ont fugué parce qu’il y avait une situation de maltraitance qu’ils vivaient dans leur daara. Souvent c’est les marabouts qui les envoyaient dans les rues pour qu’ils mendient… Et donc si l’enfant n’arrive pas à rentrer avec cette somme, il sera battu par le marabout ou bien par les grands du daara… Donc quand ils arrivent ici, ils sont souvent fatigués, souvent fatigués parce que quelque part ils ont été traumatisés par le marabout. Ou bien si ce n’est pas le marabout, ils ont été traumatisés par des personnes qui vivent dans la rue. [71]
La non-application de la loi interdisant la mendicité forcée permet aux individus qui se livrent à l’exploitation et à des sévices de continuer ces odieuses pratiques sans subir de conséquences. Un militant de la société civile sénégalaise qui travaille sur la question des talibés dans une banlieue de Dakar a décrit ainsi sa déception face à l’absence de poursuites en justice :
Nous en avons assez des ateliers et des discussions. Cette situation est une honte pour le pays. Il s’agit d’enfants qui travaillent pour des hommes vieux et paresseux. Ceux qui commettent des abus, les faux maîtres coraniques, se plaignent de ne pas recevoir d’aide mais quand ils en ont, ils la détournent [souvent] pour leur usage personnel. Nous avons donné du matériel à certains daaras près d’ici et quand nous y sommes retournés quelques semaines plus tard, les maîtres coraniques avaient tout emporté chez eux. Dans de nombreux cas, les maîtres vivent très confortablement—dans un appartement ou une maison—juste à côté de leur daara, où les enfants vivent dans des conditions intolérables. Ce n’est rien d’autre qu’une activité commerciale. Si vous faisiez en France le dixième de ce que subissent les talibés, non seulement vous iriez en prison, mais votre établissement serait fermé. Même le maire serait probablement accusé de complicité pour avoir permis l’existence d’un tel établissement. Pourquoi les gens trouvent-ils normal qu’afin d’apprendre le Coran, des enfants—des enfants innocents—doivent être mis dans une telle situation de servitude? [72]
Ainsi que Human Rights Watch l’a décrit en détail dans son rapport de 2010, le système de mendicité forcée mis en place dans certains daaras s’inscrit parmi les pires formes de travail des enfants et, dans de nombreux cas, constitue une forme de traite et d’esclavage d’enfants. [73] Ce système représente une violation de l’obligation du gouvernement sénégalais de garantir les droits des enfants à la santé, au développement physique et intellectuel et à une protection contre l’exploitation économique et contre « toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitement ou d’exploitation. » [74] La Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant exige également des États qu’ils prennent « toutes les mesures appropriées pour empêcher » la traite des enfants et « l’utilisation des enfants dans la mendicité », ainsi que « toutes les mesures appropriées pour abolir les coutumes et les pratiques négatives culturelles et sociales » qui sont au détriment du bien-être et du développement de l’enfant. [75]
Efforts du gouvernement pour appliquer la loi interdisant la mendicité forcée
À l’exception d’un procès lié à la mendicité forcée d’enfants en janvier 2014, très peu de poursuites en justice ont été entamées au Sénégal depuis l’arrivée au pouvoir du président Sall, même au cours de l’année écoulée depuis l’incendie dans le daara de la Médina. Il existe toutefois des signes de progrès potentiel, en particulier dans les efforts entrepris par la cellule de lutte contre la traite des personnes du ministère de la Justice, évoqués à la section I dans le contexte de la cartographie des daaras.
Le rapport de 2013 sur la traite des personnes (Trafficking in Persons) du Département d’État américain, qui couvre l’année 2012, indique que si certains cas de sévices physiques extrêmes ont donné lieu à des poursuites judiciaires, aucune procédure judiciaire ne semble avoir été engagée cette année-là aux termes de la loi de 2005 interdisant la mendicité forcée :
Le gouvernement du Sénégal a fait très peu d’efforts pour appliquer la loi contre la traite des personnes durant la période sous revue… Le gouvernement n’a ni tenu ni publié de statistiques relatives aux enquêtes effectuées sur des cas de traite de personnes et n’a pas annoncé de poursuites ou de condamnations pour ce crime pendant la période sous revue. Le gouvernement a engagé des poursuites contre un certain nombre inconnu de marabouts [76] pour avoir sévèrement battu des talibés qu’ils exploitaient par la mendicité forcée ; cependant, ces marabouts n’ont été poursuivis que pour le crime de maltraitance d’enfants et ont été autorisés à continuer à imposer la mendicité forcée à leurs élèves. [77]
Selon des militants de la société civile et des représentants de missions diplomatiques qui suivent cette question de près, l’année 2013 a été marquée de nouveau par l’absence de poursuites pour exploitation d’enfants par la mendicité forcée. Des responsables du ministère de la Justice, dont des membres de la cellule de lutte contre la traite des personnes, ont déclaré que jusqu’à récemment, ils ne tenaient pas systématiquement de statistiques relatives au nombre de personnes arrêtées, inculpées ou condamnées en vertu de la loi de 2005—et qu’en conséquence, ils n’étaient pas en mesure de fournir de chiffres précis à Human Rights Watch. [78]
Plusieurs responsables gouvernementaux ont cité le procès d’un imam en janvier 2014 comme preuve de leur détermination à appliquer la loi contre la mendicité forcée. Selon les médias locaux, un talibé à qui un quota journalier de 400 francs CFA (0,80 dollar) avait été imposé, a déclaré à une femme vivant dans le même quartier de Dakar qu’il ne voulait pas retourner dans son école coranique car il serait battu pour n’avoir pas réussi à rapporter la totalité de la somme exigée. Après avoir constaté des traces de maltraitance physique sur le dos du garçon, cette femme avait informé la police, qui avait arrêté un père et son fils qui dirigeaient l’école coranique. [79] Le père, un imam, a été jugé et condamné pour exploitation d’autrui par la mendicité forcée et pour complicité de maltraitance physique d’un enfant. L’accusation a requis deux ans de prison ; mais le 8 janvier, le juge a condamné cet homme à un mois de prison, peine qu’il avait déjà purgée en détention préventive. [80] Le fils de l’imam, suspecté d’être l’auteur des coups, doit encore être jugé par le tribunal des mineurs. [81]
Cette affaire pourrait constituer un tournant dans les efforts du gouvernement pour protéger les enfants des mauvais traitements. Contrairement à ceux de 2010, à l’époque du gouvernement Wade, ce procès ne semble pas s’être tenu en conséquence de pressions exercées de l’extérieur par les partenaires internationaux du Sénégal. A bien des égards, l’arrestation et le procès semblent représenter un modèle de la façon dont ce genre d’affaire peut et devrait être gérée. Une personne a informé la police d’une situation potentielle d’exploitation et de maltraitance d’enfant et celle-ci a enquêté rapidement et arrêté les responsables. Malgré des pressions de la part de certains dirigeants religieux du quartier, selon des militants de la société civile qui ont suivi l’affaire de près, le procureur a engagé des poursuites et les a menées avec rigueur.
