Les poursuites contre Hissène Habré - Un "Pinochet africain" de Reed Brody* Traduction de l'article paru dans New England Law Review, vol. 35 (2001)
En février 2000, un juge sénégalais a inculpé Hissène Habré, l'ancien dictateur du Tchad en exil à Dakar, pour actes de torture et crimes contre l'humanité et l'a placé en résidence surveillée. Pour la première fois, un ancien chef d'Etat était poursuivi par la justice du pays où il avait trouvé refuge, pour les atrocités commises dans son pays, du temps où il exerçait le pouvoir. Mais le 20 mars 2001, la Cour de Cassation du Sénégal se déclara incompétente pour juger de crimes perpétrés à l'étranger par un étranger. Déçues sans être résignées, les victimes de l'ancien dictateur ont décidé de continuer à se battre pour que justice soit rendue. Dès le mois de novembre 2000, plusieurs plaintes avaient déjà été déposées en Belgique et un juge d’instruction procède maintenant à des investigations actives. Au Tchad même, de nouvelles voies pour la justice se sont ouvertes. Les victimes ont également porté plainte contre le Sénégal devant le Comité des Nations Unies contre la Torture qui a demandé officiellement de ne pas laisser Hissène Habré quitter ce pays, sauf dans le cadre d'une procédure d'extradition. Le Président sénégalais a récemment accepté de satisfaire cette requête et de garder Hissène Habré dans l’attente de sa possible extradition vers la Belgique. Hissène Habré a pris le pouvoir dans l'ancienne colonie française du Tchad en 1982. A l’époque, la France et les Etats-Unis ont largement soutenu Habré, le considérant comme un rempart contre le leader libyen Mouammar Kadhafi. En secret, les Etats-Unis de Ronald Reagan ont apporté leur soutien paramilitaire à Habré pour qu’il renverse le gouvernement de Goukouni Wedeye, allié de la Libye, en 1982. Selon Alexander Haig, alors secrétaire d'Etat américain, le but de l’opération était – littéralement – "de donner un bon coup sur le nez de Kadhafi".1 Une fois au pouvoir, Habré reçut des Etats-Unis des dizaines de millions de dollars par an et bénéficia de leurs services de renseignement militaire.2 La France a également aidé le régime d'Habré, et ce malgré l'enlèvement en 1974 de l'anthropologue française Françoise Claustre par Habré et ses hommes, qui étaient alors en rébellion contre le pouvoir central, et l’assassinat violent du capitaine Galopin venu négocier la libération de sa compatriote en 1975. Oublieuse de ce tragique épisode, la France a procuré à Habré une fois au pouvoir, armes, soutien logistique et renseignements, et a lancé les opérations militaires "Manta" (août 1983) et "Epervier" (février 1986). Le régime Habré, de parti unique, fut marqué par de multiples abus. Les libertés individuelles furent supprimées et la presse indépendante interdite. Habré mis en place un régime de terreur au sein duquel la torture devint une méthode de gouvernement. Habré a planifié et organisé des campagnes de terreur et d’exécutions massives contre des groupes ethniques accusés de menacer le régime, notamment les Sara et d’autres groupes sudistes en 1984, et les ethnies musulmanes Hadjaraï en 1987 et Zaghawa en 1989. Habré fut renversé en décembre 1990 par le Président actuel, Idriss Déby, qui fut son chef d'état-major. Le nombre exact des victimes de Habré est inconnu. En 1992, le gouvernement Déby a établi une Commission d'enquête, la Commission d’Enquête Nationale du Ministère Tchadien de la Justice,3 qui malgré des conditions de travail difficiles,4 publia un rapport accusant Habré et son gouvernement de 40.000 assassinats politiques5 et d'actes systématiques de torture et de brutalité. La plupart de ces crimes ont été commis par sa police secrète, la Direction de la Documentation et de la Sécurité [DDS], dont les quatre directeurs successifs partageaient la même origine ethnique -Gorane- que Habré.6 Fort de ces attributions et du contrôle exercé par Habré, l’appareil DDS s’est érigé en une machine de répression d’une cruauté rarement atteinte dans l’histoire des services de terreur des dictatures récentes. La formulation délibérément vague et imprécise des attributions de la DDS permettait à ses agents d’agir à l’égard de tout citoyen simplement soupçonné d’être en désaccord avec le régime. N’importe quelle activité, même la plus innocente, menée par n’importe quel citoyen tchadien ou étranger pouvait être assimilée à de la propagande "contraire ou seulement nuisible à l’intérêt national", pour reprendre les propres termes du décret l’ayant institué. Dans ses conclusions, la Commission d'enquête demanda aux autorités “d’engager sans délai des poursuites judiciaires contre les auteurs de cet horrible génocide, coupables de crimes contre l’humanité.”7 Mais, Idriss Déby, le nouveau chef de l’Etat, et bon nombre des hauts fonctionnaires qui composent son gouvernement, ayant participé en personne aux crimes du régime Habré,8 la requête de la Commission d’Enquête n’a jamais été satisfaite et l’extradition de Habré jamais demandée au Sénégal. 