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Décision de la Cour de Cassation du Sénégal

Communiqués de presse

République du Sénégal

Au nom du peuple sénégalais

La Cour de Cassation

Première chambre statuant en matière pénale




Arrêt n' 14 du 20-3-2001 Pénal

Souleymane GUENGUENG ET AUTRES

Contre

Hissène HABRE

RAPPORTEUR: Mireille NDIAYE

MINISTERE PUBLIC: Ciré Aly BA

AUDIENCE: 20 mars 2001

PRESENTS: Mireille NDIAYE, Président de Chambre, Président
Mamaou Badio CAMARA et Boubacar Albert GAYE, Conseillers
Ndèye Macoura CISSE, Greffier

MATIERE: Pénale

A L'AUDIENCE PUBLIQUE ET ORDINAIRE DU MARDI VINGT MARS DEUX MILLE UN

ENTRE:

1) Souleymane GUENGUENG
2) Zakarla Fadoul KHIDIR
3) Issac Haroun ABDALLAH
4) Younouss MAHADJIR
5) Togoto Lonaye SAMUEL
6) Ramadame SOULEYMANE
7) Valentin Neatobet BIDI et
8) l'Association des victimes de crimes et répression politiques au Tchad, tous demeurant à Ndjaména, République du Tchad, mais faisant élection de domicile au Sénégal en l'étude de Maîtres Boucounta DIALLO, 5, place de l'indépendance, Dakar, Yérim THIAM, Sidiki KABA, tous avocats à la Cour à Dakar ;
demandeurs ;
d'une part ;

ET :

Hissène HABRE demeurant à Ouakam près de la gendarmerie dudit lieu, faisant élection de domicile en l'étude de Maîtres Madické NIANG, Hélène CISSE, El Hadj DIOUF, Souleymane Ndèné NDIAYE, Abdou Dialy KANE, tous avocats à la Cour à Dakar;
défendeur;
d'autre part ;

Statuant sur le pourvoi formé suivant déclaration souscrite au greffe de la Cour d'appel de Dakar le 7 juillet 2000, par Maître Boucounta DIALLO, avocat à la Cour à Dakar, muni de pouvoirs spéciaux, agissant au nom et, pour le compte de Souleymane GUENGUENG, Zakaria Fadoul KHIDIR, Issac Haroun ABDALLAH, Younouss MAHADJIR, Togoto Lonaye SAMUEL, Ramadane SOULEYMANE, Valentin Neatobet BIDI et l'association des victimes de crimes et répression politique au Tchad, contre l'arrêt rendu le 4 juillet 2000 par la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Dakar dans la poursuite exercée contre Hissène HABRE des chefs de complicité de crimes contre l'humanité, actes de torture et de barbarie et qui, rejetant les exceptions de recevabilité de la requête en annulation de la procédure introduite par Hissène HABRE de même que la dernière note en cours de délibéré de Maître Madické NIANG, conseil de l'inculpé, a déclaré recevable la requête sur la forme et au fond a annulé le procès verbal d'inculpation et la procédure subséquente pour incompétence du juge saisi ;

LA COUR
Vu la loi organique n' 92.25 du 30 mai 1992 sur la Cour de cassation;

Oui Madame Mireille NDIAYE, président de chambre en son rapport;

Oui Monsieur Ciré Aly BA, avocat général représentant le ministère public en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi;

Sur les requêtes des 10 Août 2000, 18 août 2000 et 20 décembre 2000 ;

Attendu que Souleymane GUENGUENG et autres qui s'étaient pourvus le 7 juillet 2000 contre l'arrêt de la chambre d'accusation en date du 4 juillet 2000, ont produit au greffe de la Cour de cassation les requêtes suscitées contenant des moyens de cassation à l'appui de leur pourvoi ;

Mais attendu qu'il ne saurait être fait état de ces mémoires qui, n'ayant pas été déposés dans le délai d'un mois imparti par l'article 46 de la loi organique susvisée, ne saisissent pas la Cour de cassation des moyens qui y sont formulés ;