Mais l’affaire démontre également la réticence persistante de certaines autorités judiciaires à considérer l’exploitation et la maltraitance des talibés comme un crime grave. Bien que la loi de 2005 stipule que le crime d’exploitation d’autrui par la mendicité forcée est passible de deux à cinq ans d’emprisonnement et précise qu’ « il ne sera pas sursis à l’exécution de la peine lorsque le délit est commis à l’égard d’un mineur », [82] le juge a condamné l’imam à un mois de prison seulement.
En outre, l’affaire est particulièrement remarquable—et a été évoquée comme une référence par presque tous les responsables gouvernementaux interviewés par Human Rights Watch—justement parce qu’elle constitue une exception. Au moins des centaines de jeunes garçons mendient chaque jour dans les rues de chacune des grandes villes du Sénégal et personne—que ce soit les passants, la police ou les employés des services sociaux du gouvernement—ne leur demande pourquoi ils le font ou quelles seront les conséquences s’ils ne parviennent pas à rapporter leur quota journalier d’argent à leur « maître ». De nombreux garçons mendient pratiquement sous les yeux d’agents de police ou à proximité de postes de police. Des dizaines de garçons qui se sont récemment enfuis de leurs écoles coraniques se trouvent dans un centre d’accueil géré par l’État, le Centre Ginddi, ou dans les quelques centres d’accueil privés de Dakar, de Saint-Louis et d’autres grandes villes. La plupart de ces jeunes garçons pourraient témoigner de leur exploitation par la mendicité forcée, et beaucoup d’entre eux ont subi des sévices physiques extrêmes. Et pourtant, bien qu’il soit facile d’identifier et d’instruire un dossier judiciaire à l’encontre d’hommes qui exploitent de jeunes garçons en les forçant à mendier pour en tirer profit, cela ne se produit presque jamais.
Le manquement à l’obligation de poursuivre en justice tout individu qui viole la loi contre la mendicité forcée est en pleine contravention avec le plan stratégique du gouvernement, qui fut adopté en février 2013 et qui consiste à éliminer la mendicité des enfants d’ici 2015. Le premier point d’action de ce plan appelle le gouvernement à « renforcer la protection des enfants par l’application des dispositions de la Loi 2005-06 du 10 mai 2005 sur l’exploitation par la mendicité ». [83]
Il y a cependant plusieurs évolutions positives. Tout d’abord, la cellule de lutte contre la traite des personnes du ministère de la Justice travaille actuellement sur une campagne médiatique contre la mendicité des enfants. Les messages proposés, qui seront selon des responsables bientôt diffusés sur les ondes, aborderont les problèmes de la mendicité forcée des enfants et des sévices physiques que beaucoup de garçons subissent lorsqu’ils ne parviennent pas à rapporter leur versement journalier. Un responsable du ministère de la Justice a déclaré à Human Rights Watch qu’après avoir diffusé cette campagne sur les chaînes de télévision et les stations de radio, le ministère prévoyait d’accélérer les poursuites judiciaires contre les individus qui forcent des enfants à mendier et se livrent à la traite de personnes. [84] El Hadji Malick Sow, juge et président de la cellule de lutte contre la traite des personnes, a exprimé frustration du fait que la loi n’a pas été appliquée jusqu’à présent et sa détermination à remédier à cette situation :
Mon cheval de bataille, un de mes axes prioritaires ici au niveau de la cellule, c’est l’application de la loi de 2005… Nous avons besoin d’une synergie entre le ministère de la Justice, le ministère de l’Intérieur et le ministère des Forces armées pour que cette loi-là soit appliquée dans toute sa rigueur. Nous plaidons pour ça, nous travaillons pour ça… [L]e Président de la République, le Premier ministre à l’époque, à la suite de [l’incendie à Medina] avaient dit ‘La loi va être appliquée dans toute sa rigueur’, mais elle ne l’est pas malheureusement. Nous avons quelques éléments qui indiquent le pourquoi de cette non-application mais ce n’est pas, si vous voulez, ce n’est pas une justification. Une loi a été votée, elle doit être appliquée… Il n’y a pas d’absence totale d’application de la loi. Elle commence à s’appliquer mais de manière timide. Nous travaillons pour que cela s’amplifie, se densifie, et que la police ait les moyens d’aller dans la rue, de travailler avec les enfants victimes, d’identifier les ‘marabouts’ entre guillemets qui les mettent dans la rue… Je crois que tout ça, réuni, mis ensemble, avec le temps, avec un peu plus de bonne volonté, nous allons peut-être arriver à appliquer la loi. [85]
Deuxièmement, à la mi-janvier la cellule de lutte contre la traite des personnes et la Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de l’Intérieur ont formalisé un projet visant à recueillir systématiquement les données relatives aux efforts de lutte contre la traite—remédiant, comme l’a indiqué un fonctionnaire du ministère de la Justice, au fait que jusqu’ici, « aucun système n’a été mis en place pour connaître le nombre des enquêtes, des inculpations et des condamnations ». [86] Des responsables du ministère de la Justice ont déclaré que la collecte de ces informations permettrait des interventions plus efficaces et améliorerait d’une part la coopération entre responsables des ministères de le Justice et de l’Intérieur, et d’autre part l’information du public. [87] Étant donné la quasi-absence de procédures judiciaires jusqu’à présent, ces statistiques constitueront en outre un outil important pour mesurer les progrès effectués.