9 En 1992 également, les archives de la Commission d'Enquête ont été placées sous scellés et personne n’a jamais pu y avoir accès depuis. Depuis le jour de la chute de Habré, les victimes tchadiennes ont nourri l’espoir secret de traduire leur ancien bourreau en justice. Dans cette attente, l’Association Tchadienne des Victimes de Crimes et Répression Politiques [AVCRP], une organisation pluriethnique créée après le renversement de Habré, a réuni des informations détaillées sur 792 victimes de ses brutalités. Mais n’ayant pas de ressources financières, ni le soutien du gouvernement, l’AVCRP dut - temporairement - renoncer à son projet. Le dépot de plainte En 1999, inspirée par le précédent Pinochet, 10 Delphine Djiraibe, Présidente de l'Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l'Homme (ATPDH), demanda l'aide de Human Rights Watch pour traduire Habré en justice au Sénégal. Au regard de la tradition démocratique du Sénégal, de sa relative indépendance judiciaire et de son rôle avant-gardiste dans la promotion du droit international,11 il était concevable d’espérer qu’un procès aurait lieu. A deux reprises, des enquêteurs se sont secrètement rendus au Tchad,12 où ils ont rencontré certains des fondateurs de l’Association des Victimes qui n’avaient pas pu se résigner à voir Habré échapper à la justice. Ces derniers leur fournirent les dossiers – des milliers de pages - qu’ils avaient soigneusement préparés depuis 1991 et totalement cachés, lorsque le nouveau gouvernement abandonna sa prétendue volonté de faire la lumière sur le passé. En secret toujours, les enquêteurs ont pris contact avec des victimes et des témoins potentiels et ont rassemblé de nombreux documents relatifs aux crimes de Habré. Parallèlement, une coalition d'organisations de défense des droits de l'homme tchadiennes, sénégalaises et internationales a été discrètement mise en place pour soutenir les victimes dans leur quête de justice.13 Une équipe d'avocats sénégalais a également été sélectionnée pour représenter les victimes. La coalition choisit de déposer une plainte avec constitution de partie civile plutôt que de fournir des preuves aux autorités sénégalaises, dans l’espoir qu’elles lancent des poursuites.14 Sept Tchadiens et l'AVCRP se sont constitués parties civiles15 et ont porté plainte le 26 janvier 2000. Dans la plainte déposée devant le tribunal régional hors-classe de Dakar, les demandeurs, dont plusieurs s'étaient rendus au Sénégal pour l'occasion, ont officiellement accusé Habré de torture et de crimes contre l'humanité. Le chef d'accusation de torture était fondé sur la législation sénégalaise contre la torture ainsi que sur la Convention de 1984 des Nations Unies contre la Torture, 16 ratifiée par le Sénégal en 1986. La plainte citait également les obligations du Sénégal en droit international coutumier de poursuivre les auteurs de crimes contre l'humanité. Les preuves et documents soumis au juge d'instruction, Demba Kandji, contenaient des informations détaillées, provenant des archives de l’AVCRP, sur 97 assassinats politiques, 142 cas de torture, 100 "disparitions" et 736 arrestations arbitraires. La plupart de ces crimes avaient été perpétrés par la redoutable DDS, l'organe répressif du régime. Un rapport sur la pratique de la torture au temps d'Habré, écrit en 1992 par une équipe médicale française, et celui de la Commission d'Enquête du Ministère Tchadien de la Justice ont également été versés au dossier. La veille du dépôt de plainte, dont le secret était entier, les victimes et organisations de défense des droits de l'homme ont rencontré le Ministre de la Justice sénégalais, Serigne Diop, qui leur a garanti qu'il n'y aurait pas d'interférence politique dans le travail de la justice. Le début de l’instruction se déroula à une vitesse remarquable. Le juge Kandji soumit d'abord le dossier au procureur pour avis. Ce dernier, conscient de la nécessité d'agir vite afin d'éviter la fuite d'Habré17 et désireux que les victimes soient entendues avant leur retour au Tchad, rendit en deux jours une opinion favorable. Le lendemain, les victimes témoignaient à huis-clos devant le juge, jour qu'elles avaient attendu pendant neuf longues années. En deux jours, le juge Kandji auditionna six victimes de Habré. “Mon cœur déborde de joie,” s’est exclamé Suleymane Guengueng à la sortie du tribunal. “J’ai attendu neuf ans avant de pouvoir enfin dire devant une cour de justice les souffrances infligées à mes compagnons de prison et à moi-même,” a-t-il ajouté,18 lui qui échappa à la mort par miracle, après plus de deux années de détention et de mauvais traitements dans les cachots de Habré. A sa sortie de prison, n’ayant plus que la peau sur les os et jurant devant Dieu que les responsables de l'horreur qu'il avait subie, auraient un jour à s'expliquer devant un tribunal, il fonda, avec d'autres rescapés, l'AVCRP. Deux autres victimes décrivirent au juge les tortures auxquelles ils furent soumis, et notamment l’une d’entre elles, particulièrement cruelle et très répandue sous le régime de Habré, connue sous le nom de “Arbatachar,” qui consistait à lier ensemble les quatre membres derrière le dos de manière à provoquer l'arrêt de la circulation et la paralysie des membres. Un autre ancien prisonnier raconta, au cours de son témoignage, comment il fut forcé par la DDS à creuser les fosses communes destinées à recevoir les corps des opposants de Habré. Le 3 février 2000, le juge cita Habré à comparaître, l'inculpa d'avoir “aidé ou assisté X… dans la commission des faits de crimes contre l'humanité, d'actes de torture et de barbarie” et le plaça en résidence surveillée.19 Les plaignants d’un côté, le juge Kandji de l’autre poursuivaient diligemment leurs enquêtes respectives sur les crimes de l’ancien dictateur. En mai, d’autres témoins furent entendus. Parmi eux, le président de la Commission d’enquête tchadienne et la présidente de l’organisation médicale française Avre, qui avait écrit le rapport sur la torture. Parallèlement, le juge adressa des demandes de commissions rogatoires à la France et au Tchad,20 où il espérait se rendre pour réunir des preuves supplémentaires. Mais, avant de pouvoir effectuer un tel voyage et mener à bien son enquête, il fallait que le gouvernement sénégalais se prononce sur les ressources qui lui seraient allouées. 