Vu le mémoire du 17 juillet 2000 régulièrement déposé et les mémoires en défense;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que courant janvier 2000, Souleyrnane GUENGUENG et autres, tous ressortissants tchadiens, ont déposé plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d'instruction de Dakar contre personne non dénommée et Hissène Habré pour tortures, peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dont ils auraient été victimes au Tchad entre juin 1982 et décembre 1990, période durant laquelle ce dernier a exercé la fonction de président de la République de ce pays ; que le 3 février 2000, le juge d'instruction a inculpé Hissène Habré de complicité de crimes contre l'humanité, d'actes de torture et de barbarie en visant les articles 45, 46, 294 bis, 288 du code pénal et l'a placé en résidence surveillée ; que par requête du 18 février 2000, l'inculpé a saisi la chambre d'accusation aux fins de voir annuler la procédure pour incompétence des juridictions sénégalaises, défaut de base légale et prescription de l'action publique ; que par l'arrêt attaqué, la chambre d'accusation a fait droit à sa demande pour incompétence du juge saisi ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article 165 alinéa 4 du code de procédure pénale en ce que la chambre d'accusation, répondant aux conclusions des parties civiles qui avaient fait valoir que l'inculpé demandeur à l'annulation, n'avait pas, dans sa requête, désigné, identifié et précisé le cabinet d'instruction saisi de la procédure, a déclaré recevable la requête aux motifs qu'au soutien de l'exception d'irrecevabilité de la requête qu'elles ont soulevée, les parties civiles n'ont cité aucun texte de loi ni précisé le fait sanctionné et qu'aucun obstacle n'empêche la chambre d'accusation, juridiction de second degré, de réclamer une procédure ; qu'il est loisible au juge, destinataire de la réclamation de demander des précisions nécessaires à l'identification de la procédure alors que les juges ne doivent pas se fonder sur une connaissance personnelle de l'affaire pour suppléer à la carence d'une partie demanderesse et alors que le texte suscité exige que la requête en annulation soit motivée, que la réclamation du dossier soit immédiate et alors enfin que les règles touchant à l'organisation judiciaire sont d'ordre public et que la violation d'une règle touchant à l'organisation judiciaire doit être relevée d'office par les juges et que la chambre d'accusation, saisie sur le fondement de l'article 165 alinéa 1er du code de procédure pénale ne pouvait estimer qu'elle est une juridiction de second degré en l'absence d'un appel contre une ordonnance du juge d'instruction;

Attendu que les griefs soulevés ne résultent pas de l'article 165 du code de procédure pénale; que ce texte permet à l'inculpé de saisir la chambre d'accusation, en dehors de tout appel, pour voir annuler un acte entaché de nullité ;

D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;


Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation de l'article 165 du code de procédure pénale en ce que la chambre d'accusation a reçu et examiné une requête en date du 18 février 2000 qui a rectifié une omission matérielle contenue dans la requête initiale alors que le texte visé ne prévoit qu'une seule requête et non une requête rectificative dès lors que le débat était lié ;

Attendu qu'il résulte des pièces de la procédure que le 18 février 2000, Hissène Habré a adressé au "Président de la chambre d'accusation" une requête tendant à voir annuler le procès-verbal de son inculpation et les actes subséquents et que, le même jour, il a saisi " Monsieur le Président de la chambre d'accusation et Messieurs les Conseillers de la chambre d'accusation " d'une requête identique ;

Attendu que pour répondre aux parties civiles qui lui demandaient de déclarer la deuxième requête irrecevable et de juger qu'elle a été irrégulièrement saisie par la première, la chambre d'accusation énonce, à juste titre, qu'Hissène Habré a invoqué à l'appui de sa requête l'article 165 du code de procédure pénale qui autorise l'inculpé à saisir cette juridiction lorsqu'il estime qu'une nullité a été commise et, non son président dont les pouvoirs propres sont prévus par les articles 210 et suivants du même code ;

D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;