Facteurs qui menacent les progrès en matière d’application de la loi
Des militants de la société civile et des fonctionnaires ont identifié quatre problèmes principaux qui ont jusqu’ici fait obstacle aux arrestations et à l’engagement de poursuites judiciaires contre des individus qui exploitent des enfants en les forçant à mendier : un manque de volonté politique au niveau de l’exécutif ; un manque de courage de la part d’autres fonctionnaires, y compris de policiers et de travailleurs sociaux appointés par l’État ; une manque de formation pour le corps de police et des autorités judiciaires en ce qui concerne les loi pertinentes ; et une communication inadéquate qui a permis aux opposants de dominer le débat.
Manque de volonté politique au plus haut niveau
À la suite de l’incendie de la Médina, le président Sall et le Premier ministre de l’époque, Abdoul Mbaye, ont tenu des propos fermes sur la nécessité d’appliquer la loi contre la mendicité forcée. Le bureau du Premier ministre a supervisé un groupe de travail qui, en étroite collaboration avec des membres éminents de la société civile, a appelé à l’application immédiate de la loi contre les individus qui exploitent les enfants qui leur sont confiés. [88] Plusieurs militants de la société civile et des responsables des Nations Unies ont indiqué à Human Rights Watch qu’un groupe de maîtres coraniques avaient demandé et obtenu une rencontre avec le président Sall, au cours de laquelle ils ont exigé que les autorités n’engagent pas de poursuites criminelles (cf. encadré après la Section I concernant les alliés potentiels du gouvernement parmi les autorités religieuses). [89] Le gouvernement a alors fait marche arrière sur son appel à l’application de la loi et s’est concentré plutôt sur la réglementation des écoles coraniques et le soutien officiel aux daaras modernes.
Des représentants de la société civile et de nombreux fonctionnaires de rang intermédiaire affirment que la volonté et le courage politiques aux plus hauts niveaux du gouvernement, notamment du président et des ministres de l’Intérieur et de la Justice, constituaient vraiment l’élément nécessaire pour parvenir à l’élimination de l’exploitation des enfants dans certaines « écoles » coraniques. Un responsable de l’ONU a déclaré à Human Rights Watch :
En vérité, la seule chose qui manque encore est la volonté politique [pour faire appliquer la loi]. Les lois nécessaires, les organes gouvernementaux et les mécanismes d’appui sont en place. Après l’incendie, beaucoup de ressources financières ont été placées dans les centres d’accueil et les daaras modernes qui auraient pu recueillir les enfants retirés des daaras où ils étaient exploités. Nous pensions alors qu’il y aurait de gros besoins mais le gouvernement a reculé. [90]
Un haut responsable du ministère de la Justice a émis un avis similaire :
Ce qu’il faut, c’est beaucoup plus de courage politique. Au cours des 10 dernières années, les ONG ont dépensé beaucoup d’argent [sur la question des talibés], le gouvernement a aussi dépensé beaucoup d’argent. Il y a eu énormément de sensibilisation, de sensibilisation, de sensibilisation. La seule chose qui manque maintenant, c’est l’application de la loi. [91]
La conviction est répandue parmi de nombreuses autorités—renforcée à chaque fois qu’un président ou un Premier ministre fait machine arrière après avoir pris l’engagement ferme de faire de l’application de la loi une priorité—que les hauts responsables gouvernementaux souhaitent éviter d’engager des poursuites criminelles, même à l’encontre de « maîtres » coraniques accusés d’exploitation et de sévices à l’égard d’enfants. Cette réticence, combinée à une insuffisance de soutien financier et logistique, se propage ensuite aux fonctionnaires responsables de l’application de la loi. La police n’enquête pas, même lorsqu’elle constate que des garçons mendient dans les rues ; les travailleurs sociaux employés par les ministères de la Justice et de la Famille n’informent pas les procureurs des cas où des garçons des écoles coraniques, y compris des fugueurs, racontent avoir subi de graves sévices physiques et en portent les marques sur le corps ; et les inspecteurs du ministère de l’Éducation nationale ne dénoncent pas aux autorités les écoles où des garçons vivent dans des conditions déplorables. Bien que peu de dossiers parviennent sur le bureau d’un procureur ou d’un juge d’instruction, ceux-ci peuvent également faire l’objet de pressions pour qu’ils s’abstiennent d’entamer trop de poursuites ou de chercher à obtenir des condamnations trop lourdes.
Le président Sall et les ministres compétents pourraient faire preuve de leur détermination à mettre fin à l’exploitation et aux sévices dans certaines écoles coraniques en donnant des instructions aux autorités concernées leur demandant d’agir énergiquement pour faire appliquer la loi. Un autre responsable du ministère de la Justice a comparé l’échec généralisé des efforts visant à faire appliquer la loi contre la mendicité forcée avec la détermination—et la réussite—du gouvernement lorsqu’il s’est agi de débarrasser le centre de Dakar d’une prolifération excessive de vendeurs ambulants :
Ce n’est pas difficile du tout. Le gouvernement pourrait facilement dire, comme il l’a fait avec les marchands ambulants, que les préfets et les gouverneurs devraient considérer comme une priorité de mettre fin à cela, que la [police et les autorités judiciaires] devraient également en faire une priorité. Les magistrats sont prêts, ils disent qu’ils attendent qu’on leur soumette des dossiers… Mais il n’y a pas la volonté politique [pour le moment]. [92]
Manque de courage de la part des autorités au niveau intermédiaire
Les progrès dans l’application de la loi contre la mendicité forcée sont parfois entravés par des agents de police et des travailleurs sociaux du gouvernement qui refusent d’informer les autorités compétentes de cas d’exploitation et de sévices, même quand ceux-ci sont extrêmement graves.