21 Le 18 février, les avocats de Habré saisirent la Chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Dakar, en introduisant une demande en annulation des poursuites fondée sur les trois motifs suivants: 1) l’incompétence des juridictions sénégalaises pour juger de crimes commis au Tchad, 2) l’absence de base légale pour poursuivre Habré, du fait que le Code pénal sénégalais n’a incorporé le crime de torture qu’en 1996, soit bien après les faits reprochés à Habré et 3) la prescription, du fait qu’une grande partie des actes reprochés à Habré dataient de plus de dix ans. Il a été dit que de son côté, Habré se mit à dépenser d’importantes sommes d’argent pour s’assurer des soutiens à l’intérieur du Sénégal. Des articles de journaux furent publiés, attaquant les organisations sénégalaises à l’origine de l’affaire, affirmant que Habré n’était pas un pire dirigeant que ses prédécesseurs ou que son successeur, et évoquant un vaste complot impérialiste franco-américain, dont il serait la victime. Des proches de Habré, membres haut-placés des puissantes confréries islamiques, prirent également position en sa faveur. En mars 2000, Abdoulaye Wade, figure de proue de l’opposition, a été élu à la présidence du Sénégal. Pour la première fois depuis l’indépendance, le pouvoir échappait au parti socialiste, qui de Leopold Senghor à Abdou Diouf, avait réussi à conserver la présidence sans interruption pendant plusieurs décennies. Bien que l’élection de Wade marquait le renouveau de la démocratie sénégalaise, elle eut immédiatement des effets négatifs sur l’affaire Habré, notamment parce que l’avocat de Habré, Madické Niang, était l’un des proches conseillers de Wade. Une fois au pouvoir, Wade nomma Niang au poste de conseiller spécial aux affaires légales, tout en le laissant continuer d’exercer son métier d’avocat et d’assurer la défense de Habré.22 Le premier signe de changement dans l’attitude du gouvernement se fit déjà sentir en mai, lorsque le bureau du procureur exprima sa position sur la demande en annulation de la défense. Le 28 janvier, sous le précédent gouvernement du président Abdou Diouf, le procureur adjoint Abdulaye Gaye avait formellement soutenu l'inculpation de Habré. Pourtant, en mai, le procureur adjoint, François Diouf, demanda l'abandon des poursuites. Le 16 mai, les avocats des deux parties plaidèrent à huit clos - pendant plus de six heures - devant la Chambre d'Accusation de Dakar sur la requête déposée par Habré. La défense, soutenue par le procureur, avança qu’au regard du code pénal sénégalais, les tribunaux n’ont pas compétence pour juger de crimes commis par des Tchadiens au Tchad,23 et que la Convention des Nations unies contre la Torture de 1984, que le Sénégal a ratifié en 1986, n’a pas été suivie des lois internes d’adaptation requises avant 1996, et quand bien même ces lois furent adoptées, elles n’ont pas étendu la compétence des tribunaux sénégalais à des crimes commis à l’étranger. Les avocats des victimes affirmèrent pour leur part que les provisions des articles 5-7 de la Convention contre la Torture, obligeaient expressément les Etats à juger ou à extrader les tortionnaires présumés qui pénètrent sur leur territoire, et ce précisément pour empêcher que certains d’entre eux ne trouvent refuge dans un pays qui les laisserait échapper à la justice. Par ailleurs, en vertu de l'article 79 de la Constitution sénégalaise, "les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois". Les avocats des victimes ont aussi souligné que selon l'article 7 du code de procédure pénale sénégalais, la prescription des dix ans applicable en matière criminelle ne peut avoir commencé à courir à l'égard des plaignants qu'à partir du jour suivant la chute du Président Habré, en décembre 1990. Ce même article prévoit en effet que [l]a "prescription est suspendue par tout obstacle de droit ou de fait empêchant l'exercice de l'action publique." La plainte a été déposée à Dakar en janvier 2000, soit moins de 10 ans avant le début de la prescription. La défense a également cherché à démontrer que puisque le Sénégal n’a ratifié la Convention contre la Torture qu’en 1986 et que de surcroît, il ne l’a incorporé à sa législation interne qu’en 1996, les provisions sus-mentionnées ne pouvaient pas être appliquées rétrospectivement.24 La décision de la Chambre d’accusation était initialement prévue le 15 juin, mais elle fut repoussée au 20 juin, pour être à nouveau retardée jusqu’au 4 juillet. Et dans les jours qui précédèrent la décision, Wade joua de son influence. Le 30 juin 2000, au cours d’une réunion inattendue, le Conseil supérieur de la Magistrature, présidé par le Chef d'Etat sénégalais et son Ministre de la Justice, décida de muter le juge Demba Kandji de son poste de juge d’instruction en chef du Tribunal régional de Dakar à un poste d’assistant du procureur à la Cour d’appel de Dakar. En conséquence, le juge Kandji dut abandonner l’instruction de l’affaire Habré. Ce transfert constitue sans aucun doute une sanction à l’encontre du Juge Kandji et du sérieux avec lequel il traitait l’affaire. Habré étant regardé comme un “Pinochet