Sur le troisième moyen de cassation pris du défaut de réponse aux conclusions régulièrement déposées par les parties civiles selon lesquelles la chambre d'accusation qui n'est pas une juridiction de fond ne peut se prononcer sur la loi répressive de procédure de forme ou de fond susceptible de fixer l'incompétence des juridictions sénégalaises laquelle ne peut être appréciée qu'au regard des dispositions de l'article 669 du code de procédure pénale qui est applicable ou de celles de la Convention de New- York du 10 décembre 1984 alors que la chambre d'accusation n'était saisie que d'un contentieux portant sur des nullités dont le régime est régi par les articles 101 à 105 du code de procédure pénale et que, dès lors, elle devait se borner à vérifier s'il y a eu méconnaissance d'une formalité substantielle prévue par le code de procédure pénale ou par toute autre disposition de procédure pénale qui aurait porté atteinte aux intérêts de l'inculpé ;

Attendu que l'incompétence des juridictions répressives est d'ordre public et peut être soulevée par toutes les parties en tout état de cause ou relevée d'office par le juge s'il y a lieu;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;


Sur le cinquième moyen de cassation pris de la dénaturation des faits en ce que la chambre d'accusation a constamment relevé qu' " Hissène Habré inculpé le 3 février 2000 des chefs de crime contre l'humanité, d'actes de torture et de barbarie et mis en résidence surveillée " alors que celui-ci n'a jamais été inculpé de crime contre l'humanité et que les parties civiles n'ont jamais allégué qu'il a été inculpé de ce chef ;

Attendu que l'arrêt attaqué a reproduit les termes de l'inculpation d'Hissène Habré ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;


Sur le huitième moyen de cassation pris de l'erreur de texte applicable en ce que la chambre d'accusation a attribué à l'article 9 de la Convention de New -York du 10 décembre 1984 qui traite de l'entraide judiciaire entre les Etats parties, le contenu de l'article 5 ;

Attendu qu'une erreur purement matérielle dans la citation du numéro d'un texte susceptible d'être réparée selon la procédure prévue à l'article 681 du code de procédure pénale, ne saurait donner ouverture à cassation ;

D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;


Sur le neuvième moyen de cassation pris de la violation de l'article 669 du code de procédure pénale en ce que la chambre d'accusation a exclu la compétence du juge d'instruction sans relever qu'Hissène Habré est un étranger;

Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué qu'Hissène Habré a été inculpé des chefs sus-rappelés commis à Ndjaména durant une période au cours de laquelle il exerçait les fonctions de président de la République du Tchad ... que les juridictions sénégalaises ne peuvent connaître des faits de torture commis par un étranger ...;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;


Sur le dixième moyen de cassation pris de la violation de l'article 166 du code de procédure pénale en ce que la chambre d'accusation a retenu que la nullité est substantielle sans préciser en quoi la nullité est substantielle, sans motivation suffisante et sans viser le texte sanctionnant la nullité ;

Attendu que statuant sur la compétence des juridictions sénégalaises à poursuivre Hissène Habré des chefs précisés, la chambre d'accusation relève que les règles de compétence sont d'ordre public, que leur méconnaissance doit être sanctionnée par une nullité qui est substantielle ;

D'où il suit que le moyen ne peut être admis;


Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation de l'article 79 de la Constitution en ce que la chambre d'accusation a déclaré les juridictions sénégalaises incompétentes au motif que la justice pénale a toujours manifesté son autonomie par rapport aux autres normes juridiques et a refusé d'appliquer le texte suscité qui est une norme juridique qui s'impose en toutes matières même en droit pénal ;


Sur le sixième moyen de cassation pris de la violation de la Convention de New -York contre la torture du 10 décembre 1984 en ce que la chambre d'accusation a déclaré les juridictions sénégalaises incompétentes en refusant d'appliquer une convention internationale au motif que l'article 669 du code de procédure pénale constitue un obstacle aux poursuites contre Hissène Habré et à l'application de cette Convention alors que la Convention a été ratifiée par le Sénégal le 16 juin 1986 et publiée au journal officiel le 9 août 1986 ;