Un militant de la société civile a raconté à Human Rights Watch une histoire particulièrement choquante qui s’est déroulée en 2013. Un jeune garçon est venu le voir avec des marques sur le dos « comme [il] n’en avait encore jamais vu ». [93] En interrogeant le garçon, le militant a appris que le maître coranique avait utilisé à plusieurs reprises de la sève caustique de noix de cajou pour brûler le dos du garçon, qui avait tenté de s’enfuir du daara. L’affaire a été référée aux autorités locales, y compris à l’Action éducative en milieu ouvert (AEMO), une section du ministère de la Justice qui s’occupe de la protection des enfants, mais en fin de compte, le maître coranique n’a pas été inculpé. [94]
Le militant a déclaré que ce genre de problème était récurrent :
Je fais mon travail. Quand je prends connaissance d’un cas grave, j’informe l’AEMO, mais ils le résolvent toujours ‘amicalement’ avec le maître coranique, quelle que soit la gravité des exactions commises. Des affaires de sévices physiques et même de torture, des cas dans lesquels un talibé avait des plaies infectées qui s’étaient aggravées pendant des mois sans que le maître coranique n’agisse [pour le faire soigner], des cas dans lesquels un talibé est mort du paludisme après qu’un maître coranique l’eut caché plutôt que de le faire soigner gratuitement—j’en ai dénoncé beaucoup mais cela n’aboutit jamais à rien. [95]
Des juges, des agents de police et des procureurs insuffisamment formés
Plusieurs fonctionnaires du ministère de la Justice ont déclaré que les progrès étaient entravés par une incompréhension générale de la loi contre la mendicité forcée de la part des autorités policières et judiciaires. [96] En particulier, un fonctionnaire a indiqué que certains procureurs et juges étaient déroutés par la coexistence de la loi de 2005 et de l’article 245 du code pénal du Sénégal. Cet article interdit la mendicité mais affirme que « le fait de solliciter l’aumône aux jours, dans les lieux et dans les conditions consacrées par les traditions religieuses ne constitue pas un acte de mendicité. » [97]
Un haut fonctionnaire du ministère de la Justice a affirmé le besoin « de mieux expliquer » aux policiers, aux procureurs et aux juges « que la loi de 2005 peut et doit être appliquée et qu’elle n’est en aucun cas invalidée par [l’article 245] ». [98] Alors que l’article 245 du code pénal met principalement l’accent sur l’incrimination de l’acte de mendier, la loi de 2005 suit une bien meilleure approche en incriminant les individus qui organisent la mendicité d’autrui afin d’en tirer profit.
En outre, l’activité d’enfants qui sont contraints de mendier six ou sept jours par semaine, passant des heures quotidiennement au milieu de la circulation et devant des restaurants à demander de l’argent—tout cela afin de rapporter une somme imposée à leur « maître »—n’équivaut pas à « solliciter l’aumône aux jours, dans les lieux et dans les conditions consacrées par les traditions religieuses ». Le précédent rapport de Human Rights Watch examine en détail, sur la base d’entretiens avec des autorités religieuses sénégalaises et des universitaires islamiques, comment la pratique de forcer des garçons à obtenir des quotas d’argent, observée dans certaines écoles coraniques urbaines abusives, est absolument contraire à la tradition. [99] Comme l’a expliqué Sokhna Mame Issa Mbacké en janvier 2014, « la tradition, pour les talibés qui mendiaient, consistait à passer quelques minutes dans leur village à frapper à la porte de maisons et demander de la nourriture, afin d’enseigner l’humilité. Il ne s’agissait pas d’emmener des enfants à la ville et de les forcer à mendier toute la journée pour de l’argent. Tous les vrais marabouts sont opposés à une telle pratique ». [100]
La cellule de lutte contre la traite des personnes a commencé à former des magistrats, des fonctionnaires de la surveillance des frontières, des agents de police judiciaire et les membres de la brigade des mineurs de la police, aux problèmes du travail et de la traite des enfants et à la loi contre la mendicité forcée. Plusieurs représentants de pays qui sont des partenaires diplomatiques du Sénégal ont estimé qu’il s’agissait là d’un travail essentiel, qui devait être poursuivi et étendu. [101]
Pour dissiper toute ambiguïté, le ministre de la Justice devrait envisager d’émettre un décret ou une ordonnance affirmant que l’acte consistant à forcer des enfants à mendier, même par des maîtres coraniques, n’est pas couvert par l’exception définie à l’article 245 du code pénal. Les autorités législatives devraient également envisager de réviser cet article 245, afin que l’acte de mendier ne soit plus considéré comme un crime, en particulier lorsqu’il est effectué par des enfants. Les poursuites en justice ne devraient viser que les personnes qui exploitent autrui par la mendicité forcée, ce que la loi de 2005 considère comme un crime.
Une communication gouvernementale inadéquate
Un dernier obstacle à l’application de la loi contre la mendicité forcée est la communication inadéquate du gouvernement à propos du type de personne susceptible de tomber sous le coup de cette loi. Cet échec a permis aux opposants de la loi de dominer le débat. Comme nous l’avons noté ci-dessus, à l’exception de l’affaire jugée en janvier 2014, la plupart des poursuites engagées pour mendicité forcée—ainsi que les déclarations du gouvernement selon lesquelles la loi doit être appliquée—sont venues en réaction à des pressions des partenaires internationaux du Sénégal ou à la suite d’événements tragiques, comme l’incendie de la Médina. Le souci du gouvernement d’être perçu comme faisant quelque chose a été évident et ses promesses, ambitieuses mais mal communiquées, se sont prêtées à la manipulation. Par exemple, après les déclarations du président Sall en mars 2013, un groupe de maîtres coraniques a affirmé, selon la presse locale, que le gouvernement avait « une vieille envie de liquider les daaras et l’incendie de la Médina s’offre à lui comme une voie inespérée ». [102] Leur chef de file s’est exclamé dans le même article : « Nos prières réunies, mettront à terre ce gouvernement… Aucun daara ne sera fermé! » [103]
Un militant de la société civile a déclaré à Human Rights Watch: « Ceux-là… qui sont des contrevenants à la loi vont se mettre à crier haut et fort et à parler de tout et de rien sans aller à l’essentiel. Parce que l’essentiel, c’est quoi? Qu’est ce qui a été fait? Comment voulez-vous que dans un pays, quand un sénégalais, qu’il soit enseignant de l’école classique ou maître coranique ou autre chose, simple citoyen, qui enfreint la loi, il devrait être jugé. » [104]
Le gouvernement, s’il veut réussir à éliminer l’exploitation de jeunes garçons par la mendicité forcée, devra nettement renforcer ses efforts pour « aller à l’essentiel » dans sa communication. Il devrait, comme l’indique l’encadré ci-dessus, faire davantage d’efforts pour s’assurer du soutien d’alliés au sein de la communauté religieuse, y compris des maîtres coraniques. Il devrait expliquer que la loi ne vise en aucune manière la tradition de l’éducation religieuse, mais uniquement les hommes qui tirent un profit personnel—souvent important—en imposant chaque jour des quotas d’argent aux jeunes garçons dont ils ont la charge. Le gouvernement devrait lui-même raconter les histoires souvent bouleversantes de ces garçons, y compris au sujet des longues heures passées chaque jour à mendier dans les rues, et de la peur constante d’être battu. Après avoir obtenu des condamnations, les autorités devraient envisager de diffuser des communiqués afin d’expliquer les faits sur lesquels leurs procédures étaient basées. Outre un soutien généralisé de la société civile sénégalaise, une meilleure communication permettrait au gouvernement de contrer facilement les attaques émanant de personnes qui contestent le bien-fondé ou la nécessité de telles procédures judiciaires.