africain,” la juge Kandji devenait l’équivalent sénégalais du juge espagnol Baltasar Garzón,25 et sa mutation soudaine s’analyse, en effet, comme une tentative gouvernementale de mettre rapidement terme à une enquête dérangeante. Ce même jour, on apprit également que le Président de la Chambre d'Accusation, Cheikh Tidiane Diakhaté, avait été promu au Conseil d'Etat, alors que l'affaire Habré était en cours de délibéré. Ces intrigues de dernière minute laissaient présager de la décision de la Chambre d’Accusation. Le 4 juillet 2000, les trois juges de la Chambre décidèrent qu’en dépit de la Convention contre la Torture, les tribunaux sénégalais n’avaient pas compétence sur des crimes commis hors du pays et ordonnèrent l’abandon des charges contre Hissène Habré.26 La Cour a jugé qu’au regard du code de procédure pénale du Sénégal, ses tribunaux n’ont de compétence que sur certains crimes extra-territoriaux commis par des étrangers. A propos des provisions de la Convention contre la Torture, la cour a affirmé que “cette disposition... ne détermine aucune compétence juridictionnelle,” alors qu’en droit pénal, une telle règle devrait être établie avec précision. La Cour a fondé son jugement sur l’article 5 de la Convention, qui appèle les Etats à adopter une législation élargissant leur compétence à des crimes de torture extra-territoriaux, plutôt que sur l’article 7, qui établit avec plus de clarté l’obligation aut dedere aut judicare.27 La Chambre d’accusation a choisi de se démarquer d’une décision antérieure de la Cour Suprême - dans une affaire relevant du droit administratif, 28 cette dernière avait en effet subordonné la législation nationale à un traité international et ce, conformément à l’article 79 de la Constitution – au motif que le droit pénal répondait à des règles plus strictes.29 La Chambre souligna également que la France et la Belgique avaient, contrairement au Sénégal, adopté une loi interne d’adaptation visant précisément à établir la compétence de leurs tribunaux sur des crimes de torture extra-territoriaux. Elle a ensuite affirmé que “[L]es juridictions sénégalaises ne peuvent connaître des faits de torture commis par un étranger en dehors du territoire sénégalais quel que soit les nationalités des victimes.” La Chambre a, de surcroît, rejeté les charges de crimes contre l’humanité, au motif que “le droit positif sénégalais ne renferme à l'heure actuelle aucune incrimination de crimes contre l'humanité, qu'en vertu du principe de la légalité des délits et des peines … les juridictions sénégalaises ne peuvent matériellement connaître de ces faits. » Les victimes firent immédiatement appel de cette décision devant la Cour de Cassation. Le verdict de la Chambre d’accusation et les manœuvres qui l’ont précédé ont provoqué de vives réactions tant au niveau national qu’international. "C'est le procès le plus important en matière de droits de l'homme dans l'histoire du Sénégal et nous nous comportons comme une république bananière", a protesté Alioune Tine de la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme (RADDHO) de Dakar. Le New York Times a, pour sa part, jugé que cette décision était "particulièrement décevante" et a violemment critiqué ce qui "ressemble à une intervention du nouveau président du pays" dans une affaire de justice. 30 Le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur l'Indépendance des Juges et des Avocats, et celui sur la Torture, ont exprimé conjointement - fait rare - leurs inquiétudes au gouvernement du Sénégal à propos de l'abandon des poursuites et des circonstances l'entourant. 31 De son côté, le Président Wade a affirmé à plusieurs reprises que Habré ne serait pas jugé au Sénégal, et ce avant même que la Cour de Cassation ne rende sa décision sur l’affaire. Le 20 février dernier, la Cour de Cassation entendit l'affaire. Dans son réquisitoire, le Procureur, se rangeant du côté des victimes,32 demanda que la décision de la Chambre d'accusation soit cassée et les poursuites contre Hissène Habré relancées. Le 20 mars 2001, après un mois de délibération, les trois juges de la Cour de cassation se prononcèrent: Hissène Habré ne sera pas jugé au Sénégal, faute de compétence des juridictions sénégalaises sur des crimes commis à l'étranger. La Cour souligna dans son verdict: "Qu'aucun texte de procédure ne reconnaît une compétence universelle aux juridictions sénégalaises en vue de poursuivre et de juger, s'ils sont trouvés sur le territoire de la République, les présumés auteurs ou complices de faits [de torture] … lorsque ces faits ont été commis hors du Sénégal par des étrangers; que la présence au Sénégal d'Hissène Habré ne saurait à elle seule justifier les poursuites intentées contre lui".33 Cette décision, aussi décevante et regrettable soit-elle, n'arrêtera ni les victimes ni les organisations qui les soutiennent, dans leur quête de justice. Les victimes d'Habré ont immédiatement annoncé qu'elles chercheraient à obtenir son extradition, notamment vers la Belgique, où une seconde plainte avait déjà été déposée pour crimes contre l'humanité, crimes de tortures, crimes d'arrestations arbitraires et d'enlèvement, en novembre 2000, soit plusieurs mois avant la décision de la Cour de Cassation, par d’autres victimes, dont trois résident depuis de nombreuses années en Belgique et ont acquis la nationalité belge. Elles ont également porté plainte contre le Sénégal devant le Comité des Nations Unies contre la Torture, dans l'espoir que ce dernier demande