Sur le septième moyen de cassation pris de la violation du principe de compétence universelle en ce que la chambre d'accusation a déclaré les juridictions sénégalaises incompétentes au motif que la compétence universelle ne peut être admise sans modification de l'article 669 du code de procédure pénale alors que cet article ne peut faire échec à l'application d'une convention internationale édictant une compétence universelle ni aux dispositions de la Convention de Vienne, applicable au Sénégal, notamment en ses articles 27 et 53 qui ne permettent pas à un Etat signataire d'une convention internationale de s'abriter derrière les lacunes et les insuffisances de son droit interne pour se soustraire à ses engagements internationaux ;


Les moyens étant réunis ;

Attendu que pour annuler le procès-verbal d'inculpation d'Hissène Habré et la procédure subséquente, la chambre d'accusation énonce notamment que pour se conformer à l'article 4 de la Convention de New-York qui oblige tout Etat partie à veiller à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal et soient passibles de peines appropriées, le législateur a promulgué la loi n' 96.15 du 28 août 1996 instituant l'article 295-1 du code pénal qui a incriminé ces actes lesquels, avant cette date, ne constituaient aux termes de l'article 288 du même code visé dans le procès verbal d'inculpation, que des circonstances aggravantes de certains crimes contre les personnes; que les juges relèvent qu'aucune modification de l'article 669 du code de procédure pénale n'est intervenue et en déduisent que les juridictions sénégalaises sont incompétentes pour connaître des actes de torture commis par un étranger en dehors du territoire quelle que soit la nationalité des victimes ;

Attendu qu'en cet état, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que la décision n'encourt pas les griefs allégués ; que l'article 5-2 de la Convention de New-York du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants fait peser sur chaque Etat partie l'obligation de prendre des mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître des infractions visées à l'article 4 dans le cas où l'auteur présumé de celles-ci se trouve sur tout territoire sous sa juridiction et où ledit Etat ne l'extrade pas ;

qu'il en résulte que l'article 79 de la Constitution ne saurait recevoir application dès lors que l'exécution de la Convention nécessite que soient prises par le Sénégal des mesures législatives préalables ;

qu'aucun texte de procédure ne reconnaît une compétence universelle aux juridictions sénégalaises en vue de poursuivre et de juger, s'ils sont trouvés sur le territoire de la République, les présumés auteurs ou complices de faits qui entrent dans les prévisions de la loi du 28 août 1996 portant adaptation de la législation sénégalaise aux dispositions de l'article 4 de la Convention lorsque ces faits ont été commis hors du Sénégal par des étrangers ; que la présence au Sénégal d'Hissène Habré ne saurait à elle seule justifier les poursuites intentées contre lui ;

D'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi fondé par Souleymane GUENGUENG et autres contre l'arrêt rendu le 4 juillet 2000 par la chambre d'accusation de Dakar;

Prononce la confiscation de l'amende ;

Met les dépens à la charge des demandeurs.

Dit que le présent arrêt sera imprimé, qu'il sera transcrit sur les registres de la Cour d'appel en marge ou à la suite de la décision attaquée ;

Ordonne l'exécution du présent arrêt à la diligence du Procureur Général près la Cour de cassation;

Ainsi fait, jugé et prononcé par la Cour de cassation, première chambre, statuant en matière pénale, en son audience publique tenue les jour, mois et an que dessus et où étaient présents Madame et Messieurs - Mireille NDIAYE, Président de Chambre, Président Rapporteur; Mamadou Badio CAMARA, Conseiller; Boubacar Albert GAYE Conseiller ;

En présence de Monsieur Ciré Aly BA, Avocat général représentant le ministère public et avec l'assistance de Maître Ndèye Macoura CISSE, Greffier;

En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le Président Rapporteur, les Conseillers et le Greffier.





tchadien Hissène Habré
© 2000 Corbis-Sygma
L'ancien Président tchadien Hissène Habré

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