Remerciements
Ce rapport a fait l’objet de recherches et a été rédigé par Matt Wells, chercheur sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. Il a été revu et corrigé par Corinne Dufka, chercheuse senior sur l’Afrique de l’Ouest ; par Zama Coursen-Neff, directrice de la division des Droits de l’enfant ; par Clive Baldwin, conseiller juridique senior ; et par Babatunde Olugboji, directeur de programme adjoint. Des recherches complémentaires et une assistance en matière de correction ont été fournies par Marianna Enamoneta, coordinatrice senior travaillant sur l’Afrique de l’Ouest ; et par Nora Sturm, stagiaire travaillant sur l’Afrique de l’Ouest. Le rapport a été traduit en français par Hervé Couturier ; la validation de la traduction a été effectuée par Matt Wells, Marianna Enamoneta, Nora Sturm et Peter Huvos, rédacteur du site internet en français. La préparation de la publication du rapport a été assurée par Grace Choi, directrice des publications ; Kathy Mills, spécialiste des publications ; et Fitzroy Hepkins, responsable administratif. La vidéo qui accompagne ce rapport a été filmée par Andrew Oberstadt et révisée par Jessie Graham, productrice senior multimédia ; et Sakae Ishikawa, monteuse vidéo senior.
Human Rights Watch tient à remercier toutes les personnes et organisations qui ont contribué à ces recherches, notamment : tous les membres de la Plateforme pour la Promotion et la Protection des Droits Humains (PPDH), une coalition d’organisations de la société civile sénégalaise qui travaillent sur la question des talibés ; Issa Kouyaté, de Maison de la Gare ; Abdou Fodé Sow, de l’ONG Intermondes ; Cheikh Sall, de l’Empire des Enfants; Boubacar Cambel Ndiaye ; et Isabelle de Guillebon, de Samusocial Sénégal.
Human Rights Watch apprécie beaucoup l’esprit d’ouverture manifesté par les dirigeants religieux de Touba et de Diourbel. Sokhna Mame Issa Mbacké et Idrissa Cissé N’Diaye, qui ont tous deux facilité des visites d’écoles coraniques et des rencontres, méritent des remerciements particuliers. Human Rights Watch remercie également le gouvernement du Sénégal pour sa coopération pendant toute la période de recherches, en particulier les fonctionnaires du ministère de la Justice, du ministère de l’Éducation nationale et du ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance. Les efforts collectifs de la société civile, des autorités religieuses et de certains responsables gouvernementaux nous inspirent confiance dans la possibilité de voir enfin des progrès vers l’élimination de la mendicité forcée des enfants.
Human Rights Watch remercie tout particulièrement les garçons et les maîtres coraniques qui ont accepté de partager leurs expériences personnelles, tant à l’occasion des recherches récentes que lors des précédents travaux de recherche menés en 2009-2010.
[1] Daara signifie « école coranique. » Les deux termes seront utilisés au choix tout au long de ce rapport, comme ils le sont généralement au Sénégal. Pour des raisons compréhensibles, certaines personnes estiment que le terme « daara » devrait être évité lorsque l’on parle d’« écoles » où la mendicité forcée prend le pas sur l’étude du Coran, du fait que daara est doté d’une connotation positive. Toutefois, le terme est largement utilisé au Sénégal, y compris par des personnes qui sont citées dans ce rapport, pour désigner aussi bien les bonnes écoles coraniques que les écoles où les mauvais traitements et l’exploitation sont endémiques. Dans ce rapport, nous suivrons donc la même approche.
[2] Entretien de Human Rights Watch avec un militant de la société civile sénégalais, Dakar, 24 octobre 2013.
[3] « Talibé» signifie « étudiant » ou « disciple. » Comme pour le terme daara, cette terminologie est compliquée. Le mot talibé s’applique pratiquement à chaque Sénégalais, en tant que « disciple » d’un certain marabout, ou guide spirituel. Le terme désigne également les garçons qui sont élèves des milliers d’écoles coraniques propres et intègres du Sénégal. Cependant ce terme est aussi largement utilisé, parfois de façon presque péjorative, pour désigner les jeunes garçons élèves d’ « écoles » coraniques qu’on voit mendier dans les rues. Étant donné la fréquence avec laquelle le mot talibé est utilisé au Sénégal pour désigner les élèves d’écoles coraniques qui sont forcés à mendier, Human Rights Watch fera de même ici, tout en soulignant qu’il doit toujours être clair que tous les talibés du Sénégal—ni même la majorité d’entre eux—ne sont pas soumis à de telles exactions.
[4] Entretien de Human Rights Watch avec Abdou Fodé Sow, Guédiawaye, 12 janvier 2014.