au Sénégal de poursuivre ou d'extrader Hissène Habré, ainsi que l'exige la Convention contre la Torture.34 Cependant, en avril 2000, le président du Sénégal, Abdoulaye Wade, a brusquement annoncé qu'il avait demandé à Hissène Habré de quitter le Sénégal. Bien que ce fut là une forme importante de reconnaissance de leurs efforts, les victimes ont commencé à craindre que Hissène Habré ne se rende dans un pays, où il serait à l’abri d’une demande d'extradition comme de la décision finale des Nations Unies. Pour conserver une chance de le voir traduit en justice, les victimes ont donc demandé au Comité des Nations Unies contre la torture d’ordonner des mesures provisoires. En réponse et agissant en vertu du paragraphe 9 de l’article 108 de son règlement intérieur, le Comité a demandé, à titre provisoire, au Sénégal « de ne pas expulser Hissène Habré et de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que ce dernier ne quitte le territoire (du Sénégal) autrement qu'en vertu d'une procédure d'extradition. »35 D’autres voix se sont jointes : Amnesty International, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les Droits de l’Homme, Mary Robinson et le Secrétaire Général des Nations Unies, Kofi Annan, ont également saisi le chef de l'État sénégalais pour rappeler qu’avant d’être un indésirable qu'il faut expulser, Habré est un présumé responsable de crimes contre l'humanité qu'il faut juger. En septembre, Wade a fait part de son changement de position au quotidien genevois, Le Temps: « J'étais prêt à envoyer Hissène Habré n'importe où, y compris dans son propre pays, le Tchad, mais Kofi Annan est intervenu pour que je [le] garde sur mon sol, le temps qu'une justice le réclame. Je l'ai fait, mais je ne souhaite pas que cette situation perdure. Le Sénégal n'a ni la compétence ni les moyens de le juger. Le Tchad ne veut pas le juger. Si un pays capable d'organiser un procès équitable - on parle de la Belgique - le veut, je n'y verrai aucun obstacle. Mais qu'il fasse vite. Je ne tiens pas à garder Hissène Habré au Sénégal. » Les répercussions de l’affaire au Tchad De même que l'arrestation de Pinochet en Grande-Bretagne brisa le mythe de l'impunité de Pinochet au Chili, l'inculpation de Habré au Sénégal eut un impact immédiat au Tchad, ouvrant de nouvelles voies à la justice. Le Gouvernement tchadien ne s’attendait visiblement pas à ce qu’une plainte soit déposée à Dakar. Ayant bâti une partie de sa légitimé sur la diabolisation du dictateur déchu, il a vraisemblablement pris peur à l’idée que trop d’attention soit portée au fait qu’il n’avait jamais demander son extradition. Après quelques jours de silence embarrassé, le gouvernement, habile, a annoncé que les poursuites lancées au Sénégal constituaient la continuation logique du travail qu’il avait lui-même initié en établissant la Commission d’Enquête. Et en juillet 2000, après l’abandon du dossier, il a fait part officiellement de sa déception36 et a même laissé entendre qu’il serait prêt à trouver d’autres moyens pour traduire Habré en justice. 37 De leur côté, les victimes, qui avaient initié les poursuites au Sénégal, gagnèrent une autorité nouvelle dans la société tchadienne, ayant accompli un exploit que personne n'aurait cru possible. L’association des victimes, en collaboration avec les organisations de défense des droits de l’homme, poursuivait quant à elle ses recherches sur les crimes de Habré en vue d’un procès à Dakar et annonça son intention de porter plainte, devant les tribunaux tchadiens, contre les tortionnaires directs de ses membres. Le 27 septembre 2000, le Président Idriss Déby accorda une audience aux dirigeants de l'Association des Victimes et leur affirma que « l'heure de la justice avait sonné » et qu'il donnerait son entier soutien à leurs démarches.38 Il ajouta qu’il s’était personnellement plaint auprès du Président Wade de la décision du 4 juillet et promit de débarrasser son administration des anciens agents de la DDS et d'accorder au Comité International pour le Jugement d'Hissène Habré un accès complet aux archives de la Commission d'Enquête de 1992. Le 26 octobre 2000, dix-sept victimes ont porté plainte au Tchad pour torture, meurtres et "disparitions" contre des anciens membres de la DDS.39 Chaque victime a porté plainte nommément contre « son » tortionnaire préalablement identifié. Le 23 novembre 2000, le Juge d’instruction en charge du dossier s’est déclaré incompétent, décision qu’il fondait sur une ordonnance de 1993 portant création d’une cour spéciale40 pour juger Habré et ses complices. Le juge cédait à une pression politique certaine. La cour spéciale n’ayant jamais vu le jour, les parties civiles ont immédiatement fait appel devant la Chambre d’accusation de la Cour d’Appel de N’Djaména. La Chambre d’accusation a estimé qu’une question constitutionnelle se posait et a, en conséquence, saisi le Conseil Constitutionnel pour avis. Le 6 avril 2001, le Conseil Constitutionnel déclara que les juridictions tchadiennes de droit commun étaient compétentes pour juger ces plaintes. Par la suite, la Chambre d’accusation a annulé la décision du premier juge qui s’était déclaré incompétent et a renvoyé le dossier devant un nouveau juge d’instruction près le tribunal de première instance de N’Djaména. L’instruction des plaintes contre les ex agents de la DDS a donc commencé au mois de mai 2001. Comme l’explique Ismael Hachim, Président de l’AVCRP, « Nous n’avons jamais accepté - et ne pourrons jamais accepter - l’idée que nos tortionnaires échappent à la justice. Après l’arrestation d’Hissène Habré au Sénégal, nous nous sommes rendus compte que nous pouvions également exiger que justice soit faite, ici, dans notre propre pays. C’est maintenant à la justice tchadienne de faire son devoir. »41 Etant donné les faiblesses du système judiciaire tchadien et le fait que plusieurs anciens complices de Habré occupent encore le pouvoir, il y a fort à craindre que la tâche soit très difficile. Deux incidents ont déjà fait de cette crainte une réalité: en décembre 2000, à l’intérieur même des locaux du palais de justice de N'Djaména, le bureau du procureur en charge des plaintes a été mis à sac et, plus grave encore, Maître Jacqueline Moudeïna, avocate des parties civiles, a été victime le 11 juin 2001 à N’Djaména d’une agression qu’aurait dirigée un ancien homme de Habré, qui fait toujours partie des forces de sécurité de l’état tchadien. Maître Jacqueline Moudeïna a porté plainte contre lui. Comme l’a écrit mon collègue Olivier Bercault, il faut retenir que: "Quoiqu’il arrivera (...), le fait que des victimes aient ‘ osé’ porter plainte contre Hissène Habré a débloqué une situation gelée depuis dix ans. Tout d’un coup, au Tchad, tout devient finalement possible. On a enfin osé parler de la terreur des années Habré, on a osé s’adresser à un tribunal, même s’il se trouve à l’étranger. Les victimes qui ont été arbitrairement arrêtées, humiliées, torturées et les familles des victimes qui ont vu des proches se faire assassiner ou disparaître corps et âme, relèvent la tête et demandent justice. On ne craint plus rien. La peur a changé de camp.”42 Conclusion En inculpant Habré, le Sénégal a été le premier pays africain à lancer des poursuites pour crimes contre les droits de l’homme contre un ancien Chef d’Etat. Il est également devenu le premier pays hors d’Europe à faire usage du « précédent Pinochet ». Bien que la décision finale de la justice sénégalaise et les circonstances troubles qui l’ont entourée, aient été décevantes, les victimes ont refusé d’abandonner. L’intervention des Nations Unies et la perspective d’un éventuel procès en Belgique ont contribué à relancer l’affaire. Quel qu’en soit l’issue, l’inculpation de Habré à Dakar a ouvert, à travers tout le continent africain, de nouvelles perspectives aux défenseurs des droits de l’homme et redonné espoir aux victimes d’abus, notamment au Tchad, où cette inculpation a eu un impact libérateur déterminant. 1 Bob Woodward, Veil: The Secret Wars of the CIA 1981-1987, p. 97 (1987) (“bloody Khadaffi’s nose”). 2. Sur l’aide militaire et financière des Etats Unis à Habré, lors du conflit qui l’opposa à une rébellion soutenue par la Libye, voir René Lemarchard, The Crisis in Chad, in african Crisis Areas and U.S. Foreign Policy, pp. 239-56 (Gerald J. Bender et al. eds., 1985). Selon la Commission d’enquête tchadienne, des conseillers de l’Ambassade américaine visitaient régulièrement les locaux de la Direction de la Documentation et de la Sécurité et aidèrent à la formation de ses agents. La Commission rapporte qu’un directeur de la DDS aurait mentionné un américain se faisant appeler “John” qui officiait comme conseiller de la DDS et s’intéressait particulièrement au problème libyen. Voir Commission d’Enquête Nationale du Ministère Tchadien de la Justice, Les Crimes et Détournements de L’Ex- président Habré et De Ses Complices, p. 29 (1993). 3Commission d’Enquête Nationale du Ministère Tchadien de la Justice, Les Crimes et Détournements de L’Ex- président Habré et De Ses Complices (1993). 4.Dans son rapport, la Commission fait état d’un manque de temps et d’argent pour mener à bien son enquête. Et certains de ses membres, jugeant la tâche trop dangereuse, ont préféré abandonner en cours d’enquête. La Commission a malgré tout auditionné 1,726 témoins et ordonné trois exhumations. Voir Commission d’Enquête, pp. 10-11 (1993). Etant donné les circonstances, elle réussit à produire un rapport digne d’estime. 5. La Commission d’enquête avance de façon non-scientifique le chiffre de 40.000, en estimant que les 3.780 victimes qu’elle parvînt à identifier, représentaient 10% seulement des assassinats. Voir id., pp. 69, 97. 6 Voir aussi Amnesty International, Tchad - L’héritage Habré (2001) 7. Commission D’Enquête Nationale du Ministère Tchadien de la Justice, Les Crimes et Détournements de L’Ex-Président Habré et De Ses Complices, p. 98 (1993). 8 Idriss Déby aurait participé au «septembre noir » de 1984, au cours duquel des troupes perpétrèrent des massacres dans le sud du pays, dans le Logone-Occidental et dans le Moyen-Chari. 9. Le Tchad a lancé avec succès des poursuites au Sénégal pour récupérer l’avion dans lequel Habré avait fui le pays. En 1998, le Ministre de la Justice d’alors, Limane Mahamat, avait annoncé que le Tchad chercherait à obtenir l’extradition de Habré du Sénégal, mais aucune demande formelle n’a jamais été déposée. 10. Voir par ex., Human Rights Watch, Le Précédent Pinochet: comment les victimes peuvent poursuivre les criminels des droits de l’homme à l’étranger, (modifié en juin 2001); Barbara Crossette, Dictators Face The Pinochet Syndrome, N.Y. Times, 22 août 1999, § 4, p. 3. 11. Le Sénégal fut le premier pays au monde à ratifier le traité portant création de la Cour Pénale Internationale. Il a également ratifié la Convention des Nations Unies contre la Torture, ainsi que la plupart des principaux traités relatifs aux droits de l’homme. Voir infra, note 17. 