[5] Human Rights Watch, « Sur le dos des enfants » : Mendicité forcée et autres mauvais traitements à l’encontre des talibés au Sénégal, 14 avril 2010, http://www.hrw.org/fr/reports/2010/04/15/sur-le-dos-des-enfants-0, pp. 16-27, 96-101.
[6] Pour de plus amples détails sur les raisons pour lesquelles des parents envoient leurs enfants dans des internats coraniques, lire le rapport de Human Rights Watch, «Sur le dos des enfants », pp. 96-98.
[7] Entretiens de Human Rights Watch avec des militants de la société civile sénégalaise qui ont enquêté sur la question des talibés, Dakar, 11 et 21 janvier 2014.
[8] Observations et entretiens effectués par Human Rights Watch avec des élèves d’une école coranique, Guédiawaye, 22 janvier 2014.
[9] Entretien de Human Rights Watch avec Issa Kouyaté, Saint-Louis, 18 janvier 2014.
[10] Entretiens de Human Rights Watch avec des témoins de l’incendie du daara de la Médina, Dakar, 11 et 12 janvier 2014.
[11] Entretien de Human Rights Watch avec un voisin du daara de la Médina, Dakar, 11 janvier 2014.
[12]Entretien de Human Rights Watch avec un militant de la société civile sénégalaise, Dakar, 12 janvier 2014.
[13]Convention relative aux droits de l’enfant (CDE), adoptée le 20 novembre 1989, G.A. Res. 44/25, annexe, 44 U.N. GAOR Supp. (N°. 49) à 167, U.N. Doc. A/44/49 (1989), entrée en vigueur le 2 septembre 1990, ratifiée par le Sénégal le 31 juillet 1990 ; Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (CADBE), OUA Doc. CAB/LEG/24.9/49 (1990), entrée en vigueur le 29 novembre 1999, ratifiée par le Sénégal le 29 septembre 1998.
[14] Projet de décret, Condition de la reconnaissance et aux modalités d’attribution des subventions, primes et appuis aux Daaras, 23 octobre 2013.
[15] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable de l’Inspection des daaras, Dakar, 22 janvier 2014.
[16] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable de l’Inspection des daaras, Dakar, 22 janvier 2014.
[17] Le nom complet de la cellule est: Cellule nationale de lutte contre la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (CNLTP). Elle a été créée en octobre 2010 par un décret du Premier ministre et a commencé à fonctionner en janvier 2012.
[18] Plusieurs enquêteurs de la société civile impliqués dans le projet de cartographie des daaras ont déclaré à Human Rights Watch que certains « maîtres » coraniques avaient boycotté le recensement, refusant de fournir la moindre information sur eux-mêmes, sur leur « école » et sur les garçons qui y vivent et étudient. Les enquêteurs ont indiqué que ces « écoles » étaient souvent celles où ils avaient constaté l’exploitation et les conditions de vie les plus déplorables. La cartographie des daaras de la région de Dakar est de ce fait quelque peu incomplet, mais les enquêteurs ont souligné qu’ils avaient pris note des « écoles » où toute information leur avait été refusée. Les inspecteurs de daaras du ministère de l’Éducation nationale devraient faire de l’inspection de ces « écoles » une priorité. Entretiens de Human Rights Watch avec des enquêteurs de la société civile, Dakar, 9, 11 et 12 janvier 2014.
[19]Entretiens de Human Rights Watch avec un militant de la société civile sénégalaise impliqué dans le projet, Dakar, 21 janvier 2014 ; et avec un fonctionnaire du ministère de la Justice, Dakar, 13 janvier 2014.
[20]Entretien de Human Rights Watch avec un fonctionnaire du ministère de la Justice, Dakar, 21 janvier 2014.
[21] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable de l’Inspection des daaras, Dakar, 22 janvier 2014.
[22] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable de l’Inspection des daaras, Dakar, 22 janvier 2014. Le Sénégal compte 14 régions administratives. Cf. Gouvernement du Sénégal, Cartes administratives du Sénégal, http://www.gouv.sn/Cartes.html (consulté le 24 février 2014).
[23] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable de l’Inspection des daaras, Dakar, 22 janvier 2014.
[24] Entretien de Human Rights Watch avec un militant de la société civile sénégalaise, Dakar, 12 janvier 2014
[25] Entretien de Human Rights Watch avec un haut fonctionnaire du ministère de la Justice, Dakar, 13 janvier 2014.
[26] Entretien de Human Rights Watch avec un militant de la société civile sénégalaise, Dakar, 21 octobre 2013.
[27] Entretien de Human Rights Watch avec un militant de la société civile sénégalaise, Dakar, 21 octobre 2013.
[28] Entretien de Human Rights Watch avec un militant de la société civile sénégalaise, Guédiawaye, 12 janvier 2014.
[29] Entretien de Human Rights Watch avec un militant de la société civile sénégalaise, Dakar, 21 octobre 2013.
[30] Entretien de Human Rights Watch avec un militant de la société civile sénégalaise, Guédiawaye, 12 janvier 2014.
[31] Les organes gouvernementaux compétents incluent l’Inspection des daaras et la Division de l’enseignement arabe du ministère de l’Éducation nationale ; la Direction pour la Protection des Droits de l’Enfant (DPDE) du ministère de la Famille ; ainsi que la Cellule Nationale de Lutte contre la Traite des Personnes (CNLTP), la Direction de l’éducation surveillée et de la protection sociale (DESPS) et l’Action éducative en milieu ouvert (AEMO) du ministère de la Justice.
[32] Entretien réalisé par téléphone par Human Right Watch avec un responsable de l’Inspection des daaras, Dakar, 25 février 2014.
[33] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable de l’Inspection des daaras, Dakar, 22 janvier 2014.
[34] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable de l’Inspection des daaras, Dakar, 22 janvier 2014.
[35] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable de l’Inspection des daaras, Dakar, 22 janvier 2014. Par exemple, un militant de la société civile à Guédiawaye a dit à Human Rights Watch que les inspecteurs chargés des daaras et des écoles où l’arabe est enseigné ne disposaient pas de véhicules. Entretien de Human Rights Watch, Guédiawaye, 24 octobre 2013.