12. Les premiers enquêteurs à se rendre au Tchad, en juillet et août 1999, furent Genoveva Hernandez, avocate espagnole, et Nicolas Seutin, avocat belge. Leur voyage a été financé par le Programme des droits de l’homme de l’Université de Harvard dont le directeur, Peter Rosenblum, est un spécialiste du Tchad, où il a noué de nombreux contacts. La seconde mission d’enquête, en novembre et décembre suivants, a été effectuée par Pascal Kambale, avocat congolais qui sera actif tout au long du dossier et par Alioune Tine, directeur de l’organisation sénégalaise, la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme [RADDHO]. Voir David Bosco, Dictators in the Dock New Attempts to Bring Despots to Justice, The American Prospect (2000). 13. Au sein de cette coalition, collaborent Human Rights Watch, l'ATPDH, la Fédération Internationale des Ligues de Droits de l'Homme (FIDH), la Ligue Tchadienne des Droits de l'Homme (LTDH), la RADDHO, l'Organisation Nationale Sénégalaise des Droits de l'Homme (ONDH), l'organisation londonienne Interights et l'organisation française Agir Ensemble pour les droits de l'homme. Lors du dépôt de la plainte, des responsables de chacune de ces organisations ont créé le Comité International pour le jugement d'Hissène Habré. 14. Cette décision stratégique, fruit de nombreux débats internes, s’explique par les deux considérations suivantes: premièrement, la position que le gouvernement sénégalais allait adopter, étant difficilement prévisible, il n’y avait aucune garantie que les autorités se décideraient à lancer des poursuites, alors qu’en déposant une plainte avec constitution de parties civiles, les victimes seraient tout du moins entendues par un juge relativement indépendant ; deuxièmement, tout délai, notamment celui induit par les lenteurs d’un Ministère public, hésitant à aller de l’avant, donnerait à Habré une chance de fuir la pays. 15. En mai, 53 victimes tchadiennes supplémentaires et une Française dont le mari tchadien avaient été assassiné en 1984, se sont jointes au dossiers. 16. Convention contre la Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée et ouverte à la signature, à la ratification et à l'adhésion par l'Assemblée générale dans sa résolution 39/46 du 10 décembre 1984. Ladite Convention a été ratifiée par le Sénégal par la Loi 86-26 du 16 juin 1986 et publiée au JORS du 8 août 1986. 17. Les plaignants ont évoqué l’article 6, section 1 de la Convention contre la Torture qui dispose: “S'il estime que les circonstances le justifient, après avoir examiné les renseignements dont il dispose, tout Etat partie sur le territoire duquel se trouve une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction visée à l'article 4 assure la détention de cette personne ou prend toutes autres mesures juridiques nécessaires pour assurer sa présence. Cette détention et ces mesures doivent être conformes à la législation dudit Etat; elles ne peuvent être maintenues que pendant le délai nécessaire à l'engagement et poursuites pénales ou d'une procédure d'extradition.”Id. at art. 6, § 1. 18. Human Rights Watch, Senegal Opens Investigation Against Ex-Chad Dictator http://www.hrw.org/hrw/press/2000/01/hab127.htm 19. Procès-Verbal d'interrogatoire de Première Comparution : http://www.hrw.org/french/themes/habre-inculpation.html. Le juge ordonna à Habré de ne pas sortir des deux zones de Dakar, où il possède des maisons, et de renoncer à toute déclaration publique. Il exigea également qu’Habré se présente une fois par semaine à un poste de police et qu’il remette aux autorités ses armes et son passeport. 20. Le 20 mars, le juge Kandji envoya une commission rogatoire au Tchad, demandant que son homologue tchadien procède à l’audition d’un certain nombre de témoins, dont les quatre directeurs de la DDS. La commission rogatoire adressée à la France demandait que soit prise la déposition d’Hélène Jaffé, ce qui fut fait en septembre 2000. 21. Voir Stephen Smith, L'impossible enquête sur Hissène Habré au Tchad: Le juge sénégalais à l'origine des poursuites contre l'ancien dictateur manque de moyens d'investigation à N'Djamena, Libération, 31 mars 2000. Avant le dépôt de plainte, Human Rights Watch prit en charge les coûts engendrés par le dossier. Par la suite, le Comité International pour le Jugement de Hissène Habré a bénéficié de fonds récoltés par HRW auprès de différentes fondations. A ce stade de l’affaire, les coûts couvraient les recherches au Tchad, le transport des témoins (un aller-retour du Tchad au Sénégal coûte environ 950$), les frais de justice et la rémunération modeste des avocats. 22. Le 25 mai, le Conseil de l’ordre des avocats du Sénégal décida que tant qu’il demeurait au service de Wade, Niang ne pouvait pas exercer devant une cour de justice. Le président Wade réassigna rapidement Niang à un poste rémunéré de consultant juridique, manœuvre tactique visant à permettre à Niang de travailler pour le gouvernement, tout en continuant de représenter Habré et d’autres clients privés. 23. L’article 669 du code de procédure pénale dispose que “tout étranger qui hors du territoire de la République, s’est rendu coupable soit comme auteur, soit comme complice, d’un crime ou d’un délit attentatoire à la sûreté de l’Etat ou de contrefaçon du sceau de l’Etat, de monnaies nationales ayant cours, peut être suivi et jugé d’après les dispositions des lois sénégalaises ou applicable au Sénégal, s’il est arrêté au Sénégal ou si le gouvernement obtient son extradition.” Selon les avocats de Habré, la compétence extra-territoriale du Sénégal sur des étrangers était limitée à ces cas précis. 24. Le Sénégal a signé la Convention le 4 février 1985 et l’a ratifiée en août 1986. Cependant, ce n’est que le 26 juin 1987 qu’elle est rentrée en vigueur. Quoiqu’il en soit, la plupart des crimes évoqués dans la plainte a été commise après 1987. 25. Voir Un juge au-dessus de tout soupçon, Jeune Afrique L’Intelligent, 15-21 février 2000, p. 22. 26. Voir République du Sénégal, Cour d’Appel de Dakar, Chambre d’accusation, Arrêt nº 135 du 4 juillet 2000. Voir http://www.hrw.org/french/themes/habre-decision.html . La Cour ne s’est pas prononcée sur les autres arguments avancés par la défense. 27. L’article 5 paragraphe 2 de la Convention contre la Torture qui impose une obligation législative dispose: « Tout Etat partie prend également les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître desdites infractions dans le cas où l'auteur présumé de celles-ci se trouve sur tout territoire sous sa juridiction et où ledit Etat ne l'extrade pas … » L’article 7 paragraphe 1 qui impose l’obligation soit d’extrader, soit de poursuivre dispose: « L'Etat partie sur le territoire sous la juridiction duquel l'auteur présumé [des actes de torture] est découvert, s'il n'extrade pas ce dernier, soumet l'affaire … à ses autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale.. » Id. art. 7 § 1; voir Henzelin, Le Principe de L’Universalité En Droit Pénal International 349 (Helbing et al. eds., 2000). (La Convention se caractérise ainsi principalement en matière juridictionnelle par le fait qu’elle n’impose pas une obligation purement législative et territoriale, qui caractérisait précédemment les autres conventions de droits de l’homme, pour reproduire les modèles de sécurité collective de Tokyo et de La Haye, dominés par les principes de la liberté juridictionnelle, aut dedere aut prosequi, ainsi que par l’obligation de poursuivre.). 28. Voir Abdoulaye Barry c/ Biscuiterie de Médina, Cour Suprême du Sénégal, 23 avril 1980, in Revue EDJA, nº 40, janvier-février-mars 1999, p. 69. 29 « La justice pénale…est bâtie sur deux grandes règles: d'une part les règles de fond qui définissent les infractions et fixent les peines et d'autres part, les règles de forme qui déterminent la compétence, la saisine et le fonctionnement des juridictions; Elle a toujours manifesté son autonomie par rapport aux autres normes juridiques; que cette particularité est due au caractère sanctionnateur du droit pénal qui tend à la protection des intérêts de la société comme ceux des individus en cause et exige un certain formalisme de procédure ». 30. Editorial “Justice Denied in Senegal”, N.Y. Times, 21 juillet 2000, p. A18. Cet éditorial du New York Times, également publié par l’International Herald Tribune, a été traduit en français, puis sa circulation a été assurée par le Comité international, de sorte que la presse sénégalaise en a largement fait l’écho. Voir, par ex., Boubacar Seck, Affaire Hissène Habré: Le New York Times dénonce un déni de justice, Le Matin, 26 juillet 2000 31. Communiqué de presse des Nations Unies, « Le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats et le Rapporteur spécial sur la torture ont exprimé leurs préoccupations au Gouvernement du Sénégal s’agissant des circonstances dans lesquelles a été prononcé le non-lieu dans le cas de Monsieur Hissène Habré, ancien Président du Tchad », 2 août 2000. 32 http://www.hrw.org/french/themes/habre-ministere_public.html 33Cour de Cassation, Crim, Arrêt nº 14 du 20 mars 2001, Souleymane GUENGUENG et autres Contre Hissène HABRE, http://www.hrw.org/french/themes/habre-cour_de_cass.html 34 http://www.hrw.org/french/themes/habre-cat.html 35 http://www.hrw.org/french/themes/images/guengueng_small.jpg (lettre aux plaignants, en anglais) 36. Voir la Communication du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice au Conseil des Ministres sur l’Affaire Hissène Habré du 6 juillet 2000 (“Malgré la déception que cause cette décision nous pensons que les pourvois en cassation engagés pourraient permettre aux victimes d’espérer.”). 37. Voir id. (“En cas de décision définitive similaire à celle qui vient d’être prise, le Gouvernement exploitera d’autres procédures de poursuites.”). Au regard de la simple procédure, l’extradition de Habré vers le Tchad pourrait être souhaitable, mais il faudrait immédiatement s’assurer qu’il soit soumis à un procès équitable et que son intégrité physique soit respectée, ce qui constitue des difficultés importantes. 38. Communiqué de presse de l’AVCRP, des Associations des droits de l’homme et du Comité International pour le Jugement d’Hissène Habré du 6 octobre 2000. 39.Voir par exemple la plainte avec constitution de partie civile, Hachim c/ Touka Haliki, Abaya, Daïkreo, Abakar Torbo, Abba Moussa, Mahamat Djibrine dit "El-Djonto", http://www.hrw.org/french/themes/habre-hachim.html 40.Ordonnance Nº 004/PR/MJ/93 du 27 février 1993 portant création de la Cour Criminelle Spéciale de Justice. D’après l’article 4 de cette Ordonnance, la Cour est compétente pour connaître des crimes commis par Habré, ses co-auteurs et/ou complices et les ex-responsables ou agents de la DDS 41. Human Rights Watch, "Des victimes de Hissène Habré demandent justice au Tchad, sur le lieu de ses crimes," 26 octobre 2000. http://www.hrw.org/french/press/2000/habre102600.htm 42. Olivier Bercault, "Les enjeux de l’affaire Habré", LE MATIN, 24 novembre 2000. |