[36] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable de l’Inspection des daaras, Dakar, 22 janvier 2014.
[37] Entretien de Human Rights Watch avec un représentant d’une mission diplomatique, Dakar, 10 janvier 2014.
[38] Entretiens réalisés par Human Rights Watch, octobre 2013 et janvier 2014. Pour un exemple de la réaction de certains maîtres coraniques, voir Mama Moustapha Mbaye, « Les maîtres coraniques de Touba ; Darou Moukhty, Diourbel: « Aucun daara ne sera fermé ! »,” leseral.net, 8 mars 2013, http://www.leral.net/Les-maitres-coraniques-de-Touba--Darou-Moukhty-Diourbel-Aucun-daara-ne-sera-ferme-_a76712.html (consulté le 24 février 2014).
[39] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable du ministère de la Justice, Dakar, 14 janvier 2014.
[40] N.F.G., « Interdiction de la mendicité des enfants, les imams approuvent », leral.net, 14 mars 2013, http://www.leral.net/Interdiction-de-la-mendicite-des-enfants-les-imams-approuvent_a77290.html (consulté le 23 février 2014) ; Aliou Fama, « Interdiction de la mendicité des enfants: Des imams approuvent et demandent à l’État d’aller jusqu’au bout, » senego.net, 14 mars 2013. http://senego.net/2013/03/14/interdiction-mendicite-enfants-imams-approuvent-demnadent-letat-daller-jusquau-bout_81899.html (consulté le 23 février 2014).
[41] Entretien de Human Rights Watch avec le président d’une association de maîtres coraniques, Diourbel, 14 janvier 2014.
[42] Entretien de Human Rights Watch avec le Serigne El Hadj Mamadou Toudien, Ndula, 15 janvier 2014.
[43] Entretien de Human Rights Watch avec un professeur coranique, Diourbel, 14 janvier 2014.
[44] Entretien de Human Rights Watch avec Sokhna Mame Issa Mbacké Ahlou, Touba, 15 janvier 2014.
[45] Entretien de Human Rights Watch avec Sokhna Maï Mbacké, Touba, 16 janvier 2014.
[46] Entretien de Human Rights Watch avec Idrissa Cissé N’Diaye, Touba, 16 janvier 2014.
[47] Entretien de Human Rights Watch avec Idrissa Cissé N’Diaye, Touba, 16 janvier 2014.
[48] Entretien de Human Rights Watch avec le serigne Moustapha Diattara, Touba, 17 janvier 2014.
[49] Entretien de Human Rights Watch avec Alioune Tine, président de la Comité sénégalais des droits de l’Homme, Dakar, 21 janvier 2014.
[50] Certains « maîtres » coraniques abusifs forcent l’un des autres talibés—en général l’un des garçons les plus âgés—à administrer le châtiment, plutôt que de le faire eux-mêmes.
[51] Loi n° 2005-06 du 10 mai 2005, relative à la lutte contre la traite des personnes et les pratiques similaires et la protection des victimes, art. 3.
[52]Adam Nossiter, « Senegal Court Forbids Forcing Children to Beg », New York Times, 12 septembre 2010, http://www.nytimes.com/2010/09/13/world/africa/13dakar.html?_r=0; Département d’État américain, “Country report on Trafficking in Persons – 2011: Senegal,” juin 2011, http://www.state.gov/j/tip/rls/tiprpt/2011/164233.htm (consulté le 15 février 2014).
[53] Cf. « Conseil des Ministres du 7 octobre 2010 », http://www.gouv.sn/Conseil-des-Ministres-du-07,1022.html (consulté le 24 février 2014) ; « Sénégal: le président Wade conteste l’interdiction de la mendicité dans les lieux publics », Radio France Internationale, 9 octobre 2010, http://www.rfi.fr/afrique/20101009-senegal-le-president-wade-conteste-interdiction-mendicite-lieux-publics/ (consulté le 24 février 2014).
[54] Jean-Gervais Ndjimbi-Ndong, « 9 morts et un brûlé grave dans un incendie à la Médina », Sud Quotidien, 5 mars 2013, https://mobile.sudonline.sn/9-morts-et-un-brule-grave-dans-un-incendie-a-la-medina_m_12719.htm (consulté le 24 février 2014) (contenant la citation suivante du président Sall: « Des mesures très sévères seront prises à l’endroit de tous ceux qui, au nom de l’Islam, continuent à organiser ces conditions de vie qui ont entrainé la mort de plusieurs enfants... comme on vient de le vivre »).
[55] Les garçons doivent souvent utiliser leurs gains du jour pour payer leur transport, ce qui veut dire qu’ils doivent recueillir chaque jour en mendiant une somme supérieure encore au quota que leur a imposé le « maître ».
[56] Entretien de Human Rights Watch avec un militant de la société civile sénégalaise, Dakar, janvier 2014.
[57] Entretien de Human Rights Watch avec plusieurs enquêteurs impliqués dans le recensement, Dakar, janvier 2014.
[58] Pour de plus amples détails, cf. Human Rights Watch « Sur le dos des enfants », pp. 28-58, 73-81.
[59] Le riz cru et le sucre en morceaux sont les denrées que les garçons des écoles coraniques abusives doivent le plus souvent rapporter à leur « maître », bien que Human Rights Watch ait aussi interviewé des garçons qui sont obligés de rapporter à leur « maître » d’autre type de denrées, comme par exemple un quota journalier de millet. Le riz et le sucre sont pour le « maître » des denrées faciles à collecter, puis à revendre à la communauté, que ce soit sous forme de sacs entiers de riz et de boîtes de sucre ou en quantités individuelles. Si le « maître » coranique ne leur demande qu’un versement d’argent, de nombreux garçons s’efforceront quand même de recueillir du riz cru et des morceaux de sucre et ils les revendront eux-mêmes afin de pouvoir accumuler leur quota d’argent.
[60] Entretiens de Human Rights Watch avec des militants de la société civile, des talibés et d’anciens talibés, Dakar et Saint-Louis, octobre 2013 et janvier 2014. Cf aussi Human Rights Watch, « Sur le dos des enfants», pp. 34-37, 47-58.
[61] Entretien de Human Rights Watch avec un militant de la société civile sénégalaise, Saint-Louis, 18 janvier 2014.
[62] Human Rights Watch, « Sur le dos des enfants », pp. 28-58, 73-81.
[63] Entretien de Human Rights Watch avec un garçon de 8 ans d’une école coranique, Saint-Louis, 20 janvier 2014.
[64] Entretien de Human Rights Watch avec un garçon de 10 ans d’une école coranique, Saint-Louis, 20 janvier 2014.
[65] Entretien de Human Rights Watch avec Issa Kouyaté, Saint-Louis, 18 janvier 2014.
[66] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de 6 ans, Saint-Louis, 19 janvier 2014.
[67] Entretiens de Human Rights Watch, octobre 2013 et janvier 2014.
[68] Entretien de Human Rights Watch avec un garçon de 9 ans, lieu et date confidentiels.
[69] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de 16 ans, Saint-Louis, janvier 2014.
[70] Entretiens de Human Rights Watch, Dakar et Saint-Louis, octobre 2013 et janvier 2014.
[71] Entretien de Human Rights Watch avec Cheikh Sall, Empire des Enfants, 22 janvier 2014.
[72] Entretien de Human Rights Watch avec un militant de la société civile sénégalaise, Mbao, octobre 2013.
[73] Human Rights Watch, « Sur le dos des enfants», pp. 107-115.
[74] Convention relative aux droits de l’enfant, art. 19.
[75] Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, art. 29 (vente, traite, enlèvement et mendicité) et 21 (pratiques négatives sociales et culturelles).
[76] Marabout est un terme souvent utilisé pour désigner un « maître coranique » mais qui signifie plus généralement une « autorité religieuse respectée ». Bien que Human Rights Watch ait utilisé ce terme largement dans son rapport de 2010, nous avons choisi, dans le présent rapport, de privilégier le terme « maître coranique », y compris dans le cas de ceux qui se livrent à l’exploitation et commettent des abus. Comme le soulignent de nombreux Sénégalais, notamment parmi les autorités religieuses et les militants de la société civile, aucun individu qui exploite des enfants en leur imposant de longues heures de mendicité forcée et des sévices physiques ne mérite le terme « marabout », qui a un grand prestige au Sénégal.
[77] Département d’État américain, « Country report on Trafficking in Persons – 2013: Senegal », 19 juin 2011, http://www.state.gov/documents/organization/210741.pdf (consulté le 4 février 2014, passage traduit en français par Human Rights Watch).
[78] Entretiens de Human Rights Watch avec des fonctionnaires du ministère de la Justice, Dakar, octobre 2013 et janvier 2014.
[79] « Un imam encourt deux ans ferme pour exploitation de la mendicité et Complicité de CBV », 7 janvier 2014, setal.net, http://www.setal.net/Un-imam-encourt-deux-ans-ferme-pour-exploitation-de-la-mendicite-et-Complicite-de-CBV_a22591.html (consulté le 24 février 2014).
[80] « L’imam Omar Niang prend un mois ferme et sort de prison », setal.net, 9 janvier 2014, http://www.setal.net/Imam-Omar-Niang-prend-un-mois-ferme-et-sort-de-prison_a22661.html (consulté le 4 février 2014).
[81] Ibid.
[82] Loi n° 2005-06 du 10 mai 2005, art. 3.
[83] République du Sénégal, Plan stratégique gestion de la mendicité infantile, 2013-2015, février 2013.
[84] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable du ministère de la Justice, Dakar, 14 janvier 2014.
[85] Entretien de Human Rights Watch avec El Hadji Malick Sow, 22 janvier 2014.
[86] Entretien de Human Rights Watch avec un fonctionnaire du ministère de la Justice, Dakar, 13 janvier 2014. Human Rights Watch a reçu des informations complémentaires concernant ce projet en prenant connaissance d’un document du ministère de la Justice. Cellule Nationale de Lutte contre la Traite des Personnes en particulier des femmes et des enfants (CNLTP), Termes de Référence atelier de validation, 20 janvier 2014.
[87] Entretiens réalisés par Human Rights Watch, Dakar, janvier 2014.
[88] Human Rights Watch a obtenu copie de plusieurs plans d’action préparés par le groupe de travail. L’information provient également d’entretiens avec des militants de la société civile sénégalaise en octobre 2013 et janvier 2014.
[89] Entretiens réalisés par Human Rights Watch, Dakar, octobre 2013 et janvier 2014.
[90] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable de l’ONU, Dakar, 22 octobre 2013.
[91] Entretien de Human Rights Watch avec un directeur du ministère de la Justice, Dakar, 13 janvier 2014.
[92] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable du ministère de la Justice, Dakar, 14 janvier 2014.
[93] Entretien de Human Rights Watch avec un militant de la société civile sénégalaise, lieu tenu secret, janvier 2014.
[94] Entretien de Human Rights Watch avec un militant de la société civile sénégalaise, lieu tenu secret, janvier 2014.
[95] Entretien de Human Rights Watch avec un militant de la société civile sénégalaise, lieu tenu secret, janvier 2014.
[96] Entretiens de Human Rights Watch avec des fonctionnaires du ministère de la Justice, Dakar, octobre 2013 et janvier 2014.
[97] Code pénal du Sénégal, art. 245.
[98] Entretien de Human Rights Watch avec un fonctionnaire du ministère de la Justice, Dakar, 14 janvier 2014.
[99] Human Rights Watch, « Sur le dos des enfants », pp. 16-27.
[100] Entretien de Human Rights Watch avec Sokhna Mame Issa Mbacké, Touba, 15 janvier 2014.
[101] Entretiens de Human Rights Watch avec des représentants de missions diplomatiques, Dakar, octobre 2013 et janvier 2014.
[102] Mama Moustapha Mbaye, « Les maîtres coraniques de Touba ; Darou Moukhty, Diourbel : « Aucun daara ne sera fermé! ».
[103] Ibid.
[104] Entretien de Human Rights Watch avec Abdou Fodé Sow, militant de la société civile, Guédiawaye, 12 janvier 2014.